Interview
Dr. Ali Ghediri : «Aujourd’hui, c’est
d’une rupture
dont l’Algérie a besoin»
Mohsen Abdelmoumen
Dr. Ali Ghediri.
DR.
Lundi 15 avril 2019
English version here Mohsen
Abdelmoumen : Vous avez évoqué le
concept de « la rupture sans
reniement ». Pouvez-vous nous expliquer
ce que vous entendez par là ? Comment
peut-on traduire une rupture dans
l’Algérie d’aujourd’hui ?
Dr. Ali
Ghediri : J’ai choisi des termes
choc. Le mot rupture est en soi
polysémique selon qu’il s’applique à la
physique, à la sociologie ou à la
politique. C’est un terme qui recèle une
part d’appréhension et, pour être
beaucoup plus concret, je dirais que
c’est un terme qui recèle de la peur.
Dans la vie courante, de manière
générale, on recourt à la rupture
lorsqu’il y a un blocage qui n’autorise
plus aucune dynamique. Ceci est vrai
dans le domaine social en général et en
politique en particulier. Parce que s’il
y a bien un domaine où la posture
statique est potentiellement dangereuse,
c’est celui de la politique. Et c’est le
cas, justement, en Algérie où le système
politique en place depuis des décennies
a montré un certain immobilisme qui
donne des signes de stérilité à tel
point qu’il est devenu incapable de
créer les conditions à sa propre
reproduction. Un système qui cesse de
créer les conditions pour se pérenniser
est un système finissant, donc c’est un
système qui est atteint de statisme
dangereux pour sa propre survie,
c’est-à-dire que c’est un système qui a
atteint une phase autant dangereuse pour
lui que pour le pays. Dans le contexte
qui est le nôtre, le terme « rupture »
sous-tend quelque part une remise en
cause de l’équilibre politico-social tel
que les régimes qui se sont succédé
depuis le recouvrement de notre
indépendance l’ont configuré. Aussi,
pour changer les choses, on ne saurait
se contenter d’un ravalement de façade.
Pour le cas algérien, la rupture
s’impose comme le seul remède afin
d’impulser une nouvelle dynamique à la
vie sociopolitique en Algérie.
Il s’agit d’une
rupture sans reniement parce que, comme
je viens de le dire, le terme lui-même
recèle en soi un potentiel de reniement
et de négation du passé qu’il faut
appréhender avec circonspection, c’est
pourquoi j’ai tenu à préciser que la
rupture que je prône est une rupture
sans reniement. Sur quoi ne va pas
porter cette rupture ? Elle portera sur
tout sauf sur des éléments qui
constituent le socle de notre identité
nationale et de notre histoire. Tout le
reste sera étalé sur la table pour
l’édification d’une deuxième République,
d’une Algérie nouvelle, d’une Algérie
tournée vers le progrès et vers son
avenir.
Avec le règne de
Bouteflika, n’y avait-il pas un risque
que le lobby de l’argent sale s’empare
totalement du pouvoir comme dans la
Russie de Boris Eltsine ?
Il y avait plus
qu’un risque. Le lobby de l’argent s’est
réellement accaparé la décision
politique. Il s’est impliqué d’une
manière franche et affichée dans la vie
politique au point où certains
oligarques se sont permis d’interférer
dans la désignation de ministres, ce
n’est un secret pour personne. Et non
seulement de ministres mais de
personnalités contestées dans les
rouages de l’État. Il ne s’agissait pas
de risque mais de fait. Vous avez eu
raison de faire le parallèle avec la
Russie d’Eltsine. J’ai passé là-bas deux
ans au moment où Eltsine était
président, et il y a beaucoup de
similitudes entre le cas russe et le cas
algérien.
L’armée reste un
acteur incontournable dans la politique
en Algérie. Le fait que l’armée soit
incontournable ne traduit-il pas la
faillite du système politique algérien ?
Toute nation est le
produit de son histoire. On ne peut pas
se défaire des trames de sa propre
histoire. Je dirais qu’il était tout à
fait naturel, jusqu’à une certaine
limite, que l’armée soit partie prenante
dans la vie politique. Mais ce qui ne
l’est plus, c’est qu’elle ait franchi
temporairement ce seuil et qu’elle
reste, 57 ans après l’indépendance,
cette force incontournable dans
l’équation politique. Voilà ce qui est
anormal. Jusqu’à un certain seuil,
temporairement, c’était peut-être
admissible parce que telle est notre
histoire.
