Syrie
La tragédie syrienne :
Droit international ou loi de la jungle
?
Michel
Raimbaud
Lundi 10 avril 2017
La tragédie
de Syrie est entrée dans sa septième
année. Incrustée dans l’actualité, elle
fait partie du paysage. Mais ses 400 000
morts, ses 2 millions de blessés ou
d’handicapés, ses 14 ou 15 millions de
réfugiés, déplacés ou exilés, son
territoire dévasté à plus de 60% et son
économie ruinée par les pillages, les
sanctions, les embargos, ne suscitent
pas d’émotion permanente. En effet, vus
de nos « grandes démocraties » dont les
langues sont mondiales, les valeurs
universelles, la vocation planétaire et
les deuils transnationaux, et qui se
considèrent comme l’essence de
l’humanité ou le nec plus ultra de sa
conscience, les conflits de l’Orient
compliqué sont lassants quand ils ne
sont pas franchement hermétiques.
Pour aviver
la flamme de la compassion, il faut l’un
de ces énormes mensonges dont se gavent
intellectuels, médias et politiques de
l’Occident bien-pensant. Quinze ans
après l’Irak, le truc des gaz chimiques
marche toujours très fort : Colin
Powell, l’entubeur de 2003, doit être
content…Le camp de la guerre et ses
fourriers, y compris les escrocs de
l’humanitaire, sont en tout cas ravis.
Jamais deux sans trois : 2003, 2013,
2017. La manipulation, le « false flag »
paraissent encore efficaces…
Nos
« élites » délitées ont réussi ce tour
de force d’ancrer notre pays en première
ligne en Libye, puis en Syrie, aux côtés
des islamistes, des terroristes et des
faucons atlantistes du parti de la
guerre, sans demander l’avis des
Français, parvenant même, à force de
matraquage médiatique, à recueillir
l’adhésion de certains pans de
l’opinion. La douce France est repartie
de plus belle dans ses tristes épopées
coloniales. Vive le Père Bugeaud, vive
François Georges Picot et ses accords en
douce, vive Jules Ferry et la foutue
mission civilisatrice, vive le Mollet à
la triste figure, et les va-t-en-guerre
actuels. Nos intellectuels qui rêvent
d’en découdre avec la Syrie légale, cet
Etat rebelle qui ose tenir tête à
l’Occident, nos médias qui dissertent
jusqu’à plus soif sur l’urgence de
bombarder Damas ou « Bachar », nos
politiques suspendus comme des
désespérés aux mamelles de l’atlantisme
et de ses succursales, peuvent se
rassurer. En se donnant un Président
« imprévisible » qui se disait
non-interventionniste, sinon pacifiste,
leur maître américain leur avait donné
des frayeurs. Elu du « pays profond »,
Trump n’aura pas résisté longtemps aux
pulsions de « l’Etat profond » :
voilà un président qui bombarde comme
les autres…Ouf…
Cet atroce
conflit s’inscrira en énormes lettres
rouges dans le guinness de la honte et
les porte-étendards de la soi-disant
« communauté internationale » de ce
début de millénaire figureront au
palmarès de l’indignité, entre deux
Nobels de la Paix. Ces gens sans foi ni
loi ni vergogne, qui n’ont d’autre
horizon que celui de leur improbable
élection, s’en moquent éperdument, mais
c’est dans les poubelles de l’Histoire
que l’on retrouvera trace de leur
mémoire.
La tragédie
syrienne est l’épicentre de la
confrontation qui menace la paix du
monde. Au lieu de disserter sur les
subtilités de la politique US, les
angoisses de l’Occident hypocrite et les
martiales déclarations de nos piètres
dirigeants, il serait sage de chercher
les racines du mal là où elles sont de
toute évidence : c’est la débâcle du
droit international sous les coups de
boutoir prodigués depuis un quart de
siècle par l’Occident arrogant,
dominateur et sûr de lui, qui a débouché
sur ce monde chaotique, immoral et
dangereux dans lequel nous vivons
désormais, ce monde que nous risquons de
léguer à nos enfants.
Le moment
unipolaire américain (1991/2011) a
permis à « l’Empire le plus puissant
ayant jamais existé à la surface de la
Terre » de détruire les bases de la
légalité internationale en établissant
le nouvel ordre mondial voulu par les
faucons de Washington. Ce qui se
traduira en un temps record par
l’abandon des principes fondamentaux de
la Charte des Nations Unies :
souveraineté, non-ingérence, droit des
peuples à l’autodétermination, droit de
tout Etat à choisir librement son régime
politique hors de toute ingérence
étrangère, obligation de négocier en cas
de conflit avant de recourir à l’usage
ou à la menace d’usage de la force. La
« communauté internationale » atlantique
trouvera sa lampe d’Aladin dans un
concept miraculeux, la Responsabilité de
Protéger (R2P), version relookée du
droit d’ingérence à connotation trop
colonialiste. Les Nations-Unies seront
instrumentalisées, voire ignorées
lorsque le moteur unipolaire connaîtra
ses premiers ratés : on fera grand cas
des délibérations du Conseil de Sécurité
lorsqu’il dit « oui-oui-oui », mais on
passera outre lorsqu’il dit non.
Confrontés à
des Etats qualifiés de « voyous »,
souvent arabo-musulmans, ou perçus comme
crypto-voyous comme la Chine et la
Russie, l’Amérique et ses alliés
s’érigeront en « communauté
internationale », centre « civilisé » du
nouvel ordre mondial. En fait, c’est la
loi de la jungle qui s’installera sur
les ruines de la légalité
internationale, le monde
extra-atlantique voyant son statut
réduit à celui d’une zone de non-droit.
