Sputnik
« Grâce au soutien russe, le Burundi est
debout ».
Entretien avec Dr. Edouard Bizimana
Mikhail Gamandiy-Egorov
© Photo
Mardi 31 mai 2016
Source:
Sputnik
La Fédération de
Russie et la République du Burundi
connaissent actuellement une étape
fortement intéressante dans leurs
relations bilatérales.
De l'aveu de
nombreux observateurs, une nouvelle page
s'ouvre dans les relations
russo-burundaises et dans des domaines
variés: politique, économico-commercial,
culturel. C'est à ce titre que nous nous
entretenons aujourd'hui avec Dr. Edouard
Bizimana qui est en plus d'être un
diplomate de carrière, est également
enseignant et expert en relations
internationales. Il a à ce titre un
sérieux background dans l'enseignement
universitaire, l'écriture et la
recherche dans ce domaine. Il a déjà
publié plusieurs articles et deux
livres.
Sputnik: M.
l'ambassadeur, quelle caractéristique
donneriez-vous des relations entre le
Burundi et la Russie, à l'heure
d'aujourd'hui?
Dr. Edouard
Bizimana : Merci beaucoup de me
poser cette question. Je vais tout
simplement dire que les relations entre
la Fédération de Russie et le Burundi
sont des relations solides, sincères et
respectueuses de nos valeurs.
Sputnik : Le
Burundi était à la une de l'actualité
ces temps-ci, y compris au niveau de
plusieurs médias internationaux qui
donnaient une image fortement négative
de la situation dans votre pays. Qu'en
est-il réellement?
Dr. Edouard
Bizimana: Simplement je voudrais
dire à l'opinion que certaines
informations qui sont véhiculées sur les
sites web, dans les médias occidentaux,
sont très tendancieuses et ne collent
pas à la réalité.
Evidemment le
Burundi a fait la une des journaux et la
plupart des fois quand l'on lit ces
journaux et que l'on se rende
parallèlement dans notre pays, on trouve
des réalités totalement différentes. Il
suffit seulement de voir ce qui a été
publié pendant le mois de mai 2015
durant les manifestations qui se sont
montrées très violentes, qui ont été
caractérisées par la destruction des
biens publics et privés, et même des
tueries car il y a eu des personnes qui
ont été brulées vives. Ces
manifestations se déroulaient seulement
dans quelques quartiers de la capitale
Bujumbura mais les images qui étaient
servies dans les médias occidentaux, y
compris là où je me trouverais en Europe
(Dr. Edouard Bizimana était précédemment
ambassadeur du Burundi en Allemagne,
ndlr), se focalisaient seulement sur
cette petite partie du territoire pour
soi-disant démontrer que tout le pays «
était en train de brûler ». Ce qui
n'était pas le cas. Même toute la
capitale du pays n'était pas concernée
puisque seules cinq zones sur plus d'une
dizaine ont été touchées par des
manifestations. Et la population qui
était restée paisible était majoritaire
alors qu'effectivement les images que
l'on véhiculait étaient fortement
négatives vis-à-vis du Burundi. En
général, cela se fait souvent avec
l'Afrique. Une image tordue est bien
souvent relayée. Il y a une réelle
volonté de nuire, de tenir davantage
l'image de l'Afrique. Mais ce qu'il faut
dire aussi c'est que je serai en train
de mentir si je disais qu'au Burundi
tout est rose. Nous avons des défis. Des
défis d'ailleurs qui ne sont pas
uniquement spécifiques au Burundi et qui
sont également partagés par d'autres
pays. Et ce qui est important c'est la
façon dont ces défis sont en train
d'être gérés par les autorités
burundaises et grâce au soutien des pays
amis comme la Fédération de Russie,
ainsi que d'autres pays, le Burundi est
en train de s'en sortir. Je tiens ici à
remercier le gouvernement de la Russie
pour son soutien, que ce soit au niveau
du Conseil de sécurité des Nations
Unies, que ce soit au niveau bilatéral
et aussi dans d'autres fora ou
rencontres. Donc le Burundi a bénéficié
d'un soutien indéfectible de la
Fédération de Russie et c'est grâce à ce
soutien que le Burundi est encore
debout.