Pour ce qui est de
la défaillance du système politique
algérien, je suis tout à fait d’accord
avec vous. Si le système s’était fixé
pour objectif d’édifier un État algérien
national pérenne, il aurait été beaucoup
plus indiqué pour lui de mettre en place
des conditions pour assurer cette
pérennité. Parmi les conditions, il y a
la mise en place d’institutions
légitimes élues par le peuple dans la
transparence la plus absolue et les
choses auraient mieux marché que dans la
situation présente. Deuxième point : on
ne peut pas prétendre édifier ou assurer
une pérennité à l’État si on fait
l’impasse sur certaines libertés :
libertés individuelles, libertés
collectives, indépendance des trois
pouvoirs, législatif, exécutif et
judiciaire. Donc, quelque part, on fait
l’impasse sur le droit des citoyens et
si l’on fait l’impasse sur les libertés
et le droit, on ne peut pas assurer la
pérennité à ce système.
Comment
analysez-vous ce grand mouvement
populaire que connaît l’Algérie en ce
moment et comment expliquez-vous le fait
que tous les partis qu’ils soient du
pouvoir ou de l’opposition soient
dépassés et même rejetés ?
Tout mouvement
populaire, tout mouvement de masse, où
qu’il soit et quel qu’il soit, est
subséquent à la somme de contradictions
sociopolitiques qui n’ont pas trouvé
leur solution quand elles étaient à leur
niveau le plus bas. Les contradictions
sociopolitiques se sont exacerbées au
point d’atteindre une forme de résonance
et c’est ce qui a fait que le peuple
soit sorti pour manifester cette
exaspération et ce rejet du système.
Quant à la seconde partie de la question
concernant le rejet des partis
d’opposition, dans l’imaginaire
politique des Algériens, le système est
à la fois le pouvoir en place et cette
opposition que le pouvoir a voulue
organique et qu’il a domestiquée quelque
peu. C’était beaucoup plus une
opposition domestiquée, une opposition
de façade, une opposition qui fait
partie du décorum faussement
démocratique dont il pouvait se
prévaloir sur la scène internationale
pour prétendre à un classement parmi les
pays démocratiques. Cela ne veut pas
dire que parmi l’opposition, il n’y ait
pas de forces qui réellement voulaient
le changement, mais le pouvoir politique
en Algérie, notamment depuis l’avènement
de Bouteflika, n’a eu de cesse de
ramener cette opposition à une forme de
formalisme pour davantage asseoir son
pouvoir que d’en faire une force à même
d’assurer le fonctionnement démocratique
des institutions.
Vous avez évoqué
la nécessité d’aller vers une deuxième
République. Comment pensez-vous
atteindre cet objectif ?
Une deuxième
République coule de source à partir du
moment où je prône la rupture. Je ne
pouvais pas à la fois prôner la rupture
et la continuité parce que continuer
dans la voie qui est celle du système
politique actuel signifie consacrer la
pérennité d’un système que je dénonce.
Donc, la deuxième République comme je la
perçois, c’est l’ouverture de l’Algérie
vers une nouvelle forme d’institutions
que le peuple aurait élues en toute
démocratie, c’est la mise en place d’une
nouvelle Constitution qui consacrerait
dans les faits – pas dans les textes
uniquement – la pratique politique
depuis la base jusqu’au sommet, c’est de
nouveaux rapports entre le citoyen
lambda et l’administration et le pouvoir
– dont ce citoyen lambda est la première
émanation parce que la citoyenneté est
censée émaner du peuple et il faudrait
qu’elle ne soit plus uniquement censée
mais qu’elle soit réellement l’émanation
de ce peuple. La rupture va porter sur
le fonctionnement des institutions, sur
la lutte contre la corruption, sur la
lutte contre le népotisme, sur
l’équilibre des pouvoirs, sur les
aspects économiques, sociaux, enfin sur
tout ce qui touche à la société. C’est
en quelque sorte un nouveau projet de
société en totale rupture avec ce que
nous avons connu depuis cinquante-sept
ans.
En 2000, l’armée
a produit un document qui évoquait la
nécessité de réformes profondes. Ne
pensez-vous pas que si ce document
stratégique de l’armée avait été
appliqué et mis en œuvre, nous n’aurions
pas à vivre cette grave crise politique
d’aujourd’hui ?
