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Interview

Dr. Ali Ghediri : «Aujourd’hui, c’est d’une rupture
dont l’Algérie a besoin»

Mohsen Abdelmoumen


Dr. Ali Ghediri. DR.

Lundi 15 avril 2019

English version here

Mohsen Abdelmoumen : Vous avez évoqué le concept de « la rupture sans reniement ». Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ? Comment peut-on traduire une rupture dans l’Algérie d’aujourd’hui ?

Dr. Ali Ghediri : J’ai choisi des termes choc. Le mot rupture est en soi polysémique selon qu’il s’applique à la physique, à la sociologie ou à la politique. C’est un terme qui recèle une part d’appréhension et, pour être beaucoup plus concret, je dirais que c’est un terme qui recèle de la peur. Dans la vie courante, de manière générale, on recourt à la rupture lorsqu’il y a un blocage qui n’autorise plus aucune dynamique. Ceci est vrai dans le domaine social en général et en politique en particulier. Parce que s’il y a bien un domaine où la posture statique est potentiellement dangereuse, c’est celui de la politique. Et c’est le cas, justement, en Algérie où le système politique en place depuis des décennies a montré un certain immobilisme qui donne des signes de stérilité à tel point qu’il est devenu incapable de créer les conditions à sa propre reproduction. Un système qui cesse de créer les conditions pour se pérenniser est un système finissant, donc c’est un système qui est atteint de statisme dangereux pour sa propre survie, c’est-à-dire que c’est un système qui a atteint une phase autant dangereuse pour lui que pour le pays. Dans le contexte qui est le nôtre, le terme « rupture » sous-tend quelque part une remise en cause de l’équilibre politico-social tel que les régimes qui se sont succédé depuis le recouvrement de notre indépendance l’ont configuré. Aussi, pour changer les choses, on ne saurait se contenter d’un ravalement de façade. Pour le cas algérien, la rupture s’impose comme le seul remède afin d’impulser une nouvelle dynamique à la vie sociopolitique en Algérie.

Il s’agit d’une rupture sans reniement parce que, comme je viens de le dire, le terme lui-même recèle en soi un potentiel de reniement et de négation du passé qu’il faut appréhender avec circonspection, c’est pourquoi j’ai tenu à préciser que la rupture que je prône est une rupture sans reniement. Sur quoi ne va pas porter cette rupture ? Elle portera sur tout sauf sur des éléments qui constituent le socle de notre identité nationale et de notre histoire. Tout le reste sera étalé sur la table pour l’édification d’une deuxième République, d’une Algérie nouvelle, d’une Algérie tournée vers le progrès et vers son avenir.

Avec le règne de Bouteflika, n’y avait-il pas un risque que le lobby de l’argent sale s’empare totalement du pouvoir comme dans la Russie de Boris Eltsine ?

Il y avait plus qu’un risque. Le lobby de l’argent s’est réellement accaparé la décision politique. Il s’est impliqué d’une manière franche et affichée dans la vie politique au point où certains oligarques se sont permis d’interférer dans la désignation de ministres, ce n’est un secret pour personne. Et non seulement de ministres mais de personnalités contestées dans les rouages de l’État. Il ne s’agissait pas de risque mais de fait. Vous avez eu raison de faire le parallèle avec la Russie d’Eltsine. J’ai passé là-bas deux ans au moment où Eltsine était président, et il y a beaucoup de similitudes entre le cas russe et le cas algérien.

L’armée reste un acteur incontournable dans la politique en Algérie. Le fait que l’armée soit incontournable ne traduit-il pas la faillite du système politique algérien ?

Toute nation est le produit de son histoire. On ne peut pas se défaire des trames de sa propre histoire. Je dirais qu’il était tout à fait naturel, jusqu’à une certaine limite, que l’armée soit partie prenante dans la vie politique. Mais ce qui ne l’est plus, c’est qu’elle ait franchi temporairement ce seuil et qu’elle reste, 57 ans après l’indépendance, cette force incontournable dans l’équation politique. Voilà ce qui est anormal. Jusqu’à un certain seuil, temporairement, c’était peut-être admissible parce que telle est notre histoire.

