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Pourquoi l'Islam n'a pas besoin d'une
réforme
Mehdi Hasan
Jeudi 21 mai 2015
Réformer l'Islam
dites vous? Mehdi Hasan contribue
régulièrement par des tribunes libres
dans la presse anglaise au débat sur
l'Islam et le monde musulman (son
expression est « le monde
majoritairement musulman »).
Il entend ici
répondre de manière argumentée à ceux
qui en Occident appellent à une réforme
de l'Islam. Les quelques exemples qu'il
donne viennent des Etats Unis, mais on
aura vite fait de trouver leurs
équivalents das les milieux politiques
et médiatiques hexagonaux.
Mehdi Hasan est
aujourd'hui journaliste présentateur à
Al Jazeera anglaise et a été directeur
de rédaction au New Statesman (un
magazine politique britannique proche du
travaillisme). (by Dziri)
Pourquoi l'Islam n'a pas besoin d'une
réforme
Ceux qui
appellent de leurs vœux un « Martin
Luther musulman » devraient réfléchir
Par Mehdi Hasan
(revue de presse : Mounadil al
Djazaïri – 20/5/15)*
Ces derniers mois,
les appels stéréotypés à une réforme de
l'Islam, une religion vieille de 1 400
ans, se sont multipliés. « Nous avons
besoin d'une réforme musulmane, »
annonçait Newsweek. « L'Islam a besoin
d'être réformé de l'intérieur, » disait
le Huffington Post. Après le massacre de
janvier à Paris, le Financial Times
approuvait ceux qui, en Occident,
considéraient que le président laïque de
l'Egypte, Abdel Fattah el-Sisi, «
pouvait se révéler être le Martin Luther
du monde musulman. » (La chose pourrait
s'avérer difficile étant donné que Sisi,
selon les termes de Human Rights Watch,
a approuvé des « attaques meurtrières
préméditées » contre des manifestants
généralement non armés, qu'on pourrait
assimiler à des « crimes contre
l'humanité. »)
Et puis il y a
Ayaan Hirsi Ali, l'essayiste d'origne
somalienne, athée et ex-musulmane qui
vient de publier un nouveau livre
intitulé « Heretic : Why Islam Needs a
Reformation Now (hérétique, pourquoi
l'Islam a besoin d'une réforme
maintenant). On l'a vu apparaître sur
les plateaux de télévision et dans des
tribunes libres pour exhorter les
Musulmans, libéraux comme conservateurs,
à abandonner certaines de leurs
croyances religieuses centrales et à
s'unir derrière un Martin Luther.La
question de savoir si des Musulmans de
base vont régir positivement à un appel
à la réforme venant d'une femme qui a
qualifié leur religion de « culte de la
mort destructeur et nihiliste » qui
devrait être « écrasé », et a proposé
que Benjamin Netanyahou reçoive le prix
Nobel de la paix, est une autre affaire.
Ce discours n'est
pas nouveau. Thomas Friedman, le célèbre
éditorialiste du New York Times, avait
appelé à une réforme de l'Islam dès 2002
; les universitaires américains Charles
Kurzer et Michaelle Browers ont situé
les origines de cette « analogie avec la
réforme [protestante, NdT] au début du
20ème siècle et observent que des « les
journalistes conservateurs étaient aussi
impatients que les universitaires
libéraux dans leur quête de Luthers
musulmans. »
'L'Islam n'est pas
le christianisme. Ils ne sont pas
analogues, et c'est faire preuve de
beaucoup d'ignorance que de prétendre
qu'il en est autrement. Apparemment,
quiconque veut gagner la guerre contre
l'extrémisme violent et sauver l'âme de
l'Islam, sans parler de transformer un
Moyen Orient qui stagne, devrait être
pour un tel processus. Après tout, le
christianisme a eu la Réforme,
argumente-t-on, qui a été suivie par les
Lumières ; par le sécularisme, le
libéralisme et la démocratie européenne
moderne. Alors pourquoi l'Islam ne
pourrait-il pas faire pareil ? Et
l'Occident ne pourrait-il pas proposer
son aide ?
la réalité est
cependant que les discours sur une
réforme de l'Islam comme celle qu'a
connue le christianisme est très
fortement teinté d'hypocrisie. Examinons
l'idée d'un « Luther musulman ». Luther
ne s'est pas contenté de placarder 95
thèses sur la porte de l'église du
château à Wittenberg en 1517, dénonçant
les abus des ecclésiastiques de l'église
catholique. Il exigeait aussi que les
paysans allemands en révolte contre les
seigneurs féodaux soient « mis à mort »,
les comparant à des « chiens fous », et
il avait écrit « Des Juifs et de leurs
mensonges » en 1543 où il parlait des
Juifs comme «peuple du diable » et
appelait à la destruction de leurs
maisons et de leurs synagogues. Comme
l'a observé le sociologue et spécialiste
américain de l'holocauste Ronald Berger,
Luther avait participé à faire de
l'antisémitisme un « élément central de
la culture et de l'identité nationale
allemande. » Pas vraiment un exemple de
réforme et de modernité pour les
Musulmans en 2015.
La réforme
protestante avait aussi ouvert la porte
à une effusion de sang sans précédent à
l'échelle continentale. Avons-nous
oublié les guerres de religion en France
? Ou la guerre civile anglaise ? Des
dizaines de millions d'innocents
périrent en Europe ; on pense que 40 %
de la population de l'Allemagne a trouvé
la mort pendant la guerre de trente ans.
