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Paris brûle-t-il ?
Michel Onfray
©
W.Simitch/Capa Pictures pour Public
Sénat
Samedi 13 avril 2019
Source :
Michel Onfray
On l'aura désormais bien compris, en
matière de crise des gilets-jaunes,
Macron joue la pourriture... C'est bien
sûr une option éminemment dangereuse.
C'est celle de la ville dont le prince
est un enfant... Elle peut sembler
rentable à cet enfant-roi qui sait que,
dans la logique binaire installée par
ses grands prédécesseurs, tout a été
fait pour qu'aux présidentielles le
choix final oppose un candidat
maastrichtien et un autre qui ne l’est
pas -le premier présentant le second
comme le chaos fasciste. De ce fait,
pareille logique contraint à porter au
pouvoir n'importe quel homme lige de
l'Europe maastrichtienne. Il est l'un
des serviteurs de ce pouvoir-là et s'en
sait fort. Mais c'est la force d'un
domestique.
Voilà pour quelles raisons, dans le chaos actuel, la liste macronienne
arrive malgré tout en tête des
intentions de vote aux prochaines
élections européennes. De sorte qu'après
dix-huit semaines de mépris,
d’insolences, d'insultes, de
désinformation, de fausses nouvelles, de
morgue, d'injures, d’offenses,
d'affronts à l'endroit des
gilets-jaunes, Macron persiste dans une
communication dont il sait qu'elle lui
est rentable: pendant que Paris brûle,
que des banques sont incendiées, que le
Fouquet's est en flammes, qu'un feu dans
un immeuble menace de faire périr ses
habitants, que les échauffourées sont
démultipliées, que des leaders pilotés
en sous-main par des politicards
appellent désormais à l'insurrection
violente, que les mêmes souhaitent une
convergence des luttes entre Blacks
Blocs et "gens des cités" sous prétexte
de gilets-jaunes, que l'arrivée en masse
de Blacks Blocs est annoncée par le
ministère de l'Intérieur sans que rien
ne soit fait en amont pour les empêcher
de nuire, Emmanuel Macron skie... Le
roi fait du ski! En compagnie de sa
femme, de sa famille, de ses amis,
peut-être même avec son ami Benalla, il
fête la vie à grand renfort de raclette
et de fendant! Tout va bien à
Versailles...
Pourquoi en effet devrait-il se ronger les sangs?
Car, si la dissolution de l'Assemblée nationale avait lieu, Macron sait
bien qu'il resterait président de la
République. Son obligation
constitutionnelle et politique se
limiterait à nommer un Premier ministre
issu de la nouvelle majorité... qui ne
manquerait pas d’être macronienne!
Si, par une très improbable extravagance, le Rassemblement national
arrivait en tête de ces élections
législatives après cette hypothétique
dissolution, Macron nommerait Marine Le
Pen à Matignon. Le premier travail de
cette dame serait de faire du Chirac des
années 80 en prenant bien soin de ne
toucher ni à l'euro, ni à l’Europe
libérale, ni à Maastricht et de
n'envisager en aucun cas un Frexit -elle
a déjà prévenu... Ajoutons à cela que,
conditionnée par des années de
propagande, la rue refuserait cette
nomination après que les médias aux
ordres eussent fait fuiter le projet:
Macron aurait alors la rue pour lui...
Pour éviter pareil scénario, il pourrait
alors préférer Dupont-Aignan qui
arriverait en courant pour occuper le
poste. La réélection de Macron lors des
présidentielles suivantes serait
assurée.
Si Macron démissionnait, ne rêvons pas, il sait également que ni le
Parti socialiste, qui à cette heure
confie les clés européennes du parti de
Jaurès à Raphaël Glucksmann qui n'en a
pas même la carte, ni la France
insoumise, qui a montré en boucle sur
les médias un Mélenchon psychiquement
problématique, ni le parti de Wauquiez,
qui tente de survivre en exhibant une
chimère politique faite d'un jeune
philosophe catholique flanqué de
quelques chevaux de retour du sarkozysme
guère encombrés par la morale
catholique, ne sont à même de lui
succéder à l'Élysée.
Tout va donc très bien pour lui.
Choisir le pourrissement, parce qu'on sait qu'il fera notre affaire,
même si tout cela dessert le petit
peuple, les pauvres, les miséreux, les
sans grades et tous ceux qui constituent
le fond ontologique de la rébellion des
gilet-jaunes, c'est agir comme Attila ou
n'importe quel autre chef barbare: c'est
opter pour la politique de la terre
brûlée. Après moi, ou sans moi, ou hors
de moi, le déluge!
