Section Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
L'histoire à la recherche d'un
interlocuteur
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 26 août 2016
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1 - La bataille des
cerveaux
2 - Un Dieu unique en
apprentissage de la politique
3 - Qui exerce l'autorité de
définir une religion
4 - Qu'est-ce que le recul
intellectuel ?
5 - La France acéphale
6 - Salluste l'anthropologue
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1 - La
bataille des cerveaux
Le 1er
septembre 1966, dans un discours
prononcé à Phnom Penh au Cambodge en
présence de cent mille personnes, le
Général de Gaulle posait en ces termes
la pierre angulaire de l'histoire
contemporaine et fustigeait en ces
termes l'expansion de l'empire
américain: "De plus en plus étendue
en Asie, de plus en plus proche de la
Chine, de plus en plus provocante à
l'égard de l'Union Soviétique, de plus
en plus réprouvée par nombre de peuples
d'Europe, d'Afrique, d'Amérique latine,
et, en fin de compte menaçante pour la
paix du monde."
Mais
l'homme du 18 juin feignait de juger
stupéfiante l'histoire d'une nation qui
pouvait s'offrir le luxe inouï de
paraître avoir remporté toute seule la
guerre de 1939-1945 et qui était
parvenue à détourner l'attention du
monde de la contribution de la Russie à
la victoire des principes universels de
la démocratie. Or, depuis la chute de
l'empire romain l'histoire appartenait
aux guerriers. Charlemagne avait mené
plus de trente guerres, mais la prise de
la Bastille a ouvert une ère nouvelle
dans l'histoire de l'humanité en ce que
la victoire des armes se situe désormais
sur le champ de bataille d'un combat
planétaire entre des encéphales
inégalement évolués.
D'un
côté, la victoire de 1945 a déclenché
une ruée des cerveaux prisonniers du
songe marxiste qui rêvaient d'abolir
purement et simplement la propriété
privée des moyens de production, tandis
que, de l'autre, l'utopie opposée
tentait de placer la planète entière
sous le sceptre de Wall Street et d'un
dollar de papier dûment métamorphosé en
écus sonnants et trébuchants.
Ces
deux mythologies rivales se sont
combattues pendant plus de quarante ans,
jusqu' en 1989, date de la chute du mur
de Berlin. Mais en fait, le combat entre
les cervelles a débarqué sur le théâtre
de l'histoire trois siècles auparavant,
en 1598. Cette année-là, l'édit de
Nantes avait divisé le genre humain
entre les têtes bien décidées à
assassiner effectivement la victime du
sacrifice chrétien sur l'autel de la
messe, à boire son sang encore chaud et
à dévorer sa chair bien fraîche. Dans le
camp retranché d'en face, on réduisait
l'Isaac des chrétiens à la présentation
d'un cadavre symbolique à avaler par le
créateur de l'univers, ce qui humanisait
quelque peu le monstre de la Genèse,
mais lui faisait oublier que le destin
de la créature évoque, comme dit
Shakespeare, "une histoire pleine de
bruit et de fureur racontée par un idiot".
2 - Un Dieu unique
en apprentissage de la politique
Ce
n'est pas depuis 1789, mais depuis 1598
que le théâtre de l'histoire de la
planisphère est celui que seule une
anthropologie critique sera en mesure de
décrypter. Or, ce décryptage ne sera
rendu possible qu'à la lumière de la
mythologie biblique, car le genre humain
refuse purement et simplement d'observer
la psychophysiologie et la complexion
politiques du Dieu unique qu'il s'est
construit à son image. Ce Dieu est censé
exposer de sa propre initiative son
ignorance et son incompétence de
débutant. Faute d'un lent et sûr
apprentissage des devoirs attachés à sa
fonction, il a commencé sa carrière par
un holocauste universel et pour ainsi
dire, par la bombe atomique de son
temps, à savoir le Déluge. Puis,
l'apprenti, aussi sot que maladroit,
qu'on appelle le Créateur, avoue s'être
repenti de sa stupidité, ce qui a mis en
place un acteur de l'histoire à la fois
faillible et perfectible, à la manière
de Louis XIV qui disait à la fois: "L'Etat,
c'est moi", et: "J'ai trop aimé
la guerre".
Il est
donc bien évident que l'histoire codée
du genre humain est celle d'un animal à
la recherche, dans le vide de
l'immensité, d'un interlocuteur autre
que lui-même. Ce néophyte apprend
progressivement que seul celui qui se
connaîtra lui-même connaîtra les arcanes
de la bête parlante. Mais, depuis 1905,
l'Europe a perdu la trace de son
évolution cérébrale. Ni le Ministère de
la culture, ni celui de l'éducation
nationale, ni l'école des sciences
politiques de la rue saint-guillaume, ni
notre enseignement universitaire, ni le
Collège de France, ni nos sciences
humaines timorées et craintives ne
savent ce qu'est une religion et quelles
sont les relations qu'une bête tueuse
entretient avec ses sacrifices cultuels.
