Analyse
La nouvelle guerre impérialiste
contre le Monde arabe
Marie Nassif-Debs
Mercredi 2 mai 2018
Le 2 aout 2015, le
« Sunday Express »
publiait un article dans lequel il
parlait de l’engagement de 120 SAS
(Special Air Force, ou commandos des
forces spéciales britanniques), de ceux
déjà présents en Irak, dans une
opération militaire en Syrie. Cette
opération, portant le nom d’Opération
Shader, avait pour but d’attaquer des
cibles de l’armée syrienne. Le journal
avait, alors, fait le lien entre cette
présence et ce qui s’était déjà passé en
Libye, tant dans la capture de Kadhafi
(nous rappelons, à cet effet, un article
paru alors dans le Daily Telegraph) que
dans les événements qui s’en suivirent
et qui ont semé le chaos dans ce pays.
Pourquoi revenons –
nous à cet épisode de la guerre
impérialiste dans le Maghreb arabe,
appelé communément l’Afrique du Nord ?
Ce qui nous y
pousse, ce sont les déclarations faites,
il y a de cela quelques jours, par M.
Igor Konachenkov, porte –
parole du ministère russe de la défense
à propos de la vidéo diffusée sur la
prétendue attaque chimique à Douma.
M. Konachenkov déclare que les
médecins et les victimes de cette
attaque, interrogés, ont déclaré qu’ils
étaient en train de tourner un film près
d’un incendie et que la fumée était bien
celle de l’incendie provoqué par une
bombe; pendant le tournage, un homme
étranger au tournage s approcha en
criant que c’était une attaque à l’arme
chimique, ce qui a semé la panique parmi
les gens faisant partie du tournage. Et
Igor Konachenkov d’accuser les
Britanniques, vu que des SAS ont été
capturés à Douma et , aussi, tenant
compte des rumeurs qui ont circulé tout
de suite après la prétendue attaque
et qui ont dit en substance que la fumée
cachait le transport de quelques
milliers de terroristes de Daech, cachés
à Douma vers une destination inconnue,
via la Turquie (certaines de ces
rumeurs nomment le Yémen comme étant
cette destination).
Cela nous rappelle,
non seulement la Libye,
mais aussi, mais surtout l’Irak
meurtri après des accusations
semblables du Premier ministre
britannique d’alors Tony Blair
qui avait dit se baser sur des images
satellites recueillis par les
mêmes services militaires, puis les
meurtres et les exécutions sommaires qui
ont endeuillé la Grande Bretagne
quelques temps après que la supercherie,
présentée comme argent comptant par
M. Colin Powell, ait été
éventée. Cela nous rappelle aussi tout
ce que des journaux britanniques et des
médias étasuniens et européens ont,
depuis la guerre contre l’Irak, écrit et
raconté sur les rôles conjugués,
joués tant par la CIA et le SAS – avec
l’aide de l’OTAN – dans toutes les
guerres qui ont éclaté au Moyen Orient,
en Palestine, au Liban, et surtout au
Yémen et en Syrie.
Pourquoi la
nouvelle escalade capitaliste en Syrie
et, en général, dans la Méditerranée
orientale ? Quel est la nouvelle phase
du projet étasunien dit « Le Grand
Moyen Orient », tant en Syrie
qu’en Palestine et au Liban? Quel rôle
est accordé à l’Europe et, surtout, à
l’entité israélienne mais aussi aux
régimes réactionnaires arabes dans ce
projet ?
La réponse se
trouve dans les nouvelles politiques
présentées, depuis le début de 2018, par
les grandes puissances capitalistes. En
effet, le 2 février 2018, le
Pentagone, publia la nouvelle « Nuclear
Posture Review » (Revue de la
posture nucléaire), la quatrième version
du genre depuis la fin de la guerre
froide. Cette publication fut considérée
comme un événement majeur, surtout
qu’elle avait été, pendant huit ans,
jetée aux oubliettes et que
l’administration de Donald Trump
y montre clairement une évolution
négative de la vision des Etats-Unis
concernant le rôle des armes nucléaires
et les confrontations armées. Et, si
nous faisons une rapide comparaison
entre cette nouvelle NRP et celle parue
en 2010, nous pouvons dire que la NPR
2010 prévoyait une concentration sur la
lutte contre le terrorisme nucléaire et
la prolifération des armes de
destruction massive, ce qui reflétait
la hiérarchie des menaces pour la
sécurité nationale des États-Unis.
Par contre, la NPR 2018 renverserait
cette hiérarchie, en mettant au premier
plan les menaces émanant de la
modernisation des arsenaux de la Russie
et la Chine, ainsi que celles présentées
par le programme nucléaire nord-coréen
et le potentiel technologique iranien.
Cet événement
majeur fut suivi rapidement, le 20 du
même mois de février, par la « Conférence
sur la sécurité » de Munich
qui rassembla, pour la première fois,
682 hautes personnalités, dont trente
chefs d’État et de gouvernement,
quarante de ministres d’Affaires
étrangères, quarante autres ministres de
la Défense, et presque tous les patrons
des services secrets des pays
capitalistes occidentaux. A cela
nous devrions ajouter les
directeurs de think tanks les plus
importants, les responsables d’ONG dites
« humanitaires » et aussi des
journalistes bien en vue dans les
médias.
Pourquoi les
responsables militaires et des services
secrets sont – ils là ? Parce que, tout
simplement, et depuis trois ans, un
sommet des services secrets se tient
discrètement en marge de la Conférence.
Dans ce sommet, il fut question de ce
qui se passe au Moyen Orient, en
général, mais surtout de la Syrie et de
la nouvelle attaque turque ainsi que des
armes chimiques et du déploiement
militaire dans le monde.