Pour ce qui est de la défaillance du système politique algérien, je suis tout à fait d’accord avec vous. Si le système s’était fixé pour objectif d’édifier un État algérien national pérenne, il aurait été beaucoup plus indiqué pour lui de mettre en place des conditions pour assurer cette pérennité. Parmi les conditions, il y a la mise en place d’institutions légitimes élues par le peuple dans la transparence la plus absolue et les choses auraient mieux marché que dans la situation présente. Deuxième point : on ne peut pas prétendre édifier ou assurer une pérennité à l’État si on fait l’impasse sur certaines libertés : libertés individuelles, libertés collectives, indépendance des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire. Donc, quelque part, on fait l’impasse sur le droit des citoyens et si l’on fait l’impasse sur les libertés et le droit, on ne peut pas assurer la pérennité à ce système.

Comment analysez-vous ce grand mouvement populaire que connaît l’Algérie en ce moment et comment expliquez-vous le fait que tous les partis qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition soient dépassés et même rejetés ?

Tout mouvement populaire, tout mouvement de masse, où qu’il soit et quel qu’il soit, est subséquent à la somme de contradictions sociopolitiques qui n’ont pas trouvé leur solution quand elles étaient à leur niveau le plus bas. Les contradictions sociopolitiques se sont exacerbées au point d’atteindre une forme de résonance et c’est ce qui a fait que le peuple soit sorti pour manifester cette exaspération et ce rejet du système. Quant à la seconde partie de la question concernant le rejet des partis d’opposition, dans l’imaginaire politique des Algériens, le système est à la fois le pouvoir en place et cette opposition que le pouvoir a voulue organique et qu’il a domestiquée quelque peu. C’était beaucoup plus une opposition domestiquée, une opposition de façade, une opposition qui fait partie du décorum faussement démocratique dont il pouvait se prévaloir sur la scène internationale pour prétendre à un classement parmi les pays démocratiques. Cela ne veut pas dire que parmi l’opposition, il n’y ait pas de forces qui réellement voulaient le changement, mais le pouvoir politique en Algérie, notamment depuis l’avènement de Bouteflika, n’a eu de cesse de ramener cette opposition à une forme de formalisme pour davantage asseoir son pouvoir que d’en faire une force à même d’assurer le fonctionnement démocratique des institutions.

Vous avez évoqué la nécessité d’aller vers une deuxième République. Comment pensez-vous atteindre cet objectif ?

Une deuxième République coule de source à partir du moment où je prône la rupture. Je ne pouvais pas à la fois prôner la rupture et la continuité parce que continuer dans la voie qui est celle du système politique actuel signifie consacrer la pérennité d’un système que je dénonce. Donc, la deuxième République comme je la perçois, c’est l’ouverture de l’Algérie vers une nouvelle forme d’institutions que le peuple aurait élues en toute démocratie, c’est la mise en place d’une nouvelle Constitution qui consacrerait dans les faits – pas dans les textes uniquement –  la pratique politique depuis la base jusqu’au sommet, c’est de nouveaux rapports entre le citoyen lambda et l’administration et le pouvoir – dont ce citoyen lambda est la première émanation parce que la citoyenneté est censée émaner du peuple et il faudrait qu’elle ne soit plus uniquement censée mais qu’elle soit réellement l’émanation de ce peuple. La rupture va porter sur le fonctionnement des institutions, sur la lutte contre la corruption, sur la lutte contre le népotisme, sur l’équilibre des pouvoirs, sur les aspects économiques, sociaux, enfin sur tout ce qui touche à la société. C’est en quelque sorte un nouveau projet de société en totale rupture avec ce que nous avons connu depuis cinquante-sept ans.

En 2000, l’armée a produit un document qui évoquait la nécessité de réformes profondes. Ne pensez-vous pas que si ce document stratégique de l’armée avait été appliqué et mis en œuvre, nous n’aurions pas à vivre cette grave crise politique d’aujourd’hui ?

