Al Jazeera
Comment Gaza a été réduite à une enclave
invivable
Michael Lynk
Jeudi 10 août 2017
Comment peut-on
vivre dans un endroit où on a
l’électricité seulement quelques heures
par jour, et l’eau seulement huit heures
tous les quatre jours ?
Gaza et Tel Aviv se
trouvent à seulement 75 kilomètres l’une
de l’autre. Les deux villes partagent le
même sol sablonneux et les mêmes étés
brûlants du Levant. Mais les similitudes
s’arrêtent là. Si on prenait la nuit une
image satellite de la Méditerranée
orientale on verrait sur Tel Aviv un
flamboiement de lumière incandescente,
et seulement quelques petites lumières
pâles, un peu plus loin, sur le rivage
de Gaza.
Gaza arrive dans
son troisième mois de la restriction,
imposée de l’extérieur, de son accès
déjà insuffisant à l’électricité.
L’enclave de deux millions de personnes
nécessiterait normalement environ 450
mégawatts (MW) d’électricité par jour
pour avoir de l’électricité 24 heures
sur 24. Cependant, au cours de la
dernière décennie, du fait du rigoureux
blocus israélien de Gaza, sa fourniture
d’énergie est passée à quelque 200 MW,
ce qui a entraîné des pannes de courant
continuelles. Mais au cours des derniers
mois, selon l’organisation israélienne
des droits humains Gisha, la fourniture
d’électricité de Gaza a varié chaque
jour entre 140 MW et 70 MW, rallongeant
d’autant les pannes et les souffrances
de la population.
La première cause
de la pénurie d’électricité réside dans
le différend entre l’Autorité
palestinienne (AP) et le Hamas sur la
taxation des carburants. Cela a incité
l’Autorité palestinienne à demander à
Israël de réduire les 120 MW qu’il
vendait quotidiennement à Gaza, à
environ 70 MW, et Israël l’a fait.
Une deuxième source
d’électricité de Gaza est l’unique
centrale électrique de Gaza, qui ne peut
produire que 50-55MW par jour (et
seulement, quand il est possible
d’importer du carburant d’Egypte). La
centrale électrique a été gravement
endommagée par les bombardements
israéliens en 2006 et à nouveau en 2014,
et Israël a limité l’entrée de pièces de
rechange à Gaza. Si l’usine était
entièrement opérationnelle, elle
pourrait produire environ 140 MW.
La troisième source
d’approvisionnement en électricité de
Gaza provient de l’Égypte, qui fournit
environ 28MW par jour, avec actuellement
beaucoup de coupures. Et la quatrième
source est constituée de panneaux
solaires individuels et de générateurs
que seuls les plus aisés peuvent
s’offrir.
Les conséquences
sociales de cette terrible pénurie
d’électricité sont graves. Les ménages
sans générateurs ou sans panneaux
solaires - la grande majorité des
Gazaouis - ont entre 4 et 6 heures
d’électricité par jour dans le meilleur
des cas, suivies de 12 à 16 heures de
coupure. Les hôpitaux sont obligés
d’avoir d’énormes générateurs et de
rationner l’électricité. Les commerces
et les entreprises sont obligés de
fermer. Plus de 100 millions de litres
d’eaux usées non traitées se déversent
quotidiennement dans la Méditerranée,
polluent les plages et les lieux de
pêche. Il faut acheter la nourriture au
jour le jour et la consommer rapidement.
Le service Internet - le seul lien de
presque tous les Gazaouis avec le monde
extérieur - est sporadique. Et il y a
peu d’électricité disponible pour la
climatisation et les ventilateurs
permettant de lutter contre la chaleur
étouffante de l’été.
Le contexte de la
pénurie à Gaza
L’équipe de pays
des Nations Unies (UNCT) dans le
territoire palestinien occupé a
récemment publié un rapport sans
concession (PDF), sur l’impact
humanitaire des 10 ans de blocus
israélien de Gaza et des divisions
politiques internes des Palestiniens.
Ses conclusions sont terribles :
l’appauvrissement de Gaza est
entièrement dû à des décisions humaines,
et non à des causes naturelles.
L’année 2007 a été
le début de la fin pour Gaza. En juillet
de cette année-là, Israël a imposé un
blocus total à la bande de Gaza en
déclarant qu’elle était une « entité
ennemie ». La vie avant 2007 à Gaza
était déjà très difficile, mais depuis
elle est devenue catastrophique et sans
espoir. Gaza, dont on a pu dire
autrefois qu’elle était la future
« Singapour du Moyen-Orient », est
devenue le symbole de la misère la plus
horrible.
Selon le rapport de
l’ONU, entre 2006 et 2016, le produit
intérieur brut (PIB) de Gaza par
habitant a diminué de 5,3 %, alors qu’il
a progressé de 48,5 % en Cisjordanie
occupée. En 2004, 30% de la population
vivait déjà sous le seuil de la pauvreté
et il y en a 40% aujourd’hui. Gaza
souffre de l’un des taux de chômage les
plus élevés au monde, soit 41% fin 2016.
