Algérie
Les syndicats autonomes :
une véritable
force du changement en Algérie
Mohsen Abdelmoumen
Manifestation des médecins résidents à
Constantine. DR
Dimanche 11 mars 2018 English version here
Depuis plusieurs
mois, de grands mouvements de grève et
de grandes manifestations ont cours en
Algérie, touchant deux secteurs
stratégiques : l’éducation et la santé.
Les enseignants n’ont pas encore obtenu
grand-chose de leurs revendications et
le syndicat de l’éducation est en
pleines tractations avec le ministère
concernant la réintégration à leur poste
des travailleurs que la ministre avait
radiés. Au niveau des médecins résidents
qui viennent de créer un grand syndicat,
le CAMRA (Collectif autonome des
médecins résidents algériens), le
mouvement de grève se poursuit encore
actuellement. À travers ces deux luttes,
les Algériens ont donné une leçon à ce
régime appartenant à une autre ère ; ils
ont montré en effet que l’Algérien peut
faire la grève, organiser des
manifestations et des sit-in en toute
sérénité, sans violences et sans
incivilités, pour réclamer des
augmentations de salaire, de bonnes
conditions de travail, bref pour
revendiquer ses droits légitimes.
L’histoire de l’Algérie est là pour
témoigner que c’est dans le mouvement
syndical entre autres qu’ont été formés
les militants révolutionnaires qui ont
combattu le colonialisme. J’ai eu
l’honneur de connaître le camarade
Demène Debbih Abdallah à l’époque où je
travaillais pour Alger Républicain.
Si Abdallah et ses camarades étaient de
grands militants qui avaient commencé la
lutte dans les années 1940. De la lutte
syndicale, ces militants se sont dirigés
vers la lutte politique. Les luttes
syndicales actuelles, que certains
traitent de luttes corporatistes, sont
très importantes parce qu’elles
contribuent à former les militants
politiques de l’avenir. Ces jeunes qui
luttent pour leurs droits aujourd’hui
sont les politiciens de demain. Ils sont
issus de la CGATA (Confédération
générale autonome des Travailleurs en
Algérie), le CNAPESTE
(Conseil national autonome du personnel
enseignant du secteur ternaire de
l’éducation), la CAMRA
(Collectif autonome des médecins
résidents algériens), le SNATEG
(Syndicat autonome des travailleurs de
l’électricité et du gaz) et tous les
syndicats autonomes combatifs qui se
reconnaîtront. Il n’y a pas mieux que
l’espace syndical pour apprendre la
politique. Organiser des grèves,
manifester, faire des collectes pour
soutenir les grévistes victimes du gel
des salaires, comme dans le cas de
médecins résidents, tout cela demande de
la maturité, un engagement, de
l’honnêteté et le sens du devoir. Je
suis heureux de voir la jeune génération
se réunir et débattre d’idées nouvelles,
tenir des assemblées générales et
revendiquer ses droits. C’est de cette
manière que l’on construit un mouvement
de changement, long peut-être, mais
prometteur. Ces jeunes ont donné une
leçon magistrale de citoyenneté et
d’engagement à un gouvernement
complètement dépassé qui a prouvé à
maintes reprises son incompétence et son
inutilité. Quand on pense que la
ministre de l’Éducation a voulu radier
19 000 enseignants (!), c’est du jamais
vu dans l’histoire de l’humanité. Cette
sinistre ministre en a quand même radié
4 000 ! Certains affirment que suite à
une intervention de « là-haut », les
enseignants radiés sont en train de
réintégrer leur emploi. La faillite du
gouvernement algérien est totale et
quand les civils échouent dans la
gestion de leurs secteurs, ce sont les
services sécuritaires qui doivent
intervenir pour gérer une situation qui
n’est pas de leur ressort. Ces
politiciens incompétents et corrompus,
planqués dans leur résidence dorée,
mettent des gendarmes et des policiers,
qui sont des enfants du peuple, face à
des citoyens qui manifestent pour leurs
droits.
