Middle East Eye
« Ils font de notre vie un cauchemar
» :
les Palestiniens confrontés à la
violence des colons
Yumna Patel
Des colons armés de
la colonie juive extrémiste de Yitzhar
se tiennent sur une falaise
surplombant
un village palestinien (AFP)
Lundi 26 mars 2018
Pour des milliers
de Palestiniens vivant à proximité de
colonies en Cisjordanie occupée, il ne
se passe pas une semaine sans attaque de
colons. Des attaques souvent
meurtrières, de plus en plus fréquentes,
et commises en toute impunité
URIF,
Cisjordanie occupée – Dans le nord
vallonné de la Cisjordanie, sur les
collines entourant la ville
palestinienne de Naplouse et une
douzaine de plus petits villages, se
dresse une ceinture de colonies
israéliennes notoirement violentes,
semblables à des tours de guet.
La plus tristement
célèbre de ces colonies, qui ont toutes
été construites en violation du droit
international, est celle de Yitzhar qui,
avec ses avant-postes contigus, abrite
plus de 200 militants israéliens.
Pour les
Palestiniens vivant dans les six
villages de la vallée située en
contrebas de Yitzhar, plusieurs attaques
de colons se produisent chaque mois. Et
au cours des dernières semaines, les
colons ont intensifié leur offensive
contre les villages, faisant subir à la
population des attaques quasi
quotidiennes.
Selon des
activistes et des habitants de ces
villages qui se sont entretenus avec
Middle East Eye, les attaques, et
les événements qui s’ensuivent, se
déroulent presque toujours de la même
manière : des colons font irruption dans
un village, des jeunes palestiniens
tentent de les repousser vers les
collines et des soldats israéliens
arrivent pour protéger les colons et
réprimer les Palestiniens avec des gaz
lacrymogènes, des grenades
assourdissantes et des tirs à balles
réelles.
Ce schéma bien
documenté a atteint son paroxysme le
samedi 10 mars, lorsqu’Omeir Shahada,
19 ans, a été tué par des soldats
israéliens au cours d’un de ces raids de
colons dans le village d’Urif, où un
groupe de maisons palestiniennes se
trouve à seulement 200 mètres de
Yitzhar.
« Nous risquons
toujours de mourir »
Juste avant le
coucher du soleil, un groupe d’une
trentaine de colons est descendu dans la
périphérie d’Urif et a commencé à
attaquer les habitants et leurs maisons
avec des pierres, selon plusieurs
témoins.
Shahada et ses
amis, qui, comme lui, travaillent dans
la construction dans le village, ont été
informés des attaques et ont pris la
route vers le sommet de la colline avec
plusieurs autres jeunes du village.
Comme d’habitude,
des affrontements ont éclaté entre les
colons et les jeunes qui tentaient de
les repousser et en l’espace de quelques
minutes, les forces armées israéliennes
sont arrivées dans le secteur.
Ahmad Sabah,
21 ans, l’un des meilleurs amis de
Shahada, était sur les lieux avec lui ce
jour-là.
Ahmad Sabah, 21
ans, montre l’endroit où son meilleur
ami, Omeir Shahada,
a été tué après que
des colons de
Yitzhar (en arrière-plan)
ont attaqué le village d’Urif (MEE/Akram
al-Wara)
« Quand les soldats
sont arrivés, ils ont couvert les
colons, comme ils le font
habituellement », a-t-il raconté à
MEE en marchant là où Shahada a été
tué, avant d’ajouter que les soldats
lançaient depuis le début des gaz
lacrymogènes et des grenades
assourdissantes en direction des jeunes.
« Il ne leur a pas
fallu longtemps pour commencer à nous
tirer dessus à balles réelles. Beaucoup
ont vu les lasers des snipers pointés
sur eux pendant les affrontements. »
L’armée israélienne
a reconnu avoir tiré à balles réelles
et soutient que l’incident fait
actuellement l’objet d’une enquête.
Durant l’agitation
et alors que les jeunes essayaient de
repousser les colons et d’esquiver les
tirs des soldats, Shahada a reçu deux
balles dans le torse – une de chaque
côté –, tandis qu’un autre garçon de 16
ans a reçu une balle à la jambe, selon
sa famille et ses amis.
« Bien sûr, je me
dis que si les soldats ne nous avaient
pas arrêtés
au check-point, ces quinze
minutes supplémentaires
auraient
peut-être pu lui sauver la vie »
– Ahmad Sabah,
ami d’Omeir Shahada
Sabah et un autre
ami ont évacué Shahada et quitté le
village à la hâte à bord d’une voiture
privée pour rallier l’hôpital le plus
proche – situé à quinze kilomètres, dans
la ville de Naplouse.
« Lorsque nous
sommes arrivés au poste de contrôle
militaire de Huwwara, les soldats ont
arrêté notre voiture et refusé de nous
laisser passer. Nous avons eu affaire à
eux pendant quinze minutes avant qu’ils
ne nous laissent passer », a raconté
Sabah à MEE.
