Palestine
Les coupures d’électricité à Gaza : «
C’est pire que jamais » - « Quand Israël
coupe l’électricité, c’est un autre type
de guerre »
Mersiha Gadzo
Deux
millions de personnes dans la bande de
Gaza assiégée reçoivent moins
de quatre heures d'électricité par jour
[Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Lundi 19 juin 2017
Les coupures de courant sont un problème
permanent dans la Bande de Gaza assiégée
depuis une dizaine d’année, mais cette
semaine, la situation s’est encore
aggravée. Dimanche dernier, Israël a
accepté la demande de l’Autorité
palestinienne (AP) de réduire de 40 pour
cent l’électricité de Gaza, en accord
avec la décision du président de l’AP
Mahmoud Abbas de réduire le montant que
prend en charge l’AP pour la fourniture
d’électricité de Gaza.
Actuellement, les deux millions de
résidents de Gaza reçoivent
environ quatre heures d’électricité par
jour et ils vont perdre encore de 45 à
60 minutes. Les installations médicales
de Gaza ont déjà du mal à
fonctionner avec une électricité limitée
principalement par des générateurs pour
pouvoir s’occuper des patients.
On a également appris, par un email
envoyé à Al Jazeera par Robert
Piper, nommé par l’ONU coordonnateur
humanitaire et du développement pour les
territoires palestiniens, que les
réserves de carburant de Gaza
pourraient être épuisées « d’ici la fin
du mois de juin ou au début de juillet
au plus tard. »
La Bande de Gaza a besoin de
450-500 mégawatts par jour, mais n’en
reçoit actuellement que la moitié. On
considère que la réduction de
l’électricité est une tentative d’Abbas
de paralyser le gouvernement rival du
Hamas à Gaza.
Jusqu’à maintenant, Israël a
fourni à Gaza 125 mégawatts
d’électricité, ou 30% des besoins en
électricité. Les lignes électriques de
l’Egypte ne fournissent que 27 mégawatts
par jour, et elles fonctionnent
rarement.
La seule centrale électrique de Gaza,
qui fournit 60 mégawatts, a cessé de
fonctionner en Avril par manque de
carburant. Avant son arrêt, l’AP a
supprimé une exemption fiscale sur le
diesel, ce qui a doublé son prix.
Al Jazeera a discuté avec des
habitants de Gaza pour savoir
comment la crise de l’électricité
affectait leurs vies.
Riham Salim Bahtiti – 28 ans -
Shujayea, Gaza-ville
La
vie du fils de Riham Bahtiti dépend
entièrement du nébuliseur,
qui ne fonctionne qu’à l’électricité [Mersiha
Gadzo/Al Jazeera]
Mon fils est
né avec une maladie pulmonaire
congénitale ; son poumon droit est plus
gros que le gauche. Quand il n’y a pas
d’électricité, j’ai peur qu’il meure.
J’ai peur pour mon fils, sa vie dépend
entièrement du nébuliseur qui lui donne
de l’oxygène. Dès qu’il commence à jouer
ou à courir, il a immédiatement besoin
d’oxygène.
Une fois, il a eu besoin d’oxygène et il
n’y avait pas d’électricité et pas de
carburant pour faire marcher le
générateur à la maison [pour se servir
du nébuliseur]. Je l’ai emmené à toute
vitesse à l’hôpital, mais ils n’avaient
pas de carburant pour faire fonctionner
les nébuliseurs.
Tout ce que j’ai pu faire, c’est le
ramener à la maison. Je me suis assise
dans un endroit ouvert et j’ai fait un
éventail avec du papier pour le ventiler
et l’aider à respirer.
Ma maison a été détruite pendant la
guerre, le plafond est maintenant en
tôle ondulée et il y fait rapidement
très chaud et étouffant.