Dans la gestion des crises, si on s’attaque à la racine du problème dès les premiers signes qui révèlent son existence, on a beaucoup plus de chance de corriger la trajectoire sans trop de dégâts. Si l’on avait opéré les changements en 1999, ou en 2000, ou en 2004, nous n’en serions évidemment pas là où nous en sommes aujourd’hui. Non seulement nous n’avons pas agi pour apporter des réformes, mais nous n’avons fait que nous enliser dans des contre-réformes. Et ce qui devait arriver arriva. L’essence même du système politique algérien sous Bouteflika, c’était le renforcement de sa personne en tant qu’élément central du système politique et la domestication de la classe politique dans son ensemble par l’entremise de la rente. Donc, l’objectif n’était pas tant l’État ou la réforme de l’État, ou la réforme de la société, mais c’était un objectif qui visait le maintien du pouvoir. Bouteflika avait une stratégie de pouvoir et non une stratégie de gouvernance, et la stratégie du pouvoir c’était de tout faire pour se conforter en tant que détenteur de ce pouvoir et d’en être l’exclusivité au point où il est devenu l’élément central du pouvoir par l’entremise de plusieurs révisions de la Constitution. Évidemment, s’il avait opéré les réformes en 2000 ou un peu plus tard en 2004, ou en 2008, nous n’en serions pas là. Ce qui rend l’équation beaucoup plus complexe, c’est ce décalage temporel qui a fait que les contradictions se soient exacerbées jusqu’au au point de rupture et celle-ci a eu lieu.

À votre avis, ce document est-il toujours utile pour la prochaine étape dans l’Algérie de demain ?

Non, un ravalement de façade ne peut plus suffire. Si on avait fait les choses en 2000, les mesures préconisées auraient pu faciliter les choses et auraient pu amener l’Algérie à prendre un autre chemin. Aujourd’hui, c’est d’une rupture dont l’Algérie a besoin. Cela, je le dis et je l’assume.

Vous avez été et vous restez candidat à l’élection présidentielle. Quel est votre projet pour l’Algérie ?

Mon projet pour l’Algérie, il est dans l’intitulé même du programme. Lorsque je parle de deuxième République, c’est une république moderne, une république ouverte sur ses enfants, une république réellement démocratique, une république où la citoyenneté se conjugue au quotidien, où le citoyen lambda est réellement un citoyen, c’est-à-dire un partenaire sociopolitique et socioéconomique… c’est de cette Algérie-là que je rêve. Une Algérie où la jeunesse qui représente 70 % de la population ait sa place, où la diaspora nationale à l’étranger ait sa place dans la configuration politico-économique. C’est de cette Algérie-là que mon projet se nourrit.

Vous êtes à la fois un intellectuel et un haut gradé de l’armée. Pensez-vous parvenir à changer le système de l’intérieur ?

Intellectuel et haut gradé de l’armée ne sont pas des antinomies (rires). Pour être général dans l’armée, il faut avoir fait des académies. En ce qui me concerne, j’ai fait autant les académies militaires que les universités civiles, donc la problématique « intellectuel / militaire » ne se pose pas, elle se pose concernant un chef, un lieder, un Algérien qui a à cœur de changer les choses dans son pays.  Je suis un citoyen comme un autre. La seule particularité que j’ai c’est que j’ai servi pendant plus de quarante ans dans une institution qui n’était pas au service du pouvoir mais au service de la nation, je tiens à le préciser. Maintenant que je suis redevenu civil, je me suis investi dans la chose politique parce que je considérais que le système qui est en place a fait trop de mal à ce pays et à ce peuple. Et, de par l’expérience que j’ai et de par les idées que je crois être bonnes pour le pays, je me dis que je pourrais changer le cours des choses au mieux de ce peuple et de cette république.

Si vous êtes président de la République algérienne, quel sera votre premier chantier ?

Le premier chantier – je ne parle pas des choses subsidiaires, je parle de l’essentiel – c’est de désigner un gouvernement de jeunes. Deuxième point, c’est d’engager la réflexion pour l’élaboration d’une Constitution devant être le socle de cette République. Troisièmement, engager tout ce qui pourrait contribuer à faire démarrer l’appareil économique et engager une réforme structurelle de l’économie nationale. Bien entendu, cela ne peut pas se faire en un jour ni en un mois mais ce sont des chantiers que je m’engage à lancer dès ma prise de fonction et il y aura bien sûr beaucoup d’autres choses à faire mais puisque vous m’avez posé la question sur le premier chantier,  ce seront les premiers chantiers que je lancerai.

