Sputnik
Exclusif : Crimes contre l’humanité au
Burundi ? L'ambassadeur démonte le
rapport de l’Onu
Mikhail Gamandiy-Egorov
CC BY 2.0
/
UNIDO
/
2014-DG
with Ambassador Edouard Bizimana,
Permanent
Representative of Burundi to UNIDO
Mercredi 13 septembre 2017
Source:
Sputnik
La Commission d’enquête des Nations
unies sur le Burundi a publié un rapport
qui demande à la Cour pénale
internationale (CPI) d’enquêter «sans
délai» sur les «possibles crimes contre
l’humanité» dans ce pays d’Afrique de
l’Est. Dans un entretien exclusif
accordé à Sputnik, Edouard Bizimana,
ambassadeur du Burundi en Russie,
réagit.
Sputnik: M. l'ambassadeur, quelle
est votre réaction à la lecture du
rapport de la Commission d'enquête des
Nations unies sur le
Burundi?
Edouard Bizimana:
D'emblée, je dirais que ce n'est pas un
rapport, car le document souffre de
beaucoup de lacunes, tant au niveau du
contenu qu'au niveau de la méthodologie
utilisée. C'est un document rempli de
contrevérités et de contradictions. Il
est étonnant de lire des affirmations
comme quoi il existe des attaques
«généralisées et systématiques contre la
population civile», comme pour dire que
le Burundi brûlerait.
Ce n'est pas le cas
actuellement, mais on comprend bien ces
affirmations gratuites d'une part parce
que ces «experts» n'ont pas mis les
pieds sur le territoire burundais et
d'autre part parce qu'ils veulent se
venger contre les autorités burundaises,
qui leur ont refusé l'accès au
territoire. Vengeance aussi de la
Cour pénale internationale et des
autres puissances occidentales, qui
cherchent à utiliser cette cour pour
atteindre leurs objectifs. En effet, le
Burundi reste le seul pays qui a
confirmé son retrait du Statut de Rome
et cela constitue un précédent très
préjudiciable à la Cour et aux
puissances occidentales qui la financent
et l'utilisent.
Un document truffé
de contradictions: le point 40 du
rapport parle du fait que les «experts
n'ont pas visité le Burundi», mais
affirment qu'ils ont trouvé des
détentions arbitraires. Le point 97 est
contredit par le point 108: au moment où
la commission semble ignorer totalement
le principe de complémentarité, elle
recommande aux
Nations unies de fournir une
assistance technique aux autorités
burundaises afin de mener des enquêtes
crédibles et indépendantes.
Les points 86 et 99
se contredisent: dans ces points, la
commission demande aux autorités
burundaises d'enquêter sur les
violations des droits de l'homme et au
même moment, elle demande à la Cour
pénale internationale d'ouvrir une
enquête dans les plus brefs délais sur
les crimes commis au Burundi.
La commission
affirme avoir recueilli des informations
sur des attaques ciblées des groupes
armés contre des postes de police et de
l'armée (point 28) et sur des attaques
d'envergures en juillet 2015 et décembre
2015, mais la commission n'a pas été en
mesure de recueillir des informations
sur des attaques contre les civils par
les groupes organisés et se justifie en
évoquant le fait qu'elle n'a pas été
autorisée à se rendre au Burundi: il
faut dire que de tels arguments prouvent
à suffisance que la commission n'est pas
auteur du «rapport». Elle est là pour
condamner une partie et blanchir l'autre
et ça, ne devrait pas être la mission
d'une commission. Les groupes qui ont
attaqué le Burundi n'étaient pas sans
armes et ont fait des victimes. Les
grenades lancées dans les bars, dans les
marchés, dans les lieux publics, des
personnes brûlées vives sont l'œuvre de
ces groupes. Comment alors la commission
a-t-elle pu avoir des informations sur
une partie sans se rendre sur le terrain
et ne pas en avoir sur l'autre partie?
Au moment où la
commission affirme que «dans certains
cas, des agents de police auraient agi à
la suite d'actes de violence de
manifestants ayant entraîné la mort de
policiers et de membres du parti au
pouvoir» (point 29), elle ne trouve pas
opportun de documenter ces crimes (que
la commission qualifie d'actes de
violence) et se contente seulement de
condamner les forces de l'ordre et de
sécurité, qui apparemment n'ont même pas
le droit de se défendre quand elles sont
attaquées.
Les points 31 et 36
démontrent bien le côté penchant et la
volonté de la commission de diviser les
Burundais: au point 31, la commission
attribue avec certitude l'assassinat
d‘un officier supérieur aux services de
l'État pour semer la division au sein
des forces de défense, mais quand il
s'agit des crimes qui ont visé les
membres du gouvernement ou des personnes
supposées être «proches du pouvoir», la
commission reste dubitative (point 36).
