Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Un animal frappé par un besoin de
grandeur
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 23 mars 2018
Mme Theresa May,
chef du gouvernement britannique aurait
prononcé ces paroles ailées: "Les
Russes sont débiles". On comprend
tout de suite qu'aussi longtemps que les
historiens de demain n'auront pas acquis
une connaissance de la différence qui
existe entre les anecdotes et les faits
porteurs d'une signification
anthropologique profonde, il sera
impossible de seulement tenter de
comprendre l'histoire. En l'espèce, il
s'agit de savoir si une histoire
compréhensible des relations entre les
grandes civilisations est possible à
partir du point de rupture géopolitique
qu'exprime la formule: "Les Russes
sont débiles".
Les historiens de
notre tête observeront qu'à partir du
mois de mars 2018, la République laïque
française a enfin commencé de se poser
sérieusement - c'est-à-dire à la lumière
d'une anthropologie inspirée par un
esprit réellement critique - la question
de savoir comment elle allait gérer les
conflits entre les deux principales
religions étrangères qui occupent son
territoire - le judaïsme et l'islam -
alors qu'aujourd'hui aucun de nos
dirigeants ne dispose d'une véritable
science de l'humain capable d'expliquer
comment et pourquoi l'animal censé avoir
basculé hors de la zoologie se forge des
personnages fantastiques qu'il appelle
des dieux dont les siècles démontreront
immanquablement qu'ils n'ont jamais
existé ailleurs que dans les têtes. Il
était déjà devenu évident qu'il fallait
apprendre à porter un regard
d'anthropologue, donc un regard
scientifique et de l'extérieur, sur les
mythes sacrés de type monothéiste.
A partir de mars
2018, il semble que la France ait
commencé de comprendre comment le
pouvoir religieux s'y prend pour exercer
la puissance proprement politique qui
lui appartient. Car en proclamant que la
France a vocation à protéger le judaïsme
des méfaits de l'antisémitisme et, dans
le même temps, vocation à honnir à
jamais, donc à condamner définitivement
sur le plan religieux, le rêve
théologique d'Israël d'arracher
Jérusalem des mains des musulmans et
d'élever cette cité au rang de capitale
des juifs, et cela en application des
volontés expresses de leur Jahvé, la
République laïque affichait, pour la
première fois, et en tant que telle, sa
vocation naturelle et innée d'exercer un
pouvoir politico-théologique, donc
d'afficher ses compétences et sa
juridiction dans l'ordre proprement
religieux.
A la stupéfaction
générale, le Président Macron semble
avoir tout subitement découvert les
compétences politico-religieuses
souveraines, nécessairement attachées
aux prérogatives de tous les Etats
réels, y compris des Etats laïcs et donc
consubstantielles à l'existence
strictement politique de la France
laïque sur son propre territoire.
Cette situation
d'un Etat démocratique et républicain
depuis 1793 se manifestait d'autant plus
crûment que, pour la première fois
depuis les apôtres Jean et Paul, Israël
se voyait cloué au pilori d'une
conscience universelle. En effet, seuls
les Etats-Unis, Israël, le Guatemala, le
Honduras, le Togo, la Micronésie, Nauru,
Palaos et les îles Marshall. avaient
suivi les USA et Israël dans leur ultime
exploit théologique en faveur de Jahvé.
La légitimation
absolue, tantôt du Coran,
tantôt de l'Ancien Testament,
donc de la "révélation" musulmane
ou de la "révélation" juive sur
le territoire français délégitimeraient
radicalement la "démocratie laïque",
qui avait déjà délégitimé en son temps
la "démocratie dite chrétienne"
et cela pour la simple raison qu'aucune
démocratie ne se fonde sur les droits
d'une divinité, mais exclusivement sur
la capacité du genre humain de penser
par lui-même, c'est-à-dire de piloter
seul sa propre tête.
Comment la France
allait-elle tenter d'acquérir les
instruments de la pensée qui lui
donneraient la compétence de dire aux
Français à quel moment Israël ou l'islam
auraient raison tour à tour sur le sol
de la France? Aucun Etat rationnel ne
pouvait accepter ce triomphe d'un coup
de force, ni d'Israël contre l'islam et
son Coran, ni des Etats
musulmans contre Jahvé et ses écrits.
L'essentiel du pouvoir
politico-religieux d'un Etat laïc et
souverain revient donc à tenir d'une
main ferme le sceptre de l'arbitrage
entre des divinités. C'est pourquoi la
France contemporaine se verra dans
l'obligation de reconnaître que l'Etat
laïc, lui, est athée par nature et par
définition. Depuis 1793, nous nous
voilons la face devant cette évidence,
et cela bien que la loi de séparation de
l'Eglise et de l'Etat de 1905 l'ait
confirmé avec une clarté insurpassable :
la République française déclare
expressément qu'elle ne "reconnaît
aucun culte" et qu'elle "n'en
subventionne aucun", parce que
l'Etat laïc ne cautionne aucun grigri.
Mais, dans le même
temps, on voit qu'une République laïque
se trouve placée de force sur les
chemins des progrès continus et mondiaux
du savoir rationnel. Or, ce champ de
bataille-là se trouvait livré à un
bouleversement irrémédiable depuis la
Révolution copernicienne. Jusqu'alors
c'était dès le berceau qu'on enseignait
aux enfants les fondements d'une
connaissance censée rationnelle et
scientifique du ciel et de la terre à
partir des mythes religieux. Puis, de
génération en génération, on affinait
l'éducation des cerveaux sur les chemins
de la pensée méthodique.
Et aujourd'hui, le
pont biblique et coranique s'est
définitivement effondré. Non seulement
le soleil ne tourne pas autour de la
terre, mais l'espace et le temps
n'occupent pas un univers réduit à sa
longueur largeur et profondeur. Nous en
sommes à une vingtaine ou davantage de "dimensions".
A chaque génération il appartient
désormais de réfuter ou de compléter les
connaissances de la précédente.
De nos jours, c'est
avec le verbe comprendre que nous
nous colletons désespérément, puisque
nous commençons de découvrir comment
nous forgeons "l'intelligible"
sur les établis où, à l'instar des
animaux, c'est l'utile qui pilote en
sous-main les concepts mêmes de vérité
et d'erreur.
Telles sont les
grandes lignes d'un univers dans lequel
nous ne nous grandissons plus qu'à
entrer dans les secrets de notre
petitesse et à décrypter la petitesse
des divinités que nous avions fatalement
construites à notre image. Que va-t-il
advenir du besoin de grandeur d'un
animal évadé de la zoologie pour
dénoncer l'animalité de ses dieux?
23 mars 2018
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