On ne peut pas
cesser de se désoler de la façon dont ce
gouvernement traite les différentes
crises – crises qui ne sont pas
inattendues du fait des conséquences de
la baisse du prix du pétrole dans un
pays dépendant à 98% des hydrocarbures.
Ce régime de bras cassés s’illustre par
son impéritie, sa mauvaise gestion et,
surtout, par sa corruption qui a fait
que des milliards de dollars se sont
envolés un peu partout dans le monde en
surfacturations et détournements
multiples. La baisse du prix du pétrole
annonçait des lendemains difficiles mais
l’Algérie est aux mains d’un
gouvernement sans vision d’avenir, qui
fonctionne au jour le jour et qui est
composé d‘incapables à la tête desquels
règne le vide absolu. Faut-il rappeler
encore une fois que le président est
malade, qu’il est inapte à exercer ses
fonctions et qu’il faudrait appliquer
sur lui l’article 102 de la Constitution
pour incapacité à diriger le pays ? Et
ils osent parler d’un 5e
mandat pour reproduire les mêmes
échecs ! Dois-je encore répéter que le
président ne tient pas de conseil des
ministres, qu’il ne représente l’Algérie
dans aucune réunion internationale,
qu’il ne fait aucun discours à la
nation, et tout cela depuis 2012 ?
Depuis six ans, la peuple algérien est
mené en bateau, un bateau sans
gouvernail qui ballote au gré des
courants et de la houle, au risque de
s’échouer sur les écueils. Cette
situation serait inimaginable dans un
autre pays, mais en Algérie, c’est
permis. Donc, le problème de l’Algérie
est avant tout politique avec la vacance
du pouvoir, et l’aspect économique est
venu compliquer la donne. Et ce pouvoir
illégitime n’admet pas l’alternance. Les
différentes élections se font avec moins
de 15% de votants, ce qui rend toutes
les assemblées illégitimes de facto.
Cela nous renvoie au désintérêt du fait
politique des Algériens qui résistent en
appliquant un boycott citoyen sur tout
ce qui provient de ce régime illégitime.
Dans ce contexte particulier, les appels
des uns et des autres sont les bienvenus
pour mettre de la pression sur ce
pouvoir. L’idéal serait que les
opposants politiques rejoignent le
peuple dans ses luttes et qu’ils
proposent des initiatives sérieuses et
réalistes pour sortir de cette ornière,
car l’impasse et le statu quo dans
lesquels stagne le pays ne sont
certainement pas en faveur de l’Algérie.
Le problème fondamental que vit
l’Algérie étant l’illégitimité du régime
en place, la solution ne peut en aucun
cas être technique mais POLITIQUE.
Les mouvements
syndicaux que nous voyons à l’œuvre
chaque jour depuis plusieurs mois sont
très importants. La jonction entre les
partis politiques de l’opposition, ou du
moins ceux qui prétendent l’être, et ces
mouvements syndicaux serait nécessaire
pour résoudre les problèmes une bonne
fois pour toutes, bien que tout
syndicaliste ait une réticence envers
les politiques, ce qui est bien naturel.
Il est donc indispensable que les forces
politiques encore saines de la nation
donnent un contenu politique à ces
revendications sociales, et là, le
changement pourrait s’opérer, chacun
jouerait son rôle et retrouverait sa
place. Car, aujourd’hui, personne n’est
à sa place, à commencer par le
gouvernement et les forces occultes qui
dirigent l’Algérie au niveau de la
présidence et qui sont
extraconstitutionnelles, composées du
frère cadet du président, Saïd
Bouteflika, et son entourage. Tout le
monde parle au nom d’un président qui
n’existe pas et qu’on ne voit que par
épisodes lors de ses rares apparitions
lunaires. Aucun dialogue n’a pu être
noué entre ce gouvernement et les
protestataires, bien au contraire, on a
cherché à casser ces mouvements de grève
en les attaquant de diverses manières,
en utilisant une presse corrompue contre
les enseignants, contre les médecins,
contre les retraités de l’armée qui ont
combattu le terrorisme pendant des
années. À propos de ces derniers, je
demande une fois de plus qu’Amar Hassini,
dit Amar « El-Biri », le coordinateur du
mouvement de protestation des radiés et
des retraités de l’ANP, soit libéré
ainsi que son collègue. Je persiste à
dire que ce pouvoir mène l’Algérie vers
une catastrophe, notamment au niveau de
l’OIT (Organisation internationale du
Travail) avec laquelle des conventions
ont été signées et qui ne sont pas
respectées par le gouvernement algérien.
