Actualité
Alep : le poids de la désinformation,
le choc des mensonges. Partie 2
Maxime Perrotin
© REUTERS/
Omar Sanadiki
Jeudi 15 décembre 2016
Source :
Sputnik
Les
médias occidentaux décrivent des scènes
d’apocalypse en parlant d’Alep Est, se
basant sur des témoignages sujets à
caution, comme nous l’avons analysé dans
notre première partie. Une situation qui
met en rage les vrais acteurs de terrain
à Alep. Témoignage d’Alexandre Goodarzy,
Chef de mission en Syrie pour SOS
Chrétiens d’Orient.
Si les
médias occidentaux citent de supposés «
habitants d'Alep Est », rencontré
uniquement via les réseaux sociaux,
Alexandre Goodarzy, Chef de mission en
Syrie pour SOS Chrétiens d'Orient, lui,
les rencontre en chair et en os tous les
jours. Et le tableau qu'il dresse de la
situation tranche singulièrement avec
celui véhiculé par les médias mainstream:
« Hier
et encore aujourd'hui, vous êtes dans la
rue, c'est une célébration ce à quoi
vous assistez: les gens célèbrent la
libération d'Alep. On n'est pas en train
de subir une chute de la ville, c'est
une célébration, ce sont deux
populations qui ont été séparées et qui
se retrouvent, il n'est plus question
d'Alep Est ou d'Alep Ouest, c'est Alep
tout court ! »
Présent sur place depuis un an et demi,
Alexandre Goodarzy est à même de dresser
un tableau bien plus nuancé de la
situation. Si les pertes civiles dans
une telle opération militaire ne peuvent
être niées, il réfute les allégations
selon lesquelles celles-ci sont
sciemment perpétrées par l'armée
régulière :
« Les seuls massacres dont
on a entendu parler sont justement
perpétrés par ces personnes-là qui sont
encore en train de tenir les 1 ou 2 %
restant du sud d'Alep. »
Travaillant
dans un hôpital d'Alep Ouest, il a pu
rencontrer des personnes venant d'Alep
Est depuis que des milliers de civils
ont pu s'échapper de l'enclave rebelle.
« Ils étaient bloqués, ils ne pouvaient
pas sortir de la ville. Là, j'étais avec
une dame, elle a été totalement affamée
pendant 5 ans. Évidemment, on leur
donnait juste du Boulgour et du riz. On
voit en direct, avec la presse locale,
ils rentrent dans les galeries, les
tous-terrains, partout… et on voit des
caches, des réserves de bouffe, on peut
nourrir une population pendant des mois
et des mois. C'était des cartons de
l'UNICEF, des cartons d'ONG humanitaires
internationales, mais dont les
populations civiles étaient privées. »
Les djihadistes ne se contentaient pas
de rationner la population d'Alep Est
pour se réserver les approvisionnements.
Il en était de même pour les soins.
Alexandre Goodarzy relate le sort des
hôpitaux d'Alep Est à l'arrivée des
djihadistes, vidés par ces derniers et
d'où ils effectuaient des tirs vers Alep
Ouest, se réservant aussi l'exclusivité
des soins :
« Quand
les hôpitaux sont vidés, les djihadistes
se font des hôpitaux pour eux, la
population civile était dépourvue de
soins. »
Pour
les djihadistes, le bien-être de la
population était évidemment secondaire,
celle-ci servant essentiellement de
boucliers humains. Sinon, pourquoi les
empêcher de fuir les combats, comme le
signalent l'AFP et l'ONU, une
information confirmée par notre
correspondant ?
« J'étais dans un
autre hôpital hier et les bonnes sœurs
avaient rencontré des gens qui viennent
se soigner, qui viennent bénéficier des
soins que l'Ouest d'Alep leur offre et
qui dissent: on nous a tiré dessus, je
n'ai pas pu ramasser les corps de mon
frère et de mon oncle. Ils ont été
abattus sous mes yeux comme des chiens
et je n'ai même pas pu me pencher sur
leurs cadavres pour m'enfuir et c'était
des terroristes qui leur tiraient
dessus, ce n'était pas l'armée syrienne
! »
Des habitants « coincés » qui
seraient plus de 100 000, une autre
information largement reprise, sans
vérification ni même examen de bon sens.