Mais à leur arrivée
à l’hôpital, il était trop tard. Shahada
avait succombé à ses blessures et Sabah
avait perdu son meilleur ami.
« J’étais dévasté
et je le suis toujours, a-t-il confié.
Bien sûr, je me dis que si les soldats
ne nous avaient pas arrêtés au
check-point, ces quinze minutes
supplémentaires auraient peut-être pu
lui sauver la vie. »
Secouant la tête
d’incrédulité, Sabah a laissé apparaître
un sourire timide sur son visage.
« Vous savez,
pendant que nous montions vers la
montagne, Omeir a plaisanté en disant
que s’il devait devenir un martyr ce
jour-là, il nous aurait fallu trouver
quelqu’un d’autre pour travailler avec
nous.
« Il savait et nous
savions tous que nous risquons toujours
de mourir en affrontant les colons.
Comment pouvions-nous savoir que c’était
lui qui allait mourir ce jour-là ? »
Des soldats
israéliens avancent au cours
d’affrontements avec des Palestiniens
dans le village de
Madama (Cisjordanie)
après une attaque de colons israéliens
du camp de
Yitzhar dans le sud du
village, le 28 décembre 2017 (AFP)
Au conseil du
village où la famille de Shahada
recevait des habitants endeuillés pour
la troisième journée consécutive, Sabah
s’est assis à côté du frère aîné de son
ami défunt, Ibrahim, et de son père,
Omar.
Pour la famille,
les colons sont tout aussi responsables
de la mort de Shahada que les soldats
qui l’ont abattu.
« Les soldats et
les colons sont les mêmes, a déclaré
Omar. Il n’y a pas de différence entre
les deux. »
« Les soldats et
les colons sont les mêmes […]
Il n’y a
pas de différence entre les deux »
– Omar Shahada,
père d’Omeir Shahada
Interrogés quant à
savoir s’ils comptaient réclamer justice
pour le meurtre d’Omeir, Ibrahim a
laissé échapper un léger rire, tandis
qu’Omar a répondu avec indignation :
« Pourquoi ? À quoi bon ? Les soldats
qui ont tué mon fils seront ceux-là
mêmes qui prendront la décision sur son
cas au tribunal », a-t-il déclaré, en
référence aux tribunaux militaires
israéliens que des groupes de défense
des droits de l’homme ont qualifiés de
« tribunaux
bidons ».
Le groupe israélien
de défense des droits de l’homme Yesh
Din a rapporté que 75 % des enquêtes
menées par Israël sur des attaques
commises contre des Palestiniens pour
des raisons idéologiques étaient closes
« en raison de défaillances
policières ».
« Les soldats et
les colons ont tué de nombreuses
personnes avant Omeir et rien de mal ne
leur est arrivé. Mon fils n’était pas
leur première victime et ne sera pas la
dernière », a déploré son père.
Les habitants
craignent un nouveau « Dawabsheh »
Middle East Eye
a échangé avec des habitants et des
activistes de quatre des six villages
entourant la colonie de Yitzhar : Urif,
Madama, Burin et Asira al-Qibliya.
Racontant des
décennies d’attaques lancées par des
colons israéliens, dont plusieurs ont
fait des victimes, tous les
Palestiniens, y compris la famille de
Shahada, ont mentionné
la famille Dawabsheh.
En 2015, des jeunes
colons israéliens sont entrés dans le
village de Douma, situé dans la région
de Naplouse, à une trentaine de
kilomètres au sud-est d’Urif, et attaqué
la maison de la famille Dawabsheh à la
bombe incendiaire.
Âgé de 8 mois, Ali
Dawabsheh a été brûlé vif dans
l’incendie, tandis que ses deux parents
ont succombé plus tard à leurs
blessures. Seul Ahmad, alors âgé de 4
ans et gravement brûlé sur tout le
corps, a survécu.
« Il y a cette peur
constante que les gens éprouvent chaque
fois que les colons attaquent nos
villages, celle de subir le même sort
que les Dawabsheh », a déclaré à MEE
Hakmeh Hassan, directrice d’un conseil
de femmes local dans le village d’Asira
al-Qibliya.
Elle s’est exprimée
avec agitation et franc-parler au sujet
des attaques lancées depuis de
nombreuses années sur le village par les
colons, qui incendient et abattent des
oliviers, tuent du bétail et détruisent
constamment les propriétés des
habitants.
« Deux garçons
d’Asira, des frères, ont été tués à
quelques années d’intervalle au début
des années 2000 », a indiqué Hassan, qui
estime qu’au moins dix Palestiniens ont
été tués directement par des colons de
Yitzhar ou par des soldats israéliens
suite à des attaques lancées par les
colons depuis la création de la colonie
en 1984.