Sputnik: Les
accusations du leadership de plusieurs
pays occidentaux envers le président du
Burundi Pierre Nkurunziza « de ne pas
respecter la constitution du pays » et
de « contribuer à la violence » ont-ils
lieu d'être? Ont-ils une quelconque base
de légitimité pour être prononcées?
Pourquoi selon vous on assiste à de
nouvelles tentatives occidentales
d'interférer dans les affaires internes
du Burundi?
Dr. Edouard
Bizimana: Merci encore une fois de
la question qui est pertinente et qui a
toute son importance. Je pense que les
accusations qui sont formulées à
l'encore de Son Excellence le président
Pierre Nkurunziza sont farfelues et sans
fondement, tout simplement. On ne peut
pas être responsable à la tête du pays
et encourager la violence, contre
soi-même et contre son peuple. C'est une
contradiction sans nom et qui vise
certainement à ternir son image
personnelle, ainsi que l'image du
Burundi. Souvent je suis un peu étonné
lorsque les gens parlent de Nkurunziza
comme d'un individu, pourtant il s'agit
d'un président d'un pays, il est une
institution. Une insulte proférée à
l'encontre d'un chef d'Etat, dans tous
les pays partout au monde, c'est une
insulte proférée à l'encontre de son
peuple. Les accusations qui le visent
donc sont sans fondement car sa
candidature à la présidentielle n'a
violé ni la constitution du Burundi, ni
les Accords d'Arusha (Accords d'Arusha
pour la paix et la réconciliation au
Burundi, signés en août 2000 sous
l'égide de Nelson Mandela, ndlr). Il y a
certainement des personnes qui se
mettent à critiquer sans avoir lu ni
ledit accord d'Arusha, ni la
constitution, et qui se basent sur des
faits qui ne collent simplement pas à la
réalité. Donc je le répète la
candidature de Pierre Nkurunziza n'a pas
été la cause des problèmes que nous
observons. A ce titre les manifestations
ont commencé avant même que sa
candidature soit officialisée. Il faut
savoir qu'avant les dernières élections
présidentielles, le président Nkurunziza
était un président aimé aussi bien des
citoyens du Burundi que des étrangers
vivant au Burundi ou connaissant notre
pays. Il est soutenu par la grande
majorité de la population burundaise.
Avant l'annonce de sa candidature à la
présidentielle, le président avait une
bonne image à différents endroits du
monde, il a d'ailleurs reçu plusieurs
prix étrangers pour l'encourager dans
son action positive aussi bien au niveau
du Burundi, qu'au niveau du continent
africain et même au-delà. Et puis tout à
coup les choses ont changé. Il est
devenu l'homme à abattre subitement. Et
là effectivement il y a des questions à
se poser. La vraie cause de cette haine
n'est pas son « troisième mandat ». Qui
n'en est pas un d'ailleurs parce que la
loi est bien précise à ce sujet. Lors de
son premier mandat à la tête de l'Etat,
il n'avait pas été élu au suffrage
universel mais avait été désigné par le
parlement. Ensuite au niveau de la
constitution quand vous regardez les
articles 96 et que vous y ajoutez
l'article 302, et que vous lisez
l'Accord d'Arusha, il y a une confusion
qui est, je crois, sciemment entretenue.
Et je pense que ceux qui ont élaboré la
constitution burundaise en rapport avec
l'Accord d'Arusha y ont mis des
obstacles, des pièges même, qui sont
maintenant en train de produire des
effets négatifs pour notre pays.
Quant à la question
de l'interférence de certains pays dans
les affaires intérieures burundaises,
c'est effectivement un aspect important.