Pourtant, pour vous donner une idée, il
reste 2 km — de terrain à reprendre… ce
qui fait donc une densité de population
de 50 000 habitants au km², pulvérisant
le record mondial de Manille et ses 43
079 hab/km². Pour nos lecteurs
sinophiles, Alep-Est est donc quatre
fois plus peuplée au kilomètre que
Shanghai. Ne parlons même pas du fait
que les photos des prétendus témoins
direct montrent toujours des rues vides
de tout civil… seuls quelques
combattants y sont en général visibles.
« Ces deux kilomètres carrés là ne
veulent pas se rendre, ce sont
apparemment très clairement des djihadistes étrangers, de ce qui est dit
ici. Ils continuent de bombarder,
d'envoyer ce qu'il leur reste, du côté
d'Alep Ouest ».
« Pourquoi on ne
s'intéresse pas aux populations de
l'Est, qui aujourd'hui grouillent dans
les rues de l'Ouest? Pourquoi on ne
s'intéresse pas à ces gens-là? Pourquoi
on vient encore nous prendre la tête
avec ce 1 % d'assassins qui refusent de
foutre la paix à toute une population! À
tout un pays! Et on devrait rendre
hommage à ces gens-là ? C'est de
l'aliénation, c'est du délire, c'est de
la perversion! »
Un témoin des plus
exaspéré, donc, qui s'en prend
violemment aux journalistes :
« Les journalistes français, selon mon
opinion, sont des menteurs! Ils savent
très bien ce qui se passe ici, il y a
une volonté de contorsionner la vérité!
Ce que j'ai vu à Alep, je l'ai vu dans
d'autres villes, cela fait un an et demi
que je vis ici et j'ai vu ce que les djihadistes ont fait des hôpitaux ! »
«
Je pense qu'il y a assez de personnes
ici qui ont dit, et qui ont témoigné,
qui ont hurlé la vérité et elle n'est
pas entendue ! On s'obstine à dire que
ces gens-là sont porteurs de démocratie
et de droits de l'homme, et on persiste
à faire passer ceux qui luttent contre
cette barbarie pour des fumiers. »
Illustration parfaite de ces propos est
le sort du jeune français Pierre Le Corf,
pris à partie ces derniers jours par une
partie de l'intelligentsia médiatique
parisienne:
« J'en
tire les conclusions suivantes: il n'y a
pas plus sourd que celui qui ne veut pas
entendre, pas plus aveugle que celui qui
ne veut pas voir et à un moment donné
cela devient de la perversion ! »
Alexandre Goodarzy évoque notamment les
conséquences des interventions en Irak
et en Libye, s'étonnant que personne
n'en tire les conséquences, pire, que le
cas de figure se répète la prochaine
fois qu'un pays sera déstabilisé par
l'étranger.
Un aveuglement qui ne touche
pas que la presse. Alors que j'écris ces
lignes, Anne Hidalgo, maire de Paris, a
fait savoir par communiqué que ce soir
14 décembre la Tour Eiffel sera éteinte
en soutien à Alep, face à la « situation
insupportable » vécue par les habitants
de la ville… j'ai tenu à faire réagir
Alexandre Goodarzy, qui n'est
visiblement pas resté insensible à
l'incongruité d'une telle situation.
« C'est hypocrite […] on est en train de
se battre en Afghanistan contre Al-Qaïda
et ici on le soutient, mais on lui donne
un autre nom. J'aimerai bien aussi qu'on
éteigne la Tour Eiffel par exemple pour
les frères Kouachi qui ont été abattus,
pour Merah qui s'est fait flinguer ou le
tueur de l'hyper-kacher, ça pourrait
être aussi intéressant que d'éteindre la
tour-Eiffel pour ces types-là ! »
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