Dans la gestion des
crises, si on s’attaque à la racine du
problème dès les premiers signes qui
révèlent son existence, on a beaucoup
plus de chance de corriger la
trajectoire sans trop de dégâts. Si l’on
avait opéré les changements en 1999, ou
en 2000, ou en 2004, nous n’en serions
évidemment pas là où nous en sommes
aujourd’hui. Non seulement nous n’avons
pas agi pour apporter des réformes, mais
nous n’avons fait que nous enliser dans
des contre-réformes. Et ce qui devait
arriver arriva. L’essence même du
système politique algérien sous
Bouteflika, c’était le renforcement de
sa personne en tant qu’élément central
du système politique et la domestication
de la classe politique dans son ensemble
par l’entremise de la rente. Donc,
l’objectif n’était pas tant l’État ou la
réforme de l’État, ou la réforme de la
société, mais c’était un objectif qui
visait le maintien du pouvoir.
Bouteflika avait une stratégie de
pouvoir et non une stratégie de
gouvernance, et la stratégie du pouvoir
c’était de tout faire pour se conforter
en tant que détenteur de ce pouvoir et
d’en être l’exclusivité au point où il
est devenu l’élément central du pouvoir
par l’entremise de plusieurs révisions
de la Constitution. Évidemment,
s’il avait opéré les réformes en 2000 ou
un peu plus tard en 2004, ou en 2008,
nous n’en serions pas là. Ce qui rend
l’équation beaucoup plus complexe, c’est
ce décalage temporel qui a fait que les
contradictions se soient exacerbées
jusqu’au au point de rupture et celle-ci
a eu lieu.
À votre avis, ce
document est-il toujours utile pour la
prochaine étape dans l’Algérie de demain
?
Non, un ravalement
de façade ne peut plus suffire. Si on
avait fait les choses en 2000, les
mesures préconisées auraient pu
faciliter les choses et auraient pu
amener l’Algérie à prendre un autre
chemin. Aujourd’hui, c’est d’une rupture
dont l’Algérie a besoin. Cela, je le dis
et je l’assume.
Vous avez été et
vous restez candidat à l’élection
présidentielle. Quel est votre projet
pour l’Algérie ?
Mon projet pour
l’Algérie, il est dans l’intitulé même
du programme. Lorsque je parle de
deuxième République, c’est une
république moderne, une république
ouverte sur ses enfants, une république
réellement démocratique, une république
où la citoyenneté se conjugue au
quotidien, où le citoyen lambda est
réellement un citoyen, c’est-à-dire un
partenaire sociopolitique et
socioéconomique… c’est de cette
Algérie-là que je rêve. Une Algérie où
la jeunesse qui représente 70 % de la
population ait sa place, où la diaspora
nationale à l’étranger ait sa place dans
la configuration politico-économique.
C’est de cette Algérie-là que mon projet
se nourrit.
Vous êtes à la
fois un intellectuel et un haut gradé de
l’armée. Pensez-vous parvenir à changer
le système de l’intérieur ?
Intellectuel et
haut gradé de l’armée ne sont pas des
antinomies (rires). Pour être général
dans l’armée, il faut avoir fait des
académies. En ce qui me concerne, j’ai
fait autant les académies militaires que
les universités civiles, donc la
problématique « intellectuel /
militaire » ne se pose pas, elle se pose
concernant un chef, un lieder, un
Algérien qui a à cœur de changer les
choses dans son pays. Je suis un
citoyen comme un autre. La seule
particularité que j’ai c’est que j’ai
servi pendant plus de quarante ans dans
une institution qui n’était pas au
service du pouvoir mais au service de la
nation, je tiens à le préciser.
Maintenant que je suis redevenu civil,
je me suis investi dans la chose
politique parce que je considérais que
le système qui est en place a fait trop
de mal à ce pays et à ce peuple. Et, de
par l’expérience que j’ai et de par les
idées que je crois être bonnes pour le
pays, je me dis que je pourrais changer
le cours des choses au mieux de ce
peuple et de cette république.
Si vous êtes
président de la République algérienne,
quel sera votre premier chantier ?
Le premier chantier
– je ne parle pas des choses
subsidiaires, je parle de l’essentiel –
c’est de désigner un gouvernement de
jeunes. Deuxième point, c’est d’engager
la réflexion pour l’élaboration d’une
Constitution devant être le socle de
cette République. Troisièmement, engager
tout ce qui pourrait contribuer à faire
démarrer l’appareil économique et
engager une réforme structurelle de
l’économie nationale. Bien entendu, cela
ne peut pas se faire en un jour ni en un
mois mais ce sont des chantiers que je
m’engage à lancer dès ma prise de
fonction et il y aura bien sûr beaucoup
d’autres choses à faire mais puisque
vous m’avez posé la question sur le
premier chantier, ce seront les
premiers chantiers que je lancerai.