Je pense qu'il faut placer cela dans la
dynamique actuelle de la marche du
monde. L'Afrique est un continent qui
suscite actuellement beaucoup
d'intérêts, beaucoup d'envies et
d'ambitions. Il y a aujourd'hui ce qu'on
peut appeler le « New scrabble for Africa
», où on voit beaucoup de pays, de
puissances occidentales et d'autres qui
sont en train de se ruer vers l'Afrique.
Et à ce titre, le Burundi est un pays
très stratégique, vu sa position
géostratégique au cœur du continent
africain, souvent on l'appelle même le «
cœur de l'Afrique ». Cela a une
importance capitale. Nous avons beaucoup
de potentialités et qui intéressent
beaucoup de monde. La politique du
Burundi c'est une politique de bon
voisinage, d'ouverture, de respect de
l'autre, et le respect surtout de notre
souveraineté. Je crois donc que la
raison principale du revirement que nous
avons observé c'est une volonté de
mettre la main sur les ressources du
Burundi. Des ressources qui intéressent
plus d'un. Et malheureusement certains y
vont d'une façon maladroite sachant que
le Burundi a toujours été ouvert aux
partenariats internationaux, à un
partenariat gagnant-gagnant qui peut
profiter à tout le monde. Donc ceux qui
usent de la violence et l'interférence,
je pense qu'ils sont perdants car je dis
une fois encore: le Burundi est ouvert à
tout le monde. Mais tout doit se faire
dans le respect de l'autre.
Sputnik: La
Russie et la Chine ont jusqu'à
maintenant bloqué ces tentatives
d'interférence extérieure, y compris au
niveau du Conseil de sécurité de l'ONU.
Quelle a été la réaction à Bujumbura
après cette action coordonnée de Pékin
et Moscou?
Dr. Edouard
Bizimana : Cela a suscité un
sentiment d'appréciation et de gratitude
envers ces deux amis du Burundi, deux
partenaires fiables et fidèles. Notre
relation mutuelle est bâtie sur le
respect de l'un et de l'autre. Je crois
que la position de la Russie et de la
Chine montre bien qu'ils ne sont pas
très d'accord avec l'unilatéralisme au
niveau du Conseil de sécurité onusien.
Je pense également que l'expérience du
passé a montré qu'il y a eu des abus au
niveau du Conseil de sécurité. On a vu
des pays qui ont été saccagés, détruits,
avec l'aval de cet organe des Nations
Unies. J'aurai à ce titre cité la Libye
qui est désormais un cas d'école. La
Fédération de Russie, la Chine et
d'autres de nos amis, notamment
africains qui ont soutenu le Burundi que
ce soit au niveau de l'Union africaine
ou du Conseil de sécurité onusien, ont
vu juste parce que la situation au
Burundi serait peut-être devenue
ingérable et cela aurait eu des effets
négatifs sur toute la région. C'est une
attitude qui est à encourager. Le
respect de la souveraineté d'autrui
reste une valeur universellement
partagée entre le Burundi et ses amis.
Sputnik :
Quels sont selon vous les domaines qui
présentent un intérêt particulier dans
les relations entre la Russie et le
Burundi? Selon vous, quelle position la
Russie devrait-elle avoir dans son
partenariat avec votre pays, ainsi
qu'avec les pays du continent africain
en général?
Dr. Edouard
Bizimana: Je crois que la Russie,
compte tenu de son histoire avec
l'Afrique, devrait s'impliquer
davantage. On observe encore sur notre
continent une sorte de chasse gardée qui
incombe surtout aux anciens
colonisateurs. La Russie comme elle n'a
pas eu de colonies en Afrique, je crois
que certains diront que c'est un
handicap, mais c'est aussi et surtout un
atout. Donc la Russie doit en effet
s'impliquer davantage en Afrique. En ce
qui concerne le Burundi, le marché est
ouvert, il y a beaucoup de
potentialités. Nous avons des secteurs
prioritaires comme celui de l'énergie,
le secteur de la santé, les
infrastructures. Je pense que la Russie
possède la technologie, ainsi que la
connaissance utile et nécessaire pour
avoir des contrats dans ces domaines. Le
secteur minier est également très
intéressant. Nous y avons aussi des
potentialités. Et je me réjouis
d'ailleurs que certains investisseurs
russes commencent à s'intéresser à notre
pays. L'année passée il y a eu un bon
nombre de mouvements d'hommes d'affaire
qui sont partis au Burundi et nous
voyons déjà des entreprises russes qui
sont en train de s'y implanter.