On a remarqué lors des manifestations, qu’il y a des tentatives de récupération de différents groupes occultes allant des anciens du FIS avec leur propagande jusqu’à des organisations comme Otpor ou certains activistes des Frères musulmans. Ne pensez-vous pas que ces minorités agissantes sont dangereuses pour l’Algérie ?

Dans tout mouvement de masse de cette envergure, que ce soit en Algérie ou ailleurs, il y a toujours des tentatives de récupération et d’infiltration, c’est dans l’ordre naturel des choses. Pour le cas algérien, vous avez identifié le FIS, les Frères musulmans et Otpor. Pour ce qui est des islamistes, je vais vous répondre comme j’ai répondu à d’autres de vos confrères : les islamistes ont été militairement et politiquement vaincus en Algérie. On a tendance à l’oublier parce que les événements qui ont eu lieu dans d’autres pays après le prétendu « printemps arabe » ont mené à ce que l’on fasse l’impasse sur ce qui s’est passé en Algérie qui a eu à affronter, seule, cet islamisme violent. Les Algériens ont eu raison de ce phénomène qui a bel et bien été battu et je pense que cette donne a été intégrée dans l’agenda islamiste. Aujourd’hui, les islamistes, ici en Algérie, savent qu’ils n’ont de droit d’existence en tant que citoyens que dans un cadre démocratique et qu’il est le seul à leur assurer une vie en tant que citoyens parmi d’autres. Il y a sûrement une petite minorité d’excités et de fondamentaux parmi eux, des fondamentalistes qui chercheraient à tirer la couverture vers eux mais sans trop de conviction. D’ailleurs, dans les rues d’Alger, d’Oran, de Tamanrasset ou de Annaba, plusieurs cas ont été signalés où dès qu’ils commencent à scander des slogans qui leur sont propres, ils ont été pris à partie par la population qui leur a dit « fichez le camp, vous ne faites pas partie de ce mouvement ». Donc, il y a une conscience politique populaire qui fait que le danger islamiste est circonscrit. En l’état actuel des choses, non seulement il est circonscrit mais il est jugulé. Ce qui pourrait changer si ces mouvements s’étalent dans le temps, là le risque existe potentiellement. Pour ce qui est d’Otpor et autres mouvements, cela relève de la même logique, il y a des forces qui ne veulent pas que l’Algérie retrouve le chemin de la démocratie, de la modernité, du développement, le chemin de la croissance, le chemin de l’évolution socio-politico-économique et qui trouveraient en ces mouvements un terreau qui, de leur point de vue, pourrait leur permettre de mettre en échec cette révolution citoyenne. Heureusement, avec vingt millions d’Algériens qui sont descendus dans la rue, la chose paraît un peu plus difficile mais il faudrait circonscrire cela dans le temps et aller dans l’urgence à des réformes qui commenceraient par l’élection d’un président de la République qui serait démocratiquement élu, sans fraude. Cela permettrait d’enclencher une dynamique qui immuniserait l’Algérie contre toute forme de récupération.

Vous pensez que la société algérienne est immunisée par rapport à ces groupuscules et minorités idéologiques comme les islamistes ?

Non. Si l’intelligence politique fait corps avec cette demande populaire de rupture et de renouveau, si on le fait dans des temps raisonnables, je pense que l’on pourrait affirmer haut et fort que l’Algérie est non seulement immunisée contre ces formes de récupération mais ce qui est entrain de se faire en Algérie n’est pas un simple mouvement de masse mais une véritable révolution sans effusion de sang, une révolution pacifique qui pourrait demain déteindre sur le reste du monde de la sphère arabo-musulmane et africaine.

J’ai interviewé le Dr. Paul Craig Roberts qui était l’un des concepteurs de la politique économique du président américain Reagan,  et je l’ai interrogé sur l’utilisation de la planche à billets en lui parlant du cas algérien. Comme il est économiste, il m’a spécifié dans quels cas on pouvait utiliser la planche à billets. Le gouvernement algérien a imprimé 34 milliards de dollars en un an. Selon vous, n’est-ce pas une catastrophe économique pour l’Algérie ?