On a remarqué
lors des manifestations, qu’il y a des
tentatives de récupération de différents
groupes occultes allant des anciens du
FIS avec leur propagande jusqu’à des
organisations comme Otpor ou certains
activistes des Frères musulmans. Ne
pensez-vous pas que ces minorités
agissantes sont dangereuses pour
l’Algérie ?
Dans tout mouvement
de masse de cette envergure, que ce soit
en Algérie ou ailleurs, il y a toujours
des tentatives de récupération et
d’infiltration, c’est dans l’ordre
naturel des choses. Pour le cas
algérien, vous avez identifié le FIS,
les Frères musulmans et Otpor. Pour ce
qui est des islamistes, je vais vous
répondre comme j’ai répondu à d’autres
de vos confrères : les islamistes ont
été militairement et politiquement
vaincus en Algérie. On a tendance à
l’oublier parce que les événements qui
ont eu lieu dans d’autres pays après le
prétendu « printemps arabe » ont mené à
ce que l’on fasse l’impasse sur ce qui
s’est passé en Algérie qui a eu à
affronter, seule, cet islamisme violent.
Les Algériens ont eu raison de ce
phénomène qui a bel et bien été battu et
je pense que cette donne a été intégrée
dans l’agenda islamiste. Aujourd’hui,
les islamistes, ici en Algérie, savent
qu’ils n’ont de droit d’existence en
tant que citoyens que dans un cadre
démocratique et qu’il est le seul à leur
assurer une vie en tant que citoyens
parmi d’autres. Il y a sûrement une
petite minorité d’excités et de
fondamentaux parmi eux, des
fondamentalistes qui chercheraient à
tirer la couverture vers eux mais sans
trop de conviction. D’ailleurs, dans les
rues d’Alger, d’Oran, de Tamanrasset ou
de Annaba, plusieurs cas ont été
signalés où dès qu’ils commencent à
scander des slogans qui leur sont
propres, ils ont été pris à partie par
la population qui leur a dit « fichez le
camp, vous ne faites pas partie de ce
mouvement ». Donc, il y a une conscience
politique populaire qui fait que le
danger islamiste est circonscrit. En
l’état actuel des choses, non seulement
il est circonscrit mais il est jugulé.
Ce qui pourrait changer si ces
mouvements s’étalent dans le temps, là
le risque existe potentiellement. Pour
ce qui est d’Otpor et autres mouvements,
cela relève de la même logique, il y a
des forces qui ne veulent pas que
l’Algérie retrouve le chemin de la
démocratie, de la modernité, du
développement, le chemin de la
croissance, le chemin de l’évolution
socio-politico-économique et qui
trouveraient en ces mouvements un
terreau qui, de leur point de vue,
pourrait leur permettre de mettre en
échec cette révolution citoyenne.
Heureusement, avec vingt millions
d’Algériens qui sont descendus dans la
rue, la chose paraît un peu plus
difficile mais il faudrait circonscrire
cela dans le temps et aller dans
l’urgence à des réformes qui
commenceraient par l’élection d’un
président de la République qui serait
démocratiquement élu, sans fraude. Cela
permettrait d’enclencher une dynamique
qui immuniserait l’Algérie contre toute
forme de récupération.
Vous pensez que
la société algérienne est immunisée par
rapport à ces groupuscules et minorités
idéologiques comme les islamistes ?
Non. Si
l’intelligence politique fait corps avec
cette demande populaire de rupture et de
renouveau, si on le fait dans des temps
raisonnables, je pense que l’on pourrait
affirmer haut et fort que l’Algérie est
non seulement immunisée contre ces
formes de récupération mais ce qui est
entrain de se faire en Algérie n’est pas
un simple mouvement de masse mais une
véritable révolution sans effusion de
sang, une révolution pacifique qui
pourrait demain déteindre sur le reste
du monde de la sphère arabo-musulmane et
africaine.