Plus de 60 % des Gazaouis qui ont entre
20 et24 ans sont sans travail et le taux
de chômage des femmes a augmenté de 35%
à 64% entre 2006 et 2016. En 2017, plus
de 60% de la population dépend
partiellement ou totalement de l’aide
humanitaire. Selon d’autres rapports, la
violence sexiste, les divorces, les
suicides et la consommation de drogues
sont en augmentation régulière.
Les secteurs
économiques traditionnels de Gaza se
détériorent. L’agriculture,
l’exploitation forestière, la pêche et
la production industrielle sont tous en
déclin et la principale source de
croissance provient, tragiquement, de la
reconstruction des quartiers détruits
lors des trois agressions israéliennes
des neuf dernières années.
Israël contrôle
tout ce qui rentre et sort de Gaza ; le
nombre moyen de camions de marchandises
sortant de Gaza au cours des cinq
premiers mois de 2017, n’est même pas le
tiers de ce qu’il était au cours du
premier semestre de 2007. « La
dégringolade économique de Gaza au cours
de la dernière décennie », indique le
rapport de l’ONU, « est le signe
incontestable du recul du développement
de la bande de Gaza. »
La situation de
l’eau potable à Gaza est désespérée. La
surexploitation destructrice de
l’aquifère côtier a provoqué des
irruptions d’eau de mer, et 96 % des
eaux souterraines sont maintenant
impropres à la consommation humaine.
La moitié de la
population a accès à l’eau pendant
seulement huit heures tous les quatre
jours et 30 % des habitants ont de l’eau
pendant huit heures tous les trois
jours. L’eau des camions citernes est
15-20 fois plus chère que l’eau du
réseau, et elle n’est pas de bonne
qualité. Comme pour tous les produits
rares, ce sont les pauvres et les
personnes en état de faiblesse qui sont
les plus touchés. Un nouvel accord sur
l’eau entre Israël et l’Autorité
palestinienne, annoncé récemment,
pourrait soulager un peu la population,
mais pour bien, il faudrait que Gaza
parvienne à l’autosuffisance grâce à des
usines de désalinisation et à une
production d’électricité sécurisées.
Le rapport de l’ONU
rappelle au monde entier qu’Israël
demeure la puissance occupante à Gaza,
car il contrôle ses frontières
terrestres, maritimes et aériennes, même
s’il n’a plus de « bottes au sol ». En
tant que tel, il a l’obligation
juridique d’assurer la santé, la dignité
et le bien-être de la population. Le
rapport souligne en particulier, que
« les nombreuses restrictions imposées
par Israël à la fois sur les mouvements
des personnes et sur les biens entrant
et sortant de Gaza violent toute une
série de droits humains élémentaires
tels que le droit à la liberté de
mouvement et ... le droit à la santé, à
l’éducation, à un travail, à un niveau
de vie décent et à une vie de famille ».
Les autres acteurs qui sont responsables
de Gaza - le Hamas, l’Autorité
palestinienne et l’Égypte - ont
également le devoir légal de respecter
les standards humanitaires et les droits
humains, ce qui n’a pas toujours été le
cas au cours des dernières années.
En 2012, l’ONU a
publié un rapport intitulé « Gaza en
2020 : pourra-t-on encore y vivre ? »
(PDF). Ce rapport était inquiétant, mais
le dernier rapport de l’ONU est
désespérant. Il conclut que Gaza, en
cinq ans, a été victime d’une « spirale
descendante de développement », qui a
enfermé les habitants de Gaza dans un
cercle vicieux de crise humanitaire et
de dépendance perpétuelle à l’aide
humanitaire. »
Il ne reste que
trois ans avant 2020, et le rapport
souligne que, s’il n’est pas mis fin à
la situation actuelle, Gaza deviendra
encore « plus isolée et plus
désespérée » avec le risque de conflits
encore plus dévastateurs et d’une
économie encore plus exsangue. Si rien
n’est fait, il vaut mieux cesser de
nourrir l’espoir d’une réconciliation
politique entre les Palestiniens et
d’une paix durable entre Israël et la
Palestine. Alors, est-ce que les images
satellites de la nuit à Gaza montreront
bientôt quelques lumières ?
Michael Lynk
Michael Lynk est
le rapporteur spécial des Nations Unies
pour les droits de l’homme dans les
territoires palestiniens occupés par
Israël depuis 1967. Il a été nommé en
2016. Il enseigne également à la Faculté
de droit de l’université de Western
Ontario (London, Ontario, Canada)
Source : »» http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2017/07/gaza-unlivable-place-...
©
Copy Left
Le Grand Soir - Diffusion autorisée et
même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Les dernières mises à jour
|