Avant de parler de catastrophe économique, avoir recours à la planche à billets est en soi un aveu non déclaré de l’échec de la politique suivie par Bouteflika. Lui qui a bénéficié d’une conjoncture des plus favorables qu’aucun président algérien n’a connue depuis l’indépendance, il a engrangé entre 1999 et 2019 plus de 1000 milliards de dollars et on se retrouve en 2019 en train de faire tourner la manivelle pour imprimer des billets. S’il fallait une preuve pour déclarer que la politique de Bouteflika était une catastrophe pour le pays, je pense qu’on ne trouverait pas mieux que cette preuve-là.  Pour ce qui est de la planche à billets en tant que phénomène économique, en tant que procédure économico-financière, l’Algérie n’est pas le premier pays à y avoir recours, tout le monde le fait. Tout le monde y a recours mais il y a des règles que l’on doit respecter lorsqu’on veut utiliser cet outil. On ne peut pas imprimer l’équivalent de 55 milliards de dollars en deux ans – et c’est ce qui a été imprimé – ce qui correspond à une fois et demi, voire deux fois, les revenus pétroliers de l’Algérie. Si l’on avait adossé cela aux réserves de change, les choses auraient peut-être été moins douloureuses. Quoi qu’il en soit, la situation économique de l’Algérie n’est pas des meilleures et elle serait encore moins bonne si le mouvement citoyen s’étalait dans le temps parce qu’il n’est pas sans incertitude et l’incertitude fait fuir les investisseurs et les partenaires étrangers, et a tendance à pousser les gens à user de tous les stratagèmes pour la fuite des capitaux vers l’étranger. Donc,  la situation est économiquement inquiétante mais si l’on met en place la volonté et l’intelligence politique qu’il faut, et que l’on écourte ce flottement et l’incertitude que génère la situation actuelle, avec le potentiel qui est celui de l’Algérie, je pense qu’on pourra s’en sortir économiquement.

Différents intervenants que j’ai interviewés, allant des  parlementaires européens jusqu’aux experts dans le renseignement, et qui pour certains de ces derniers ont eu de grandes responsabilités – je cite par exemple le conseiller d’Obama, le Dr. Bruce Riedel -, m’ont tous affirmé que les services de renseignement algériens, le DRS, étaient très efficaces. Comment expliquez-vous que l’on ait démantelé le DRS sous l’ère Bouteflika et comment se fait-il que les services de renseignement aient été rattachés à la Présidence pour aujourd’hui être à nouveau sous la tutelle de l’armée ? À votre avis, n’est-ce pas une faute grave de la part de Bouteflika d’avoir démantelé le DRS ?    

Comme je l’ai dit tout à l’heure, la stratégie de Bouteflika était une stratégie de pouvoir, pas de gouvernance. Bouteflika a tout fait pour conforter au mieux son pouvoir personnel et le système qu’il avait mis en place. À sa décharge, il a cassé l’ancien système et, à sa charge, il n’a rien prévu d’autre pour le lui substituer. Il a créé un vide et le vide a toujours été générateur de crise. La crise que nous sommes en train de vivre provient pour une grande part du fait que Bouteflika ait cassé le système pour asseoir son propre pouvoir. Parmi les éléments auxquels a eu recours Bouteflika pour être le maître et l’unique décideur, et asseoir son pouvoir d’une manière absolue, c’était le rattachement du service de sécurité à la Présidence. Ce n’est pas tant le rattachement sur le plan technique qui pose problème, parce que dans nombre de pays, les services sont rattachés à la présidence et non au ministère de la Défense, mais ce sont les intentions qui sous-tendent la décision. Pour ce qui est de l’efficacité des services de renseignement algériens, ils sont toujours aussi efficaces. Quant aux dernières mesures prises concernant leur mise sous tutelle du ministère de la Défense, je pense que celle-ci répond beaucoup plus à des aspects pratiques et techniques qu’à autre chose, parce que le président n’étant plus en place, la Présidence n’étant plus perçue comme une institution telle que la prévoit la Constitution, il était tout à fait naturel que les services soient ramenés à la seule institution qui soit encore debout, c’est-à-dire l’armée.