C'est donc prendre en otage les Français en croyant qu’ils sont là pour
nous et non qu'on se trouve là pour eux.
Cet homme qui fait semblant de placer
son quinquennat sous les auspices de
Jupiter et du général de Gaulle le place
finalement sous celui de Peter Pan, cet
enfant qui ne veut pas grandir.
Pour qui prend-il les gens?
Il a d’abord méprisé les maires, puis il a prétendu qu'ils étaient le
sel de la démocratie, avant de partir à
leur rencontre pour leur faire la leçon
comme un instituteur d'antan avec sa
classe d'élèves en blouse et aux ordres.
Les premiers magistrats, choisis et
triés sur le volet par les préfets payés
pour relayer la politique du Président,
ceints de leur écharpe tricolore, n'en
sont pas revenus que le chef de l'État
daigne monologuer devant eux pendant des
heures.
Il a ensuite méprisé les Français, des Gaulois rétifs aux changements,
des râleurs éternellement rebelles, des
crétins incapables de comprendre la
nécessité des changements voulus par sa
majesté, au contraire des peuples
luthériens du nord de l'Europe, avant
d'organiser de faux débats, vrais
monologues, tout en délaissant son
métier qui est de présider la France et
non de militer pour lui-même, sa cause
et son succès aux prochaines élections
européennes.
Il a enfin méprisé les intellectuels qui ne lui léchaient pas les bottes
avant d'en inviter une soixantaine triée
sur le volet -il est intéressant
d'ailleurs de voir qui a été convié.
Frédéric Lordon, gauchiste en chef, mais
subventionné par le contribuable via le
CNRS où il est directeur de recherche,
l'aurait été et a bruyamment fait savoir
qu’il n'irait pas. Michel Wieviorka,
"sociologue", mais est-ce vraiment le
cas pour ce monsieur qui affirme sans
barguigner sur Canal+ que le A entouré
d'un cercle est un symbole
d'extrême-droite, fait bien sûr partie
des élus. Après avoir dit qu'il n'y
avait pas de culture française, Macron
invite donc six dizaines de ses
représentants pour débattre avec eux sur
France-Culture, haut lieu de liberté
intellectuelle s'il en est. Gageons que
débattre avec soixante personnes à la
fois le contraindra à une performance
longue d'une quinzaine de jours
non-stop, à défaut, cette rencontre ne
sera rien d'autre qu'une danse du ventre
présidentiel devant une assemblée
captive. A moins qu'on lui offre la
grille d'été sur cette chaîne du service
public, le créneau est disponible, je
crois, après qu'il eut été occupé
pendant seize années par un philosophe
viré par ses soins.
Il méprise les gilets-jaunes depuis le début et traite leur souffrance
par l'insulte: antisémites, homophobes,
racistes, xénophobes, incultes,
illettrés, avinés, fascistes,
lepénistes, vichystes, pétainistes, tout
est bon qui permet de dire à ceux qui se
sont contentés de manifester leur
souffrance sociale qu'ils sont des
salauds de pauvres. Cette maladie
sociale que sa politique maastrichtienne
brutale diffuse comme une épidémie
foudroyante est traitée par lui avec
arrogance, suffisance, provocation. A
quoi bon, sinon, s'afficher en train de
boire un coup avec ses amis en terrasse
dans une station de ski à l'heure même
où Paris brûle? Plus cynique que cela,
tu meurs...
Choisir l'humiliation n'est pas de bon profit. Il faut être un demeuré
fini pour l'ignorer. L'un de ces
soixante intellectuels choisis par le
prince pour lui servir de miroir devrait
offrir à ce faux intellectuel vrai
cynique un livre que Marc Ferro a publié
en 2007 et qui s'intitule "Le
Ressentiment dans l'histoire". Ce livre
est rapide, indicatif et vite fait, on
l'aimerait avec mille pages de plus tant
ses intuitions et ses informations sont
justes. Quelle est sa thèse? On
n'humilie jamais impunément les peuples
et l'avilissement un jour génère une
réplique toujours.
A quoi peut bien ressembler cette réplique?
Personne ne peut imaginer que ce fameux débat puisse accoucher d’autre
chose que d'une souris. Macron avait
prévenu dès le départ que le bavardage
national allait avoir lieu mais qu'à son
issue, il n'était pas question de
changer de cap. A quoi bon, dès lors, un
débat si l'on fait savoir en amont qu'il
ne changera rien à l'essentiel? On ne
pouvait mieux avouer qu'il s'agirait de
parler pour ne rien dire.
