Sputnik
Edouard Bizimana: «La Russie s’est
dressée contre
ce comportement voyou
occidental»
Mikhail Gamandiy-Egorov
© Sputnik.
Mikhail Klimentyev
Jeudi 14 septembre 2017
Source:
Sputnik Dans la suite de
notre entretien avec Edouard Bizimana,
l’ambassadeur du Burundi en Russie
évoque la situation de son pays, et plus
largement des pays africains, sur
l’échiquier mondial. Pour Edouard
Bizimana, le constat est clair: le
développement de l’Afrique passe par la
multipolarité.
Sputnik: On
a l'impression que depuis l'échec de la
tentative de faire tomber le
gouvernement légitime de Syrie, les
gouvernements de plusieurs pays
occidentaux souhaitent malgré tout
poursuivre dans la voie de la
déstabilisation d'autres nations. Le
Venezuela a été récemment visé. Mais
vraisemblablement le Burundi l'est
également. Qu'en pensez-vous?
Edouard
Bizimana: J'ai l'impression qu'il y
a des pays occidentaux qui veulent se
(re) construire sur les décombres des
autres. Il est devenu clair que tous les
prétextes sont bons pour ces pays pour
faire tomber tel ou tel régime afin de
mettre la main sur les richesses du
pays. Les conséquences des guerres
provoquées ne les émeuvent pas, car ce
qui importe pour eux ce sont ces
richesses.
Quand on voit
actuellement les milliers d'Africains
mourir en Méditerranée, des milliers et
des milliers de Syriens, d'Irakiens et
d'Afghans prendre le chemin de l'exil et
l'hypocrisie de certains pays
occidentaux prétendant vouloir aider ces
réfugiés, alors que ce sont ces mêmes
pays qui sont à l'origine du chaos dans
les pays d'origine des réfugiés, je me
demande pourquoi le monde ne se lève pas
pour dire non.
Je salue ici le
courage de la Fédération de Russie qui a
eu le courage de se dresser contre ce
comportement voyou de certains pays
occidentaux, qui créent de l'instabilité
et du chaos dans le monde. N'eût été
l'intervention de la Russie, la Syrie
serait déjà tombée aux mains des
terroristes. C'est cette agressivité et
l'ingérence illimitée dans les affaires
intérieures des États qui poussent
certains d'entre eux à se lancer dans
une course aux armements pour se
protéger contre cet impérialisme d'un
autre âge. Le cas de la Corée du Nord
est là pour rappeler la triste réalité.
Ce qui se passe au
Venezuela est loin d'être une affaire
interne, comme certains aiment le
répéter pour distraire l'opinion. La
volonté de certaines puissances
occidentales de changer le régime en
place au Venezuela n'est qu'un secret de
Polichinelle caché dans un tiroir. Le
Burundi en a fait l'expérience et ce
sont toujours les pyromanes qui se
transforment en sapeurs-pompiers sous la
casquette de bienfaiteurs, de défenseurs
des droits de l'homme et de donneurs de
leçons.
Sputnik:
Depuis votre nomination au poste
d'ambassadeur en Russie (après avoir
occupé ce poste en Allemagne),
on observe une dynamisation des
relations russo-burundaises, et ce dans
différents domaines: commerce,
investissements, formation des cadres,
Défense, entre autres. On a suivi la
participation de plusieurs hauts cadres
burundais à différents grands événements
tenus en Russie. Peut-on aujourd'hui
parler d'une alliance de votre pays avec
la Russie? Ou est-ce encore en cours
d'élaboration?
Edouard
Bizimana: Depuis un certain temps,
les relations entre
le Burundi et la Fédération de
Russie connaissent un élan
extraordinaire, même si elles ont été
toujours très bonnes. Depuis mon arrivée
à Moscou, j'ai bénéficié d'un soutien
accru des autorités russes et cela m'a
permis d'entamer de nouveaux chantiers.
Des efforts particuliers sont en train
d'être faits pour rendre plus dynamiques
les relations économiques entre le
Burundi et la Fédération de Russie. La
coopération avec les régions est un
autre aspect qui bénéficie de beaucoup
d'attention. En outre, la promotion des
relations culturelles entre nos deux
pays reste l'une de mes priorités.
Le nombre d'accords
de partenariat ou de coopération déjà
signés en l'espace d'une année, les
visites de haut niveau qui ont eu lieu
et à venir, le nombre de sociétés et
d'investisseurs russes qui ont déjà
commencé leurs activités au Burundi
montrent bien qu'il y a un nouveau
chapitre des relations russo-burundaises
qui s'ouvre. Il faut noter que tout cela
est rendu possible par une convergence
d'intérêts, de valeurs et de vision du
monde entre le Burundi et la Fédération
de Russie sur pas mal de questions de
portée internationale. Il y a donc une
relation stratégique gagnant-gagnant qui
se construit entre les deux pays et qui
ne serait possible que grâce à cette
convergence.
