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Interview

Prof. El Mouhoub Mouhoud :
« Les Algériens ont compris qu’il existait une solution politique à la crise que traverse leur pays »

Mohsen Abdelmoumen


Prof. El Mouhoub Mouhoud. DR.

Lundi 1er juillet 2019

English version here

Mohsen Abdelmoumen : Votre livre L’immigration en France contredit les thèses des partis politiques d’extrême-droite qui utilisent la thématique de l’immigration pour des visées électoralistes. D’après vous, l’immigration n’est-elle pas productrice de richesse ?

Prof. El Mouhoub Mouhoud : L’objectif de ce livre était de mettre à la disposition du grand public l’état de la connaissance scientifique sur la réalité des migrations internationales. Je m’étais alors confronté à un certain nombre de questions : comment se forgent les représentations que cristallise la thématique des migrations ? Pourquoi, en dépit des chiffres ainsi que des analyses et de leurs enseignements fondés sur des études concordantes réalisées dans différents pays sur les migrations ou le climat par exemple, les allégations les plus invraisemblables ne sont pas démystifiées, et les fantasmes et non la réalité continuent à polluer le « débat public » ? Sans parti pris pour ou contre l’immigration, c’est à ces questions, quelquefois dérangeantes mais toujours étayées, que mon livre tentait de répondre. Quand on observe le fossé béant et grandissant entre les résultats de la recherche scientifique et les représentations, on ne peut que tenter de contribuer sereinement au débat.

S’agissant des effets de l’immigration, la première manipulation concerne leur nombre. Quand on regarde les flux dans les pays de l’OCDE, on se rend compte que la France est même structurellement depuis les quinze dernières années en queue de peloton. Chaque année, les titres de séjours délivrés aux étrangers représentent environ 200 000  personnes soit 0,4% de la population française, contre plus de 0,7% en moyenne dans les pays de l’OCDE. Le solde entre les entrées et les sorties d’étrangers se situe autour de 100 000 personnes. Chaque année, 100 000 étrangers repartent dont 70 000 sont des européens en libre circulation. L’immigration de travail ne concerne que 20 à 25 000 personnes par an, dont 10 000 anciens étudiants qui vivaient déjà en France. Focaliser une politique sur les restrictions à l’entrée paraît donc en décalage avec la réalité. Il est important de faire porter la raison dans ce débat. Éliminer ou réduire ces 100 000 entrées nettes ne réglera ni le problème du taux de chômage, ni celui des territoires ségrégués. On met sur le dos de l’immigration des questions liées en réalité aux échecs des politiques structurelles d’aménagement du territoire, du logement, de l’éducation et du marché du travail.

De même concernant les réfugiés, depuis ce que l’on  a appelé la crise migratoire, la France a reçu peu de réfugiés et a octroyé très peu de statuts de protégés. Relativement à la population, trois pays ont concentré la plupart des réfugiés : l’Allemagne, la Suède, l’Autriche. La France arrive en queue de peloton des pays de l’OCDE.

Enfin, quand on comptabilise non pas en flux mais en « stocks » les immigrés présents en France (environ 6 millions dont 3 millions sont naturalisés),  on se trouve dans la moyenne européenne à 8,5% de la population et à quatre points en dessous de la moyenne OCDE.

L’autre question instrumentalisée sur l’immigration concerne son impact sur le marché du travail des pays d’accueil. On accuse les immigrés du chômage des autochtones ou encore de contribuer à la  baisse des salaires. La littérature économique fait consensus sur le sujet. Le premier consensus est que l’arrivée de migrants a des effets de très faible ampleur et n’a globalement pas eu d’effets négatifs pour les travailleurs des pays d’accueil. Pourquoi ? Parce que le marché du travail n’est pas un « gâteau » aux contours fixes, mais qu’il peut croître sous l’effet de l’impact bénéfique de l’immigration sur le reste de l’économie.

