Interview
L’Ambassadeur d’Irak auprès du Royaume
de Belgique, du Grand Duché du
Luxembourg,
et Chef de mission auprès de
l’Union européenne :
« Il nous reste une
victoire idéologique à réaliser
sur le
phénomène de Daech »
Mohsen Abdelmoumen
S.E.
l’Ambassadeur d’Irak, Dr. Jawad. al-Chlaihawi,
(à droite)
et Mohsen Abdelmoumen (à gauche). DR.
Jeudi 11 janvier 2018 English version here
Mohsen
Abdelmoumen : Quelle est la
situation qui prévaut actuellement en
Irak ?
S.E.
l’Ambassadeur d’Irak à Bruxelles, Dr.
Jawad. al-Chlaihawi : Actuellement,
la situation est évidemment bien
meilleure qu’il y a un an, deux ans ou
même quelques mois, surtout après
l’annonce de la victoire finale sur
Daech et sur le terrorisme, et la
libération totale du territoire irakien
du groupe terroriste. L’Irak vit
maintenant une période de consolidation
nationale, politique, et sécuritaire. Le
peuple irakien constate très nettement
l’absence presque totale depuis à peu
près quatre ou cinq mois de cas
d’explosions que l’on constatait
auparavant à Bagdad ou dans d’autres
villes. Cela montre bien
l’anéantissement total des capacités du
groupe terroriste. Je peux confirmer la
disparition de l’État soi-disant
islamique du khalife al-Baghdadi en tant
que structure-État avec des ministres,
des services, des établissements, etc.
Ce phénomène, qui est étranger à notre
culture structurelle étatique que ce
soit en Irak, dans la région ou dans le
monde, est presque totalement anéanti.
Mais à vrai dire, l’idéologie de Daech
reste vivante. Autrement dit, le groupe
terroriste est vaincu, les actions
terroristes sont terminées, le
territoire est libéré, mais les idées
qui ont créé Daech, qui ont formé ce
groupe terroriste, restent encore
opérantes en Irak et à l’étranger. Tout
simplement parce que le lieu de
naissance de cette idéologie, ce n’est
pas l’Irak, c’est une autre géographie,
un autre pays et on la trouve presque
partout, dans la région et à l’étranger,
et elle a engendré d’autres phénomènes
comme al-Qaïda, Jabhat al-Nosra, etc.
L’idéologie de Daech reste donc
opérante, je ne dirai pas intacte mais
elle garde un certain dynamisme. C’est
pourquoi, en Irak, nous restons très
vigilants à cet état de choses ainsi que
dans d’autres pays du monde, surtout
l’Europe qui reste très vigilante par
rapport à la présence de l’idéologie du
terrorisme. Ainsi, hier ou avant-hier,
le président Macron a annoncé la volonté
de la France d’organiser au mois d’avril
prochain un colloque sur le financement
de Daech. Cela signifie que les pays du
monde sont conscients que l’idéologie de
Daech reste vivante. En Irak surtout
nous en avons conscience, et le
gouvernement et le peuple irakien
avertissent tout le monde que s’il est
vrai que nous avons réalisé une victoire
militaire sur Daech, il nous reste une
victoire idéologique à réaliser sur le
phénomène de Daech.
Cela me fait
penser à l’ancien chef d’état-major de
l’armée algérienne, feu le général de
corps d’armée Mohamed Lamari, qui, à
l’époque où l’Algérie combattait le
terrorisme, disait que l’Algérie avait
vaincu militairement le terrorisme mais
que l’intégrisme restait intact. Qu’en
est-il du combat idéologique contre le
djihadisme en Irak ? Est-ce la prochaine
étape ?
Le combat contre
l’intégrisme général, contre l’idéologie
de Daech, contre l’idéologie du
terrorisme, ce sont des choses
différentes. L’idéologie de
l’intégrisme, on l’a connue dans les
années ‘80-90. Cette idéologie existait
dans les pays musulmans et dans les pays
européens aussi, mais peut-être sous des
termes différents. Intégrisme dans les
pays musulmans, extrémisme dans les pays
européens. L’exclusion de certaines
entités dans la société est un phénomène
qui existe dans les pays européens ou
aux États-Unis, dans les pays musulmans
ou dans les pays arabes. Ce phénomène
existe et existera toujours.
