Algérie Résistance
Pr. Marjorie Cohn : « Près de 90 % des
personnes tuées dans les frappes
aériennes n’étaient pas les cibles
prévues »
Mohsen Abdelmoumen
Professeur
Marjorie Cohn. DR.
Mardi 2 août 2016
English version here:https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2016/08/02/pr-marjorie-cohn-almost-90-percent-of-the-people-killed-in-airstrikes-were-not-the-intended-targets/
Mohsen Abdelmoumen :
En espionnant toute la planète à travers
la NSA, comme l’a révélé Edward Snowden,
le gouvernement des États-Unis combat-il
le terrorisme comme il le prétend ou
est-ce un prétexte pour espionner les
militants qui sont contre la politique
impérialiste des États-Unis ? Ces
écoutes sont-elles légales ?
Prof. Marjorie Cohn :
Le gouvernement américain
essaie vraiment de lutter contre le
terrorisme, mais l’utilisation des
métadonnées pour cibler les personnes
avec des drones est peu fiable. Le
gouvernement américain peut avoir un
numéro de téléphone cellulaire qui
appartient à un « terroriste présumé »,
mais la cible peut avoir donné son
téléphone à tout le monde (sa mère,
etc.), de sorte que le ciblage est
notoirement imprécis. La surveillance
est utilisée aux États-Unis pour
surveiller l’activité terroriste
présumée, mais peut aussi verser dans
l’abus en espionnant les dissidents.
En tant que juriste,
pensez-vous qu’avec ces écoutes et cet
espionnage massif, les États-Unis
peuvent encore parler de démocratie et
de liberté d’expression ? Ne sommes-nous
pas dans le fascisme ?
La surveillance étendue occasionnée
par les progrès de la technologie est
utilisée pour cibler et freiner les
activités protégées
constitutionnellement aux États-Unis.
Edward Snowden a fourni un service
important quand il a révélé l’étendue de
la surveillance. Plus récemment, un
membre de la communauté du renseignement
a fourni les « Drone Papers » à The
Intercept. La source, qui est
restée anonyme en raison de la poursuite
agressive des lanceurs d’alerte par
l’administration Obama, a dit : « Le
nombre de cas où les sélectionneurs ont
ciblé par erreur certaines personnes est
stupéfiant », caractérisant un missile
tiré sur une cible dans un groupe de
personnes comme un « acte de foi ».
Selon les « Drone papers », au cours
d’une période de cinq mois, près de 90 %
des personnes tuées dans les frappes
aériennes n’étaient pas les cibles
prévues.
Comment expliquez-vous que
les États-Unis soutiennent à la fois
Israël, ont créé Al-Qaïda, selon les
aveux de Hillary Clinton, et ont armé et
entraîné Daesh ? À quand la fin du chaos
créatif des néocons, à votre avis ?
Les États-Unis appuient sans réserve
Israël afin de fournir une base
« amicale » à des opérations au
Moyen-Orient. L’invasion illégale de
l’Irak de George W. Bush et le
changement de régime en Libye d’Obama
ont créé les vides qui ont mené à la
montée de l’État Islamique. Hillary
Clinton, qui est soutenue par de
nombreux néoconservateurs, va
probablement continuer l’extension des
politiques de l’administration Obama, y
compris des zones d’interdiction de vol
et un changement de régime dans des pays
tels que la Syrie.
Pourquoi l’administration
américaine dissimule-t-elle les crimes
de guerre d’Israël ?
Le gouvernement américain considère
Israël comme un allié crucial au
Moyen-Orient, c’est la raison pour
laquelle il continue à fournir une aide
militaire à Israël bien plus importante
que tout autre pays. En fournissant
cette aide, les dirigeants américains
aident et incitent les crimes de guerre
et les crimes contre l’humanité
qu’Israël a commis contre les
Palestiniens, plus récemment en été
2014. Les dirigeants américains ont
rarement critiqué les politiques du
gouvernement israélien qui continue son
occupation illégale des terres
palestiniennes.
Le poids du lobby sioniste
aux USA est-il toujours déterminant dans
les grandes décisions politiques ?
Le pro-israélien AIPAC (American
Israel Public Affairs Commitee) est
probablement l’organisation de lobbying
la plus puissante aux États-Unis. Mais
dans la conclusion du récent accord
nucléaire avec l’Iran, l’administration
Obama a résisté tant à l’AIPAC qu’au
gouvernement Netanyahu, qui se sont
vigoureusement opposés à l’accord.
L’élection présidentielle
américaine nous propose Hillary Clinton
face à Donald Trump, ne pensez-vous pas
que ces deux personnages sont dangereux
pour l’humanité ? Comment expliquez-vous
le vide politique qui a laissé passer
ces deux candidats porteurs de tous les
dangers ?