Les économistes observent ainsi que l’immigration produit, globalement, un effet positif sur les salaires des travailleurs autochtones. Cela pourrait être du à une croissance forte dans ces bassins d’emplois ou au déplacement des travailleurs autochtones vers d’autres régions. Après correction de ces possibles biais, le résultat reste que l’immigration n’a pas d’effet négatif sur l’emploi des natifs en général. Les travailleurs immigrés et les autochtones n’ayant pas les mêmes caractéristiques en termes de qualifications et de types de tâches qu’ils portent, l’augmentation du nombre d’immigrés arrivant dans un bassin d’emploi contribue à offrir aux autochtones davantage de possibilités d’occuper des tâches moins manuelles ou d’exécution au profit de tâches mobilisant davantage de connaissances. Et donc mieux rémunérées. D’autres approches, keynésiennes, montrent également un impact positif de l’immigration sur la consommation et la croissance du pays d’accueil, ce qui stimule à son tour l’emploi.

Faut-il en conclure que l’afflux de migrants ne fait que des gagnants ? Non. Les immigrés peuvent avoir un impact négatif sur les rémunérations de ceux avec lesquels ils sont directement en concurrence. C’est-à-dire les travailleurs… souvent issus d’une vague antérieure d’immigration !

Si l’impact de l’immigration sur le marché du travail est difficile à établir, on peut au moins retenir des travaux qu’il est faible, et globalement positif. Ceux qui en tirent le plus profit sont les natifs qualifiés, qui voient leurs perspectives d’emploi et de rémunération s’améliorer.

L’instrumentalisation de la question des migrations favorise des fausses représentations qui interdisent la mise en place des politiques efficaces et équitables gagnantes pour les pays d’accueil, les pays d’origine et les migrants eux-mêmes.

Comment expliquez-vous la montée de l’extrême-droite, voire des néo-nazis, dans toute l’Europe ?

Concernant la montée du populisme et de l’extrême droite, les travaux des politistes sont supposés mieux répondre à cette question. Du point de vue économique, on a sous-estimé le fait que la mondialisation n’a pas d’effets homogènes mais des effets spécifiques touchant différemment certains territoires et certaines catégories de travailleurs. Autrefois, les travailleurs peu qualifiés étaient les perdants de la mondialisation. L’une des caractéristiques de la mondialisation contemporaine est que les travailleurs de la production, même à des niveaux de qualification plus élevés (contremaîtres, ingénieurs, techniciens) sont également touchés par la mondialisation alors que les managers et les travailleurs occupant des tâches de coordination, de management, de gestion… sont davantage gagnants. Les mécanismes de compensation des effets négatifs – même peu nombreux – des délocalisations ne jouent pas : les territoires vulnérables verrouillent les travailleurs mis au chômage sur place alors que dans d’autres territoires les emplois ne trouvent pas preneur. La mobilité du travail ne se décrète pas, elle s’organise. Un droit à la mobilité nécessite une politique d’investissement dans ce domaine. Les politiques publiques ont échoué à compenser ces chocs négatifs. Les classes moyennes sont frappées de plein fouet. Elles suivent ensuite les partis populistes ou extrémistes prétendant leur apporter une solution par une fermeture des frontières, une préférence nationale, ou une sortie de l’Europe comme en GB ou en Italie.

Vous êtes l’un des premiers économistes à avoir évoqué le concept de relocalisation industrielle. Pouvez-vous nous expliquer ce concept ?

Au sens strict, la relocalisation est le retour dans le pays d’origine d’unités productives, d’assemblage ou de montage antérieurement délocalisées sous diverses formes dans les pays à faibles coûts salariaux. Au sens large, la relocalisation peut se définir comme le ralentissement du processus de délocalisation vers les pays à bas salaires, c’est-à-dire la remise en cause des décisions de délocalisation ou la non-délocalisation dans les secteurs sensibles à la compétition par les coûts.