Est-ce que c'est ce que nous voulons
qu'endure maintenant la partie du monde
en majorité musulmane déjà en proie à
des conflits sectaires, des occupations
étrangères et au legs du colonialisme,
uniquement au nom de la réforme, du
progrès et même du libéralisme ?
'L'Islam n'est pas
le christianisme. Les deux religions ne
sont pas analogues, et c'est faire
preuve de beaucoup d'ignorance, voire de
condescendance, que de prétendre qu'il
en est autrement – ou d'essayer
d'imposer une vision eurocentrique et
parfaitement linéaire de l'histoire à
des pays à majorité musulmane très
divers en Asie ou en Afrique. Chaque
religion a ses propres traditions et
textes ; les adeptes de chaque religion
ont été affectés d'une foule de manières
par des processus géopolitiques et
socio-économiques. Les théologies de
l'Islam et du Christianisme, en
particulier, sont des mondes à part ;
l'Islam par exemple n'a jamais eu de
classe cléricale dans le style
catholique obéissant à un Pape de droit
divin. Alors contre qui devra se faire
la « réforme islamique » ? Sur la porte
de qui faudra-t-il placarder les 95
fatwas ?
La vérité est que
l'Islam a déjà eu sa propre réforme à
tous égards, au sens de se dégager des
appartenances culturelles et d'un
processus de supposée « purification ».
El résultat n'a pas été une utopie
pluraliste et multi-confessionnelle, une
Scandinavie sur l'Euphrate. Elle a
produit au contraire... le royaume
d'Arabie Saoudite.
N'est-ce pas
exactement une réforme qui a été offerte
aux masses du Hedjaz par Muhammad Ibn
Abdul Wahhab, le prédicateur itinérant
de la moitié du 18ème siècle qui avait
fait alliance avec la famille Saoud ? Il
proposait un Islam austère débarrassé de
ce qu'il considérait comme des
innovations, il écartait des siècles de
tradition intellectuelle et du
commentaire, et il rejetait l'autorité
traditionnelle des oulémas, ou des
autorités [en termes de savoir, NdT]
religieuses.
On pourrait même
dire que si quelqu'un mérite le titre de
Martin Luther musulman, c'est Ibn Abdul
Wahhab qui, aux yeux de ses détracteurs,
combinait le puritanisme de Luther à
l'antipathie du moine allemand à l'égard
des Juifs. La position controversée
d'Ibn Abdul Wahhab à l'égard de la
théologie musulmane, écrit son biographe
Michael Crawford, « l'amena à condamner
une bonne partie de l'Islam de son
époque » et avait entraîné son rejet
comme hérétique par sa propre famille.
Ne vous méprenez
pas. Des réformes sont évidemment
nécessaires dans un monde musulman en
crise : des réformes politiques,
socio-économiques et, c'est vrai,
religieuses aussi. Les Musulmans doivent
redécouvrir leur propre héritage de
pluralisme, de tolérance et de respect
mutuel – incarné, par exemple, dans la
lettre du Prophète aux moines du
monastère Sainte Catherine , ou dans la
« convivencia » 'ou co-existence) de
l'Espagne musulmane médiévale.
Ce dont le monde
musulman n'a pas besoin, c''est d'appels
désinvoltes à une réforme de l'Islam
formulés par des non Musulmans et par
d'ex-Musulmans, dont la répétition
illustre simplement à quel point des
commentateurs occidentaux de premier
plan sont superficiels, simplistes,
a-historiques et même anti-historiques
sur cette question. Il leur est beaucoup
plus facile, semble-t-il, de réduire le
débat complexe sur l'extrémisme violent
à une série de poncifs, de slogans et de
petites phrases plutôt que d'examiner
les causes à la racine de ces tendances
historiques ; plus facile de porter au
pinacle les détracteurs les plus
extrêmes et les plus intolérants de
l'Islam tout en ignorant les voix des
nombreux militants, savants et
universitaires.
Hirsi Ali, par
exemple, a eu droit à toute une série de
louanges et de questions complaisantes
dans le flot d'interviews qu'elel a
faites avec des médias américains, du
New York Times à Fox News (« Une héroîne
de nitre temps », disait un gros titre
de Politico). On ne pouvait
malheureusement que constater que seul
l'humoriste Jon Stewart, dans le Daily
Show, s'était soucuié de signaler à
Hirsi Ali que son héros réformiste
voulait une « forme plus pure de
christianisme » et avait contribué à
créer « un siècle de violence et de
chaos. »
Avec mes excuses à
Luther, si quelqu'un veut faire la même
chose avec l'Islam aujourd'hui, c'est le
chef de l'Etat Islamique en Irak et au
Levant (EIIL ou Daesh), Abu Bakr al-Baghdadi
qui prétend violer et piller au nom
d'une « forme plus pure » de l'Islam –
et qui incidemment n'est pas très fan
des Juifs non plus. Ceux qui implorent
de manière si simpliste, et pas qu'un
peu bêtement, pour une réforme de
l'Islam, devraient être un peu plus
prudents quant à ce qu'ils appellent de
leurs vœux.
Photo :
Mehdi Hasan
Source :
Mounabil al Djazaïri
https://mounadil.wordpress.com/2015/05/20/reformer-lislam-dites-vous/
*The Guardian (UK)
17 mai 2015 traduit de l'anglais par
Djazaïri
© G. Munier/X.
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Publié le 21 mai 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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