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Iran vs Arabie saoudite : les Saoud en
difficultés
Mikhail Gamandiy-Egorov

© AP
Photo/ Hasan Jamali
Lundi 11 janvier 2016
Source:
Sputnik
Le monde observe avec
attention les tensions actuelles entre
la République islamique d’Iran et le
royaume wahhabite saoudien. Avec
attention car tout est ce qui est
géopolitiquement trait au Moyen-Orient
ne peut pas manquer d’intérêt,
connaissant les intérêts stratégiques
énormes dans cette région, et pas
seulement des puissances régionales.
D'autre part, tous
ceux qui connaissent les forces en
présence et les intérêts défendus par
les uns et les autres savent
parfaitement que les tensions
irano-saoudiennes ont commencé bien
avant. Aujourd'hui, ces tensions ne font
qu'arriver à un nouveau point culminant.
Les tentatives des
deux pays de renforcer leur influence
régionale ne datent effectivement pas
d'hier. Déjà en pleine guerre froide et
après la Révolution islamique iranienne,
l'Iran d'un côté et l'Arabie saoudite
(l'un des principaux alliés officiels
des USA dans la région et semi-officiel
d'Israël par la même occasion) de
l'autre, avaient des visions
radicalement différentes pour l'avenir
aussi bien régional, et même global.
Maintenant pour
revenir aux tensions actuelles. Des
tensions montées en flèche après
l'exécution par Riyad d'un haut
dignitaire chiite saoudien, Nimr Baqr
al-Nimr, exaspérant déjà des relations
très conflictuelles, y compris en raison
d'une approche totalement différente
dans le conflit syrien: Téhéran
soutenant avec Moscou et Pékin le
gouvernement légitime de Damas. Riyad et
Doha soutenant ouvertement des groupes
terroristes salafistes, opérant en
Syrie, ainsi qu'en Irak.
Ce qu'il faut
retenir, c'est que l'Arabie saoudite
joue effectivement avec le feu en
poussant Téhéran au conflit, pour le
moment indirect. Il faudrait donc faire
mention des raisons qui font que
l'Arabie saoudite aurait tout à perdre
si elle continuait à exacerber les
tensions avec l'Iran.
Tout d'abord, sur
le plan militaire. Bien que le budget
alloué à la Défense soit
considérablement supérieur côté saoudien
(dans le TOP 5 du classement des pays
pour les dépenses militaires et plus de
10% du PIB alloué à la Défense), de
l'avis de nombreux spécialistes du
domaine (russes comme occidentaux), en
cas d'une confrontation hypothétique
directe, le royaume wahhabite aurait
bien peu de chances face à la nation
perse. Une des raisons à cela,
efficacité complètement différente côté
iranien et saoudien. Si les forces
armées iraniennes sont effectivement
considérées comme étant parmi les
meilleures dans la région (de l'avis
même des Israéliens et Etasuniens),
l'Arabie saoudite malgré ses appétits,
est surtout associée à être le pays sous
protection militaire US. Plus encore,
les troupes d'élite iraniennes présentes
en Syrie et luttant aux côtés de l'armée
syrienne et du mouvement chiite libanais
Hezbollah contre les groupes terroristes
salafistes, ont prouvé cette efficacité
en résistant jusqu'à aujourd'hui, malgré
les énormes moyens déversés par
l'Occident et les pays du Golfe (dont
bien sûr l'Arabie saoudite) dans le
but de faire tomber le président Bachar
al-Assad. Depuis l'intervention de
l'aviation militaire russe, une
efficacité devenue encore plus évidente.
Côte saoudien,
l'intervention directe des forces armées
saoudiennes au Yémen, dans le but de
stopper les rebelles chiites Houthis,
n'a pratiquement rien donné
stratégiquement parlant, si ce n'est
d'énormes pertes civiles au sein de la
population yéménite, des pertes
d'ailleurs reconnues par maintes
organisations humanitaires, mais assez
peu mentionnées par les médias du
mainstream. Plus encore, les Houthis ne
semblent pas prêts à reculer même face
aux bombardements massifs saoudiens et
émiratis. Comme quoi, bien que l'Arabie
saoudite soit « championne » pour couper
les têtes (plus même que Daech selon les
statistiques), côté guerre réelle, elle
est encore loin des capacités de l'Iran.
D'autre part et cela est également
l'avis de nombreux experts, les USA,
principal allié des Saoud, semblent de
moins en moins intéressés (en tout cas
pour le moment) à suivre l'Arabie
saoudite dans ses ambitions militaires
et à chercher de nouvelles tensions avec
l'Iran.