Trois raisons motivent la relocalisation. D’abord, du côté de l’offre, les possibilités de remplacer le travail peu qualifié par les machines ou les robots. Ainsi, la part des coûts salariaux dans le coût d’assemblage des puces électroniques est passée de 30 à 40% dans les années 1970 à moins de 4% dans les années 1980 grâce à la robotisation. Dans les secteurs à « matières solides », comme la mécanique, l’automobile ou l’électronique, il n’y a pas d’obstacle technique à la robotisation. En revanche, dans l’habillement ou la chaussure, lorsque les matières manipulées sont souples, le travail occupe encore près des deux tiers du coût total dans l’assemblage. Parallèlement les coûts salariaux par unité produite (le rapport entre les salaires et la productivité) ont beaucoup augmenté dans les pays asiatiques et en Chine tout particulièrement. Le coût salarial unitaire de la Chine et des pays émergents qui représentaient seulement 40% du niveau des États-Unis au début des années 2000 a rattrapé le coût américain depuis le début des années 2010. L’intérêt à délocaliser en Asie pour réduire les coûts et réimporter le produit final diminue d’autant plus que dans les pays développés, des taux d’intérêt très bas permettent aux entreprises d’emprunter pour s’équiper en robots.

Ensuite, du côté de la demande, les problèmes de réponse à la variabilité des consommateurs, la nécessité de coller aux marchés et fabriquer des séries courtes de produits dont le cycle de vie ne dépasse pas trois à quatre semaines dans l’habillement par exemple, et les problèmes de qualité ou de sécurité des produits importés assemblés en Chine ou dans d’autres pays à bas salaires, consacrent les échecs de la délocalisation et impliquent souvent le retour dans le pays d’origine ou à proximité des marchés comme solution de survie.

Enfin, les problèmes de coûts de transport et de coûts de coordination liés à la distance géographique interviennent surtout dans les activités pondéreuses (le poids des composants compte) mais n’affectent que marginalement les produits légers (l’habillement) ou les services (les centres d’appel, la maintenance informatique…). Dans les secteurs comme le textile-habillement, la chaussure, les jouets….beaucoup de firmes qui délocalisent sont des championnes de la logistique et de la réponse rapide à la demande tout en continuant à délocaliser la production dans les pays à bas salaires.

Vous avez écrit Mondialisation et délocalisation des entreprises. À votre avis, la politique de délocalisation industrielle n’a-t-elle pas été une catastrophe ?

Tout en ayant favorisé l’émergence de nouveaux pays dans la croissance mondiale, l’hyper mondialisation est arrivée au bout de sa logique : concentration géographique des activités et inégalités territoriales dramatiques, concentration des revenus sur une poignée de managers globalisés, décrochage des cadres moyens, des employés et des ouvriers… La mondialisation, qui était susceptible d’être porteuse de progrès et de diffusion des connaissances, de rattrapage et de convergence des économies a engendré un monde de plus en plus fragmenté. La finance internationale déréglementée, au lieu de jouer son rôle de catalyseur de la croissance et de l’innovation, a fait revenir le capitalisme à ses pires périodes de crise.

Si l’« hypermondialisation » de la finance se poursuit en l’absence de régulations étatiques réelles, celle de la production industrielle et des services est entrée dans une phase de complexification sans précédent : des mouvements de délocalisation coexistent avec des relocalisations partielles qui ne recréent pas pour autant les emplois détruits par les délocalisations. Une action volontariste de l’État doit, selon nous, davantage viser les facteurs de production : le travail, sa formation, la recherche et l’innovation source de reconquête d’avantages compétitifs par rapport aux pays à bas salaires et donc de relocalisation économiques dans les territoires français et européens.

Vous êtes un éminent économiste et un chercheur réputé. D’après vous, sommes-nous à l’abri d’une nouvelle crise économique ?

La finance n’a pas été régulée. Il existe bien des risques de crise financière.

Vous avez sans doute suivi les actualités sur l’Algérie. Comment analysez-vous les événements que connaît l’Algérie, notamment ce grand mouvement populaire avec des manifestations depuis le 22 février ?