J’ai interviewé
le
Dr. Paul Craig Roberts qui était
l’un des concepteurs de la politique
économique du président américain
Reagan, et je l’ai interrogé sur
l’utilisation de la planche à billets en
lui parlant du cas algérien. Comme il
est économiste, il m’a spécifié dans
quels cas on pouvait utiliser la planche
à billets. Le gouvernement algérien a
imprimé 34 milliards de dollars en un
an. Selon vous, n’est-ce pas une
catastrophe économique pour l’Algérie ?
Avant de parler de
catastrophe économique, avoir recours à
la planche à billets est en soi un aveu
non déclaré de l’échec de la politique
suivie par Bouteflika. Lui qui a
bénéficié d’une conjoncture des plus
favorables qu’aucun président algérien
n’a connue depuis l’indépendance, il a
engrangé entre 1999 et 2019 plus de 1000
milliards de dollars et on se retrouve
en 2019 en train de faire tourner la
manivelle pour imprimer des billets.
S’il fallait une preuve pour déclarer
que la politique de Bouteflika était une
catastrophe pour le pays, je pense qu’on
ne trouverait pas mieux que cette
preuve-là. Pour ce qui est de la
planche à billets en tant que phénomène
économique, en tant que procédure
économico-financière, l’Algérie n’est
pas le premier pays à y avoir recours,
tout le monde le fait. Tout le monde y a
recours mais il y a des règles que l’on
doit respecter lorsqu’on veut utiliser
cet outil. On ne peut pas imprimer
l’équivalent de 55 milliards de dollars
en deux ans – et c’est ce qui a été
imprimé – ce qui correspond à une fois
et demi, voire deux fois, les revenus
pétroliers de l’Algérie. Si l’on avait
adossé cela aux réserves de change, les
choses auraient peut-être été moins
douloureuses. Quoi qu’il en soit, la
situation économique de l’Algérie n’est
pas des meilleures et elle serait encore
moins bonne si le mouvement citoyen
s’étalait dans le temps parce qu’il
n’est pas sans incertitude et
l’incertitude fait fuir les
investisseurs et les partenaires
étrangers, et a tendance à pousser les
gens à user de tous les stratagèmes pour
la fuite des capitaux vers l’étranger.
Donc, la situation est économiquement
inquiétante mais si l’on met en place la
volonté et l’intelligence politique
qu’il faut, et que l’on écourte ce
flottement et l’incertitude que génère
la situation actuelle, avec le potentiel
qui est celui de l’Algérie, je pense
qu’on pourra s’en sortir économiquement.
Différents
intervenants que j’ai interviewés,
allant des parlementaires
européens jusqu’aux experts dans le
renseignement, et qui pour certains de
ces derniers ont eu de grandes
responsabilités – je cite par exemple le
conseiller d’Obama, le
Dr. Bruce Riedel -, m’ont tous
affirmé que les services de
renseignement algériens, le DRS, étaient
très efficaces. Comment expliquez-vous
que l’on ait démantelé le DRS sous l’ère
Bouteflika et comment se fait-il que les
services de renseignement aient été
rattachés à la Présidence pour
aujourd’hui être à nouveau sous la
tutelle de l’armée ? À votre avis,
n’est-ce pas une faute grave de la part
de Bouteflika d’avoir démantelé le DRS ?
Comme je l’ai dit
tout à l’heure, la stratégie de
Bouteflika était une stratégie de
pouvoir, pas de gouvernance. Bouteflika
a tout fait pour conforter au mieux son
pouvoir personnel et le système qu’il
avait mis en place. À sa décharge, il a
cassé l’ancien système et, à sa charge,
il n’a rien prévu d’autre pour le lui
substituer. Il a créé un vide et le vide
a toujours été générateur de crise. La
crise que nous sommes en train de vivre
provient pour une grande part du fait
que Bouteflika ait cassé le système pour
asseoir son propre pouvoir. Parmi les
éléments auxquels a eu recours
Bouteflika pour être le maître et
l’unique décideur, et asseoir son
pouvoir d’une manière absolue, c’était
le rattachement du service de sécurité à
la Présidence. Ce n’est pas tant le
rattachement sur le plan technique qui
pose problème, parce que dans nombre de
pays, les services sont rattachés à la
présidence et non au ministère de la
Défense, mais ce sont les intentions qui
sous-tendent la décision. Pour ce qui
est de l’efficacité des services de
renseignement algériens, ils sont
toujours aussi efficaces. Quant aux
dernières mesures prises concernant leur
mise sous tutelle du ministère de la
Défense, je pense que celle-ci répond
beaucoup plus à des aspects pratiques et
techniques qu’à autre chose, parce que
le président n’étant plus en place, la
Présidence n’étant plus perçue comme une
institution telle que la prévoit la
Constitution, il était tout à fait
naturel que les services soient ramenés
à la seule institution qui soit encore
debout, c’est-à-dire l’armée.