Enfin, le «rapport»
souffre d'une globalisation qui cache
mal une volonté de la commission de
nuire au peuple burundais (point 44). La
commission parle toujours dans la
globalité quand elle parle des
imbonerakure, des membres du service de
renseignement, de magistrats et des
policiers. Elle ne parvient pas à coller
des noms sur des actes alors que l'on
sait que plusieurs policiers
responsables d'actes répréhensibles par
la loi ont été emprisonnés et même
radiés de la police.
Bref, le rapport
n'a aucune crédibilité et semble avoir
été rédigé par l'opposition et non par
des experts. La commission s'efforce de
couvrir les crimes commis par
l'opposition et les groupes armés tout
en condamnant d'avance le gouvernement
burundais et ses services, ce qui
justifie son appel lancé à la CPI
d'ouvrir une enquête sur le Burundi.
Sputnik: Que
compte entreprendre le gouvernement de
votre pays pour répondre aux accusations
émises par les rapporteurs onusiens?
Edouard Bizimana:
L'opinion et les Nations unies doivent
savoir que la protection des droits de
l'homme reste une priorité du
gouvernement du Burundi. C'est pour cela
que les personnes qui se sont rendues
coupables d'une quelconque violation de
ces droits ont été traduites devant la
justice. J'ai évoqué des cas d'agents
des forces de défense et de sécurité et
d'autres citoyens qui sont aux mains de
la justice.
Le gouvernement du
Burundi reste disposé à œuvrer dans le
sens de protéger davantage les droits de
l'homme, de collaborer avec les Nations
unies et ses agences, mais dans le
strict respect de la loi et de la
souveraineté du Burundi. Le Burundi
n'est pas un État voyou, mais un État
respectueux des droits de l'homme et du
droit international. Dans ce sens, il a
des droits et des obligations en tant
qu'État souverain et son engagement dans
la lutte contre le terrorisme s'inscrit
dans cette perspective.
En termes de
collaboration, le procureur Fatou
Bensouda a demandé au gouvernement
burundais des informations dans le cadre
de l'examen préliminaire ouvert par la
CPI. Le gouvernement burundais lui a
transmis, le 1er juin 2017, toutes les
informations demandées. Et comme l'a
clairement exprimé le procureur général
de la République du Burundi, l'ouverture
d'une enquête sur le Burundi dans les
conditions actuelles par la CPI
violerait le principe de la
complémentarité, un principe fondateur
du Statut de Rome. Le Gouvernement du
Burundi a manifesté sa volonté de
documenter les crimes commis, de
poursuivre leurs auteurs et de les
juger.
Le 31 août 2017,
l'assemblée nationale a adopté à
l'unanimité la résolution portant
création d'une commission spéciale de
vérification du contenu du rapport de la
commission d'enquête sur le Burundi mis
en place par le conseil des Droits de
l'homme des Nations unies. Tous ces
efforts montrent bien que les
institutions burundaises prennent la
question des droits de l'homme très au
sérieux et sont prêtes à collaborer avec
les Nations unies, mais dans le strict
respect de la souveraineté nationale,
c'est-à-dire, sans pression, sans menace
et sans intimidation de qui que ce soit.
Toute action qui serait entreprise sans
concertation n'aura pas d'effet, car le
peuple burundais n'est pas prêt à
renoncer à sa dignité et à sa
souveraineté.
Sputnik: Le
Burundi ne reconnaît de facto plus,
depuis l'annonce faite en octobre 2016
sur le retrait de la CPI, l'autorité de
cette instance. De ce fait, que peut
entreprendre cet organisme à l'encontre
du Burundi? Et quelles seraient les
mesures de rétorsion éventuelles de
votre part?
Edouard Bizimana:
Le Burundi n'est plus membre de la CPI
depuis octobre 2016 et toute action que
la Cour engagera contre le Burundi en
dehors des règles qui régissent le droit
international sera sans effet.
Sous pression de
certaines puissances occidentales, qui
financent la Cour et qui veulent
provoquer le chaos au Burundi et dans la
région, comme cela a été le cas en
Libye, la CPI peut se lancer dans une
aventure contre le Burundi. Mais cette
aventure aura des conséquences fâcheuses
sur ce qui reste de sa crédibilité. Le
Burundi étant le seul pays qui a
confirmé son retrait du Statut de Rome,
la Cour pourrait se sentir humiliée par
cette décision et pourrait être poussée
à se venger contre les autorités
burundaises en ouvrant une enquête
contre le Burundi.
La Cour pourrait
aussi, en complicité avec certains
leaders de la société burundaise,
ceux-là mêmes qui ont poussé les gens
dans la rue dans des manifestations
violentes, ainsi que certains membres de
l'opposition, fabriquer des rapports
farfelus contre le Burundi. Mais tout
cela ne ferait que décrédibiliser la
Cour.
Je ne parlerais pas
de mesure de rétorsion, car le Burundi
ne cherche de confrontation avec
personne. Le Burundi défendra sa
souveraineté et sa dignité dans le
strict respect du droit international et
de ses engagements internationaux.
© 2017 Sputnik
Tous droits réservés.
Publié le 14 septembre 2017 avec l'aimable autorisation de l'auteur.
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