3 - Qui exerce
l'autorité de définir une religion?
Cette
situation soulève une difficulté
insurmontable au premier abord. Car le
pape François lui-même semble croire
qu'une religion se définit à la simple
écoute des pratiques religieuses des
fidèles et il en conclut tranquillement
que toutes les religions nourrissent
dans leur sein un microscopique noyau de
tueurs. Mais si nous ne définissons une
religion ni à l'écoute de ses docteurs,
ni à l'école de l'autorité doctrinale
qu'exerce sa hiérarchie, nous perdrons
le seul fil d'Ariane qui nous conduirait
au décryptage du meurtre sacré sur
lequel les trois monothéismes fondent
leur catéchèse. Car la mentalité du
catholicisme espagnol n'est pas celle de
la Catalogne, le catholicisme que
pratique la Calabre n'est pas celui de
la France, le catholicisme polonais
n'est pas celui de Neuilly.
Si
nous laissons la multitude des pratiques
locales d'une religion définir le
contenu de son culte, nous retrouverons
l'adage latin: "Quot homines, tot dii,
Autant d'hommes, autant de dieux",
alors que la vraie question est de
savoir pourquoi le dieu en cours de
formation, donc faillible et perfectible
de la Genèse, ne fait l'objet d'aucun
examen objectif de son histoire et de sa
politique. La cause en est simple:
l'homme se ne cesse de se dérober au
spectacle de son identité, et cela
exactement de la même manière qu'il se
cache l'identité réelle de son Dieu
unique.
Mais
pourquoi se dissimuler que l'homme est
une bête tueuse ? Pourquoi se dérober à
ce spectacle? La réponse se camoufle
dans le génie politique d'un personnage
mythique à son tour, un certain Abraham.
Sachant que l'humanité est une tueuse
par nature et par définition, ce "père
de la multitude" nous dit
l'étymologie hébraïque, est censé s'être
dit qu'il fallait dévier le meurtre
cultuel des enfants premiers-nés
illustrés par Isaac et le remplacer par
un substitut dérisoire, mais acceptable
par la divinité, à savoir, un agneau.
Mais comment convaincre le démiurge de
se satisfaire d'une prébende animale? Le
seul moyen crédible était de faire
demander cette auto-spoliation par le
Créateur en personne.
On
voit comment un animal décérébré à
l'école de ses songes tentera de
retrouver une cervelle évolutive, mais
tombée en panne depuis 1905.
4 - Qu'est-ce que
le recul intellectuel?
Mon
anthropologie historique se veut
critique par définition du seul fait que
le terme même de science présuppose un
recul, donc une distanciation fondée sur
une pesée des mots de l'histoire et de
la politique.
Qu'est-ce à dire? De quelle raison
parlons-nous quand nous disons que
l'Europe repose sur une civilisation de
l'intelligence rationnelle? Pour
comprendre le nœud stratégique de la
quête du "connais-toi", il faut
remonter au Platon du Théétète,
d'Euthyphron, de la
République, du Criton,
du Phédon et pratiquement
à l'œuvre entière du disciple de Socrate
qui, le premier, a fondé le concept même
de raison sur l'approfondissement de la
connaissance de soi. C'est dans cet
esprit que Platon a substitué à
l'effigie d'une humanité pétrifiée sur
la rétine de ses dieux un regard sur les
dieux en mouvement sous la houlette des
siècles.
Ce
gigantesque changement de perspective a
conféré un statut nouveau au Dieu
qualifié d'unique que la Genèse
met en scène sur le théâtre du monde. Ce
personnage fantastique s'est alors
installé sous des traits nouveaux et
dans la durée. Car sitôt lové de
génération en génération et de siècle en
siècle dans le temps historique, ce
personnage fabuleux est devenu un témoin
fiable de l'évolution du cerveau de ses
adorateurs.
5 - La France
acéphale
Dès
l'origine, les Célestes se présentent
sous les traits de monstres aux aguets
dans le cosmos et qui se ruent sur les
hommes ou sur les bêtes qu'on leur donne
à dévorer. Au Concile de Trente, en
1545, il a été solennellement réaffirmé
que le Dieu de la Croix barbote dans le
sang rouge et la chair encore chaude des
offrandes qu'on présente à sa table: "Il
n'y a pas de sacrifice sans effusion de
sang", disaient, comme aujourd'hui,
les sauvages des nues. "Les
protestants n'ont pas de vrai et réel
sacrifice" ajoutaient-ils. De nos
jours, nous suivons à la trace
l'histoire parallèle du cerveau d'un
Dieu unique et de celui de ses
examinateurs, et c'est de l'extérieur
que nous le voyons peu à peu renoncer à
se précipiter en rapace sur les aliments
dont nous sommes censés l'alimenter.