Vous pensez
qu’il est impossible de le combattre ?
Ce phénomène
d’intégrisme ou d’extrémisme doit être
différencié du phénomène et de
l’idéologie de Daech, du terrorisme pur
et simple qu’on a connu en Irak.
Vous parlez de
Daech et d’al-Qaïda ou seulement de
Daech ?
Daech et al-Qaïda,
c’est la même chose. Al-Qaïda, Jabhat
al-Nosra, Daech, al-Baghdadi, c’est
pareil. Tous ces groupes émanent de la
même source idéologique donc ces
phénomènes intégrisme, terrorisme,
extrémisme, idéologie de Daech, doivent
être combattus totalement, pas seulement
par les outils militaires mais aussi par
des actions qui tendent à promouvoir la
justice sociale et la paix.
Et les textes
religieux aussi, les textes qui font
appel à ce djihadisme ?
Bien sûr,
c’est-à-dire tout : la justice, la paix
sociale, la stabilité, le combat contre
les inégalités. Il y a autre chose de
très important concernant l’idéologie de
Daech, et pour éviter son expansion.
Cette chose est relative au respect des
règles de droit international. Lorsque
les États ou les grandes puissances ne
respectent pas le droit international ou
tentent d’appliquer des règles
unilatérales qui ne sont pas adéquates
avec le droit international et avec la
souveraineté des pays, ces actions-là
permettent de promouvoir la violence.
Et permettent de
recruter.
Exactement. Les
gens s’orientent inconsciemment vers la
violence lorsque les grandes puissances
bafouent les règles internationales,
occupent des pays, disent n’importe
quoi.
Comme par
exemple la question palestinienne,
notamment la décision arbitraire du
président Trump de reconnaître al Quds
(Jerusalem) comme capitale d’Israël.
Exactement.
Beaucoup de monde dit dans la région que
la situation du peuple palestinien est
la source de tous les problèmes que nous
vivons actuellement. Donc, il est très
important que les dirigeants des pays
montrent aux peuples leur volonté de
respecter le droit international, la
volonté des peuples, et la souveraineté
des États, quels que soient ces États.
Il ne faut pas utiliser la démocratie ou
le droit international comme moyen pour
opprimer certains peuples.
Comme on l’a vu
par exemple avec l’Irak.
Avec l’Irak et avec
d’autres pays comme la Libye, la Syrie…
Ce n’est pas par hasard malheureusement
que Daech se trouve dans cette région.
Daech n’est pas allé au Venezuela ou en
Espagne et en Europe. Il était opérant
en Syrie, en Irak, au Liban, en Égypte…
Le phénomène de Daech est concomitant à
ce qu’on appelait il y a sept ou dix ans
le plan du Nouveau Moyen Orient, le
Nouvel Ordre Mondial.
Le « chaos
créatif » de Madame Condoleezza Rice.
Voilà. Daech est né
avec ce plan.
Donc, on peut
dire qu’ils sont les créateurs de
Daech ?
Ce n’est pas moi
qui décide, ce sont des experts qui
l’ont dit.
D’ailleurs,
Madame Clinton a déclaré que les
États-Unis avaient créé Al-Qaïda.
Oui. C’est pour
cela qu’il faut insister sur la volonté
des États et de leurs dirigeants de
respecter les règles, la Convention
internationale, la volonté des peuples,
et promouvoir la paix et la stabilité.
Actuellement, malheureusement, pourquoi
l’idéologie de Daech reste-t-elle
opérante ? Tout simplement parce qu’on
n’arrive pas à trouver une volonté
réelle chez les dirigeants des grandes
puissances de respecter les règles
internationales. Regardez la guerre au
Yémen. La guerre au Yémen est un cas
significatif de non respect de sa
volonté, de bafouer la souveraineté et
l’autorité du pays, de détruire le
peuple, et personne n’en parle, personne
ne réagit.
Les médias sont
silencieux à ce sujet.
C’est un exemple.
Regardez le cas de la Palestine. C’est
la même chose. Regardez la relation
entre la communauté internationale avec
l’Iran, c’est presque la même chose.