« Le mois dernier,
des colons sont arrivés au milieu de la
nuit et ont commencé à attaquer une
maison avec de jeunes enfants à
l’intérieur. Ils ont cassé toutes les
fenêtres et ils allaient mettre le feu à
la maison, mais Dieu merci, des gens du
village sont arrivés à temps pour
chasser les colons avant qu’ils ne
brûlent la maison. »
M
Le village d’Asira
al-Qibliya (au premier plan) et la
colonie juive israélienne de Yitzhar
(en
arrière-plan) au sud de la ville de
Naplouse (AFP)
Hakmeh Hassan a
soupçonné les assaillants d’appartenir à
l’organisation nationaliste religieuse
des
Jeunes des collines – qu’elle a
qualifiée d’organisation terroriste.
MEE n’a pas pu vérifier ses dires.
Les membres de
cette organisation sont responsables de
dizaines de crimes de haine, ou attaques
du « prix à payer » (Price Tag), contre
les Palestiniens et leurs possessions.
Depuis plusieurs années, la colonie de
Yitzhar est de fait étroitement liée au
mouvement du « prix à payer ».
Nombreux sont ceux
qui attribuent la fondation de Yitzhar à
la yechiva Od Yosef Chai, une école
aujourd’hui fermée. Située dans la
colonie, l’école religieuse était
dirigée par le rabbin Yitzhak Ginsburgh,
inculpé en 2003 pour incitation au
racisme pour son livre Tipul Shoresh,
dans lequel il demandait l’expulsion des
Palestiniens d’Israël et des territoires
palestiniens. Les charges ont été
abandonnées
lorsqu’il a publié plus tard une
« lettre de clarification ».
« Il y a cette peur
constante que les gens éprouvent chaque
fois que les
colons attaquent nos
villages, celle de subir le même sort
que les Dawabsheh »
– Hakmeh Hassan,
directrice d’un conseil de femmes local
C’était dans cette
yechiva, a-t-on rapporté, que les
rabbins encourageaient les étudiants à
attaquer les Palestiniens et leurs
possessions ainsi que les forces de
sécurité israéliennes, certains colons
semblant croire que les autorités
« protègent » injustement les
Palestiniens.
En 2010, un autre
rabbin de Yitzhar,
Yitzhak Shapira, a été arrêté,
suspecté d’avoir incendié une mosquée.
Il a été
relâché quelques heures seulement
après son arrestation.
Shapira est
l’auteur d’un livre intitulé
The King’s Torah, dans lequel
il a affirmé que la loi juive autorisait
les juifs à tuer des civils non juifs.
Il a également plaidé en faveur de
l’expulsion ou du génocide de
Palestiniens de plus de 13 ans.
« À Yitzhar, ces
jeunes colons sont radicalisés, on leur
apprend à haïr les Palestiniens et à
nous attaquer », a affirmé Hassan, qui a
ajouté qu’à de nombreuses occasions, les
colons transformaient ces raids dans les
villages palestiniens en événements
familiaux où les parents emportent leurs
enfants avec eux.
Un manifestant
palestinien fait face à des colons
israéliens de la colonie juive de
Yitzhar
(AFP)
Plus tôt ce
mois-ci, Yesh Din a rapporté qu’au cours
des dernières semaines, les colons
avaient intensifié leurs attaques contre
les Palestiniens dans les environs de
Yitzhar.
Entre février et
mars uniquement, les colons ont attaqué
des habitations et des civils à Asira
al-Qibliya et
Huwwara avec des pierres, mais aussi
battu des fermiers et massacré des
moutons dans le village d’Einabus ;
certains auraient également
tenté d’enlever deux enfants
palestiniens dans le village de
Madama.
Début mars, les
colons ont déclenché des affrontements
dans le village de Burin lors desquels
des soldats israéliens ont fini par
lancer une grenade assourdissante sur un
couple palestinien qui tentait d’évacuer
les lieux avec son bébé de 5 mois, selon
l’ONG.
Hakmeh Hassan ne
s’attend pas à ce que ces attaques
quasiment quotidiennes se calment de
sitôt et accuse à la fois le
gouvernement israélien et l’Autorité
palestinienne (AP) d’être responsables
de la poursuite des violences.
« Les colons
deviennent chaque jour de plus en plus
agressifs. Et malheureusement, l’AP est
inutile, elle ne peut rien faire »,
a-t-elle soutenu, soulignant le fait que
l’Autorité palestinienne n’avait aucune
compétence à l’égard des 600 000 colons
vivant en territoire palestinien occupé.
« Depuis des
années, ils font de notre vie un
cauchemar dans ces six villages et ils
continueront d’agir ainsi tant que les
deux gouvernements le leur
permettront. »
Traduit de
l’anglais (original)
par
VECTranslation.
® Middle
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Publié le 27 mars 2018 avec l'aimable autorisation de
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