Algérie Résistance
Ron Jacobs :
« l’Occident a besoin des terroristes
islamistes »
Mohsen Abdelmoumen
Ron Jacobs. DR.
Dimanche 14 août 2016
English version here:https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2016/08/14/ron-jacobs-the-west-needs-islamic-terrorists/
Mohsen Abdelmoumen :
Que représentent pour vous Frantz Fanon
et la Révolution algérienne ?
Ron Jacobs : Frantz
Fanon est pour moi un écrivain
anticolonialiste qui, peut-être plus que
tout autre écrivain familier pour moi,
explique la nature du colonialisme et de
l’impérialisme européen et américain et
ses effets sur le colonisé et le
colonisateur. En utilisant ses écritures
comme un viseur, je suis capable d’y
comprendre les sens psychologiques de
l’impérialisme et de la résistance
contre celui-ci. Cela vaut pour les
situations outre-mer et dans ce que les
Black Panthers et d’autres ont appelé la
colonie noire interne aux États-Unis.
Saviez-vous que Kamel Daoud
était dans un maquis islamiste du GiA en
Algérie dans les années ‘90 ? Comment
expliquez-vous qu’un ancien terroriste
islamiste tel que Kamel Daoud ait autant
de succès en Occident ?
Je ne savais pas que Daoud était un
membre du GIA. Je ne peux pas vraiment
expliquer son succès par rapport à son
appartenance au groupe, sauf pour dire
que peut-être c’est son statut d’ancien
membre qui l’explique partiellement.
Dans le cas de Kamel Daoud,
faut-il être un terroriste doublé d’un
révisionniste qui renie le sacrifice de
son peuple et qui glorifie un écrivain
pied-noir colonialiste tel qu’Albert
Camus, pour être reconnu par l’Occident
? Boualem Sansal, autre écrivain
« algérien », s’est renié et a insulté
la révolution algérienne et nos martyrs
tout en vendant son âme à Israël. Le
reniement et la trahison peuvent ils
être des armes pour un opposant ou un
dissident ? Kamel Daoud n’est-il pas le
bâtard littéraire d’Albert Camus et de
Boualem Sansal ?
Je ne vois pas le livre de Daoud
comme glorifiant Camus. Au lieu de cela,
je le comprends pour être une réponse au
livre de Camus L’Étranger qui aborde
l’impérialisme psychologique plus ou
moins subtil du roman, tel que décrit
dans l’œuvre de Fanon.
Pourquoi, selon vous,
l’Occident a-t-il besoin des terroristes
islamistes, pas seulement comme cheval
de Troie pour détruire des pays comme
les nôtres (Libye, Syrie, Irak, et
l’Algérie avant tous les autres pays)
dans le cadre du chaos créatif des néo
cons, mais en faisant de certains
d’entre eux des célébrités et des
modèles du monde culturel et médiatique
?
C’est une question intéressante. Je
pense que la réponse facile est que
l’Occident a besoin des terroristes
islamistes parce qu’ils fournissent un
ennemi simpliste qui leur permet de
faire la guerre quand, où et comme ils
le souhaitent. La raison pour laquelle
je dis que cette question est
intéressante, c’est à cause de votre
interprétation de certains terroristes
comme des célébrités. Je ne les ai
jamais perçus de cette manière, mais si
l’on considère la quantité de temps de
média que certains de ces individus
reçoivent, il est vrai qu’ils sont des
célébrités.
Que reste-t-il de l’épopée de
la lutte du mouvement pour les Droits
civiques aux États-Unis ?
La lutte pour les droits civiques aux
États-Unis est dans une impasse. En
dépit du fait que l’on garantit la
protection égale à tous et la
possibilité d’être couvert par la loi,
il existe un manque très réel et
persistant des deux. Je crois comprendre
que cela existe en raison de la nature
même du système économique américain.
C’est un système qui a été fondé sur
l’esclavage des Africains et de leurs
descendants, le génocide des peuples
autochtones et la discrimination
systémique contre les pauvres, en
particulier ceux qui n’ont pas la peau
blanche. Je ne crois pas qu’il y aura
une protection égale ou une opportunité
pour les Afro-américains jusqu’à ce que
ce système capitaliste soit ou bien
réformé pour assurer cette égalité, soit
supprimé entièrement.
Comment expliquez-vous la
montée du racisme anti-Noir, notamment
au sein de la police américaine ?