L’Iran est un pays qui travaille
politiquement, c’est-à-dire que s’il y a
une influence iranienne dans la région,
c’est de la politique. L’Iran n’est pas
une association lucrative, c’est un État
qui cherche son intérêt comme tous les
pays.
Vous pensez
comme certains de mes amis européens qui
ne veulent pas que l’on revienne sur
l’accord du nucléaire iranien ? Et
surtout avec cette administration Trump
qui se comporte d’une manière belliciste
et qui veut revoir l’accord sur le
nucléaire iranien.
Exactement. Il faut
qu’il y ait une volonté réelle des
dirigeants des grands pays de respecter
la volonté des autres peuples, de
respecter la souveraineté des autres
États et ne pas s’ingérer dans les
affaires intérieures des pays. Lorsque
l’on constate que Daech ne se trouve que
dans cette région du Moyen Orient, il
faut se poser des questions. Pourquoi ?
Voyez-vous, dans cette région, il y a
trois choses auxquelles les grandes
puissances s’attachent énormément depuis
1920-30-40. La première chose, c’est
Israël, la deuxième chose, le pétrole,
et la troisième chose, c’est l’islam en
tant que civilisationnel et pas
seulement religieux. Ces trois choses
déterminent la politique des autres
États vis-à-vis de la région :
Israël-Palestine, pétrole, Islam. Ces
trois paramètres déterminent la
politique étrangère des puissances,
c’est-à-dire les États-Unis, la France,
la Grande-Bretagne… et leurs actions
dans la région vis-à vis de l’Irak,
l’Iran, la Syrie, le Liban, se modulent
selon ces trois paramètres. Ce n’est pas
par hasard si en 1990, on a commencé à
parler, écrire, discuter sur « le clash
des civilisations ». La civilisation,
qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut
dire islam, christianisme, judaïsme. Et
ce n’est pas un hasard si Israël est
satisfait que sa sécurité soit assurée.
D’après vous,
pourquoi les néocons ont-ils porté
stratégiquement leur choix sur l’Irak
pour mener toutes ces actions de
déstabilisation de la région depuis la
première intervention dans les années 90
? Pourquoi spécialement l’Irak ?
Parce que l’Irak,
par rapport aux autres États de la
région, possède à la fois la richesse
naturelle comme le pétrole, etc.
et aussi la richesse humaine. Prenons
l’Arabie saoudite, elle a la richesse
naturelle mais il lui manque la richesse
humaine. Prenez l’Égypte, elle a la
richesse humaine, mais elle n’a pas la
richesse naturelle. L’Irak a les deux
rivières (ndlr : le Tigre et
l’Euphrate), la richesse naturelle, la
civilisation, l’histoire, la culture,
c’est un pays avec une histoire de sept
mille ans. Donc, richesse humaine,
richesse naturelle. Déstabiliser l’Irak,
cela veut dire déstabiliser la région.
C’est la raison
pour laquelle ils ont frappé et ils ont
joué sur le chiisme et le sunnisme,
c’est-à-dire qu’ils ont utilisé les
variantes de l’islam pour brûler la
région.
Exactement. La
religion est utilisée comme couverture
pour des raisons politiques. C’est pour
cela que je vous ai parlé des trois
paramètres : Israël, pétrole, islam.
J’aimerais
revenir sur ce qu’a déclaré le Premier
ministre, Monsieur Haïder al-Abadi :
« la lutte contre la corruption est le
prolongement direct des opérations
militaires ». Il a formulé cette phrase
extrêmement courageuse signifiant que le
vrai combat contre Daech se menait par
les actions militaires mais aussi en
luttant contre la corruption. Je crois
qu’il parle de ce que vous avez dit par
rapport à la justice sociale.
Bien sûr, la
justice sociale est nécessaire. Pour
arriver à un stade acceptable standard
de la justice sociale nationale, il faut
combattre la corruption, bien
évidemment. Pour arriver à la sécurité
nationale, il faut combattre Daech. Pour
atteindre la justice sociale, il faut
combattre la corruption. Une société
sans justice, c’est une société morte.
C’est pour cela que notre deuxième
combat est contre la corruption. Combat
contre la corruption signifie combat
pour la justice sociale.
Y a-t-il une
coordination dans la lutte
antiterroriste entre l’Irak et les pays
occidentaux ?