Deuxième point
important: la communauté chiite
saoudienne qui constitue entre 10 et 15%
de la population du pays. Une communauté
qui se radicalise au vu aussi bien de
l'exécution de l'éminent dignitaire
chiite, qui était d'ailleurs fort
populaire chez les jeunes, que de la
politique saoudienne envers les
minorités religieuses en général. Sans
oublier que le Bahreïn voisin, autre
monarchie pétrolière, dirigé par un
certain Hamed ben Issa al-Khalifa
(pro-saoudien et sunnite) mais avec une
population à près de ¾ chiite, fait déjà
face à des heurts violents, à l'instar
de ce que s'est déjà passé en 2011,
lorsque la majorité chiite est largement
descendue dans la rue pour manifester
contre la discrimination subie. A
l'époque, c'est justement l'armée
saoudienne qui a dû intervenir pour
sauver son allié bahreïni de la colère
de son propre peuple. Des manifestations
d'ailleurs aussi auxquelles les médias
occidentaux avaient accordé beaucoup
moins d'attention qu'à ceux en Syrie,
notamment sur la violence utilisée par
les forces bahreïnis et saoudiennes pour
mater la révolte, on comprend pourquoi.
Passons. En tout cas, la colère de la
population chiite dans les
pétromonarchies golfistes peut se faire
sérieusement sentir à tout moment.
Autre point tout
aussi important, voire plus encore.
C'est la solidarité observée par nombre
de musulmans sunnites à l'égard de
l'Iran et de vives critiques exprimées
quant à la politique saoudienne. En
effet, dans les pays à majorité sunnite,
notamment d'Afrique du Nord et plus
précisément du Maghreb, si l'on y
analyse l'opinion publique, on voit
clairement que les sympathies sont loin
d'être côté saoudien. Surtout que les
officiels iraniens, tout comme
d'ailleurs le leader du Hezbollah
libanais, ont su trouver les bons mots
pour éviter d'attiser un conflit
chiite/sunnite, en se limitant d'accuser
l'Arabie saoudite et directement les
Saoud pour leurs crimes. C'est peut-être
d'ailleurs la raison pour laquelle les
Saoud font actuellement un grand travail
de lobbying et de pression au sein des
pays majoritairement sunnites pour les
pousser à critiquer officiellement
l'Iran, voire à suspendre les relations
diplomatiques, comme l'ont déjà fait
certains pays. Il est vrai que le
royaume wahhabite a encore les moyens
financiers pour renforcer la «
solidarité » émanant des dirigeants de
certains pays musulmans à coups de
dollars, mais côté peuples, la situation
est toute autre. Plus encore, un pays
comme les Emirats arabes unis, l'un des
principaux alliés de l'Arabie saoudite,
malgré les « condamnations » exprimées à
l'encontre de l'Iran après l'attaque de
l'ambassade saoudienne dans la capitale
iranienne, n'est tout de même pas allé à
couper les liens diplomatiques, se
limitant simplement à une réduction du
personnel des ambassades.
Dernier point.
Compte tenu de la baisse plus que
sérieuse des prix du pétrole, l'Arabie
saoudite n'aura probablement bientôt
plus les moyens de ses ambitions.
Beaucoup de dépenses budgétaires sont à
ce titre réduites dans le royaume en ce
moment même. Bien sûr, l'Iran qui est
lui aussi un important pays pétrolier,
n'est pas épargné par cette chute des
prix. Loin de là. La seule différence
est que l'Iran approche la fin des
sanctions décrétées à son encontre
précédemment, en raison de son programme
nucléaire. Avec la fin de ces sanctions,
l'Iran espère attirer de nombreux
investissements, venant d'un peu
partout. Au vu de cette situation, les
alliés de l'Iran comme la Russie et la
Chine renforcent déjà leurs positions
sur le marché iranien. Un marché pour
rappel de plus de 80 millions de
personnes. Tout cela donnera à l'Iran
beaucoup plus de poids non seulement sur
le marché pétrolier mondial, mais en
général dans différentes sphères
économiques. L'Arabie saoudite ferait
donc bien mieux de se tenir à carreau,
au lieu de chercher une confrontation
sérieuse avec l'Iran. Une confrontation
que le second a beaucoup plus de chances
de remporter.
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Tous droits réservés.
Publié le 13 janvier 2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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