Ils sont
particulièrement efficaces dans la lutte
anti-terroriste, c’est ce que mes
intervenants me disaient souvent.
Bien sûr, et ils
ont eu à le prouver.
Comment
expliquez-vous que le drapeau
palestinien apparaît très souvent à côté
du drapeau algérien lors des
manifestations en Algérie ?
Cette cause
palestinienne, les Algériens l’ont
chevillée au corps. Qu’on se
rappelle la célèbre phrase de
Boumediene : « Nous sommes avec la
Palestine, qu’elle ait tort ou raison ».
Pourquoi cette posture-là ? Parce que de
tous les pays arabes, c’est le peuple
algérien qui a le plus subi les affres
du colonialisme, et il sait ce que sont
en train de vivre nos frères
palestiniens. Brandir le drapeau
palestinien est une forme comme une
autre de manifester leur attachement à
cette cause que le peuple algérien
considère comme une cause arabe, une
cause de tous ceux qui sont épris de
justice et de liberté.
Et ces drapeaux
apparaissent au moment où il y a une
vague de reconnaissance de l’entité
sioniste d’Israël par des pays arabes et
notamment les pays du Golfe.
Nous n’avons pas la
même histoire. Le tribut de notre
indépendance a été d’un million et demi
de martyrs. Nous avons deux cheminements
historiques différents, deux manières
différentes de voir l’indépendance, deux
manières différentes d’appréhender les
rapports entre gouvernants et gouvernés.
En fait, c’est tout un fossé sur ce
plan-là qui nous sépare de nos frères
arabes.
Selon vous, ce
qui se passe en Libye avec l’offensive
du maréchal Aftar n’est-il dangereux
pour la frontière algérienne ? Le
maréchal Aftar n’a-t-il pas profité de
la situation en Algérie pour lancer son
offensive?
Ce qui se passe en
Libye n’est pas sans susciter quelques
appréhensions en Algérie parce qu’on ne
peut pas rester insensible à un pays
avec lequel nous sommes liés par des
relations historiques. Du temps de la
révolution armée, la Libye a été d’un
grand apport à la révolution algérienne.
Et au-delà de ce qui a été fait pendant
la révolution, il y a d’autres liens
beaucoup plus affectifs. N’oubliez pas
que le roi Idris était d’origine
algérienne. La proximité géographique et
l’étendue des frontières, la qualité des
rapports entre les deux États depuis
l’Indépendance, font qu’on ne peut pas
rester indifférent à ce qui se passe en
Libye. Ce qui est en train de se faire
suscite bien sûr des interrogations et
des appréhensions en Algérie, et
l’Algérie saura prendre les mesures
nécessaires tout en demeurant fidèle à
sa ligne directrice, à savoir encourager
le dialogue entre les différents
partenaires en Libye et être disponible
pour rapprocher les points de vue tout
en restant vigilant pour ce qui est des
frontières et ne permettre aucune
intrusion de quelque nature que ce soit
et de quelque partie que ce soit.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est le Dr.
Ali Ghediri ?
Le Dr. Ali Ghediri
est un général-major de l’ANP à la
retraite et un homme politique algérien
candidat aux élections présidentielles
du 4 juillet 2019.
Né le 6 janvier
1954 à Ouenza (wilaya de Tébessa), il a
été formé à l’Académie militaire
interarmes de Cherchell en Algérie avant
de poursuivre sa formation à l’Académie
navale de Saint-Pétersbourg où il a
suivi une formation de génie mécanique
de la marine, puis à l’Académie
militaire de Moscou et ensuite à
l’Académie d’État-major de Damas.
De retour en
Algérie, il a servi dans les forces
navales jusqu’en 1983 puis dans les
forces terrestres. Il a été promu
général-major en 2010 et a été directeur
des ressources humaines au ministère de
la Défense nationale jusqu’à sa retraite
en 2015.
Le Dr. Ghediri est
titulaire d’un magister en relations
internationales et d’un doctorat d’État
en études stratégiques portant sur la
politique de sécurité nationale.
Le
site officiel du Dr. Ghediri
Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour
publication
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
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