Palestine
Les Palestiniens ont d’abord besoin de
justice,
avant la paix
Mariam Barghouti
Une femme montre
une affiche qui demande « Salam,
Shalom » (Paix, Paix)
lors d’une
manifestation pour la paix en Palestine,
à Zurich, le 29 juillet 2014
(Reuters/Arnd
Wiegmann).
Samedi 30 novembre 2019 Palestine, la
« paix » est devenue un euphémisme pour
que se prolongent le statu quo et
l’occupation israélienne.
Mariam Barghouti –
Al Jazeeera – 13 novembre 2019
Peu après son
arrivée à la Maison-Blanche, le
Président des États-Unis Donald Trump a
promis de faire ce que ses prédécesseurs
n’avaient pas réussi à faire : négocier
un accord de paix viable entre Israël et
la Palestine. Trois ans après son entrée
en fonction, pourtant, les détails de la
partie politique de son soi-disant
« accord du siècle » n’ont toujours pas
été dévoilés, et la paix reste plus que
jamais hors d’atteinte pour la
Palestine.
Les Palestiniens
ont su dès le départ que l’accord de
Trump ne mettrait pas fin à leur réalité
coloniale. Ils étaient sceptiques non
seulement parce que l’accord allait être
rédigé par une équipe spectaculairement
inexpérimentée, et résolument
pro-Israël, mais encore parce qu’en
Palestine, la « paix » elle-même est à
la base de la trahison.
Les Palestiniens
ont appris depuis longtemps que dans le
contexte de négociations
israélo-palestiniennes, la « paix »
prend une dimension particulièrement
retorse. Elle est souvent associée à des
« solutions » au « problème »
palestinien qui sont incapables de
donner la justice ou l’égalité au
peuple palestinien. Ce fut le cas avec
les Accords de paix d’Oslo en 1993 qui
ont échoué, et ce sera sans aucun doute
le cas aussi avec l’ « accord suprême »
de Trump.
Les tentatives pour
arriver à une « paix » en Palestine
consistent le plus souvent à accorder
des « opportunités économiques » aux
Palestiniens afin de les convaincre
d’abandonner leur lutte pour une
existence libre et digne dans leur
patrie, et d’accepter les conditions qui
leur sont imposées par Israël. Trump
avait déjà montré qu’il ne s’en
écarterait pas quand son équipe a révélé
la « partie économique » de son « plan
de paix » – la proposition de remettre
une somme de 50 milliards de dollars aux
Palestiniens pour aider leur économie –
sans même évoquer l’occupation militaire
israélienne alors qu’elle se trouve au
cœur des innombrables problèmes
économiques, politiques et humanitaires
de la Palestine.
Les Palestiniens
restent sceptiques devant toute
tentative de parvenir à une solution
socio-politique mettant l’accent sur la
notion de paix parce que nous savons que
de telles tentatives réduisent notre
lutte à un simple dérangement. Les
vendeurs de paix, occidentaux et
israéliens, considèrent notre résistance
comme un fardeau et comme un témoignage
de l’incapacité prétendue des peuples du
Moyen-Orient à coexister en paix. C’est
pourquoi ils nous répètent sans cesse
que pour parvenir à la paix, il nous
faut d’abord être « tolérants » – ce qui
veut dire qu’il nous faut accepter le
vol de notre terre et la situation
d’apartheid dans laquelle nous vivons
actuellement.
La résistance
palestinienne, violente comme non
violente, est constamment désignée
comme « un obstacle à la paix ». Dans le
même temps, Israël évoque régulièrement
le mantra selon lequel il a le « droit
de se défendre ».
Cette semaine
encore, ce sont ces mêmes mots que le
Premier Ministre Benjamin Netanyahu a
prononcés après l’assassinat par Israël
du dirigeant du Jihad islamique Baha Abu
al-Atta et de son épouse à Gaza. Il en
va de même quand les Palestiniens
manifestent pacifiquement contre des
soldats lourdement armés.