Manar Bahtiti – 27 ans - Shujayea,
Gaza-ville
Manar
Mahtiti, à gauche, travaille dans le
service administratif de l’hôpital Al
Ahli,
à
Gaza-ville [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
J’ai trois
nébuliseurs à la maison, que j’ai
achetés moi-même. Je fais de mon mieux,
je voulais faire quelque chose pour
aider. Entre 60 et 70 personnes de mon
quartier sont venues chez moi pour se
servir des nébuliseurs au cours des neuf
dernières années.
Chaque jour, cinq ou six patients
viennent pour essayer d’avoir trois ou
quatre séances de 15 minutes. Ils
arrivent à 1h ou 3h du matin, dès qu’il
y a de l’électricité. Sinon, nous
utilisons le générateur, mais
quelquefois nous ne pouvons pas acheter
le carburant.
S’il y a de nouvelles réductions
d’électricité, les hôpitaux seront
surchargés. Si nous n’avons que deux
heures de courant, chacun devra limiter
la durée de sa séance ; cela va
provoquer beaucoup de pression et de
stress parce qu’il y aura si peu de
temps.
Les hôpitaux ont déjà appris aux
patients à avoir leurs séances chez eux
parce qu’ils ne peuvent pas garantir des
séances à tous.
Nous vivons dans une situation très
critique parce que c’est un des
quartiers les plus pauvres de Gaza.
Nous ne sommes qu’à 500m de la frontière
israélienne et en cas d’urgence, le taxi
met beaucoup de temps pour arriver
jusqu’ici et nous emmener à l’hôpital.
Quelquefois, nous transportons les
patients de notre quartier à moto parce
que c’est le seul moyen de transport que
nous avons.
Amina* - 66 ans – Gaza
La famille
est restée sans eau pendant trois jours
[Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Israël
joue avec nous. Nul ne sait de combien
d’heures nous disposerons – une, deux,
trois ou quatre. Ils m’ont expulsé de ma
maison (en 1948) et maintenant, ils se
servent de l’électricité pour contrôler
nos vies. Quand Israël coupe
l’électricité, c’est un autre type de
guerre.
La crise de l’électricité a un impact
sur tout. Ne serait-ce que recharger son
portable est un problème. Que faire en
cas d’urgence ? Nos vies n’ont plus de
sens, ils contrôlent tout. Que
veulent-ils encore de nous ?
Mes petits-enfants ont très peur dans le
noir, ça les rend nerveux. Quand ils
veulent aller aux toilettes la nuit,
nous les accompagnons.
Nous nous servons de petites batteries
pour avoir de la lumière, mais elles ne
durent que de six à huit heures et
ensuite nous n’avons pas d’électricité
pour les recharger. Ce n’est pas comme
si nous pouvions utiliser des bougies.
Nous allons tous mourir !
Nous n’avons pas d’eau pour prendre un
bain. Cela fait trois jours que la
municipalité n’a pu nous fournir d’eau.
Il n’y pas d‘électricité pour faire
fonctionner les pompes à eau, pas assez
d’électricité pour remplir les
réservoirs. Nous achetons tous l’eau aux
camions-citernes qui viennent jusqu’ici.
Ca nous coute entre 50 et 150 shekels
(de 15 à 40€) par mois pour acheter
l’eau aux camions, c’est très cher.
Les générateurs que nous avons dans le
quartier sont très bruyants, on ne peut
pas faire de siestes. Ils tournent
jusqu’à 1h du matin, ça crée des
problèmes entre voisins.
Couper le courant de cette manière est
pire que la guerre que nous avons vécue.
Nous ne pouvons rien y faire. Si le
problème empire, nous descendrons dans
les rues et demanderons à la communauté
internationale de trouver une solution.
* Le nom d’Amina a été changé pour
respecter son anonymat.
Muhammad Hamid – 21 ans – Jabaliya
Muhammad Hamid (au centre) dit que lui
et ses collègues de la boucherie
à Jabaliya [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Quand j’ai
entendu qu’Israël allait réduire
l’électricité, la première chose que
j’ai fait et d’aller faire réparer mon
générateur. Il nous sert à faire
fonctionner les plumeuses à volailles.
