Middle East Eye
À Gaza, il n'y a plus d'argent pour
faire tourner l'économie
Mohammed Asad
Pour toute
nourriture, la famille Abou Rayyash a
reçu de la farine (MEE/Mohammed Asad)
Jeudi 15 février 2018
Le siège israélien,
les coupes dans l’aide américaine et les
querelles incessantes entre l'Autorité
palestinienne et le Hamas ont paralysé
l’économie de Gaza, déjà sous tension
GAZA – Au
début de chaque mois, Muzouza Abou
Rayyash a l’habitude de faire ses
courses au supermarché près de chez
elle, dans le quartier Cheikh Radwan de
Gaza.
Mais, ce mois-ci,
elle a dû annuler son rituel, le
Programme alimentaire mondial (PAM)
ayant arrêté de distribuer des bons
alimentaires à 60 000 bénéficiaires à
Gaza, dont la famille d’Abou Rayyash.
Avec le bon de 20
dollars (16 euros) qu’elle percevait,
elle achetait de l’huile de cuisine et
du lait. Selon Abou Rayyash, sa famille
de sept personnes recevra maintenant des
vivres. Or, jusqu’à présent, ils n’ont
reçu que de la farine.
« Pourquoi mes
enfants devraient-ils être victimes de
la politique ? » demande-t-elle.
« Nous n’avons que
deux options :
soit réduire le nombre de
nos employés,
soit fermer nos ateliers
et attendre la prison »
- Nabil Shurrab,
propriétaire d’une boutique de vêtements
Les réductions du
PAM – annoncées pour la première fois en
octobre et motivées par un déficit
budgétaire – sont intervenues quelques
semaines après la décision des
États-Unis de couper l’aide de 65
millions de dollars attribuée à l’Office
de secours et de travaux des Nations
unies pour les réfugiés de Palestine
dans le Proche-Orient (UNRWA), en plus
de leur refus de verser 45 millions de
dollars d’aide alimentaire aux
Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza,
promis suite à un appel d’urgence lancé
par l’UNRWA.
Ces événements
n’ont fait qu’aggraver les difficultés à
Gaza, où onze ans de blocus israélien
ont laissé près de deux millions de
personnes coincées sur la bande sans
accès aux services de première
nécessité, et dont la moitié dépend de
l’aide humanitaire,
selon Oxfam.
D’autre part, un
accord entre l’Autorité palestinienne
(AP) et le Hamas, négocié en Égypte en
septembre dernier, était censé soulager
la situation, mais l’AP n’a pas encore
levé ses sanctions.
Muzouza Abou
Rayyash manifeste devant le siège du
Programme des Nations unies
pour le
développement (PNUD) début 2018
(MEE/Mohammed Asad)
Toutes ces mesures
amènent de nombreuses personnes à se
demander si, après avoir averti depuis
des années de l’imminence du désastre,
Gaza ne se trouve pas maintenant au bord
de l’effondrement économique complet.
En début de
semaine, le secrétaire général de l’ONU,
Antonio Guterres, a qualifié la bande de
Gaza d’« urgence
humanitaire permanente », et déclaré
que l’ONU avait prédit que l’enclave
deviendrait invivable en 2020, « à moins
que des mesures concrètes ne soient
prises pour améliorer infrastructures et
services de base ».
Protestations
croissantes
Au cours des
dernières semaines, des centaines de
Gazaouis – employés de l’ONU, routiers
et commerçants – ont manifesté contre
les difficultés croissantes auxquelles
ils sont confrontés.
« La situation
économique à Gaza frôle l’effondrement.
Tous les indicateurs économiques sont au
rouge », avertit Maher al-Tabbaa,
directeur de la Chambre de commerce de
Gaza, lors d’un entretien avec Middle
East Eye cette semaine.
« La situation
économique à Gaza est au bord de
l’effondrement.
Tous les indicateurs
économiques sont au rouge »
- Maher Al-Tabbaa,
directeur de la Chambre de commerce de
Gaza
Sur les plus de
deux millions d’habitants que compte
Gaza, 46 % sont actuellement au chômage,
et 65 % d’entre eux vivent avec moins de
1,90 dollar (1,50 euro) par jour.
