Middle East Eye
Pro-Netanyahou, religieux et mal
intégrés :
qui sont les Français installés en
Israël ?
Marie Niggli
À Netanya,
surnommée la « petite Riviera », en
référence à la Côte d’Azur française,
tout est écrit en français. Avec
Jérusalem, c’est la destination préférée
des Français
qui émigrent en Israël (MEE/Marie
Niggli)
Lundi 9 septembre 2019
Par Marie Niggli – NETANYA, Israël
Estimés à 100 000,
les Français venus vivre en Israël
constituent l’un des réservoirs de voix
les plus fidèles pour l’actuel Premier
ministre, qui compte sur cette
communauté majoritairement à droite pour
l’aider à être réélu lors des prochaines
législatives
À Netanya, dans le
nord d’Israël, on passe le shabbat, jour
de repos hebdomadaire juif, sur la
plage. Et dans l’eau, entre les parasols
ou dans les cafés, les badauds crient çà
et là en hébreu, parfois en russe, mais
surtout en français. « Vous êtes au
paradis », s’exclame Rachel Atlan, 65
ans, en étendant sa serviette sur la
chaise longue dans ce décor de vacances,
à moins d’une heure au nord de Tel Aviv.
« Je me sens bien.
Je tourne la tête, c’est des juifs : je
suis chez moi ! » Cette ancienne
esthéticienne a quitté la région
parisienne en 2014 pour passer sa
retraite ici. Elle avait déjà tenté sa
chance dans les années 90, pendant la
guerre du Golfe, avant de renoncer, au
bout de dix-huit mois. Impossible de
trouver du travail et de vivre en Israël
sans maîtriser parfaitement l’hébreu.
« Je me sens bien. Je
tourne la tête, c’est des juifs : je
suis chez moi ! »
- Rachel Atlan, ancienne
esthéticienne
« La vie est dure.
On n’est pas tellement intégrés par les
Israéliens, on ne vit pas pareil
qu’eux », déclare-t-elle à Middle
East Eye. Ce qui ne l’empêche pas
d’avoir une idée bien précise de « son »
Israël idéal. Pour elle, c’est un État
pour les juifs, qui ne doit pas se
limiter aux frontières reconnues par
l’ONU.
Que pense-t-elle
des Israéliens qui habitent dans les
colonies – implantations civiles
illégales aux yeux du droit
international – en Cisjordanie,
territoire palestinien occupé par Israël
depuis 1967 ? « Pourquoi n’y iraient-ils
pas ? », répond-elle.
Et
la loi votée l’an dernier par la Knesset,
qui fait primer le caractère juif de
l’État d’Israël sur l’égalité et la
démocratie ? « C’est important parce
qu’on a attendu des milliers d’années
pour avoir un État. Il faut quand même
qu’il reste de majorité juive », juge
Rachel.
Comme beaucoup ici,
cette Franco-Israélienne porte Benyamin
Netanyahou, le Premier ministre au
pouvoir depuis 2009 – « Bibi », comme
elle l’appelle affectueusement – « dans
son cœur ».
Lire
:
Élections israéliennes : l’orgie
nationaliste et sécuritaire
L’un des rares
sondages menés dans la communauté
française,
publié l’an dernier par le journal
israélien Makor Rishon,
montre que 72 % des Français qui
habitent en Israël se considèrent à
droite et plus d’un quart (26 %) votent
Likoud, le parti de Netanyahou.
Sur l’ensemble des
6,3 millions d’électeurs israéliens,
la part des Français
n’est pas décisive ; en revanche,
c’est un électorat quasiment acquis pour
la coalition de droite que Benyamin
Netanyahou espère former afin de se
maintenir au pouvoir après les élections
du 17 septembre prochain. En avril
dernier, ses tentatives de former un
gouvernement avaient
échoué, précipitant le pays vers des
élections quelques mois plus tard, une
situation inédite dans le pays.
Des kibboutz aux
colonies
Kippa sur la tête,
maillot de foot de l’équipe de France
sur le dos et français teinté d’hébreu :
dans les rues de Jérusalem, de Netanya
ou d’Ashdod, on estime qu’ils sont
150 000 Français à avoir émigré en
Israël depuis 1967. Aujourd’hui, quelque
250 000 Israéliens possèdent un
passeport français, parfois conservant
un vague lien avec l’Hexagone ; ceux qui
ne sont pas nés en Israël seraient
environ 100 000.