Ce soulèvement s‘inscrit d’abord dans une histoire longue des soulèvements en Algérie : le pays avait déjà connu une rupture majeure en 1988 avec les émeutes de la jeunesse. Celles –ci avaient déjà fissuré le régime et initié trois années d’ouverture démocratique inédite. Mais il y a eu également les révoltes de Kabylie de 2001, les tentatives de manifestations du « printemps arabe » étouffées dans l’œuf par la police en 2011, les protestations du Sud de l’Algérie en 2016 contre l’exploitation du gaz de schiste. Dans les années 2000 de boom pétrolier, mais aussi tout particulièrement en 2011 lors des soulèvements en Tunisie et en Égypte, et à la faveur du retournement à la baisse du prix du pétrole en 2013, le pouvoir n’a cessé de subventionner la consommation (à hauteur d’environ 30% du PIB). Néanmoins, il a surestimé son « capital sécurité » et n’a pas su apprécier à leur juste valeur des alertes qui dès 2014, laissaient envisager la possibilité sinon l’imminence d’un soulèvement populaire.

En parallèle, les Algériens ont suivi et observé avec soin les développements des printemps arabes dans les autres pays. Cela a contribué à conférer au mouvement populaire une remarquable maturité politique. Les expériences voisines jouent en effet à la fois le rôle de repoussoir – les exemples syrien, égyptien et libyen étant perçus comme des contre-modèles – et d’exemple –  l’expérience tunisienne notamment étant, elle, perçue comme un modèle de transition politique. On mesure à quel point les  soulèvements auxquels on a assisté en Égypte, en Tunisie et ailleurs ont été scrutés et assimilés par les manifestants algériens d’aujourd’hui, dans leurs formes, leurs méthodes et leurs développement, à la manière dont les manifestants algériens  se sont organisés par exemple pour protéger les femmes dans les manifestations ou nettoyer les rues : deux pratiques directement liées à la volonté de ne pas reproduire certaines expériences négatives des soulèvements de la place Tahrir (dont on ignore d’ailleurs l’origine) au Caire et en Tunisie.

À travers l’exemple tunisien, les Algériens ont compris qu’il existait une solution politique à la crise que traverse leur pays. La constituante tunisienne représente à ce titre un exemple inédit dans le monde arabe, qui a garanti à la fois la liberté de conscience, l’égalité homme/femme et le respect des religions. C’est-à-dire qu’elle a su construire le compromis historique entre les différentes parties de la société, des femmes aux islamistes, tout en garantissant un cadre foncièrement laïc. Cet exemple d’une transition inclusive qui peut prendre beaucoup de temps, en douceur malgré les difficultés économiques, peut servir de référence, voire de mode d’emploi pour les manifestants Algériens.

Un autre élément joue un rôle central pour expliquer la force et la maturité du mouvement du 22 février et sa capacité à surmonter les clivages politiques. C’est le fait que le spectre d’une « menace islamiste » n’opère plus. Certes, le pouvoir a joué abondamment sur la peur des années 1990, y compris en rediffusant des documentaires violents, mais ce « capital sécurité » dont croyaient jouir les autorités a volé en éclats. En effet, malgré l’impact social et la diffusion du conservatisme religieux, la population ne semble plus, à entendre les témoignages dans les manifestations massives, souhaiter l’arrivée au pouvoir des islamistes. Et parmi ces derniers, beaucoup se sont également démonétisés, en se laissant coopter par le pouvoir.

Le gouvernement précédent en Algérie a eu recours à la planche à billets. Vous êtes un brillant économiste et vous connaissez ce procédé. Selon vous, l’option de la planche à billets est-elle une solution pour un pays qui dépend totalement des hydrocarbures ?

L’économie algérienne est composée de trois secteurs. D’abord, les ressources proviennent essentiellement des hydrocarbures qui représentent environ 35% du PIB, 72% du budget de l’État et environ 98% des recettes extérieures. En période de boom, l’argent afflue vers l’État qui le redistribue de manière clientéliste, en particulier ces dernières années, sous forme d’aides à la consommation et de subventions. Le secteur rentier est prédominant dans l’économie, les revenus proviennent massivement de l’extérieur et sont sensibles aux fluctuations du marché mondial, et la rente est distribuée de manière plus ou moins discrétionnaire au lieu d’être accumulée dans l’investissement. Le deuxième secteur, celui des importations (un tiers du PIB), est un secteur oisif qui nourrit également les relations de clientélisme entre l’État, le clan au pouvoir et les entreprises connectées à ce clan. Enfin, l’industrie manufacturière a reculé pour ne plus représenter que 5% du PIB et laisser place à un troisième secteur : celui des non-échangeables (services, construction, bâtiment). Ces trois secteurs représentent  l’essentiel de l’économie et se traduit par le fait que l’Algérie a le taux de participation de la force de travail le plus bas du monde, comme les autres pays rentiers de la région, et un taux de chômage des diplômes extrêmement élevé.