Il a nommé des médiateurs, des coordinateurs, des animateurs, il a créé
un dispositif pour faire remonter,
centraliser, synthétiser les demandes
exprimées dans des Cahiers de doléances
aux marges étroites et aux contenus
guindés, il a trouvé des budgets pour
financer tout ça, il a parlé tout seul
en prétendant qu'il dialoguait, il a
saturé les médias avec sa présence
logomachique, il a voyagé partout en
France et s'est montré dans les endroits
les plus improbables de la province, il
s'est fait annoncer et il est venu, il
est venu sans se faire annoncer, il a
pris des notes devant les caméras qui en
profitaient pour effectuer un gros plan
rentable d'un point de vue de la
communication- cet homme écoute
attentivement se disait le péquin moyen,
la preuve, il a sorti son stylo...-, il
a tombé la veste, mouillé la chemise,
fait des bons mots, il a même,
rendez-vous compte, pris place auprès
d'un gilet-jaune qui arborait sa
fluorescence à côté de lui... Mais on le
sait, tout ça ne servira à rien puisque
le cap, qui est le bon, sera maintenu!
Ce grand enfumage procède de ce qu'en son temps Ségolène Royal avait
appelé la démocratie participative sans
s'apercevoir que la nécessité de
recourir à ce pléonasme était bien la
preuve qu'en démocratie le peuple avait
cessé de participer... C'est la même
personne, Ségolène Royal, qui avait
recruté et appointé le scénariste des
Guignols de l'info afin qu'il lui trouve
des petites phrases assassines pour
truffer ses discours et qui soient
susceptibles d'être retenues et reprises
par les journalistes. Déléguer la
démocratie participative à un guignol,
fut-il de l'info: tout était dit,
déjà...
A quoi bon partir à la rencontre des gens dans les sous-préfectures pour
leur demander ce qu’ils souhaitent quand
on aspire à la magistrature suprême de
la Cinquième République, comme madame
Royal en son temps, voire quand on s'y
trouve, comme monsieur Macron
aujourd’hui? La réponse est simple: pour
les images des journaux de vingt-heures,
il faut en effet laisser entendre par
ces mises en scène qu'en choisissant de
se trouver au centre d'une assemblée
réunie en rond autour du mâle dominant
qui feint de jouer le rôle de Gentil
Organisateur du Club Med, on écoute, on
se renseigne, on prend des avis, on
descend dans l'arène, on n'a pas peur,
on va au contact et, surtout, qu'on est
proche des gens...
On peut ne pas souscrire à cette thèse de communicant d'un niveau Bac
moins cinq. Car, une personne qui aspire
à ce poste ou, pire, qui s'y trouve déjà
et a malgré tout encore besoin de ces
rencontres pour savoir ce que pense le
peuple avoue clairement de la sorte
qu'il ignore la vie de ceux dont il
souhaite administrer l'existence et, de
ce fait, qu'il ne mérite pas son poste
sinon de candidat encore moins de
premier élu de la Nation.
Macron dit qu'il écoutera mais n'en fera rien, il l'a dit lui-même; il
organise à grand renfort de médias
complices cette rencontre sous prétexte
d'apprendre ce que veut le peuple; or,
les souhaits des gilets-jaunes sont
connus depuis le premier jour, bien
avant que la pourriture voulue par le
chef de l'État ne s'y installe.
Roi de la manœuvre, avec ce Grand Débat national, Emmanuel Macron a créé
la diversion parce qu'il en avait besoin
pour jouer la carte du pourrissement.
Toute semaine passée sans que les
gilets-jaunes ne parviennent à
s'organiser jouait en sa faveur. C'était
autant de temps utile pour organiser la
riposte non pas politique mais
policière, qui plus est de basse police:
laisser les casseurs agir, laisser faire
les dépavages, donc laisser les pavés
voler, laisser les Blacks Blocs taguer
et piller, laisser les casseurs des
banlieues se joindre à ces Black
Blocs afin que quelques-gilets-jaunes
s'y agrègent afin de disposer d'images
de vandalisation à associer aux
gilets-jaunes: les Champs Élysées,
parfait, l'Arc de Triomphe, mieux
encore, des incendies, super, des
voitures retournées et en feu, génial...