Celui-ci va devoir paraître devant le
Conseil d’administration de l’OIT fin de
ce mois de mars et il ne faut pas
écarter l’option selon laquelle l’OIT
demandera un arbitrage international par
rapport aux travailleurs algériens
licenciés, notamment ceux du syndicat de
la SONELGAZ, le SNALTEG, les
travailleurs de la Poste et tous les
autres. J’ai été personnellement
contacté par un groupe de travailleurs
de SONARIC de l’unité de Ferdjioua qui
ont été licenciés abusivement et qui ont
obtenu de la justice de réintégrer leur
poste, ce que refuse obstinément
l’employeur qui se moque de la décision
de justice. J’ai soumis les doléances de
ces travailleurs en envoyant un courrier
aux autorités algériennes à tous les
niveaux, qui n’ont rien fait. J’ai alors
pris contact avec le BIT (secrétariat de
l’OIT) à Genève et je leur ai transmis
le dossier complet de ces travailleurs.
J’ai toujours été proche des luttes des
travailleurs (dockers, travailleurs du
textile, BTP, etc.) et des syndicats
comme la CNAPESTE, le CLA (Conseil des
lycées d’Algérie), etc. et je me
souviens des jours et des nuits que j’ai
passés avec les enseignants et les
camarades Redouane Osmane ou Meziane
Meriane lors des luttes précédentes des
enseignants. J’ai souvent eu l’occasion
d’intervenir à travers ma plume pour
défendre la cause des travailleurs dans
différentes affaires, parce que je suis
un citoyen-journaliste militant :
l’affaire du ciment, le vol de sable,
etc. et j’ai toujours eu un retour.
Cette affaire des travailleurs de
SONARIC de l’unité de Ferdjioua révèle
une fois de plus que nous sommes
aujourd’hui face à un pouvoir hésitant
qui est incapable de prendre des
décisions, donnant l’impression que ce
pays n’est pas gouverné. J’ai vu dans
cette dernière expérience une sorte
d’indifférence doublée
d’irresponsabilité et une fuite en avant
au moment où la rue algérienne est
demandeuse de changement qualitatif et
fait preuve d’une grande vitalité. Je
suis franchement content de voir des
jeunes gens, garçons et filles, militer
et réclamer leurs droits. Cela fait
chaud au cœur et ouvre des perspectives
pour l’avenir. Je suis sûr que nos
camarades qui sont morts dans la lutte
syndicale sont fiers de cette génération
qui a repris le flambeau malgré et
contre tout. Par contre, ils ne peuvent
éprouver que du mépris pour un Sidi Saïd
– que j’ai évoqué dans un
précédent article traitant du
syndicalisme – qui dansait pendant que
des travailleurs se faisaient licencier.
L’UGTA de Sidi Saïd est coupable entre
autres d’avoir monnayé une privatisation
féroce dans les années 1990 où plus de
600 entreprises ont été bradées à des
mafieux devenus les oligarques
d’aujourd’hui. Plus de 700 000
travailleurs en ont été victimes en se
voyant licencier du jour au lendemain.
Personne ne peut être fier de ces
milliardaires arrivistes qui ont squatté
tous les espaces politiques,
économiques, syndicaux, sportifs, etc.
Aucun secteur n’a échappé à la
prédation. Tout a été pollué.