Sur leur vaste terrain d’aventure, les
neocons joueront au « chaos
créateur » et s’amuseront à terroriser
les « ennemis » selon les recettes de la
« théorie du fou » de Nixon (l’Amérique
doit projeter l’impression que ses
dirigeants sont imprévisibles). Les
résultats seront impressionnants, non
pas bien sûr en termes de
« démocratisation », mais en ce qui
concerne la mise au pas voire la
destruction des Etats républicains,
séculiers (« laïcs ») et nationalistes.
La guerre qui
fait rage actuellement en Syrie est bien
universelle, tant sont nombreux et
divers les acteurs, les enjeux, les
arrière-pensées, les intérêts. Pourtant,
ce n’est pas une confrontation
classique : officiellement on ne peut
parler d’un état de guerre, puisque
personne n’a déclaré la guerre à la
Syrie, comme le voudraient les
normes des lois de la guerre et/ou les
pratiques diplomatiques.
A Moscou, on
évoque « les Etats qui se sont
fourvoyés dans le soutien du terrorisme,
continuent de le faire et méritent
d’être jugés par un tribunal
international similaire à celui qui a
jugé le nazisme ». Or la Syrie est
depuis le printemps 2011 la victime
d’une « guerre d’agression », la sorte
de guerre qualifiée dans un autrefois de
nuit et de brouillard par le Tribunal de
Nuremberg de « crime international
suprême » : « lancer une guerre
d’agression n’est pas seulement un crime
international ; c’est le crime
international suprême, ne différant des
autres crimes de guerre que parce qu’il
contient en lui-même le mal accumulé de
tous les autres » C’est le crime par
excellence. Et dans le cas d’espèce, un
crime avec préméditation, planifié par
les « stratèges ».
Comme l’Irak,
la Libye, la Somalie, la Palestine, etc…la
Syrie est l’objet d’une tentative de « politicide »,
qui est à l’égard d’un Etat ce qu’un
meurtre est à l’encontre d’un être
humain, les institutions,
l’administration, la souveraineté,
l’intégrité, les autorités politiques,
les marques emblématiques ou
régaliennes, les forces armées, les
ressources, les bases, les
infrastructures de l’économie,
l’identité du dit Etat étant ciblées
individuellement et dans leur ensemble.
Les
opérations peuvent se décliner en
démantèlement, partition, dépeçage de
l’Etat-nation. Les attaques s’exercent
tous azimuts : politiques
(déstabilisation, changement de régime),
humanitaires (Responsabilité de
Protéger, projets de zone d’exclusion,
de corridors), militaires (frappes,
bombardements, provocations, agressions,
coups de main), psychologiques et
médiatiques (mensonge, manipulation,
« faux pavillon », intoxication, lavage
de cerveaux).
Dans le même
temps, le peuple syrien est la cible
d’un « ethnocide », terme qualifiant
l’entreprise de déconstruction et de
désintégration qui le vise. L’objectif
global est de briser sa cohésion, qui
n’est pas le produit des trente ans de
mandat français, ni même des quatre
siècles d’Empire ottoman, mais le
résultat d’une histoire plurimillénaire,
par-delà même la venue du christianisme
et de l’islam.
Les sanctions
sont autant d’armes de destruction
massive qui visent à ébranler une
société civilisée et industrieuse. Tous
les moyens sont d’ailleurs utilisés : il
faut pousser les Syriens à fuir leur
pays, contraindre les minorités à
l’exode, provoquer une hémorragie des
élites, afin d’empêcher toute
reconstruction ultérieure du tissu
national.
La « mise à
mort du peuple syrien » et la
destruction de la Syrie, « mère de notre
civilisation » et « seconde patrie de
tout homme civilisé » sont bien partie
intégrante du crime par excellence.
Finalement,
il convient d’appeler les choses par
leur nom : les agresseurs de la Syrie
légale, qui agissent en violation du
droit international sont des voyous et
des criminels. Ce sont en outre des
menteurs effrontés, indignes de
gouverner ou de prétendre gouverner. Les
frappes sur la base d’Al Chuaikhat
ne constituent pas un « message fort »
de Washington, comme le dit tel ou tel
esthète, mais un crime supplémentaire.
Il est temps
que la « Grande Nation » se réveille et
que des dirigeants plus dignes
reprennent en main son destin politique,
son indépendance, que la France renoue
avec l’exception qui faisait notre
fierté. Il est temps que ses
intellectuels renouent avec la tradition
de leurs grands ancêtres. Il est temps,
il est même urgent de redresser la barre
de cette embarcation folle et
déboussolée qu’est devenue la France,
tant sont grands et impitoyables les
périls de notre monde.
J’allais
dire, il est temps que les diplomates,
dont le droit international devrait être
la Bible, et dont le métier est de faire
la paix, renoncent à squatter comme des
coucous le nid des faucons.
Il faut dire
non et non et non à la guerre que des
petits grands de ce monde présentent
comme une option banale, blottis bien au
chaud dans leurs privilèges, leurs
certitudes et leur arrogance ordinaire.
Il faut que la France retrouve le chemin
de la légalité internationale et du
droit onusien…Notre paix est à ce prix.
Michel
Raimbaud
Publié sur
Afrique Asie
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