On peut le faire à la main mais le
travail n’est pas aussi bien fait et ça
prend beaucoup de temps, et les clients
ne veulent pas attendre.
L’utilisation d’un générateur est un
poids financier énorme. Ca nous coûte
entre 60 et 70 shekels (15 à 18 €) par
jour. Certains jours, nous n’avons aucun
revenu parce que tout l’argent part dans
le fonctionnement du générateur.
Abu Muhammad et Karam Swisay -
Zeitoun, Gaza-ville
Abu
Muhammad, à gauche, dit qu’ils sont
devenus insensibles à la situation à
Gaza
[Mersiha
Gadzo/Al Jazeera]
Nous avons
traversé trois guerres, alors ces
informations ne nous impressionnent pas.
Nous n’avons peur de rien.
Ma femme à un fibrome pulmonaire et doit
être reliée à un concentrateur
électrique d’oxygène 24h/7j.
Quand il n’y a pas d’électricité, nous
dépendons des cylindres de gaz. Nous en
avons 3, nous en utilisons un par jour.
Tous les deux jours, je vais au centre
d’ambulance pour les remplir. Mais
quelquefois, ils n’ont pas de courant
eux non plus, alors il faut que
j’attende quelques heures avant que les
cylindres soient pleins, ou bien je
reviens à la maison et je retente ma
chance le lendemain.
Mais il n’y a pas que l’électricité.
Certains de ses médicaments coûtent plus
de 1.000 shekels (254 €). Avec mes fils,
nous essayons de couvrir les coûts, et
certains voisins et organisations
caritatives participent financièrement.
Tareq Al Saqqa – 46 ans – Gaza-ville
Tareq al Saqqa est directeur général de
la société d’appareils ménagers Al Saqqa
Co.
[Mersiha
Gadzo/Al Jazeera]
Le plus gros
problème est que quand l’électricité est
coupée, puis est rétablie, les machines
à laver que nous vendons reprennent le
programme de lavage au début, alors il
faut à nouveau deux heures avant qu’il
se termine. Nous avons demandé aux
fabricants à Tel Aviv d’apporter des
améliorations à ce problème, mais ils
ont pensé que nous plaisantions. Ils ne
nous ont pas cru. Ils nous ont demandé,
« De quelles coupures de courant
parlez-vous ? » La plupart des appareils
doivent marcher au moins quatre heures
pour parvenir à une efficacité optimale.
En ce qui concerne nos réparations sur
les appareils, les coupures de courant
entraînent également une corrosion de
l’acier de beaucoup de télévisions et de
réfrigérateurs. Lorsqu’il fait chaud et
qu’il n’y a pas d’électricité, tout le
monde ouvre ses fenêtres et ses portes
pour avoir de l’air frais, mais à force
le haut degré d’humidité abîme les
appareils.
Notre entreprise a subi une perte
financière importante car peu de gens
veulent acheter des climatiseurs quand
il n’y a que quatre d’heures
d’électricité – à quoi ça sert ? Nous
avons donc perdu l’occasion de les
vendre pendant la haute saison. Si le
problème continue, la demande locale
pour les appareils électriques sera très
faible et nous n’aurons plus de revenus
; nous payons beaucoup pour faire entrer
les fournitures.
Nous ne pouvons pas dépendre entièrement
des générateurs pour faire fonctionner
nos magasins. S’il n’y a pas
d’électricité et plus de carburant, ce
sera l’arrêt total de nos magasins.
Gérer nos magasins avec des générateurs
coûts six fois plus cher qu’avec
l’électricité ordinaire. Chaque kilowatt
de l’entreprise électrique nous coûte
0,5 shekels, et chaque kilowatt du
générateur coûte au moins trois shekels
(0,8€).
Cela fait 10 ans que nous vivons avec ce
problème. Il n’y a pas d’autre solution
que de mettre en œuvre un grand projet
gouvernemental pour alimenter Gaza
avec des panneaux solaires.