J'encourage donc d'autres entreprises
russes à aller également investir au
Burundi: un pays plein de potentialités.
A ce titre, le Code des investissements
au Burundi encourage et donne beaucoup
de profits aux investisseurs étrangers.
Nombreuses facilitées sont accordées: à
titre d'exemple pour créer une
entreprise au Burundi, cela vous prend
seulement deux heures, alors qu'ailleurs
cela prend parfois bien plus de temps.
Ce sont des opportunités à prendre. La
Russie en cette matière doit prendre une
position primordiale, sachant que le
Burundi a une bonne image de la Russie
et que nos relations sont solides et
datent de longtemps, depuis 1962. On
aurait donc préféré voir grand nombre
d'entreprises et d'hommes d'affaires
russes s'installer au Burundi et je
pense qu'avec le temps ce sera le cas.
L'intérêt est là et le Burundi est
ouvert. En parlant des garanties aux
investisseurs car c'est un aspect que
j'entends assez souvent, c'est
effectivement un aspect important, le
Burundi y tient beaucoup, chaque fois
qu'un contrat est signé il y a des
garanties qui sont données. En cas de
problème, il est toujours possible de se
référer à la loi burundaise ou à la loi
du pays de l'investisseur ou encore à la
loi internationale en la matière. C'est
donc une opportunité à saisir. Et
d'ailleurs en fin de compte, le risque
fait aussi partie du business.
Sputnik:
C'est bien vrai. Dernière question M.
l'ambassadeur. Pensez-vous qu'un système
international de respect des
souverainetés nationales devrait être
réfléchi et coordonné, dans le cadre du
monde multipolaire dans lequel nous
vivons aujourd'hui, pour faire face aux
tentatives de certains pays d'interférer
dans les affaires d'autres nations
souveraines?
Dr. Edouard
Bizimana: Bien sûr que l'on devrait
y réfléchir. Le problème par contre
c'est qu'on ne sait pas encore qui
prendrait cette initiative. Et sachant
qu'il faut tenir compte des intérêts des
uns et des autres. Pendant la période
bipolaire, les choses étaient plus ou
moins tranchées, soit on se trouvait
dans un camp, soit dans l'autre, mais
avec le monde multipolaire actuel c'est
un peu plus difficile. Une chose est
sûre, les Nations Unies ne peuvent pas
jouer ce rôle, tout comme le Conseil de
sécurité. C'est quelque chose donc qui
serait difficile à mettre en place mais
effectivement très utile. Le respect des
souverainetés reste quand même un pilier
et un facteur de la paix et de la
sécurité internationale. Tout ce qui
grignote et tout ce qui touche la
souveraineté nationale, a des
implications, et tous les pays du monde
devraient se lever comme un seul pour
défendre la souveraineté de chacun.
Devant la loi, cette égalité juridique
et souveraine doit être respectée. C'est
pour cela peut-être qu'il faudrait
penser à une réforme du système des
Nations Unies, qui est important, pour
que justement la tendance à
l'unilatéralisme que l'on continue
d'observer cesse et afin qu'il y ait
plus de concertations entre nations. Et
que les grandes puissances ne puissent
pas imposer leurs visions et la marche à
suivre à tous les autres.
© 2016 Sputnik
Tous droits réservés.
Publié le 1er juin 2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire de Mikhaïl Gamandiy-Egorov
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