Je persiste à dire
que le véritable danger pour l’Algérie
est le régime actuel qui ne règle pas
les problèmes du citoyen algérien, mais
qui en est la source. Il n’a pas su
arbitrer ni négocier dans le cas de ces
revendications sociales, bien au
contraire, il a matraqué, menacé,
diffamé, et licencié. Il n’a pas pu
brandir non plus comme à son habitude le
disque rayé de « la main de l’étranger »
car ça ne marche pas, il s’agit
d’enseignants algériens, de médecins
algériens, de retraités de l’armée
algérienne. Aucun des protestataires ne
vient de la planète Mars. Ce pouvoir est
un régime illégitime et, de ce fait,
tout ce qui vient de lui est illégitime.
Si certains d’entre nous luttent pour
défendre les intérêts de notre pays,
même par le biais de médias étrangers,
ce régime et ceux qui le composent et
qui ont détourné de l’argent surtout
vers la France, trahissant l’Algérie et
le serment des martyrs, mettent le pays
en difficulté par leur incompétence en
dressant des organisations comme l’OIT
contre lui. Il est certain que l’Algérie
recevra à nouveau un blâme suite à des
plaintes émanant de diverses
organisations syndicales qui sont dans
leurs droits, comme par exemple la
SNATEG ou la CGATA. Ce pouvoir de bras
cassés nous brouille pratiquement avec
toutes les organisations planétaires.
Quand on entend s’exprimer le ministre
du Travail, on ne peut que se demander
d’où débarque ce type. Ils nous sortent
des individus complètement ineptes.
C’est hallucinant de voir à quel point
ce système ne reproduit que ce qui est
médiocre. Et évidemment, malgré leur
nullité crasse et les dégâts qu’ils
occasionnent, comme ce Premier ministre,
cette ministre de l’Éducation, ce
ministre de la Santé, celui du Travail,
etc., aucun n’a assez de dignité pour
démissionner. Mais attention à
l’effondrement de l’Algérie, je ne le
répèterai jamais assez ! Il y a une
ligne rouge à ne pas dépasser ! Comme
ces gens ont détourné de l’argent, ils
partiront et suivront les capitaux
qu’ils ont placés à l’étranger quand le
pays s’effondrera, à Dieu ne plaise.
Mais nous, les patriotes, nous n’avons
qu’une seule patrie, elle est dans notre
cœur et nous n’avons pas besoin d’un
bout de papier pour être Algériens. Nous
le sommes dans chaque fibre de notre
être et dans chaque goutte de notre
sang. C’est la différence entre eux et
nous. Et je dis à nouveau que je suis
fier de ces grands mouvements syndicaux,
je sais que le changement viendra de là
et pas des vieilles épaves qui
s’agrippent au pouvoir et qui vivent de
la rapine et de la corruption. Oui, nous
connaissons des problèmes économiques,
mais la crise est avant tout politique.
Et en plus, nous avons un grave problème
générationnel. Il est temps que les
vieux débris du régime passent la main,
c’est une nécessité historique. Si vous
voulez vous enterrer avec votre pharaon,
faites-le, mais n’enterrez pas le pays
avec vous. Passez votre chemin, laissez
l’Algérie aux Algériens, laissez-les
décider de leur propre sort. Vous avez
le même profil que les colons d’antan,
et plus personne ne veut de vous. Les
gens qui luttent aujourd’hui sont un
hymne à la résistance et le souffle du
changement viendra du mouvement des
syndicats autonomes et de cette
effervescence que vit l’Algérie en ce
moment. Cette nouvelle génération sauve
l’honneur du pays en montrant qu’elle
sait se gérer et qu’elle est capable de
réfléchir par elle-même. Elle n’a pas
besoin de guide, d’homme providentiel ou
de messie. Ces jeunes rendent l’espoir à
l’Algérie en marchant fièrement dans le
sens de l’histoire, et des entrailles de
ce mouvement syndical sortira le
changement qui mettra fin au joug de
ceux qui ont endossé le rôle des
nouveaux colons.
Mohsen
Abdelmoumen
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