En 2015, avec le Premier Ministre d’alors, M. Sellal, et avec le très court relais de M. Tebboune  de mai à juillet 2017,  le gouvernement avait émis des velléités de mettre en place des réformes structurelles et de modifier la relation clientéliste entre les entreprises et l’État. Mais très vite, avec le retour d’Ahmed Ouyahia durant l’été 2017 comme Premier ministre, le pouvoir a tourné le dos aux réformes, et s’est engagé dans une politique macroéconomique aventurière fondée sur les financements « non conventionnels » (la fameuse planche à billet) à hauteur de 35 % du PIB en deux ans. Or, l’année 2016 a été une année d’effervescence et d’impatience, tous les ingrédients économiques et sociaux latents étaient là, les slogans des jeunes notamment dans les stades manifestaient l’impatience des populations. L’observation de certaines enquêtes comme Arab Barometer laissaient voir une perte dramatique de confiance dans les gouvernements, en même temps que se consolidait très significativement le sentiment de sécurité physique personnelle.

La situation économique s’est aggravée du point de vue des tares d’une économie rentière. L’économie n’a jamais su se diversifier, ce qui a fait reculer la part de l’industrie (4%) et de l’agriculture (8%) dans le PIB. Abdelaziz Bouteflika a mené une politique qui conduisait à cette rupture économique, qui était prévisible depuis plusieurs années. Malgré tout, il y a eu de grandes avancées en matière d’éducation, la part du pourcentage des dépenses publiques d’éducation dans le PIB ayant doublé entre le début des années 2000 et aujourd’hui. Par ailleurs, l’État a beaucoup subventionné les consommations depuis 2011 (30% de PIB entre 2012 et 2014) ainsi que l’enrôlement dans l’enseignement supérieur, qui a augmenté de plus de 10 points entre 2011 et 2016, passant de 30% à 42%. Si l’objectif était d’obtenir la paix sociale, ces efforts se sont toutefois concentrés sur la quantité et non la qualité, comme l’illustre le très mauvais classement de l’Algérie dans les rangs internationaux en matière de qualité de l’éducation (classements PISA).

La situation macroéconomique s’est aussi dégradée fortement en Algérie. Le déficit public, qui représentait 1, 4 % du PiB avant le contre choc pétrolier de 2013,  a atteint 15, 7 % du PIB en 2016. Les réserves de change ont chuté drastiquement d’un peu moins de 200 milliards de dollars en 2013 à 108 milliards de dollars en 2016 pour atteindre 60  milliards en 2018. Les termes de l’échange se sont dégradés et le dollar officiel s’est déprécié de 20 % en termes nominaux.  Les ajustements qui ont suivi n’ont pas été moins drastiques : dans l’hypothèse d’un baril à 35 dollars, les dépenses publiques ont été réduites de 9 % surtout pour les dépenses d’investissement. Les importations de biens de consommation finale (nouvelles licences d’importations) ont été également réduites mais les importations de biens intermédiaires qui vont de moins en moins aux investissements des entreprises du secteur manufacturier au profit du secteur de la construction et du bâtiment se sont maintenues. Des tentatives d’ouvrir le capital des entreprises publiques pour favoriser l’investissement dans les secteurs hors hydrocarbures sont restées embryonnaires.