Dr Mohamed Abu Selmia – 46 ans –
Gaza-ville
Le docteur
Mohamed Abu Selmia est le directeur de
l’hôpital pédiatrique Al Rantisi
à
Gaza-ville [Mersiha
Gadzo/Al
Jazeera]
Gaza subit ce
problème depuis 10 ans mais ces six
derniers mois, le problème s’est
aggravé. Maintenant nos générateurs
travaillent plus de 20 heures par jour.
L’électricité n’est pas disponible de
façon continue.
Notre hôpital est le seul hôpital
spécialisé pour les enfants à Gaza.
Nous avons une dialyse pour les reins,
l’insuffisance rénale… les patients ont
des traitements quotidiens. S’il n’y a
pas d’électricité, le patient ne peut
pas avoir de dialyse et il meurt si son
sang n’est pas changé quotidiennement.
Nous avons un service de soins intensifs
pour les bébés. Cette unité dépend 100
pour cent de l’électricité pour ses
moniteurs et ses ventilateurs pour la
respiration des patients. La fourniture
d’oxygène dépend aussi de l’électricité.
S’il n’y a pas d’électricité, il n’y a
pas d’oxygène. Nous devrons fermer
l’hôpital [si l’électricité est réduite
et s’il n’y a pas de carburant pour les
générateurs].
Nous avons le laboratoire,
tomodensitogramme et rayons X. Toutes
ces machines ont besoin d’électricité en
continu. A cause des interruptions
d’électricité, nos machines tombent en
panne et ne fonctionnent pas de façon
optimale.
Sans électricité, nous ne pouvons pas
préparer les chimiothérapies pour nos
malades atteints de cancer. Si
l’électricité est réduite, ça sera une
catastrophe. La situation est terrible.
Les hôpitaux ne peuvent pas fonctionner
sans électricité. C’est pire que jamais.
Ali Hussein – 45 ans – Gaza-ville
Ali
Hussein est ingénieur et président
directeur général d’un magasin appelé
Megapower
à
Gaza-ville, spécialisé dans les panneaux
solaires [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Ces deux
derniers mois, quand les gens ont
commencé à entendre les informations sur
l’aggravation de la crise électrique et
qu’une autre guerre allait arriver dans
les prochains mois, la demande de
panneaux solaires a été très élevée. Je
crois que nous avons eu 200 clients rien
que le mois dernier.
Lorsque nous avons ouvert en 2013, nous
avons installé des panneaux solaires
dans 10 maisons. En 2014, dans 100
maisons ; l’année dernière, 700. Cette
année, les ventes ont doublé puisque
nous avons déjà équipé 700 maisons.
L’achat de panneaux solaires pour
alimenter la lumière, la télévision, les
ordinateurs, charger les ordinateurs
portables et pour faire fonctionner le
réfrigérateur et le congélateur pendant
la journée coûte environ 2.000-3.000$
(1.800-2.700€).
Environ 3.000 maisons dans la Bande de
Gaza ont installé des panneaux
solaires. La situation économique étant
très mauvaise, ces sommes sont
inabordables pour les familles
ordinaires ici.
Il faut aussi beaucoup d’espace pour des
panneaux solaires. Nous n’avons pas de
grands espaces ici à Gaza comme
en Europe. Il faut 1.000m² pour 100
kilowatts.
La crise de l’électricité à Gaza
Pour les deux millions de Palestiniens
habitant la Bande de Gaza,
l’électricité est un luxe. Depuis que
l’unique centrale a cessé de fonctionner
en avril dernier (maintes fois bombardée
par les forces du régime sioniste
qui a ensuite systématiquement empêché
l’entrée des pièces de rechange, sans
parler des pénuries de carburant
provoquées par le blocus israélien, ndt),
la Bande assiégée dépend des
approvisionnements israéliens et
égyptiens.
Source :
Al Jazeera
Traduction :
MR pour ISM
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