Parallèlement à ces
deux événements, le président russe
Vladimir Poutine consacra la
moitié de son discours du premier mars
2018 aux nouvelles armes créées par son
pays. Il attira l’attention en parlant
d’un nouveau « missile de
croisière doté d’une charge explosive
nucléaire, avec un rayon d’action
pratiquement illimité. Ce missile est
quasiment impossible à détecter et il
est invincible face à tous les systèmes
existants et futurs de défense
anti-aérienne. »… tout en
concluant : « Il y a vingt ans
personne ne nous prenait au sérieux.
Personne ne nous écoutait. Eh bien,
écoutez-nous maintenant ! ».
Que cache cet
étalage d’escalade militaire ? Est-ce
une troisième guerre mondiale qui se
prépare et où commencera-t-elle ?
Si nous prenons en
considération les véritables causes,
économiques, des deux grandes guerres du
XXème siècle, nous pouvons dire que le
monde capitaliste actuel se trouve
confronté à une crise économique sans
précédent. Commencée en 2002, elle
explosa en 2008 et, malgré tout ce qui
se dit depuis quelques années sur la
sortie du marasme et la reprise, la
crise n’a pas régressé ; bien au
contraire, elle est de plus en plus
aigüe et toutes les solutions essayées
dans le but d’en sortir n’ont rien
donné. D’où redivision du monde entre
les grandes puissances, tel que cela fut
fait en 1917 par une autre alliance
tripartite sous le nom du traité de
Sykes – Picot. Ce traité qui divisa
le Monde arabe entre les deux grandes
puissances colonialistes d’alors, la
Grande Bretagne et la France et permit à
la Russie tzariste d’avoir accès aux
mers chaudes, à travers la Turquie.
Mais qui aura,
cette fois, la grande part des
ressources et des marchés ?
Les Etats-Unis,
bien entendu.
Et quelles sont les
régions qui donneront le contrôle du
monde à venir, après que les Etats-Unis,
sacrés pour vingt ans dirigeants uniques
de la planète, se trouvent aujourd’hui
confrontés par le BRICS, et spécialement
par la Russie, la Chine et leurs alliés
moyen orientaux ? Et, enfin, qui gagnera
la guerre du gaz, denrée essentielle
durant les années à venir et si présente
dans le bassin oriental de la
Méditerranée, surtout dans les eaux
territoriales allant de la Palestine à
la Syrie et se prolongeant vers
Chypre. « Le triangle d’or », tel que je
l’ai appelé dans un article paru il y a
quelques années.
Aujourd’hui, la
guerre dans notre région est, en partie,
liée à ce « triangle d’or ». Et le
nouveau plan étasunien pour la Syrie,
qui profite des crimes commis par le
régime et des rivalités entre l’Arabie
saoudite et l’Iran, est la division de
la Syrie afin de pouvoir mettre la main
sur une partie de ce gaz, dont
l’extraction est déjà accordée par Assad
à la Russie, mais aussi de contrecarrer
le projet du gazoduc russe passant par
la Turquie et allant vers les ports
syriens de la Méditerranée.
Il y a, donc, un
retour au projet émis par Zbigniew
Brezinski dans son livre majeur
« Le Grand échiquier ».
dans lequel la Syrie tient une
position,-clé, comme cœur du Moyen
Orient et centre d’un nœud de routes
conduisant vers l’Egypte et l’Afrique, à
travers la Palestine occupée, mais aussi
vers la l’Occident et le Maghreb arabe,
à travers le Liban.
Ce que le projet
prévoit, c’est une division de ces trois
pays, c’est-à-dire leur disparition de
la carte. Voilà comment nous expliquons
l’intervention soudaine de la Turquie et
l’occupation d’Afrine et autres régions
au nord –ouest de la Syrie, ainsi que
des menaces proférées contre toutes les
régions habitées par les Kurdes, sans
oublier le rôle des alliés de Washington
à Raqqa… tandis que les Russes se
positionnent sur tout le littoral et,
surtout, autour de Damas.
Voilà comment nous
expliquons les nouvelles agressions
israéliennes en Palestine occupée et les
nouvelles lois concernant la
colonisation de territoires nouveaux et
le refus du gouvernement Netanyahu,
avec l’appui de Trump,
d’accepter l’idée des deux Etats. Dans
ce contexte, notons que dans un mois,
Trump va mettre en pratique ses
menaces sur Al Quds.
Voilà pourquoi le
litige concernant la partie sud des eaux
territoriales libanaises est toujours en
suspens, et les menaces israéliennes de
faire la guerre au Liban augmentent à
vue d’œil. Voilà pourquoi, enfin, toutes
les puissances capitalistes concentrent
dans cette partie du monde des navires
de guerre, des sous-marins nucléaires et
autres, des troupes d’élite encadrant
des terroristes et des mercenaires venus
de toutes parts.
Pendant ce temps,
le conflit oublié au Yémen
se poursuit ; et les massacres parmi la
population civile se poursuivent, tandis
que les terroristes gagnent de plus
en plus du terrain, aidés en cela
par les grandes puissances capitalistes
qui croient pouvoir mettre la main sur
Bab al Mandab et les axes qui en
divergent ainsi que sur ceux partant de
l’Irak et de la Syrie vers la
Méditerranée et l’Egypte, via la
Palestine et le Liban.
La troisième guerre
mondiale aura-t-elle lieu ? Oui, si les
peuples de la planète, surtout ceux des
pays impliqués dans sa préparation, ne
s’y opposent pas.
Marie Nassif –
Debs
Paris, le 20
avril 2018
Coordinatrice générale du Forum
de la gauche arabe
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