Sputnik: Le
Burundi, bien qu'étant un petit pays, a
vraisemblablement misé sur la défense de
sa souveraineté jusqu'au bout et le
soutien au système multipolaire du
monde. Aujourd'hui, d'autres pays
africains se trouvent face à un choix:
garder le système existant de domination
par des puissances étrangères
(occidentales) ou prendre une autre
voie. On voit aussi qu'au niveau de la
société civile de plusieurs pays
africains, la mobilisation pour
justement choisir cette autre voie se
renforce de jour en jour. On a notamment
suivi récemment les manifestations au
Mali contre la présence militaire
française et pour une alliance avec la
Russie. Que vous inspirent ces processus
et quel est votre pronostic pour la
suite?
Edouard
Bizimana: Eu égard au principe de
l'égalité juridique des États, il n'y a
pas de petits ou de grands États. On
pourrait néanmoins dire qu'il y a des
États de dimensions géographiques
réduites, le Burundi en fait partie.
C'est, à mon avis, cette nuance que
beaucoup ne parviennent pas encore à
comprendre et la conséquence de cela est
l'unilatéralisme observé dans la
conduite des affaires du monde. Le
Burundi a déjà compris cela et fait
valoir le statut que lui confère le fait
d'être membre à part entière de la
communauté internationale en tant
qu'État souverain. Il n'y a donc
personne, aucun État aussi puissant
soit-il, ne peut et ne doit imposer aux
autres la marche du monde. Certains
États tentent de le faire en bafouant le
droit international qui doit régir les
relations entre acteurs de la scène
internationale et le résultat, on le
voit: le chaos partout, Syrie, Irak,
Afghanistan, Libye, Yémen, terrorisme,
guerres, déplacements forcés des
populations, catastrophes humanitaires,
etc.
Constatons que
certains pays, africains surtout, se
trouvent face à un dilemme: suivre la
marche du monde, qui tend plus vers la
multipolarité, ou garder le statu quo
sous peine de se voir détruits par les
puissances occidentales qui les
exploitent sans scrupule et les gardent
dans un état de dépendance permanent.
Évidemment, toute tentative
d'émancipation est punie de la peine
capitale: le cas de Gbagbo, de Kadhafi,
de Sankara, etc. sont plus qu'éloquents.
L'Afrique de
l'Ouest et centrale, confrontées à une
exploitation de la France avec le franc
CFA donnent à réfléchir. Toute tentative
d'émancipation monétaire de ces pays
donne lieu à des représailles sans
merci, car la France ne pourrait pas
vivre sans les ressources que lui
versent ces pays. La plupart de ces pays
sont devenus incapables de défendre leur
territoire national et c'est la France
qui doit assurer leur protection.
La plupart de ces pays sont exposés aux
attentats terroristes et à des
mouvements d'humeurs pouvant balayer un
régime en quelques jours: Côte d'Ivoire,
Burkina Faso, Mali, Niger, Cameroun,
etc. La prolifération, sous forme de
génération spontanée, de groupes
terroristes et de groupes rebelles dans
certains pays africains ne serait pas
étrangère à la volonté de certaines
puissances occidentales de maintenir des
pays sous leur domination pour alimenter
leurs économies. L'accès aux ressources
stratégiques comme l'uranium (Niger et
Mali) et l'or (Mali) serait à l'origine
de la situation délétère qui s'observe
en Afrique occidentale et centrale. Pour
arriver à une telle situation, il a
fallu détruire la Libye de Kadhafi et
lâcher dans la nature des milliers et
des milliers d'armes.
Il est donc temps
pour ces pays de briser les chaînes du
colonialisme, peu importe le prix à
payer. Cela demandera des sacrifices et
un engagement sans faille comme au temps
des luttes pour l'indépendance. Le
Burundi a déjà compris cela et sa lutte
s'inscrit dans cette logique
d'émancipation de l'exploitation
occidentale pour jouir pleinement de ses
ressources, de décider seul de ses choix
politiques, économiques et sociaux, qui
tiennent compte des besoins de la
population burundais.
Il est intéressant
de voir comment la société civile dans
certains pays, comme le Mali, le
Sénégal, commence à se rendre à
l'évidence de cette nouvelle forme de
colonialisme pour exiger des changements
profonds. On a vu de jeunes Maliens et
Sénégalais se lever pour dire non au
franc CFA, pour manifester contre la
présence des troupes françaises, etc. ce
qui constitue un signe de ras-le-bol. Il
est probable que les Maliens ont vu les
images, largement partagées par les
réseaux sociaux, de soldats français en
train de creuser le sol pour extraire de
l'or alors qu'ils sont supposés être en
train de lutter contre les terroristes.
© 2017 Sputnik
Tous droits réservés.
Publié le 15 septembre 2017 avec l'aimable autorisation de l'auteur.
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