Oui, Il y a une
très importante collaboration entre
l’État irakien dans tous ses services,
militaires, policiers, douaniers et les
États arabes, les États régionaux et les
États occidentaux qui combattent Daech.
Notre mission humaine, en toute
humilité, de combattre Daech en Irak,
c’est aussi combattre Daech pour la
France et d’autres pays.
Finalement, des
pays comme l’Irak et la Syrie, et je
peux citer aussi l’Algérie et l’Égypte,
sont en première ligne du combat
antiterroriste. Avez-vous aussi une
coordination avec ces pays qui
connaissent le terrorisme ?
Bien sûr, en
Algérie en 1989-90, vous avez vécu la
première guerre contre Daech.
Donc, pour vous,
le terrorisme c’est Daech ? Même
al-Qaïda, on peut l’appeler Daech ?
Qaïda – Daech
incarnent le terrorisme, bien sûr, soit
en Afghanistan, soit au Pakistan… C’est
le même moteur, c’est juste la marque
qui change, l’intitulé. Mais c’est la
même souche, le même tissu.
Pour vous,
l’Algérie a combattu Daech déjà dans les
années ’80-90 ?
Combattu le
terrorisme ? Bien sûr. Ce qu’a vécu
l’Algérie à cette époque, c’est le même
phénomène qu’on a vécu en Irak,
d’égorger les gens, etc. c’est la même
chose. La différence, c’est dans le
temps, en Algérie, c’était en ‘89-90,
avant l’occupation de l’Irak.
Après
l’effondrement de l’Union soviétique.
Oui. La deuxième
différence du terrorisme vécu par
l’Algérie, c’est que c’est un phénomène
vécu en Afrique. Le terrorisme vécu par
l’Irak, la Syrie, le Liban, se passe au
Moyen Orient. Parler du Moyen Orient, ce
n’est pas la même chose que de parler de
l’Afrique du Nord. Le Moyen Orient,
c’est autre chose. Au Moyen Orient,
comme je vous l’ai dit, il y a le
pétrole, l’islam et toute la
civilisation. Pas seulement l’islam,
d’ailleurs, puisque Jésus est né en
Palestine, c’est un Arabe.
Ne pensez-vous
pas que l’Algérie qui a le pétrole et
qui a aussi une civilisation a connu ce
qu’a vécu l’Irak et a failli être
démantelée ? Car nous avons frôlé
l’effondrement.
La différence
aussi, c’est qu’il y a une occupation en
Irak avec la présence américaine. À
partir du moment où il y a une présence
américaine, il y a des phénomènes
étrangers. Certaines situations
permettent la naissance de phénomènes
étrangers. Et il y a une présence
américaine dans des zones du Moyen et du
Proche Orient. Il y a aussi autre chose.
Après l’occupation américaine, il y a eu
le démantèlement de l’armée irakienne.
J’allais aborder
cette question. J’ai interviewé un
diplomate américain, Monsieur Matthew
Hoh, qui a démissionné à cause de
l’intervention américaine en Irak. Il
était diplomate pour le Département
d’État et commandant des marines en
Irak. D’après vous, n’était-ce pas une
faute stratégique des Américains de
démanteler l’armée irakienne ?
Pour nous, nous
considérons cela comme une faute
stratégique. Du côté américain, certains
le considèrent ainsi, d’autres
l’interprètent autrement. Mais le
résultat constaté par les Irakiens après
l’occupation témoigne qu’il s’agit d’une
faute stratégique. La victoire de
l’Algérie sur le terrorisme est due à
l’existence de l’armée algérienne, à
l’existence de l’État algérien. S’il n’y
avait pas eu l’armée algérienne, s’il
n’y avait pas eu l’État algérien, je
suis persuadé que l’Algérie et la région
seraient comme le berceau du terrorisme,
Daech, al-Qaïda, etc.
Le sanctuaire,
comme aujourd’hui la Libye qui s’est
effondrée.
Exactement. Le
démantèlement de l’armée irakienne a
joué un rôle important pour gonfler le
terrorisme.
Parlons à
présent du rapatriement des djihadistes
occidentaux qui sont dans les prisons
irakiennes. On en parle beaucoup pour le
moment. Les Occidentaux ont-ils contacté
officiellement l’État irakien pour
rapatrier leurs terroristes ?