La plupart sont
arrivés après les années 90.
L’émigration a surtout commencé à la fin
des années 60, début des années 70. À
l’époque, les Français qui posent leurs
valises en Israël sont en général
ashkénazes (originaires d’Europe
centrale et orientale), socialistes,
biberonnés à l’idéal sioniste, plutôt
laïcs. Leur objectif : s’installer dans
les kibboutz et participer à la
construction du pays.
« Dans les années
50-60-70, le kibboutz était l’idéal
sioniste.
Aujourd’hui, c’est d’habiter dans une
implantation [colonie].
Ils se disent : ‘’c’est l’État de la
Bible, c’est nos sources, nos
racines’’ »
- Itzhak Dahan, universitaire
Désormais, les
juifs qui quittent la France sont plus
religieux, très majoritairement
séfarades (originaires des pays
méditerranéens) et souvent poussés par
l’antisémitisme, qu’il soit réel ou
ressenti.
Sarah, 55 ans, est
quant à elle en vacances à Netanya. Mais
elle a la nationalité israélienne et
tous ses enfants sont nés en Israël, où
elle a vécu plusieurs années dans les
années 90 et où elle veut revenir
s’installer dans quelques mois. L’un de
ses fils fait son service militaire,
obligatoire dans le pays.p>
« On sent
qu’aujourd’hui la France est capable de
lâcher ses juifs », affirme-t-elle,
amère. Elle raconte avoir essuyé
plusieurs fois en France des insultes
liées à sa judéité.
« Au moment de la
seconde Intifada [dans les années 2000],
il y a eu un raidissement antisémite en
France. L’affaire Merah a précipité les
choses », juge le journaliste Antoine
Spire, auteur avec Jean Leselbaum du
Dictionnaire du judaïsme français depuis
1944, f, faisant référence à
l’assassinat à caractère antisémite
de trois enfants et un enseignant de
l’école juive Ozar Hatorah le 19 mars
2012.
L’émigration des
juifs de France a bondi après 2012,
passant d’un peu moins de
2 000 « aliyah » – littéralement la
« montée » en Israël, comme l’appellent
les juifs – à près de 8 000 en 2015,
année record. Depuis,
le flux est redescendu.
Des chiffres à
nuancer car, selon Antoine Spire, 25 à
30 % de ceux qui font leur yah
reviennent en France, « ce qui est quand
même énorme ! », souligne-t-il à MEE.
.
Le plus souvent, pour des raisons
économiques ou parce que l’intégration
est compliquée, notamment en raison de
la barrière linguistique.
On estime
à environ 5 000 les juifs français
installés dans des colonies israéliennes
en Cisjordanie occupée (AFP)
La plupart des
nouveaux arrivants s’installent à
Jérusalem, Netanya, Ashdod, sur la côte
vers Gaza, et Tel Aviv. Mais selon
Itzhak Dahan, chercheur au département
de sociologie de l’Université de
Bar-Ilan, quelque 5 000 juifs français,
surtout des jeunes, vivent dans des
colonies israéliennes, en Cisjordanie
occupée.
« Dans les années
50-60-70, le kibboutz était l’idéal
sioniste », rappelle à MEE le
professeur Dahan. « Aujourd’hui, c’est
d’habiter dans une implantation
[colonie]. Ils se disent : ‘’c’est
l’État de la Bible, c’est nos sources,
nos racines’’. »
À droite toute !
S’ils sont très peu
à réellement s’installer dans les
colonies de Cisjordanie, nombre des
Français vivant en Israël soutiennent la
position du gouvernement vis-à-vis des
territoires palestiniens occupés,
plébiscitant une politique qui, dans
l’Hexagone, serait parfois taxée
d’extrême droite. Normal, vu leur
backgroundund, selon Itzhak Dahan :
quelqu’un « qui est d’Afrique du Nord ou
séfarade, qui est traditionnaliste,
plutôt religieux, je peux vous dire
qu’en gros, il est à droite ».
Et les Français,
juge-t-il, contrairement aux autres
Israéliens, ont tendance à devenir plus
religieux en venant s’installer en
« terre sainte ».
« En France, ils
étaient sans kippa,
quand ils viennent
ici, ils commencent à la porter »
- Itzhak Dahan
« En France, ils
étaient sans kippa, quand ils viennent
ici, ils commencent à la porter », note
le chercheur.