Ces problèmes économiques ont contribué à nourrir la révolte algérienne. Une partie non négligeable de la population n’a pas été prise en compte par le système, en particulier la jeunesse. Dans les zones rurales, la situation est encore plus grave car les taux de chômage peuvent avoisiner les 80%. Les gens sont acculés, assignés à résidence, car le coût du logement est absolument prohibitif dans les villes. Même s’ils pouvaient accéder à l’emploi dans les grandes agglomérations comme Alger, les jeunes ne peuvent s’y rendre à cause du coût exorbitant du logement qui brûlerait leur salaire immédiatement. La croissance forte dépend de la fluctuation des hydrocarbures mais peut aussi exclure beaucoup de gens : les jeunes diplômés sont fortement au chômage, acculés au déclassement interne ou à l’expatriation forcée. Eu égard à son revenu par tête la caractérisant comme un pays à revenu intermédiaire, le taux d’expatriation des qualifiés en Algérie et dans les pays de la région, est anormalement élevé, presque deux fois plus élevé que dans les grands pays à revenu intermédiaire. On assiste donc à des phénomènes de « harraga » [migrants « brûleurs de frontières »] dont certains ont trouvé la mort en tentant de quitter l’Algérie par bateau. Cela été un facteur choquant et violent pour la mémoire collective. Les plus qualifiés  parviennent à émigrer vers l’Amérique du Nord.

Vous avez sans doute eu écho des scandales de corruption à laquelle se sont livré certains responsables en Algérie et leurs proches avec notamment la fuite des capitaux à l’étranger en utilisant la surfacturation, entre autres. En cas d’avènement d’un gouvernement légitime, pensez-vous que le peuple algérien pourra espérer récupérer l’argent détourné ?

Cette économie rentière suppose des privilèges et s’apparente à un capitalisme de copinage qui vassalise ces entreprises et ces hommes d’affaires. Les entreprises non liées au pouvoir dont certaines crées par la diaspora, en souffrent. Ces dynamismes évincent de facto les meilleurs. Si des réformes doivent être menées, leur préalable doit être politique et institutionnel. Il faut changer les institutions pour pouvoir changer le modèle de croissance algérien. Cela ne peut se faire que par l’accompagnement en douceur de la transition politique. Mais le clan au pouvoir n’avait pas intérêt au changement car il a constitué une verticalisation des mécanismes de corruption qui ne sont plus seulement circonscrits à l’appareil d’Etat et des filières entières vivent de cette verticalisation de la corruption. Un sursaut est néanmoins encore possible. L’armée a commencé le travail par des purges de l’intérieur des caciques du clan au pouvoir précédemment. Mais on peut douter d’une justice qui vient de l’armée ; seule une justice transitionnelle indépendante digne de ce nom pourra venir à bout de la corruption qui gangrène l’économie et décourage les initiatives.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

 

Qui est le Prof. El Mouhoub Mouhoud ?

Le Prof. E. M. Mouhoud est Professeur d’Economie à l’Université de Paris Dauphine où il codirige le master Affaires internationales. Il est spécialiste de la mondialisation, des délocalisations et des migrations internationales. Il est également directeur du Groupement de Recherches International du CNRS DREEM (Développement des Recherches Economiques Euro-méditerranéennes) et est chercheur au Laboratoire d’Économie de Dauphine- DIAL IRD. Ses travaux de recherche portent sur le changement technologique, les firmes multinationales, les délocalisations / relocalisations et compétitivité internationale, l’intégration européenne, convergence des économies, les relations Euro méditerranéennes, mobilité des facteurs et marchés du travail, les migrations internationales, l’impact sur les pays d’accueil et les pays de départ, l’économie de la connaissance, financement des entreprises et crises.

Il a publié de nombreux ouvrages et articles, notamment L’immigration en France, mythes et réalité (2017) ; Mondialisation et délocalisation des entreprises (2008) ; Sauver Marx ? Empire, Multitude, travail immatériel (2007) coécrit avec P. Dardot, C. Laval ; Les nouvelles Migrations, Un enjeu Nord-Sud dans la Mondialisation (2006) coécrit ; Connaissance et mondialisation (2000) coécrit ; Changement technique et division internationale du travail (1993).

Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour publication

 

 

   

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Source : Mohsen Abdelmoumen
https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/...

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