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Russie-Turquie:
vers une normalisation des relations ?
Mikhail Gamandiy-Egorov
© Reuters/ Umit
Bektas
Jeudi 30 juin 2016
Source:
Sputnik
En réalité il
fallait s’y attendre. Connaissant les
énormes intérêts économico-commerciaux
qui lient la Turquie à la Russie, la
première se devait à un moment ou un
autre se conformer aux conditions
annoncées par la Russie dans le cas de
toute éventuelle normalisation.
C'est chose faite.
Le président turc
Recep Tayyip Erdogan a présenté les
excuses officielles à la Russie pour
l'avion russe abattu en novembre
dernier. Par ailleurs, il a transmis «
les plus sincères condoléances et
regrets » à la famille d'Oleg Pechkov,
le pilote russe tué par les terroristes
après s'être catapulté de l'avion. En
outre, la Turquie se dit prête à payer
les dédommagements dans le cas où une
demande lui sera faite de la part de la
famille du pilote russe.
Pour certains cette
annonce a eu l'effet de tonnerre mais en
réalité ce n'est effectivement pas si
surprenant que cela. Dès la tragédie et
la réponse russe qui s'en est suivi en
limitant fortement les intérêts
économiques turcs dans plusieurs
secteurs, les délégations de lobbying
n'ont cessé de faire des allers-venues
Istanbul-Moscou. Les hommes d'affaires
et entrepreneurs turcs présents en
Russie, ou y ayant des intérêts, ont par
ailleurs effectué de sérieuses pressions
sur le gouvernement d'Erdogan. Sans
oublier la partie notable de l'opinion
publique de Turquie qui n'a cessé de
critiquer le crime commis en novembre
2015, tout comme la politique d'Erdogan
en général.
Certains
s'accordent à dire que le chef d'Etat
turc ait retrouvé un minimum de raison.
Peut-être. Surtout au vu d'un énième
attentat sanglant qui a endeuillé hier
la ville d'Istanbul, en l'occurrence
l'attaque terroriste à l'aéroport
Atatürk ayant emporté des dizaines de
vies humaines et ayant fait plus d'une
centaine de blessés. Mais il est à
croire que c'est surtout d'intérêts
stratégiques qu'il s'agit. La Turquie,
tout en étant une puissance régionale
évidente, comprend parfaitement que les
intérêts la liant à la Russie
prédominent sur ceux la liant avec
d'autres pays ou blocs de pays, y
compris avec l'UE ou les USA. Les
discussions avec Bruxelles n'en
finissent pas. Et au final la Turquie
comprend aussi que son entrée éventuelle
dans « la famille européenne »
bruxelloise n'est de loin pas forcément
la meilleure option. Y compris au vu du
tout récent Brexit et d'autres
événements encore qui peuvent suivre
d'un moment à l'autre. Donc l'idée de
perdre la Russie faisait trembler la
Turquie tout au long de ces derniers
mois. Même si Erdogan et son
premier-ministre d'alors Ahmet Davutoglu
faisaient en sorte de jouer les têtues,
la réalité d'aujourd'hui est bien ce
qu'elle est. A savoir que la Turquie a
bien besoin de la Russie et certainement
plus que dans l'autre sens.
Pour autant il ne
faut pas espérer que cette normalisation
se fasse du jour au lendemain. L'opinion
publique russe reste très négative
envers le leadership de la Turquie. Le
coup de poignard dans le dos, pour
reprendre l'expression utilisée par le
président Poutine, ne sera pas oublié
d'aussitôt. Et le rétablissement d'une
confiance même relative a encore de
longs jours devant lui. Néanmoins et il
faut le rappeler aussi, la Russie et la
Turquie avaient effectivement atteint un
niveau de partenariat bilatéral
impressionnant: plus de 30 milliards de
dollars d'échanges. Plus que cela, avant
l'événement tragique de novembre
dernier, Poutine et Erdogan s'étaient
fixé un objectif d'atteindre 100
milliards en termes d'échanges
bilatérales, à l'horizon 2020.
S'ajoutent à cela les importants liens
humanitaires et culturels des deux pays.
Au niveau du tourisme, le président
russe vient de lever les restrictions de
vente de voyages touristiques à
destination de la Turquie. Pourtant, ce
n'est pas demain que les stations
balnéaires turques reverront les 4,5
millions de touristes russes, de loin
les plus dépensiers en Turquie. Mais
c'est déjà un début. L'autre question
concerne les entreprises turques du
bâtiment opérant en Russie et qui
suivent avec grand intérêt la suite des
événements. En effet, jusqu'à encore
récemment la communauté turque en Russie
représentait entre 150 et 200 000
ressortissants, dont nombreux
travaillant justement dans ce domaine.
Et depuis les restrictions, les jours
n'étaient pas à la joie.
A suivre donc.
Début de normalisation des relations?
Peut-être. Mais il faudra être bien
patient. Et tout dépendra aussi de la
suite des actions entreprises par
Ankara, y compris en Syrie, où le
leadership turc a clairement fait
affaires avec les terroristes. Son
propre peuple en paie aujourd'hui les
frais. Condoléances à toutes les
victimes de l'attentat d'hier, comme à
toutes les victimes de terrorisme au
niveau mondial.
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Publié le 2 juillet 2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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