Sputnik
Turquie: les menaces de l’UE
n’impressionnent pas
Mikhail Gamandiy-Egorov
© Photo. Pixabay
Mardi 22 novembre 2016
Source:
Sputnik
Pourquoi l’Europe dans sa version
bruxelloise rappelle l’héroïne de
l’œuvre Le Revizor de l’écrivain russe
Nicolas Gogol, qui s’était fouettée
soi-même ? Car elle n’est toujours pas
en capacité d’analyser ses propres
erreurs et de faire les bonnes
conclusions.
Au contraire et au vu de la rhétorique
toujours en vigueur, la situation pour
l'UE ne peut que s'empirer.
Dans un article récent du journaliste
allemand Jürgen Gottschlich pour le
quotidien berlinois Die Tageszeitung,
l'auteur parle du fait que
l'Union
européenne devrait suivre l'exemple
russe (lorsque la Russie a adopté des
mesures de rétorsion après que le
bombardier russe
Su-24 ait été abattu
dans le ciel syrien par un chasseur
turc, en novembre de l'année dernière) à
l'encontre de la Turquie. Tout en
sachant que l'auteur allemand n'est
aucunement un sympathisant de la Russie,
tout au contraire. Comme l'un des
arguments il avance le fait que c'est le
seul langage que comprend le
président
turc Erdogan et que c'est la raison pour
laquelle la Turquie après une demi-année
de relations fortement difficiles avec
la Russie, a tout fait pour ensuite les
normaliser. Toujours selon lui,
Bruxelles devrait adopter la même «
fermeté » envers la Turquie pour la
forcer à être plus conciliante, en
indiquant par ailleurs que la « Turquie
dépend plus économiquement de l'UE que
de la Russie ». Le reste de l'article
garde le même style habituel des
journalistes du mainstream occidental, à
savoir des leçons de « démocratie »
habituelles, une habitude que les élites
occidentales ne sont toujours pas prêts
à oublier comme méfait du passé, y
compris même aujourd'hui — face aux
nouvelles réalités du monde
multipolaire. Maintenant il serait
intéressant de répondre à cet article
car je dois avouer que cette arrogance
occidentale bien connue a reconfirmé une
fois encore une chose évidente :
l'Occident politico-médiatique se croit
toujours en capacité de donner des
leçons au monde entier, particulièrement
aux peuples non-occidentaux qu'il
considère clairement inférieurs. Cette
approche est la même que ce soit envers
la Russie, la Chine, la Syrie, l'Iran,
la Turquie, les pays d'Afrique ou
d'Amérique latine. Absolument la même.
Et mêmes les humiliations subies
plusieurs fois ces temps-ci semblent ne
pas stopper nos « braves bien-pensants »
occidentaux.
Donc
répondons-y. Tout d'abord et dans le cas
des relations russo-turques, la Russie
n'était nullement intéressée par des
mesures de rétorsion à l'encontre de la
Turquie. Cette dernière étant un
partenaire stratégique au niveau des
relations économico-commerciales,
surtout au vu de la dynamique observée
depuis les 5-10 dernières années. Mais
la Russie n'avait tout simplement pas le
choix car ce qui est arrivé en novembre
2015 dans le ciel syrien était
réellement considéré comme un coup de
poignard dans le dos. Et vu que la
Turquie n'a pas voulu au départ de cette
situation fortement désagréable adopter
l'approche qui aurait pu éviter de geler
ou limiter plusieurs secteurs du
partenariat bilatéral, la Russie avait
alors adopté une série de mesures de
rétorsion. Une demi-année a passé. Le
leadership turc a présenté les excuses
officielles et faut le dire a tout fait
pour que cette normalisation ait lieu.
Une normalisation que la Russie
souhaitait aussi. Depuis les deux pays
reparlent partenariat stratégique et
tout semble suivre le cours logique des
choses. Dans le cas de l'UE, elle n'a
aucune raison digne de ce nom pour
sanctionner la Turquie, si ce n'est le
désir toujours aussi ardent de donner
des leçons de vie aux autres.
Deuxièmement pour répondre au fait que
la Turquie dépendrait économiquement
parlant soi-disant plus de l'UE que de
la Russie. Tout d'abord et dans le cas
des relations turco-russes, il ne s'agit
pas de dépendance : ce sont des
relations véritablement issues du
concept gagnant-gagnant. Et les
représentants du leadership turc ont
raison de rappeler que les deux pays se
complètent parfaitement. Maintenant
parlons de la prétendue « dépendance
turque » vis-à-vis de l'UE, et de
notamment de l'Allemagne, pays de
citoyenneté de l'auteur dudit article.