Je pense que la réponse à cette
question est double. La première partie
de ma réponse est que la police aux
États-Unis a toujours été raciste. Ils
sont embauchés pour protéger et servir
ceux qui ont la propriété, ce qui
signifie, si l’on considère que les
Noirs ont d’abord été introduits dans ce
pays comme propriété des esclavagistes
blancs, que la police n’est pas là pour
protéger les Noirs, mais pour les
contrôler pour les maîtres d’esclaves.
Aujourd’hui, les policiers sont utilisés
pour contrôler les Noirs et les autres
pour les descendants des maîtres
d’esclaves. La deuxième partie de ma
réponse a un rapport avec les embauches
individuelles. Beaucoup d’hommes et de
femmes blancs postulant des emplois
auprès de la police sont soit membres ou
sympathisent avec diverses organisations
racistes blanches.
L’Amérique a eu un président
noir. À quoi cela a-t-il servi ? Une
femme va être élue, les figures passent
mais le système reste le même. Selon
vous, y a-t-il un enjeu stratégique dans
cette élection ou est-ce juste une
passation de pouvoir entre un président
noir et une femme qui a été sa
secrétaire d’État ?
La présidence de Barack Obama a
enseigné à ceux qui ont pensé qu’un
président Noir apporterait un changement
fondamental dans la politique américaine
que cela n’arrivera pas. Pas plus qu’en
ayant une femme présidente. Les visages
changent à la Maison Blanche des
États-Unis, mais le programme reste le
même. Cela a été ainsi depuis un long,
long moment. Quant à cette élection, je
pense que la seule question stratégique
se pose en termes de politique étrangère
des États-Unis, qui, je crois, prendra
un ton encore plus belliqueux que ce
soit sous Hillary Clinton ou sous Donald
Trump.
Dans un de vos articles, vous
qualifiez le capitalisme de tragédie.
Pourquoi ?
Dans le dictionnaire, les trois
premiers mots utilisés pour décrire la
tragédie sont: «désastre, calamité,
catastrophe…». Je crois que ces trois
mots décrivent bien les effets du
capitalisme pour la majeure partie de la
population mondiale, tant historiquement
qu’actuellement.
Elvis Presley, les Rolling
Stones et surtout Bob Dylan reviennent
souvent dans vos articles. Pourquoi ?
Comment voyez-vous l’évolution de Dylan
par rapport a Joan Baez qui vient de
déclarer récemment qu’elle a besoin de
silence ?
Je mentionne ces musiciens populaires
dans mon travail en raison de leur
influence sur la culture dans laquelle
j’ai grandi et dans laquelle je continue
à vivre. Bien que leur influence soit
beaucoup plus grande dans la culture
occidentale, c’est un aspect de
l’impérialisme culturel occidental que
ces musiciens sont connus dans le monde
entier. Ce fait fournit à un auteur une
base de compréhension familière à
beaucoup de leurs lecteurs, bien que la
compréhension de chaque lecteur puisse
être légèrement différente. Je vois Bob
Dylan comme un artiste perpétuel dont la
curiosité l’a conduit à presque tous les
styles de musique connue du public nord
américain. C’est comme s’il ne pouvait
pas arrêter de chanter, de jouer et
d’écrire, de peur de cesser de vivre.
Pourquoi, à votre avis, les
forces progressistes aux USA et à
travers le monde ont-elles du mal à
s’organiser pour abattre le système
capitaliste et son stade suprême
l’impérialisme ?
C’est une question à laquelle je
pense souvent. Je crois qu’il n’y a pas
qu’une seule réponse et que les pouvoirs
déployés contre les forces désireuses
d’en finir avec le capitalisme et
l’impérialisme sont si puissants que
peut-être le meilleur que nous puissions
faire est de garder ces forces à
distance jusqu’à que notre organisation
crée une masse critique capable de
vaincre les malédictions du capitalisme
et de l’impérialisme.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est Ron Jacobs ?
Ron Jacobs est un écrivain et un
bibliothécaire américain. Parmi ses
livres : The Way the Wind Blew: A
History of the Weather Underground,
Daydream Sunset: 60s Counterculture
in the ’70s, et les romans All
the Sinner’s Saints, Short
Order Frame Up, et The
Co-Conspirator’s Tale. Il a
participé activement à la lutte
anti-impérialiste, à l’organisation
anti-raciste et syndicale depuis les
années 1970. Il vit actuellement dans le
Vermont aux États-Unis.
Published in English in American
Herald Tribune, August 13, 2016 :http://ahtribune.com/politics/1141-ron-jacobs.html
In Oximity:https://www.oximity.com/article/Ron-Jacobs-l-Occident-a-besoin-des-ter-1
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