Sputnik
La crise du Qatar et ses enjeux
régionaux
Mikhail Gamandiy-Egorov
© REUTERS/
Naseem Zeitoo
Jeudi 15 juin 2017
Source:
Sputnik
Les meilleurs amis d’hier deviennent du
jour au lendemain des ennemis. Les
principaux sponsors de plusieurs groupes
terroristes et grands amis des
Etats-Unis s’accusent mutuellement. Que
se passe-t-il vraiment entre le Qatar et
l’Arabie saoudite ?
La dispute
saoudo-qatarie n'en finit pas de faire
du bruit. En effet, les principaux
donateurs financiers de plusieurs
groupes terroristes, opérant notamment
en Syrie, et satellites déclarés de la
politique étasunienne au Moyen-Orient,
en sont arrivés à une crise sans
précédent, allant jusqu'à la rupture
diplomatique et à un blocus commercial.
Pour beaucoup,
l'effet de surprise fut effectivement
grand à l'annonce de l'Arabie saoudite
et de plusieurs autres pays arabes de
rompre les liens diplomatiques avec
Doha, l'accusant d'être un soutien du
terrorisme et de participer à des
déstabilisations diverses. Ainsi, le 5
juin dernier, l'Arabie saoudite, les
Emirats arabes unis, le Bahreïn et
l'Egypte ont annoncé la rupture des
relations diplomatiques avec le Qatar.
Ils seront rapidement rejoints par une
partie de la Libye (gouvernement d'al-Beïda
contrôlant l'est du pays) et une partie
du Yémen (gouvernement de Hadi
contrôlant une partie du centre et l'est
du pays). Ce ne sera pas tout: les
Maldives, la Mauritanie, les Comores ont
eux aussi annoncédans la foulée la
rupture de leurs relations avec Doha. Le
Djibouti et la Jordanie ont abaissé le
niveau des relations diplomatiques,
tandis que le Sénégal, le Niger et le
Tchad ont rappelé leurs ambassadeurs.
Ce faisant,
on parle d'une des plus sérieuses crises
dans le monde musulman sunnite. Tout en
sachant qu'il est très difficile de
considérer les Saoudiens comme membres
du clergé sunnite, étant wahhabites.
Mais ceci est une autre histoire. En
outre, la crise entre le clan wahhabite
(saoudien) et les Frères musulmans
(qatari) est également mentionnée comme
l'une des raisons à cette dispute.
Parallèlement à ces événements, la
Turquie, considérée à juste titre comme
l'une des principales puissances du
monde musulman sunnite, prend fait et
cause pour le Qatar en critiquant
ouvertement la ligne menée par les
initiateurs de la crise à l'égard de
Doha. En outre, la Turquie assure
désormais d'importantes livraisons
alimentaires à l'émirat qui fait face au
blocus des livraisons décidé par Riyad
et Abu Dhabi. L'Iran, grande puissance
régionale et leader admis du monde
musulman chiite, a profité lui aussi de
la détérioration « fraternelle »
saoudo-qatarie pour offrir son soutien
au Qatar, à travers des livraisons
alimentaires.
En parlant
justement de l'Iran, considéré comme
l'une des causes des manœuvres punitives
des Saoudiens en direction des Qataris
(ces derniers étant accusés de
privilégier un rapprochement avec la
République islamique), il en sort
évidement gagnant et renforcé. Rappelons
à ce titre toutes les tentatives, le
plus souvent vaines, de Riyad d'isoler
Téhéran au sein du monde musulman. Pour
autant, non seulement ces tentatives
n'ont pas apporté au leadership saoudien
(et bien sûr américain) le résultat
escompté, mais au contraire le rôle
prédominant de l'Iran ne cesse
d'augmenter dans les affaires
régionales, que ce soit en Syrie, au
Yémen ou dans le cadre du processus
d'Astana (en coordination avec la Russie
et la Turquie). De plus, cette main
tendue de Téhéran envers Doha a
sérieusement renforcé les sentiments
pro-iraniens à l'intérieur même du
Qatar.
Du côté de la
Russie, la position est plus nuancée.
Moscou n'ayant pas pris fait et cause
pour l'un des deux groupes de
belligérants, en appelant uniquement au
dialogue et en maintenant le contact
avec toutes les parties du « conflit ».
En ce sens, le chef de la diplomatie
qatarie s'est même rendu en visite à
Moscou il y a quelques jours. La
position russe diffère en ce sens
considérablement des Etats-Unis, qui
vraisemblablement ont donné le feu vert
à Riyad pour ses actions anti-qataries,
tout en se gardant de prendre des
mesures radicales vis-à-vis de Doha —
sachant que la plus grande base US du
Moyen-Orient se trouve précisément au
Qatar.