Donald Trump pose un réel danger pour
les États-Unis et probablement pour
d’autres pays. C’est un raciste avéré,
sexiste, et qui exploite ses
travailleurs. Il a été décrit par le
nègre de son livre « l’Art de la
Négociation » comme un sociopathe, en
somme une personne sans conscience. Il a
promis de nommer des juges de la Cour
suprême comme le défunt Antonin Scalia,
qui se sont opposés aux droits en
matière de procréation, aux soins de
santé universels, au mariage de même
sexe, à la discrimination positive, aux
droits de vote, aux droits des immigrés,
aux droits du travail, aux droits des
LGBT et à la protection de
l’environnement. Trump pourrait déplacer
la Haute Cour radicalement vers la
droite pour les décennies à venir.
Bien qu’Hillary Clinton soit beaucoup
mieux que Trump sur toutes ces
questions, elle a préconisé une
politique étrangère belliciste, qui
signifiera probablement l’usage de plus
de force militaire dans d’autres pays,
comme la Syrie. De nombreux
néoconservateurs soutiennent sa
candidature.
En tant que juriste de renom,
pensez-vous que l’homme moderne peut
faire juger les dirigeants qui ont
failli dans leur mission et qui ont
causé des guerres et des crimes, comme
George W. Bush et Tony Blair ? Peut-on
aujourd’hui juger des personnalités
politiques occidentales ?
George W. Bush et Tony Blair ont
commis des crimes de guerre en Irak et
en Afghanistan, y compris des guerres
illégales d’agression et la torture. Ils
devraient être traduits devant un
tribunal et jugés pour crimes de guerre
et crimes contre l’humanité. L’endroit
le plus probable serait dans d’autres
pays en vertu de la « compétence
universelle », dans laquelle un pays
peut amener des ressortissants étrangers
en justice pour les crimes les plus
odieux.
On voit que la CPI (Cour
Pénale Internationale) ne juge que des
dirigeants africains. Pourquoi ne
juge-t-il pas les criminels de guerre
occidentaux parmi la classe politique
dirigeante qui coulent des jours
paisibles ?
Il y a une pression politique énorme
sur la CPI pour éviter de poursuivre des
officiels des pays occidentaux, y
compris les États-Unis et l’Israël. Même
si les États-Unis et Israël ne font pas
partie du Statut de Rome, leurs
dirigeants peuvent être poursuivis
devant la CPI s’ils sont arrêtés sur le
territoire d’un pays qui fait partie du
traité. L’administration Bush a menacé
environ 100 pays faisant partie de la
CPI avec la retenue à la source de
l’aide étrangère s’ils envoient des
ressortissants américains à La Haye pour
un procès à la CPI.
Comment expliquez-vous les
paroles d’Henry Kissinger qui promet une
guerre totale ?
Henry Kissinger est un criminel de
guerre qui a causé des dommages
importants à la paix mondiale quand il
était secrétaire d’État américain.
Vous êtes une militante
anti-guerre depuis la guerre du Vietnam.
Depuis lors, les guerres impérialistes
se sont poursuivies, la mobilisation des
peuples a baissé voire a disparu. Quel
est votre regard sur la faiblesse de la
résistance anti-guerre aujourd’hui ?
Un mois avant l’invasion de l’Irak en
2003 par Bush, 11 millions de personnes
dans le monde entier ont protesté dans
les rues. Ce mouvement n’a pas été
soutenu. Mais le mouvement Occupy suivi
par le mouvement Bernie Sanders a
mobilisé des millions de personnes. Bien
qu’ils ne se soient pas encore
concentrés sur la politique étrangère,
cela arrivera probablement, en supposant
que le mouvement puisse être soutenu.
L’impérialisme US et ses
alliés occidentaux n’arrêtent pas de
donner des leçons sur la démocratie, la
liberté d’expression, etc. à la planète
entière. Ne croyez-vous pas que c’est
hypocrite de la part de ces pays qui ont
commis des génocides. On a du mal à
citer tous les exemples : le Vietnam et
le Cambodge pour les USA, l’Algérie pour
la France, l’Irak pour la GB et les USA,
etc.?
Le gouvernement américain est en
effet hypocrite quand il critique
sélectivement d’autres pays pour des
violations de droits de l’homme. Je dis
« sélectivement », car les États-Unis ne
critiquent pas des pays comme l’Arabie
Saoudite, un important allié des
États-Unis, pour ses violations
flagrantes des droits de l’homme. La CIA
a renversé des dirigeants élus
démocratiquement en Iran, au Guatemala
et au Chili, pour ne citer que
quelques-uns.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est le Professeur
Marjorie Cohn ?
Marjorie Cohn est professeur émérite
à la Thomas Jefferson School of Law où
elle a enseigné de 1991 à 2016, et
ancienne présidente de la National
Lawyers Guild. Elle donne des
conférences, écrit et fourni
des commentaires pour les médias locaux,
régionaux, nationaux et
internationaux. Le professeur Cohn a
servi en tant que consultante pour
CBS News et comme analyste
juridique pour Court TV, ainsi
qu’un commentateur juridique et
politique sur la BBC, CNN, MSNBC,
Fox News, NPR, et Pacifica Radio.
