Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
L'histoire à la recherche de sa voix
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 23 février 2018
|
1 - Vers une lucidité
transanimale
2 - Le matérialisme
eucharistique
3 - L'histoire en quête du sens
4 - L'homme en devenir
5 - Un athéisme spirituel
6 - L'histoire, une science en
devenir
|
1 - Vers une
lucidité transanimale
On ne saurait
raconter l'histoire sans la comprendre,
c'est-à-dire sans jeter sur elle un
filet explicatif. Mais le discours se
révèle explicatif à des degrés fort
inégaux. L'explicatif d'aujourd'hui
repose sur une connaissance plus ou
moins fouillée de l'inconscient humain.
Voilà un animal livré de naissance et de
génération en génération, à la croyance
en l'existence de divers monstres
célestes censés installés dans le vide
du cosmos et réputés y gérer sa folie
native; voilà un animal qui tente de
passer à travers l'écran qui l'aveugle;
voilà un animal qui ne s'éveille qu'à
déchirer le leurre de ses songes et à se
précipiter dans le vide pour trouver les
premières conditions d'une lucidité
réellement trans-animale.
Quelques décennies
seulement après Darwin, ce vivant
découvre qu'il a cru un instant n' avoir
quitté la bête que pour se retrouver
sous les traits d'une autre bête, une
bête piégée, cette fois-ci par sa propre
matière grise et appelée à en décoder
les pièges pas à pas. Pourquoi
Lucifer a-t-il mauvaise presse alors que
son patronyme signifie "porteur de
lumière"? Il s'agissait donc de détecter
les fausses lumières des géants
titanesques que l'humanité s'était
égarée pendant des millénaires à appeler
des dieux.
2 - Le
matérialisme eucharistique
Comment se fait-il
que la science qui s'est aussitôt
dénommée l'anthropologie soit née au
début du XVIe siècle, au moment précis
où le vivant appelé l'homme a commencé à
se décrire sur le mode physique, à la
manière dont on décrivait les chiens,
les chats, les éléphants et tous les
autres animaux? Quelle n'a pas été la
stupéfaction des croyants de l'époque
qui, sous la houlette de leurs
théologiens, définissaient depuis des
siècles l'homme comme un vivant capable
de manger la chair de son Dieu, au sens
de ses cellules anatomiques et de boire
son sang réel au sens des globules
rouges ou hématies, dont ce liquide se
compose?
Or, Le magistère
romain avait consacré une encyclique
entière en 1965 encore, à réaffirmer ce
point capital, trois ans seulement après
le concile Vatican II, qui avait osé
battre en retraite sur ce point central.
L'œuvre du Cardinal de Lubac et du Père
Montchanin se trouvait radicalement
dépecée par cette encyclique,
précisément parce qu'ils avaient tenté
de transcender le "physicisme
eucharistique" de l'Église et de faire
valoir le sens spirituel du "sacrifice
de la messe" à partir de son support
figuré.
"Il n'est pas
permis de traiter du mystère de la
transformation du vin en sang et du pain
en chair sans souligner l'admirable
changement de toute la substance du pain
en le corps du Christ et de toute la
substance du vin en le sang du Seigneur
- et ainsi de voir simplement ce double
changement dans ce qu'on appelle la
transsignification et la
transfinalisation". "Le Seigneur nous
apprend à ne pas porter notre attention
sur la nature de l'objet, car par les
paroles prononcées sur lui, cet objet
est changé en chair et en sang".(Encyclique
Mysterium fidei, 1965)
3 - L'histoire en
quête du sens
Pourquoi une
volonté de manger de la chair et de
boire du sang divinisés intéresse-t-elle
l'anthropologie historique donc la
connaissance du sacré? Car les
théologiens du Moyen-Age assignaient à
leur foi la vocation et la mission
naïves de chercher la compréhension
rationnelle du mythe sacré dont ils se
voulaient les servants et les
promoteurs: le mythe religieux,
disaient-ils, était la tête chercheuse
de l'intelligibilité du monde, donc la
clé de son histoire - quaerens
intellectum . De nos jours, la
science historique est devenue la
nouvelle fides, la nouvelle foi en quête
de son intelligence d'elle-même et du
monde. Impossible à l'historien en quête
de l'intelligible de ne pas croiser le
chemin des saint Anselme, des saint
Augustin ou des saint Ambroise.
Mais les grands
humanistes de la Renaissance n'ont pas
accepté le cataclysme intellectuel
chrétien imposé par la papauté. C'est
cela l'ultime fondement anthropologique
du basculement cérébral exposé par
Erasme dans son éloge moqueur de la
démence humaine, qu'il appelle tout
simplement la stultitia, qui
signifie la stupidité pieusement
traduit depuis des siècles par folie.
On comprend qu'aux yeux de l'Eglise,
c'est-à-dire de la papauté, censée
représenter la tête pensante du
christianisme, Erasme demeure
aujourd'hui encore et à jamais,
pestiféré à titre de damné de "première
classe".