Si l'Allemagne est effectivement la
première destination des exportations
turques qui s'élèvent à plus de 12
milliards de dollars, néanmoins
l'Allemagne exporte en Turquie pour plus
de 19 milliards. Par ailleurs et si on
regarde le TOP 6 des principales
destinations de l'export turc, on
retrouve en plus de l'Allemagne l'Irak,
l'Iran, le Royaume-Uni, les Emirats
arabes unis et la Russie. Sur les 6 pays
donc de ce classement, seuls 2 sont
ouest-européens. Plus généralement il
est admis que les trois principaux
partenaires économiques de la Turquie
sont l'Allemagne, la Russie et l'Iran.
S'ajoute à cela la Chine qui est
aujourd'hui également un partenaire
économique de premier choix.
Quant aux importations qui
arrivent en Turquie, c'est sûr que les
pays de l'UE ne devraient pas se
plaindre puisque en plus de l'Allemagne
citée plus haut, des pays comme l'Italie
ou la France en profitent bien eux
aussi. Il faut à ce titre savoir que la
Turquie est le 5ème plus grand marché
d'exportation pour l'Union européenne et
6ème client hors UE des exportations
françaises. A se demander alors qui
gagneraient et qui perdraient le plus en
cas de sanctions.
Par ailleurs, l'auteur
allemand oublie également d'indiquer que
depuis la signature à Istanbul le 10
octobre dernier de l'accord russo-turc
sur le projet de gazoduc x pays sont
passés alors à un niveau encore plus
important de leur partenariat bilatéral.
Ce projet renforce non seulement le rôle
déjà très important de la Russie sur le
marché gazier mais également celui de la
Turquie. Et l'UE, grande consommatrice
de gaz, ne peut se permettre de ne pas
en tenir compte. Ajoutez à cela le fait
que le marché russe est le plus
important pour les entreprises turques
du BTP, autre secteur fortement
important pour l'économie de la Turquie.
Tout comme le principal marché étranger
d'écoulement des fruits et légumes
frais, autre orientation commerciale
turque importante. Et l'un des plus
importants dans le domaine du textile et
du prêt-à-porter. Enfin la Turquie qui
est de loin la première destination de
vacances à l'étranger pour les touristes
russes. Des touristes russes qui sont
deuxièmes en termes de nombre (de très
peu derrière les Allemands) mais 3 fois
plus dépensiers que les mêmes Allemands,
faisant donc de la Russie de loin le
marché touristique émetteur prioritaire
pour la Turquie. Sans oublier que les
leaders des deux pays se sont fixés
l'objectif d'atteindre 100 milliards de
dollars d'échanges d'ici 2020. Tout cela
pour dire que le journaliste allemand
peut clairement revoir son enthousiasme
à la baisse : le partenariat économique
de la Turquie avec la Russie, et plus
généralement avec l'espace eurasiatique,
est sur beaucoup de points plus
important pour la première que ses
relations avec l'UE.
Et même si en
perspective l'Europe bruxelloise allait
à imposer des sanctions économiques à la
Turquie, l'UE serait la première à en
payer les frais. Vraisemblablement la
leçon des contre-sanctions russes n'a
rien appris aux donneurs de leçons
occidentaux. Soyons clairs : si l'UE
imposait des sanctions contre la Turquie
(7ème puissance économique européenne et
1ère du Moyen-Orient), c'est en premier
lieu tout le business ouest-européen
présent en Turquie (un marché de plus de
75 millions de consommateurs) qui criera
sa révolte, comme ce fut le cas (et
l'est toujours) en Russie. D'autre part,
la Turquie pourra prendre exemple sur la
Russie et imposer des contre-sanctions à
l'Union européenne là où cela fera le
plus mal aux intérêts de l'UE. Avec
comme résultats des milliards de pertes
pour l'économie bruxelloise, déjà pas au
mieux ces temps-ci. Enfin, une telle
approche exacerbera les sentiments anti-occidentaux au sein de la société
turque et convaincra les indécis à
suivre définitivement ceux qui en
Turquie soutiennent l'idée de rejoindre
l'axe Moscou-Téhéran. Et ils sont
nombreux.
© 2016 Sputnik
Tous droits réservés.
Publié le 27 novembre 2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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