Que
nous rappelle aujourd'hui notre
observatoire du divin? Que si
l'évolution de la cervelle du Dieu
unique n'était pas devenue le témoin
central de notre politique et de notre
histoire sur sa rétine à lui, comme sur
la nôtre, la civilisation du
"connais-toi" d'aujourd'hui se
trouverait entre la vie et la mort. Car
en 1905, nous avons cru reprendre la
question à partir de la révolution
platonicienne et nous avons déclaré que
tous les dieux sont des constructions
anthropomorphiques et meurtrières, de
sorte que nous n'avions aucun intérêt à
tenter de les soudoyer, donc de les
subventionner aux dépens du Trésor
public.
Du
coup, nous avons cru pouvoir les jeter
au rebut sans plus de façons et nous
avons perdu la source la plus féconde de
nos renseignements sur le fonctionnement
de la cervelle de notre espèce. Notre
laïcité bancale s'est alors passée du
moteur même de la connaissance que
Platon nous avait fourni, alors qu'une
laïcité non pensante est un carré rond.
C'est donc au nom d'un Etat demeuré non
pensant, donc sans raisonner, ni
argumenter en rien, que nous demandons
aux musulmans de se plier à nos us et
coutumes.
6 - Salluste
l'anthropologue
Comment les fidèles d'Allah
n'attribueraient-ils pas aux caprices de
notre politique notre refus de leurs
égorgements de moutons? N'ont-ils pas
raison de patauger dans le sang,
puisque, dans leur esprit, il leur
suffit de croire qu'Allah le leur
demande? Notre propre victime du
sacrifice, nous l'avons clouée sur une
potence et nous glorifions un Golgotha
changé en autel sanglant de nos meurtres
sacrés à nous. Mais comment
légitimerons-nous nos pseudo Etats
rationnels s'ils sont devenus les pires
ennemis de la pensée critique? Car nous
nous sommes rendus aussi aveugles qu'au
Moyen-Age à nous priver du moteur
originel de Platon qui nous avait appris
à observer la cervelle de nos dieux
anciens, puis du dieu des juifs, des
musulmans et des chrétiens.
Tout
au long du XVIe siècle, nous nous sommes
entre-égorgés sur la question de savoir
si le corps de Jésus-Christ devait se
trouver avalé et son hémoglobine
déglutie par nos prêtres ou si nous
étions des animaux capables de se
désempêtrer d'un meurtre sacrificiel
digne d'un Dieu de carnivores.
Nous
n'avons plus de moutons à tuer, nous
n'avons plus de sang rouge à boire et de
chair à manger, et nous avons basculé
dans un culte de nos idéalités
politiques, cet aliment de substitution
de notre meurtre sacré. Pour cela, il
nous faut revenir à l'origine de toute
véritable anthropologie religieuse qui
se trouve chez Salluste et que
cet historien, mort en 67 avant
Jésus-Christ et contemporain de Cicéron
et de César, a explicitée en des termes
qui font débarquer cet auteur au cœur de
l'anthropologie critique contemporaine.
Voici ce qu'il écrit: "Les hommes
ambitieux de l'emporter sur les autres
animaux, doivent consacrer toutes leurs
forces, à ne pas traverser la vie en
silence, à l'instar des troupeaux, que
leur courbure naturelle vers le sol et
leur obédiance aux ordres de leur
ventre, a façonnés. Car toute notre
puissance se trouve dans notre esprit.
(…) L'une de nos natures nous est
commune avec les bêtes féroces, l'autre
avec les dieux. D'où il me semble plus
logique de chercher la gloire à l'écoute
de notre esprit. Alors que la vie
corporelle dont nous disposons est
brève, la mémoire de notre passage sur
terre peut se rendre impérissable. Car
les traces de nos richesses et de notre
beauté physique sont fluentes et
fragiles, tandis que la souvenance de
notre vie intérieure est éternelle et
glorieuse." (De conjurationae
Catilinae, trad. M. de D.)
Un
siècle et demi après Darwin, la vraie
postérité de Salluste débarque dans
toute l'anthropologie moderne, qui se
demande à son tour quelle est
l'animalité spécifique d'une espèce qui
n'a pas d'autre interlocuteur
qu'elle-même et qui ne peut s'observer
de l'extérieur qu'à la lumière de
l'histoire de son esprit et du Dieu
qu'elle a enfanté à son image.
Le 26
août 2016
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