Dossier
La bagarre pour s’approprier le butin ou
la saignée des finances publiques
africaines (V)
Mohsen Abdelmoumen
Le
prédateur Gertler s'intéresse dorénavant
au pétrole. D. R.
Mercredi 19 février 2014
Sachant que la RDC renferme dans son
sous-sol 80% des réserves mondiales de
coltan, près de la moitié de celles de
cobalt, 10% du cuivre mondial, plus d’un
quart des diamants, et beaucoup d’or, de
manganèse, de fer, etc., on comprend
aisément que ses richesses suscitent la
convoitise. Les intérêts Gertler-Steinmetz
sont en conflit avec ceux de Kinross
Forrest Group de la famille belge
Forrest pour l’acquisition des
concessions de cuivre et de cobalt.
Georges Forrest fait également partie
d’une liste de pillards établie par
l'ONU. Malta et Georges Forrest étaient
administrateurs et contrôlaient Katanga
Mining Limited. Avec l’Entreprise
générale Malta Forrest, les intérêts
belges de Forrest ont été les piliers de
l'exploitation du Congo depuis au moins
1922, quand ils ont lancé des opérations
minières au Katanga. Parmi les
administrateurs de Katanga Mining
Forrest, on trouvait Jean-Claude Masangu
Mulongo du Congo, un haut fonctionnaire
au FMI et à la Banque mondiale, et
gouverneur actuel de la Banque centrale
de la RDC. La dynastie Forrest a des
usines de munitions en Belgique et au
Kenya, et a établi un partenariat avec
l'OM Group, dans l'Ohio, spécialisé dans
le cobalt et le coltan du Congo. Forrest
International est également présent au
Burundi et est impliqué des deux côtés
dans la guerre sanglante du Congo et au
Moyen-Orient. Les intérêts de Forrest en
RDC comportent l'aviation, les aliments,
les plantations, la construction,
l'exploitation forestière,
l'exploitation minière du cuivre et de
cobalt. Les entreprises de Forrest
participent au pillage du coltan dans
l'est du Congo. En 2004 et 2005,
l'instabilité était tellement grande
dans le pays que les multinationales
minières n'osaient pas encore s'y
aventurer. Les seuls à oser le faire
étaient des personnes comme George
Forrest, actif au Congo depuis des
décennies déjà, et Dan Gertler, qui
était devenu un ami personnel de Joseph
Kabila. Cette première vague de
privatisations s'est déroulée à la
veille des premières élections
présidentielles. Et il ne fait aucun
doute que tant George Forrest que Dan
Gertler ont largement financé la
campagne électorale de Kabila, ce qui
leur a d'ailleurs valu de figurer en
première ligne lors du partage des
mines. Deux grands contrats miniers ont
donc été conclus au Congo, scindant en
deux entités la Gécamines-Ouest, le
complexe minier auquel la ville de
Kolwezi doit son existence. Ainsi, la
mine souterraine de Kamoto et les
installations de production sont allées
à Kinross Forrest Limited (KFL), tandis
que la gigantesque et très riche mine à
ciel ouvert de KOV est allée à Nikanor,
l'entreprise de Dan Gertler, deux
entreprises de taille plutôt réduite
pour gérer ces fleurons de la RDC.
Pourtant, il ne s'agissait pas là
d'entreprises disposant des
connaissances et des capitaux requis
pour exploiter ces immenses richesses
minières, car tout y est tellement
gigantesque que les montants nécessaires
doivent se calculer non pas en dizaines
de millions, mais bien en milliards
d'euros. George Forrest et Dan Gertler
ont obtenu les concessions, sans pour
autant devoir quoi que ce soit à l'Etat
congolais. Certes, aux termes du
contrat, un loyer devait être payé pour
les installations et des dividendes
versés sur les 25% de la Gécamines. Or,
aucun loyer n'a été payé et aucun
dividende n'a été versé. En
contrepartie, George Forrest et Dan
Gertler étaient censés réunir les moyens
nécessaires à la reprise de la
production. En 2006, le groupe Forrest a
créé la Kamoto Copper Company (KCC),
mais l’enjeu dépassait les possibilités
financières d'une entreprise familiale.