Ils sont particulièrement efficaces dans la lutte anti-terroriste, c’est ce que mes intervenants me disaient souvent.

Bien sûr, et ils ont eu à le prouver.   

Comment expliquez-vous que le drapeau palestinien apparaît très souvent à côté du drapeau algérien lors des manifestations en Algérie ?

Cette cause palestinienne, les Algériens l’ont chevillée au corps.  Qu’on se rappelle la célèbre phrase de Boumediene : « Nous sommes avec la Palestine, qu’elle ait tort ou raison ». Pourquoi cette posture-là ? Parce que de tous les pays arabes, c’est le peuple algérien qui a le plus subi les affres du colonialisme, et il sait ce que sont en train de vivre nos frères palestiniens. Brandir le drapeau palestinien est une forme comme une autre de manifester leur attachement à cette cause que le peuple algérien considère comme une cause arabe, une cause de tous ceux qui sont épris de justice et de liberté.

Et ces drapeaux apparaissent au moment où il y a une vague de reconnaissance de l’entité sioniste d’Israël par des pays arabes et notamment les pays du Golfe.

Nous n’avons pas la même histoire. Le tribut de notre indépendance a été d’un million et demi de martyrs. Nous avons deux cheminements historiques différents, deux manières différentes de voir l’indépendance, deux manières différentes d’appréhender les rapports entre gouvernants et gouvernés. En fait, c’est tout un fossé sur ce plan-là qui nous sépare de nos frères arabes.

Selon vous, ce qui se passe en Libye avec l’offensive du maréchal Aftar n’est-il dangereux pour la frontière algérienne ? Le maréchal Aftar n’a-t-il pas profité de la situation en Algérie pour lancer son offensive?

Ce qui se passe en Libye n’est pas sans susciter quelques appréhensions en Algérie parce qu’on ne peut pas rester insensible à un pays avec lequel nous sommes liés par des relations historiques. Du temps de la révolution armée, la Libye a été d’un grand apport à la révolution algérienne. Et au-delà de ce qui a été fait pendant la révolution, il y a d’autres liens beaucoup plus affectifs. N’oubliez pas que le roi Idris était d’origine algérienne. La proximité géographique et l’étendue des frontières, la qualité des rapports entre les deux États depuis l’Indépendance, font qu’on ne peut pas rester indifférent à ce qui se passe en Libye. Ce qui est en train de se faire  suscite bien sûr des interrogations et des appréhensions en Algérie, et l’Algérie saura prendre les mesures nécessaires tout en demeurant fidèle à sa ligne directrice, à savoir encourager le dialogue entre les différents partenaires en Libye et être disponible pour rapprocher les points de vue tout en restant vigilant pour ce qui est des frontières et ne permettre aucune intrusion de quelque nature que ce soit et de quelque partie que ce soit.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

 

Qui est le Dr. Ali Ghediri ?

Le Dr. Ali Ghediri est un général-major de l’ANP à la retraite et un homme politique algérien candidat aux élections présidentielles du 4 juillet 2019.

Né le 6 janvier 1954 à Ouenza (wilaya de Tébessa), il a été formé à l’Académie militaire interarmes de Cherchell en Algérie avant de poursuivre sa formation à l’Académie navale de Saint-Pétersbourg où il a suivi une formation de génie mécanique de la marine, puis à l’Académie militaire de Moscou et ensuite à l’Académie d’État-major de Damas.

De retour en Algérie, il a servi dans les forces navales jusqu’en 1983 puis dans les forces terrestres. Il a été promu général-major en 2010 et a été directeur des ressources humaines au ministère de la Défense nationale jusqu’à sa retraite en 2015.

Le Dr. Ghediri est titulaire d’un magister en relations internationales et d’un doctorat d’État en études stratégiques portant sur la politique de sécurité nationale.

Le site officiel du Dr. Ghediri

Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour publication

 

 

   

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Source : Mohsen Abdelmoumen
https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/...

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