Dans ce casse-tête
évident pour certains, le tableau est
grosso modo le suivant. La Turquie
confirme qu'elle souhaite jouer sa
propre politique, tout en étant un
membre clé de l'OTAN (et donc « allié »
des USA). L'Iran renforce ses cartes sur
la scène régionale en donnant un
camouflet supplémentaire à l'Arabie
saoudite, et en jouant sur les
dissensions entre les alliés d'hier.
Enfin, la Russie se positionne
clairement comme un médiateur
d'envergure globale, confortant ainsi sa
position retrouvée en tant que l'une des
principales puissances mondiales, dont
la politique ne cesse de monter en
popularité dans pratiquement tout le
monde musulman. Le Moyen-Orient n'étant
pas une exception, tout au contraire.
Quant aux
accusations lancées par les pays arabes
déjà cités en direction du Qatar, qu'y
a-t-il de nouveau par rapport à ce que
l'on disait déjà ces derniers mois et
années? Rien. Oui, le Qatar faisait
jusqu'à maintenant partie des principaux
sponsors des terroristes à divers
endroits, en premier lieu en Syrie. Nous
l'avons dit et répété. Mais les
Saoudiens sont-ils bien placés pour
accuser leurs cousins de terrorisme,
sachant qu'ils font clairement partie de
la catégorie « supérieure » des sponsors
du terrorisme, notamment sur le
territoire syrien? C'est évidemment
l'hôpital qui se fout de la charité.
D'ailleurs, l'un des rares pays de cette
« coalition » anti-qatarie qui a une
réelle légitimité à accuser Doha de
soutien au terrorisme, c'est bel et bien
l'Egypte, clairement visé par le danger
takfiriste, notamment sa minorité
chrétienne. Et compte tenu des relations
positives entre les leaderships russe et
égyptien, et une approche beaucoup plus
responsable envers le conflit syrien de
la part du Caire, il est clair que la
Russie n'a pas vraiment intérêt à
prendre position en faveur du Qatar.
Parallèlement à cela, il est également
clair qu'il n'y a absolument aucune
raison de prendre position en faveur de
l'Etat wahhabite — l'un des principaux
satellites étasuniens, l'un des
principaux sponsors des groupes
terroristes en Syrie, fermement opposé à
Assad et à l'Iran (alliés de la Russie).
Ce qui signifie une
chose relativement simple. La Russie va
devoir poursuivre ses efforts
diplomatiques et ses manœuvres afin de
maintenir un équilibre dans cette
équation (ce que la Russie sait bien
faire), tout en pensant évidemment à ses
intérêts nationaux, et à ceux de ses
alliés. Tout dépendra maintenant aussi
de la nouvelle approche qatarie (si elle
a lieu). Notamment en direction de la
Syrie. Si Doha cesse son soutien massif
aux groupes djihadistes en Syrie, ce
sera indéniablement un pas fortement
positif, en premier lieu pour la Syrie
elle-même. Et si cela devait arriver,
on pourrait alors entrevoir un
rapprochement. D'autre part, le fait que
l'Iran renforce ses positions sur la
scène régionale ne peut qu'être salué, y
compris dans ce dossier. C'est
d'ailleurs l'une des raisons de
l'inquiétude qui règne à Riyad, Abu
Dhabi et évidemment Washington. A ce
titre, le leadership saoudien commence
déjà à atténuer sa rhétorique
anti-qatarie en parlant même de
l'éventualité de lever le blocus. Les
cousins feront-ils alors la « paix »
sous la pression de Washington? Ou la
crise montera-t-elle d'un cran? Il
conviendra de suivre la situation. Une
chose est néanmoins certaine: cette
dissension saoudo-qatarie renforce l'axe
de la résistance. Et last but not least,
l'une des raisons principales de cette
dispute Riyad-Doha est évidemment à
rechercher dans les victoires de l'armée
gouvernementale syrienne et de ses
alliés sur le théâtre syrien. Et quand
on a déversé des sommes colossales pour
réaliser un scénario écrit (faire tomber
Assad) et qu'il tombe à l'eau, il arrive
souvent que des accusations réciproques
entredéchirent une « famille ». Surtout
que le grand maître, j'ai nommé les
Etats-Unis, est loin d'être ravi de la
situation lui aussi. A suivre donc…
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Publié le 17 juin 2017 avec l'aimable autorisation de l'auteur.
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