Murjan Abou Aser
était l’un des 150 routiers à avoir
protesté lundi contre la dégradation de
la situation à Gaza – qui a entraîné une
forte baisse du nombre des cargaisons
transportées via Kerem Shalom, seul
passage commercial de la bande de Gaza.
« J’ai un camion
qui vaut environ 100 000 dollars [80 000
euros]. Je me demande bien comment je
vais payer mes traites », s’inquiète
Abou Aser. « J’ai une famille, sept
bouches à nourrir. J’espère donc qu’on
retrouvera bientôt la même situation
qu’à l’époque du Hamas [avant que le
groupe dissolve son contrôle de Gaza en
septembre] ».
« Nous sommes
bosseurs et n’avons aucune affiliation
politique », affirme Nahed Shouhibar,
propriétaire d’une entreprise de
transport privée. « Ma compagnie faisait
douze déplacements par jour. Maintenant,
nous ne transportons plus que trois
cargaisons par mois ».
Nahed Shouhibar et
les routiers de Gaza, pendant la
manifestation
organisée en début de
semaine (MEE/Mohammed Asad)
« Nous payons aux
autorités du Hamas une taxe de transfert
de 725 dollars [590 euros] par camion.
Aujourd’hui, nous devons leur régler
quatre fois plus. »
Le nombre de
camions de ravitaillement passant chaque
semaine d’Israël à la bande de Gaza a
récemment chuté, passant d’une moyenne
de 900 à environ 300, en raison du
faible pouvoir d’achat des consommateurs
gazaouis. Chaque chauffeur n’a que trois
expéditions à faire par mois, indique
Murjan.
Magasins sans
clients
Cette semaine, vers
midi, généralement l’heure la plus
active de la journée, la zone
commerciale Rimal de Gaza est à moitié
vide.
Pour attirer les
clients, de nombreuses vitrines de
magasins annoncent des rabais importants
et des soldes d’hiver. Certains d’entre
eux ont cassé les prix jusqu’à 40 %.
Mais Nabil Shourrab,
44 ans, gérant d’une boutique de
vêtements importés de Turquie et de
Chine, déplore que malgré leurs ventes,
les magasins n’ont plus assez d’argent
pour réapprovisionner les stocks.
Un vendeur
palestinien dans son magasin de Rafah,
au sud de la bande de Gaza (AFP)
Shourrab explique
que ses collègues, au lieu de gérer
leurs boutiques, passent leur journée à
la banque à rembourser des emprunts pour
échapper à la prison.
« Nous n’avons que
deux options : soit réduire le nombre de
nos employés, soit fermer nos ateliers
et attendre la prison. »
Si les commerçants
ressentent les effets de cette baisse
d’activité, explique Al-Tabba, directeur
de la Chambre de commerce de Gaza, c’est
en partie parce que les fonctionnaires
gouvernementaux ne sont plus payés
depuis l’année dernière. L’Autorité
palestinienne a coupé leurs salaires, ce
qui équivaut à 20 millions de dollars
(16 millions d’euros) par mois.
Mais Ahmad
Majdalani, membre du comité exécutif de
l’OLP et proche conseiller du président
palestinien Mahmoud Abbas, refuse de
qualifier les mesures de l’AP de
« punitives ».
« L’autorité impose
légalement des taxes, contrairement au
Hamas, qui imposait des impôts selon son
bon plaisir. Mais le Hamas contrôle
toujours la bande de Gaza et refuse de
remettre les clés au gouvernement
actuel », souligne-t-il.
Le mois dernier,
des commerçants de Gaza ont déclenché
une grève générale et baissé le rideau
de leurs magasins pour protester contre
les conditions de vie.
Contrairement aux
grèves précédentes, Al-Tabbaa remarque
que la manifestation a rassemblé un
grand nombre de personnes, ce qu’il
attribue à la crainte d’« un avenir
sombre qui pourrait aggraver une
situation sociale et politique déjà
troublée ».
Traduit de
l’anglais (original)
par
Dominique Macabies.
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