Elle est l’auteur de
Cowboy Republic: Six Ways the Bush
Gang Has Defied the Law (La
République Cowboy: six manières dont le
Gang Bush a défié la loi) et elle est
co-auteur de
Cameras in the Courtroom: Television and
the Pursuit of Justice
(Caméras dans la salle d’ audience: la
télévision et la poursuite de la Justice,
avec David Dow) et
Rules of Disengagement: The Politics
and Honor of Military Dissent
(Les règles de Désengagement: La
politique et l’honneur de la dissidence
militaire, avec Kathleen Gilberd).
Le professeur Cohn est rédactrice
en chef et collaboratrice de
The United States and Torture:
Interrogation, Incarceration and Abuse
(les États-Unis et la torture:
Interrogatoire, incarcération et abus),
et
Drones and Targeted Killing: Legal,
Moral, and Geopolitical Issues
(Drones et assassinats ciblés: questions
juridiques, morales, et géopolitiques).
Ses articles ont paru dans
de nombreuses revues telles que
Fordham Law Review, Hastings
Law Journal, et Virginia
Journal of International Law, ainsi
que dans The National Law Journal,
Christian Science Monitor, et
Chicago Tribune. Le
professeur Cohn contribue à Jurist and
National Lawyers Guild Review, et ses
articles fréquents apparaissent dans Huffington
Post, Truthout, Truthdig,
Consortium News, CommonDreams, Counterpunch
et
ZNet.
Elle a été avocat de droit pénal aux
niveaux procès et en appel, et a fait
partie du personnel de la Commission des
relations du travail agricole en
Californie. Le professeur Cohn est le
représentant américain au comité
exécutif de l’Association américaine des
juristes, et est secrétaire général
adjoint de l’Association internationale
des juristes démocrates.
Vétéran du mouvement anti-guerre du
Vietnam, le professeur Cohn a reçu son
B.A. (licence) à Stanford, où elle s’est
spécialisée dans la pensée sociale et
les institutions, et son J.D. (doctorat
de juriste) à la Faculté de droit de
l’Université de Santa Clara. Elle a
témoigné en 2008 au sujet de la
politique d’interrogatoire du
gouvernement américain devant le
Sous-Comité du Comité Judiciaire de la
Chambre sur la Constitution, les Droits
civils et les Libertés civiles, et a
également témoigné dans les cours
martiales sur l’illégalité des guerres,
le devoir d’obéir aux ordres légitimes,
et le devoir de désobéir à des ordres
illégaux.
Le professeur Cohn siège au conseil
d’administration du Vietnam
Agent Orange Relief and Responsibility
Campaign (Campagne de
responsabilité et d’assistance pour
l’agent orange au Vietnam) et dans Lawyers
Rights Watch Canada (Avocats
Right Watch Canada), au conseil
consultatif national des
Veterans for Peace (anciens
combattants pour la paix) , et elle est
un membre civil du conseil de GI
Voice. Elle est également membre du
conseil consultatif de
American Constitution Society – San
Diego Chapter (Société de la
Constitution américaine – section de San
Diego).
Bénéficiaire en 2005 du Prix de
l’Éducation juridique de l’Ordre des
Avocats du Comté de San Diego, le
professeur Cohn a été reconnue comme
l’un des meilleurs avocats de San Diego
au niveau universitaire pour 2006, 2008
et 2009, et a reçu en 2007 le Prix
d’Excellence Bernard E. Witkin, pour
l’enseignement de la loi par la
Fondation San Diego Law Library Justice.
Elle a reçu le Prix de l’Intellectuel de
la Paix 2008 de l’Association d’Études
pour la paix et la justice, le Prix de
Défenseur des droits de l’Homme Digna
Ochoa 2009 d’Amnesty International-San
Diego, et en 2010 le Prix de Réussite
des Anciens Élèves de la Faculté de
droit de l’Université de Santa Clara. En
2010, le professeur Cohn a débattu de la
légalité de la guerre en Afghanistan à
la prestigieuse Oxford Union.
Elle a été observateur juridique en
Iran au nom de International
Association of Democratic Lawyers
(l’Association internationale des
juristes démocrates) en 1978, elle a
participé à des délégations à Cuba,
en Chine et en Yougoslavie. Elle a vécu
au Mexique et parle couramment
l’espagnol.
Son site :
http://marjoriecohn.com/
Published in English in American
Herald Tribune, July 31, 2016:http://ahtribune.com/politics/1113-marjorie-cohn.html
In Oximity:https://www.oximity.com/article/Pr.-Marjorie-Cohn-Pr%C3%A8s-de-90-des-1
Reçu de l'auteur pour
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