KFL a changé de nom pour devenir la
Katanga Mining Limited (KML). Cette
dernière conservait 75% de la KCC, la
Gécamines les 25% restants. Le problème,
c'est qu'alors que les concessions de
Forrest et Gertler étaient naturellement
en synergie, elles se retrouvaient à
présent séparées, la KCC détenant ainsi
la fabrique de cuivre à Luilu. La KML a
produit son premier cuivre en décembre
2007, mais un mois auparavant, la
multinationale en matières premières
Glencore avait déjà avancé quelque 150
millions de dollars. La KML a ensuite eu
de grosses difficultés financières et
elle s’est efforcée de persuader les
investisseurs d'acheter des actions en
échange de capital, sans succès.
Glencore a, une nouvelle fois, injecté
en janvier 2009 quelque 100 millions de
dollars dans la KCC. Afin d'apurer sa
position financière et poursuivre le
développement planifié, la KML avait
encore besoin de 250 millions de
dollars, une somme qu'elle n'est pas
parvenue à rassembler. Glencore est
intervenue une nouvelle fois en
convertissant ses prêts en nouveau
capital, ce qui s'est traduit par une
forte dilution de la participation de
George Forrest, qui a chuté de 40% à 1%.
Ce fut l'influence croissante de
Glencore qui a fini par imposer une
fusion entre la KML et Nikanor. C'est
ainsi qu'une implantation de niveau
mondial a pu voir le jour. En 2014, avec
une production de 300 000 tonnes, la KCC
devrait devenir la plus grande
entreprise cuprifère du Congo.
Entretemps, George Forrest a vendu les
quelques pour cent qu'il détenait encore
dans la société. Au moment de la
transaction, George Forrest est en outre
parvenu à décrocher un gros contrat de
service chez Glencore : c'est désormais
EGMF qui se charge de l'exploitation de
la mine KOV. George Forrest semble avoir
perdu les faveurs d’une certaine frange
de l’élite congolaise qui lui préfère
Dan Gertler qui obtient des contrats
lucratifs à la pelle. Gertler achète ou
investit dans les entreprises simplement
pour les fermer. L’entreprise kazakhe
ENRC (Eurasian Natural Resources Corp) a
fait part aux autorités britanniques de
ses préoccupations au sujet de Dan
Gertler. Selon Africa Confidential,
ENRC coopère avec une enquête du Bureau
des fraudes graves (Serious Fraud
Office) à Londres et a soumis un
«rapport d’activité suspecte» à l’Agence
britannique pour le crime organisé (Serious
Organized Crime Agency) dès le 12 août
2010, faisant part de ses soupçons que
«les actifs du groupe Highwind,
propriété de Dan Gertler, aient pu être
obtenus par corruption». Selon la lettre
d’affaires, cette dénonciation concerne
l’achat de Kolwezi Tailings, une
concession dont Highwind avait acheté
70% des parts au gouvernement congolais
pour 60 millions de dollars, soit «à peu
près 5% de sa valeur sur le marché». En
outre, le groupe Fleurette Properties
Ltd de Gertler, société enregistrée à
Gibraltar, détient des participations
dans diverses mines congolaises à
travers au moins 60 sociétés holding
dans des paradis fiscaux à l'étranger
tels que les îles Vierges britanniques.