Alors que nous
sommes constamment accusés de commettre
des actes violents, la violence qui se
déchaîne constamment contre nous n’est
jamais reconnue. Quand nous ne sommes
pas bombardés ou pris pour cibles par
des tireurs d’élite par centaines, nous
sommes humiliés, opprimés et violentés
quotidiennement : que ce soit en passant
à un check-point militaire, en étant
confrontés à une nouvelle loi
discriminatoire israélienne, en étant
expulsés de nos maisons, en essayant de
manger dans le noir en raison d’une
coupure de courant, en nous battant
devant les tribunaux militaires
israéliens pour prouver notre innocence,
en essayant de survivre dans les prisons
israéliennes ou en endurant la pression
des états policiers que sont réellement
de facto nos gouvernements.
Même la simple
tâche d’essayer d’être auprès de ceux
que vous aimez entraîne parfois de
souffrir d’une variété de
micro-agressions par l’occupation étant
donné que les Palestiniens de
Cisjordanie, de la bande de Gaza et du
reste de la Palestine historique
restent, physiquement et légalement,
séparés les uns des autres.
Pourtant, les
efforts pour une « paix » en Palestine
exigent toujours des Palestiniens – et
jamais des Israéliens – de faire des
concessions et de se contenter de
toujours moins : moins de souveraineté,
moins de liberté et moins de droits.
Année après année, négociateurs,
diplomates et politiciens nous demandent
d’accepter comme normale l’existence
d’une colonie de colons hostiles sur
notre terre ancestrale et de
l’oppression que nous endurons de la
part des occupants israéliens.
C’est pourquoi les
Palestiniens se trouvent toujours dans
une situation pire après chaque
tentative de réaliser une « paix ». Le
Protocole de Paris (un corollaire des
Accords de paix d’Oslo de 1993), par
exemple, a accru la dépendance de
l’économie palestinienne vis-à-vis
d’Israël, tandis qu’Oslo lui-même a
permis de facto un contrôle israélien
sur plus de 62 % de la Cisjordanie.
On s’attend
toujours à ce que les Palestiniens
acceptent n’importe quelle offre
déguisée en un « pas vers la paix », et
ils sont criminalisés s’ils ne le font
pas. Un rejet d’un plan de paix devient
un emblème de la réticence palestinienne
à réaliser une paix, plutôt que de la
reconnaissance de la nature viciée d’une
solution qui est proposée sans que soit
reconnue la nécessité de la justice
La paix est sans
aucun doute ce que veut le peuple
palestinien. Mais ils ne conduisent pas
une guerre. Ils n’ont aucune armée
officielle, aucunes frontières
officielles ; ils n’ont aucun contrôle
sur leurs ressources et leurs terres ;
et même leurs responsables politiques se
font parfois assassiner ou incarcérer.
Si la paix est vue comme une chose
séparée et de plus essentielle que la
« justice », alors elle se transforme en
une recherche de normalisation d’une
oppression coloniale et d’une population
silencieuse et égarée.
Quand il est
question du conflit israélo-palestinien,
la « paix » est un euphémisme pour que
se prolongent le statu quo et la
détérioration maintenue du niveau de vie
des Palestiniens.
C’est pourquoi il
est temps pour les acteurs qui tentent
de trouver une solution au conflit
israélo-palestinien de concentrer leurs
efforts pour, d’abord, instaurer la
justice. Ceci implique de mettre fin à
l’oppression coloniale de notre peuple,
fin aux restrictions à nos déplacements,
fin à l’apartheid, de ne plus être
traités comme inférieurs à des êtres
humains, dans notre patrie.
Ce n’est qu’alors,
et alors seulement, que la Palestine
connaîtra la paix – une paix définie non
par l’absence de violence manifeste,
mais par la capacité pour tous les
habitants de cette terre à y vivre, à
s’y déplacer et à y respirer, librement.
À propos de
l’autrice :
Mariam Barghouti
est une autrice palestinienne, de
nationalité états-unienne, basée à
Ramallah en Cisjordanie.
Traduction : BP
pour l’Agence Média Palestine
Source:
Al Jazeera
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