À ma connaissance,
oui, il y a eu des contacts entre les
services concernés de la République
d’Irak et les services concernés de
certains pays occidentaux comme la
France et la Belgique. Il y a eu des
contacts à propos de cette question et
d’autres questions.
Pouvez-vous nous
donner le chiffre des terroristes
incarcérés ?
Tous pays
confondus, à peu près 500-600. Ce n’est
pas un chiffre exact, mais approximatif.
Ils risquent la
peine de mort ?
Cela dépend de leur
participation. C’est au cas par cas.
Les pays
occidentaux qui subissent de plein fouet
le phénomène terroriste ont-ils appris
la leçon irakienne, notamment en matière
de lutte antiterroriste, ou n’ont-ils
rien retenu comme ce fut le cas par
rapport à l’expérience algérienne ?
Il est évident que
les pays occidentaux sont alertés par la
situation du terrorisme, pas seulement
par ce qui concerne l’Irak mais aussi
par ce qui se passe dans leurs propres
pays, à Paris ou en Belgique, etc. où
ils sont confrontés à ce phénomène d’une
manière directe sur leur territoire, et
non de manière indirecte par ce qui se
passe en Irak et dans d’autres pays.
Mais je pense que l’on doit inverser la
situation. C’est nous, les Irakiens, qui
subissons le terrorisme qui vient de
l’étranger, qui vient de Belgique, de
France, d’Asie, etc. La plupart de ceux
qui constituent le groupe terroriste
opérant en Irak ou en Syrie, soit 70%,
sont des étrangers. Ils sont entraînés
en Afghanistan ou en Syrie, en Irak,
mais leur domicile d’origine se trouve
dans d’autres pays.
Les pays
occidentaux retiennent-ils la leçon ?
Bien sûr. La
preuve, c’est que les pays occidentaux,
depuis quelques années, commencent à
prendre des mesures draconiennes
sécuritaires, policières, et en
développant des contacts avec les
services secrets irakiens et syriens.
Ils ont des
contacts avec les services secrets
syriens ?
Je pense que oui.
Je ne peux pas parler au nom des
Européens, mais d’une manière logique,
d’une manière générale, les pays
européens, l’Irak ou encore d’autres
pays, sont très soucieux et très
attentifs à la sécurité de leurs
citoyens. Lorsque la question relative à
la sécurité et à la sûreté nationale est
évoquée, il n’y a pas de limite pour
parler avec les Irakiens, les Syriens,
les Iraniens, les Russes, ou les
Algériens. Ici, la sécurité, la sûreté
publique, l’ordre public, l’emportent
sur d’autres aspects, sur d’autres
litiges secondaires ou stratégiques. On
ne peut pas tolérer le danger pour le
public en s’abstenant de contacter les
Syriens ou les Irakiens. L’intérêt de
l’ordre public est plus grand que les
détails.
Ne pensez-vous
pas que l’administration américaine
devrait s’excuser auprès du peuple
irakien pour ses deux interventions
meurtrières et le blocus qui ont
provoqué des centaines de milliers de
morts ?
Sincèrement, cette
question n’est pas à l’ordre du jour.
Entre nous et les Américains, il y a
maintenant des accords stratégiques, il
y a un combat contre le terrorisme.
Nous, nous le combattons d’une manière
très excessive, les Américains ou
d’autres le combattent de manière à
contenir Daech.
Justement,
n’est-ce pas une faute de vouloir
contenir le phénomène terroriste ?
C’est une question
discutable. En tous cas, demander des
excuses aux Américains pour les fautes
commises n’est pas la priorité des
Irakiens. Notre priorité, c’est que nous
avons réussi à combattre Daech et nous
devons maintenant combattre la
corruption et ensuite passer à la
reconstruction du pays.
Je voulais aussi
vous poser une question importante.
Quand on voit l’effectif de Daech qui
était énorme au début et même le
président Poutine a déclaré à la
coalition qu’ils avaient vu de l’eau sur
Mars mais n’avaient pas vu les pickups
dans le désert. Le nombre était énorme
et on se demande où sont partis tous ces
terroristes. Pensez-vous, comme le
spécialiste irakien de Daech
Hicham al–Hachemi, qu’ils ont
encore des caches d’armes ?