Dan Gertler est aussi présent en
Angola
Tout dernièrement, Dan Gertler a de
nouveau défrayé la chronique, sur le
chapitre pétrolier cette fois-ci. Sa
société Nessergy qui avait acquis des
droits pétroliers sur le bassin côtier
pour 500 000 dollars, vient de conclure
un accord avec le gouvernement qui lui
rapporterait un montant des centaines de
fois supérieur à sa mise de départ. Que
ce soient les mines ou le pétrole, les
conséquences sur la saignée des finances
publiques est la même, et l’Etat
congolais refuse de publier l’accord
pétrolier déficitaire conclu avec la
société offshore de Dan Gertler. Cette
affaire présente de nombreuses
caractéristiques communes avec toute une
série d’accords secrets passés dans le
secteur minier congolais, en vertu
desquels des droits miniers ont été
achetés par des compagnies offshore pour
un prix dérisoire, pour ensuite être
rapidement revendus à de grandes
sociétés internationales moyennant un
profit immense. L’Africa Progress Panel
de Kofi Annan estime que cinq de ces
accords impliquant Gertler entre 2010 et
2012 auraient coûté à l’Etat congolais
au moins 1,36 milliard de dollars. Cela
représente près du double des dépenses
annuelles du Congo dans les secteurs
conjugués de la santé et de l’éducation.
Les droits pétroliers potentiellement
lucratifs ont été obtenus par Nessergy
en 2006 sans appel d’offres public. Bien
que les termes de ce contrat soient
secrets, des éléments de preuve émergent
cependant d’un contrat de 2008 signé par
des représentants de Nessergy et de H
Oil, société établie par Jacques Hachuel,
l’un des fondateurs du géant des
matières premières, Glencore. Selon le
contrat de H Oil, Nessergy devait être
achetée pour la somme initiale de 194
millions de dollars, avec
potentiellement un montant
supplémentaire. Bien que cet accord
n’ait finalement pas abouti en raison de
tensions entre la RDC et l’Angola, ce
prix – convenu alors que le prix du
pétrole était la moitié d’aujourd’hui –
donne une bonne indication de la valeur
minimale de la vente effectuée en 2012.
Un prix alternatif de 150 millions de
dollars pour le contrat 2012 a été
publié dans une revue congolaise – cette
somme est certes inférieure aux 194
millions de dollars du contrat H Oil,
mais elle représente toutefois 300 fois
le prix payé par Nessergy en 2006. En
vertu de l’accord Nessergy de 2012, les
compagnies pétrolières d’Etat congolaise
et angolaise ont acheté la société et,
avec elle, les droits qu’elle détient
dans des eaux riches en pétrole que se
partagent les deux pays. Cela a ouvert
la voie à la création d’une zone
pétrolière détenue à parts égales par
chaque pays, dans laquelle les grandes
compagnies pétrolières mondiales
pourraient se voir attribuer des droits.
La Sonangol, compagnie pétrolière d’Etat
angolaise, a convenu de payer les droits
de Nessergy dans un premier temps.
Cependant, la RDC finira par rembourser
la Sonangol à partir des recettes
dégagées de la future production du
bloc. Nessergy est elle-même
immatriculée à Gibraltar, et est détenue
à 75% par des sociétés immatriculées
dans les îles Vierges britanniques,
paradis fiscal également connu pour son
secret bancaire, et Fleurette a confirmé
qu’il en était le propriétaire majeur.
Bien que ces sociétés soient toutes
liées à Gertler, la liste complète des
actionnaires est tenue secrète, ce qui
fait qu’il est difficile de connaître
l’identité des personnes qui ont
effectivement bénéficié de cet accord.
Il n’était pas clair alors qu’il y avait
tant de pétrole dans la région et
jusqu’à ce que Gertler ait été impliqué,
les eaux et les gisements de pétrole ont
été entièrement détenus par l’Angola.
C’est seulement après que Gertler a
employé des experts que les Congolais
ont réussi à négocier un accord avec
l’Angola pour partager les dépouilles de
pétrole de la région. Fleurette confirme
par ailleurs la cession des droits de
Nessergy aux sociétés d'Etat congolaise
(Cohydro) et angolaise (Sonangol), tout
en refusant d'indiquer le montant versé.
Mohsen Abdelmoumen
Demain : Dan
Gertler se lance dans le social au
profit des «couches vulnérables» pour
faire diversion
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