4 - L'homme en
devenir
La philosophie
d'autrefois se qualifiait de "regina
scientiarum", reine des sciences, mais
sa vocation n'était nullement de
s'interroger sur la nature même des
sciences et sur leur pertinence. Elle
servait seulement de pâtre qualifié et
elle entraînait le troupeau à brouter
les pâturages du temps . En revanche,
l'histoire de demain devenue la nouvelle
"reine des sciences" réunira la
philosophie et l'anthropologie et sa
vocation sera de s'interroger sur la
grandeur et les limites du cerveau de
l'homme. L'historien observera alors
comment nous nous forgeons notre concept
d'intelligibilité ou de
compréhensibilité, ce qui exigera
une regina scientiarum enfin
devenue consciente de ses fondements
anthropologiques.
La notion même
d'objectivité scientifique et historique
sera donc philosophique, puisqu'il n'y a
d'anthropologie qu'humaine. Une telle
objectivité ne pourra que s'interroger
sur le concept de signification.
Quel est le sens du verbe signifier
appliqué à l'existence de l'univers?
Quel est le sens du verbe signifier
appliqué à l'existence du genre humain
dans le temps? L'homme ne parvient à
regarder ni le monde, ni lui-même sans
leur attribuer une signification, donc
un destin, puisqu'il n'y a pas de récit
historique qui ne renvoie à une
signification. Si nous disons que le
sillage de l'humanité dans le temps n'a
pas de sens, c'est encore définir le
sens en tant que non-sens.
5 - Un athéisme
spirituel
L'histoire devenue
la "reine des sciences" s'interrogera
donc sur elle-même à la manière dont les
mystiques s'interrogeaient sur la nature
de la divinité dont ils se voulaient les
serviteurs et les tributaires, donc les
créanciers. Si nous avions demandé à
Thomas d'Aquin si Dieu existe, il aurait
répondu à la manière dont Mozart aurait
répondu si on l'avait interrogé sur
l'existence de la musique. Car la
musique était son âme, son souffle, sa
respiration, l'âme même de son âme.
C'est pourquoi le mystique le plus
profond est celui dont le feu de
l'athéisme lui faisait dire qu'il
n'existait pas d'autre Dieu que
l'incandescence de sa propre âme - ce
qui a retardé jusqu'au début du XVIIIe
siècle la canonisation de l'auteur de la
Viva flamma de amor - Jean de la
Croix ( 1542-1591) - et jusqu'au début
du XXe son élévation au rang de docteur
de l'Eglise.
L'histoire
anthropologique de demain se demandera
quelle incandescence alimentera le feu
souverain de son "athéisme". Rude tâche
pour l'histoire de se hisser au rang de
"reine des sciences" si c'est la science
de l'homme lui-même qu'il faut élever au
feu d'une mystique de l'athéisme. Mais
cette histoire-là saura également que la
parole est l'expression de l'âme du
monde.
Dans ses
Tusculane, Cicéron explique la
pensée socratique en ces termes: "Socrate
disait que l'homme se révélait dans sa
manière même de parler, qui le rendait
reconnaissable en tant que tel et de la
tête aux pieds", ce qui a fait dire
à Buffon: "Le style, c'est l'homme"
. Or, à partir de l'instant où la
signification de l'univers et du genre
humain a été mise en Occident sur le
voltage d'une repentance et d'une
expiation éternelle d'un péché qualifié
d'originel et d'inexpiable, on comprend
que la première vocation des chrétiens
ait été de remplacer une humanité
rythmée par des activités sportives et
des jeux olympiques , par une humanité
rythmée par des prières et par des
cérémonies pieuses. Aussi longtemps que
le monde moderne sera à nouveau rythmé
par l'activité des corps à l'échelle de
la planète tout entière, le risque sera
efficacement conjuré de substituer
derechef les dévotions aux jeux.
6 - L'histoire,
une science en devenir
Un seul point
semble définitivement acquis: de tous
côtés s'affirme une révolution interne
de la pédagogie bancale qui s'était
infiltrée dans la République. Tout ce
qui pense en France découvre que
l'éducation publique est à reprendre à
partir de ses fondements et cela dans
une entreprise immense de mutation de la
connaissance rationnelle de l'histoire.
Décidément la
science historique réécrit entièrement
son cahier des charges . Elle apprend à
se regarder de l'extérieur et à
découvrir la science qu'elle demande à
devenir. Un tel renouvellement des
références fondatrices de la science de
la mémoire m'a contraint à appeler sans
cesse au secours Cervantès et
Shakespeare, Swift et Sophocle, ainsi
que des personnages imaginaires devenus
plus réels que ceux de l'Etat civil -
les Don Quichotte, les Hamlet, les
Gulliver.
Mais je ne suis
plus isolé, il se trouve que je suis
entouré et accompagné par des chercheurs
attachés à partager mes objectifs et
dont le bruissement réconfortant me
réduit un grain de sable . Face à cette
situation, que j'avais prévue en mars
200 1, nous voyons se former sous nos
yeux une intelligentsia soucieuse
d'acquérir une connaissance
anthropologique du genre humain , afin
de tenter de rendre compte d'une espèce
onirique par nature et qui vit à titre
psychobiologique dans des mondes
imaginaires. Le lecteur de ce site sait
qu'il en est résulté une sorte de
discours de la méthode rédigé au jour le
jour et à la lumière des évènements. Ces
huit mille pages sont en cours
d'informatisation. Mais je ne savais pas
que l'histoire courrait plus vite que
l'actualité et que ma programmation
anticipatrice serait prise de vitesse.
23 février 2018
Le sommaire de Manuel de Diéguez
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour
|