Certainement. On
est en train de découvrir des caches
d’armes ici et là. Il reste évidemment
des cellules dormantes mais nous sommes
en train de les nettoyer.
On parle d’un
redéploiement de Daech et d’al-Qaïda
vers la Libye. Avez-vous des
informations à ce sujet ?
Ils se redéploient
sur l’Afrique en général. Libye,
Nigeria, dans le Sahel.
Il y a donc une
menace sur les pays de la région ? Ne
pensez-vous pas que les terroristes vont
se concentrer là-bas ?
Je le pense.
D’ailleurs, une conférence sur le
terrorisme s’est tenue dernièrement en
Jordanie, il y a environ un mois. Elle a
été organisée par la Jordanie et
inaugurée par le roi et beaucoup de
responsables occidentaux y ont pris
part. Le thème était le déplacement de
Daech vers l’Afrique.
Au sujet de la
crise de l’État central irakien avec les
Kurdes, cette crise est-elle réglée
définitivement ?
Elle est
actuellement en cours de règlement.
Les Kurdes
ont-ils abandonné leurs revendications
d’indépendance ?
Il y a des
divergences entre les deux parties et
ces divergences s’articulent sur la
contribution du budget national, de
l’aspect économique, et après le
référendum, la région du Kurdistan ne
rêve plus d’indépendance. Les
discussions maintenant portent sur des
questions économiques, de coopération,
des questions de douane, d’aéroports, et
non plus de questions d’ordre politique.
C’est une partie de l’Irak, donc nous
restons dans un État fédéral. Je pense
que d’ici quelques mois ou quelques
semaines, la situation sera conclue par
un règlement.
Vous avez eu une
médiation étrangère ou de l’ONU ?
Non, cela se règle
entre nous.
Selon vous,
l’État irakien peut-il se reconstruire
sur le long et moyen terme avec des
institutions fortes ? Et peut-on espérer
une reprise économique du pays ?
La situation
économique du pays est correcte. Je ne
dis pas qu’elle est comme nous le
voudrions, mais c’est une situation
correcte. On espère bien évidemment la
développer, et elle est en cours de
développement, on a maintenant une base
de reconstruction. Il y a
malheureusement une limitation des
ressources pétrolières à cause du prix.
La quantité d’exportation est correcte,
et nous avons actuellement une
production autour de 5 millions par
jour. C’est beaucoup. Il y a 4 millions
pour l’exportation et 1 million pour la
consommation locale. Donc, la situation
économique est correcte et on envisage
la reconstruction, le développement du
pays selon un plan économique et
financier solide en espérant que la
situation se développe d’ici deux, trois
ou quatre ans.
J’ai beaucoup
travaillé sur des dossiers irakiens,
notamment celui du trafic des œuvres
d’art pillées en Irak par Daech et
revendues pour financer leurs actions
criminelles. Allez-vous entamer des
actions concrètes comme saisir les
tribunaux internationaux pour récupérer
ce patrimoine qui appartient au peuple
irakien et qui est éparpillé un peu
partout dans le monde ?
Oui. L’Irak a
commencé depuis pas mal de temps à
prendre des mesures très concrètes en
coopérant avec les Nations Unies et avec
d’autres pays comme les États-Unis et
l’Europe, et nous connaissons un
résultat très positif. Nous avons
récupéré beaucoup d’objets d’art qui ont
été volés par Daech ou pendant
l’occupation. L’Irak a récupéré beaucoup
et ça continue.
Êtes-vous
optimiste pour l’avenir de l’Irak ?
Bien sûr. Après
notre combat contre Daech qui a été très
dur, nous avons vu un succès indéniable
pour l’Irak, c’est un coup d’envoi pour
les Irakiens en tant que société, en
tant qu’État et classe politique, pour
aller plus loin que cette limite au
niveau économique, politique, militaire.
Je suis très optimiste et l’Irak est
maintenant un centre d’équilibre entre
tous les États de la région. Il a une
stabilité politique, c’est un État
démocratique, un État de droit qui se
développe dans son parcours
démocratique. C’est cela l’atout de
l’Irak.
Interview
réalisée à Bruxelles par Mohsen
Abdelmoumen
Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour
publication
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