« Le choc
identitaire a tendance à faire que
beaucoup se renferment dans la
religion », remarque également Benjamin
Lachkar, qui dirige la campagne
francophone pour le Likoud pour les
élections du 17 septembre prochain.
Les Français
d’Israël, selon lui, « sont à droite à
l’ancienne » : accent sur la sécurité,
sur le contexte régional, bien plus que
sur les questions économiques qui sont
au centre des préoccupations des autres
Israéliens. Voter Likoud, c’est soutenir
la politique d’Israël en place depuis
l’arrivée au pouvoir de Benyamin
Netanyahou en 2009.
Des personnes de
confession juive lisent la prière du
Tachlikh, dans la ville côtière
israélienne
de Netanya, pendant Roch
Hachana, le Nouvel An juif, le 5
septembre 2013 (AFP)
À Netanya, John,
Français arrivé depuis quatre ans, avoue
aussi voter Netanyahou par suivisme. Il
ne connaît pas vraiment les autres
candidats. « La gauche, c’est un peu
comme en France, un peu trop pro-Arabes,
on a peur qu’ils cèdent trop de trucs »,
déclare-t-il à MEE.
Debout à côté de
son fils de 8 mois, étoile de David en
or autour du cou, il défend sans
complexe les programmes politiques de la
droite et de l’extrême droite
israélienne : bombardement et blocus de
Gaza, annexion d’une partie de la
Cisjordanie, renforcement de l’image de
marque d’Israël et de son armée à
l’étranger.
Bulle française
Pourtant, lui n’a
pas fait l’armée. Il le regrette, pense
qu’il aurait ainsi pu mieux se fondre
dans la société israélienne. Et c’est
tout le paradoxe de la communauté
française, selon Benjamin Lachkar : ils
idéalisent Israël mais ne s’intègrent
pas vraiment.
« Ils ont ce
rapport un peu ambigu à la France. À la
fois, pour eux, c’est fini et en même
temps, ils suivent ce qu’il s’y passe ».
Rachel, elle, le
confesse tout de go : sans son
abonnement aux chaînes françaises, elle
ne pourrait « pas survivre ».
Même en politique,
leur poids est infime. Ils votent en
masse, mais ne sont pas adhérents dans
un parti. « Ils ont l’habitude que tout
vienne de l’État, comme en France. Mais
ici, si tu ne demandes pas, on ne
s’occupe pas de toi », remarque Benjamin
Lachkar, qui tente de les convaincre de
s’inscrire au Likoud afin de davantage
peser dans la vie politique israélienne.
Au niveau local,
« ils ne participent pas aux activités
de la ville, ils restent entre eux »,
rapporte-t-il.
Lire :
Ces citoyens
français complices de la politique
israélienne en Palestine
« Il n’y a pas de
prototype du olim [celui qui a
fait son aliyah] de France », nuance
Itzhak Dahan, « mais dans l’ensemble,
ceux-ci sont moins intégrés que les
autres émigrants occidentaux. »
Barrage de la
langue bien sûr, mais aussi
appréhensions : « Certains ont peur
d’habiter dans une ville où il n’y a pas
beaucoup de Français » et parfois « ne
parlent pas hébreu après dix ou quinze
ans ».
Certains
naviguent même chaque semaine entre les
deux pays : c’est « ce que j’ai
appelé l’aliyah Boeing. Des personnes
qui partent le dimanche matin vers Paris
et qui reviennent le jeudi soir »,
détaille-t-il. « Il y a peut-être deux
avions qui s’envolent comme ça tous les
dimanches. »
Antoine Spire, lui,
veut croire que c’est cette déconnexion
qui explique que les Français en Israël
sont très à droite.
« Au contact de la
réalité israélienne, en étant engagés
dans la vie de la société israélienne,
ces juifs français qui ont décidé d’être
des inconditionnels [de Benjamin
Netanyahou] commencent toutefois à
comprendre qu’il y a des nuances à
apporter et qu’il y a plusieurs
politiques possibles », relève-t-il.
Sauf que pour
l’instant, la droite est largement
majoritaire en Israël, où
elle gouverne sans partage depuis plus
de dix ans, et les nuances semblent
rares dans un scrutin qui ne se joue pas
entre la droite et le centre-gauche mais
entre différents camps nationalistes.
® Middle
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Publié le 9 septembre 2019 avec l'aimable autorisation de
Middle East Eye
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