Roulez BFM & C°! Entre deux soirées en
boîtes de nuit, le ministre de
l'Intérieur, couvert par les médias,
dénonçait ce que le pouvoir avait laissé
faire: c'est ainsi qu'on instille le
virus dans un corps social. Il suffit
ensuite de laisser faire: incubation,
fièvre, symptômes, la maladie est bel et
bien là, il n'y a plus qu'à attendre
qu'elle progresse, qu'elle empire, puis
souhaiter que la mort soit au
rendez-vous. Voilà la stratégie de
Macron, elle lui permet, en attendant le
trépas, d'aller aux sports d'hiver tout
en sachant que pareille activité n'est
réservée qu'aux privilégiés de cette
société malade. Cynique, arrogant,
prétentieux, sûr de lui et de sa
méthode, quand Paris brûle, il skie...
Mais, à la manière d'un apprenti sorcier, cet homme qui a lâché les
virus pour contaminer ce corps social
des gilets -jaunes a pris le risque
d'une infection bien plus grande. Quand
son Grand Débat va accoucher de
réformettes sociales (pourquoi pas le
retour à 90 km/h sur certaines routes de
campagne dont la réglementation en la
matière pourrait être rendue aux
conseils départementaux ou régionaux
comme un signe qu'on donne à la France
périphérique le pouvoir qu'elle
souhaitait lui voir revenir...), ou de
réformes techniques en matière de
fiscalité (auxquelles personne ne
comprendra rien, sauf les professionnels
des impôts), quand il décevra avec des
réformes en trompe l'œil (du genre: faux
référendum qu'in fine les élus
contrôleraient par des dispositions
techniques leur permettant de reprendre
d'une main ce qui aurait été donné de
l’autre), quand, donc, les
gilets-jaunes verront que le Président
leur offre finalement de la poudre aux
yeux pour tout traitement de leurs
blessures, alors le ressentiment sera
plus grand encore -et avec lui la colère
majuscule.
Et que fera-t-il de cette colère décuplée lui qui a déjà répondu à une
moindre colère par une vague de
répression tellement disproportionnée
que le Haut-Commissariat aux droits de
l'Homme à l'Organisation des nations
unies, via Michelle Bachelet
qui fut présidente du Chili, lui a fait
savoir qu'il installait la France dans
le pays qu'internationalement on
remarque pour son non-respect des droits
de l'Homme?
La même Michelle Bachelet a formidablement résumé la nature du mouvement
des gilets-jaunes en affirmant: "En
France, les gilets-jaunes protestent
contre ce qu'ils perçoivent comme une
exclusion des droits économiques et de
la participation aux affaires
publiques." Pour Emmanuel Macron, on
sait qu'il n'en est rien et qu’il s'agit
bien plutôt d'un mouvement de factieux
d'extrême-droite homophobes, racistes,
antisémites, climato-sceptiques et
conspirationnistes -autrement dit: une
offense faite à sa propre personne...
J'ai eu recours à l'histoire de l'apprenti sorcier. Rappelons comment
elle se termine chez Goethe: le jeune
sorcier a besoin de son vieux maître qui
arrive pour arrêter le délire. Sauf que,
dans notre réalité, il n'y a pas un
vieux maître sage en attente (que
Sarkozy & Hollande ne rêvent pas...),
mais de jeunes sorciers aussi dépourvus
de cervelles que le président de la
République. C'est désormais violence
d'État contre violences populeuses.
Le peuple est mort étranglé par Macron en dix-huit semaines. Ce
populicide en chef lui a préféré la
populace qui lui doit sa généalogie. La
populace, c'est le peuple moins son
cerveau, c'est la foule reptilienne, la
masse acéphale, un corps sans tête, un
Léviathan conduit par les instincts;
elle est l'animal aux babines
retroussées, aux crocs menaçants, aux
griffes sorties; elle est faite d'hommes
au cortex grillé -elle est aussi et
surtout le meilleur ennemi du peuple.
Pour empêcher la naissance de cette bête enragée désormais très
dangereuse, il suffisait d'écouter le
peuple, de l'entendre dès les premiers
jours et de lui répondre dignement.
C'eut été dans la logique du contrat
social qui lie le chef et son peuple par
la grâce d'un transfert de souveraineté
républicaine synallagmatique -et non
unilatéral donc despotique.
Au lieu de cela, comme un vulgaire tyranneau de république bananière, il
a lancé sa soldatesque. Une partie du
peuple s'est retirée pour laisser place
au ressentiment pur et simple de la
populace. La bonhomie des ronds-points a
laissé place à la logique incendiaire.
Avec ce poison d'une hyper toxicité
qu'est le ressentiment, quelques gouttes
suffisent pour abattre une civilisation
qui se trouve dans l'état de la nôtre.
Loin du général de Gaulle, Emmanuel
Macron prend le risque de laisser son
nom dans l'Histoire entre ceux de Néron
et Caligula. On retiendra que, quand
Paris brûlait, il skiait...
Michel Onfray
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