Qu'est-ce que
philosopher ?
Le combat de la raison
III - Les étapes d'une errance
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 23 janvier 2015
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1 - Une animalité
cérébralisée
2 - Les fondements de notre
asservissement
3 - Ni anges, ni bêtes
4 - L'ascensionnel à l'épreuve
de la bête parlante
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1 - Une animalité
cérébralisée
Depuis notre
évasion de la zoologie, seule une
connaissance anthropologique et critique
des masques sacrés que nous arborons
sera en mesure d'ouvrir une brèche dans
la cécité du récit historique dont nous
demeurons les otages. Comment conquérir
un regard de l'extérieur sur les
premiers pas de l'évolution cérébrale de
notre espèce? La boîte osseuse du
chimpanzé tropical que la nature a
progressivement biphasé à l'écoute de
ses cordes vocales avait commencé de
nous fournir quelques repères
embryonnaires du grossissement
cosmologique de notre encéphale.
Nous pensions, bien
à tort, que les jalons langagiers que
nous avions plantés dans notre
astronomie aléatoires suffiraient à nous
éclairer sur les étapes suivantes de
notre évasion rudimentaire, mais
périlleuse du règne animal. Nous étions
fiers des premières vaillances de nos
totems vocaux, puis de notre Olympe de
grands ripailleurs, et enfin du démiurge
dichotomisé, mais réputé omnipotent,
omniscient et sommital que nous avions
colloqué dans le ciel de Ptolémée et qui
nous a glissé des mains. Mais quand nous
avons découvert que le cerveau de notre
Zeus, même en fuite dans l'infini,
prolongeait seulement nos pauvres
facultés cérébrales de bestioles
semi-miraculées, nos archéologues ont
bien ri de nos descriptions détaillées
de la cervelle d'insectes de notre
créateur. Tout cela s'est trouvé
maladroitement consigné dans la
Somme théologique de saint
Thomas d'Aquin, qui, encore de nos jours
demeure le "docteur angélique" et
le premier des saints aux yeux de
l'Eglise catholique.
Mais nos premiers
candidats à un examen plus sévère de la
migration de notre espèce dans la
métazoologie se sont fiés à
l'exactitude de leurs relevés des
comportements de la matière et
d'eux-mêmes; et ce type d'enregistrement
des répétitions de la nature s'est
aussitôt présenté tout auréolé de nos
idéalités en vadrouille. Du coup, nos
savoirs verbifiques n'élevaient plus
dans les airs que les vapeurs de notre
langage.
2 - Les fondements
de notre asservissement
Demeurés en
apprentissage de l'ubiquité de nos
voilures à venir, nous nous sommes
soumis à des concepts ridiculement
messianiques et sottement voletants - la
Liberté, la Justice, l'Egalité.
Mais nous nous sommes bientôt aperçus
que nous nous étions seulement procuré
un déguisement vocal de plus; notre ciel
d'autrefois avait simplement basculé
dans une science expérimentale angélisée
à souhait à l'école de nos abstractions
pseudo-élévatoires. Comment prendre
notre vol, comment nous élever dans les
airs avec, greffées dans le dos, les
ailes d'un Icare lexicalisé?
La troisième étape
de l'histoire cérébrale de la bête
schizoïde que nous sommes devenus a vu
une dialectique débarquer à
grandes enjambées dans le préau de nos
discours. J'ai déjà dit qu'un animal
évolutif et dont quelques spécimens se
sont armés des rouages d'une syntaxe ne
saurait se proclamer à la fois en chemin
et déjà arrivé au terme de son parcours.
Il nous faudra donc nous décider à
observer notre animalité
grammaticalisée, puis oser nous demander
comment un primate soi-disant devenu
hyper-cogitant témoigne, en réalité,
d'une bestialité nouvelle et précisément
issue de la volubilité d'un monde qu'il
aura vocalisé sur un mode demeuré
animal.
Les Romains
connaissaient deux types de paroles que
les rétroviseurs de leur langage
attribuaient au cosmos : d'un côté, le
vol bavard des oiseaux, assorti de
l'écoute de leurs savants piaillements,
de l'autre, l'examen de l'appétit ou de
la déambulation rapide ou lente de leurs
poulets. Si le volatile domestique
dédaignait doctement les grains qu'on
lui offrait - si pulli non
pascebantur - ou s'il quittait sa
cage en traînant la patte - si
tardius exibat e cavea - les
présages étaient jugés funestes.
On voit, je le
redis, que toute la science véritable
des gosiers dont nous sommes en gésine
depuis des millénaires sera fatalement
sacrilège, et cela tant par nature que
par définition, puisque nous enfournons
à la pelle notre vocabulaire dans la
matière et attendons qu'elle nous donne
la réplique. Nous sommes des animistes à
l'écoute de leur propre voix et nous
blasphémons sitôt que nous retirons ses
cordes vocales au cosmos.
C'est dire que
notre anthropologie se trouve
scolarisée, neutralisée et
artificiellement optimisée par les
idéaux dont nos démocraties la
nourrissent. Aussi, notre pseudo-science
refuse-t-elle de nous expliquer des
faits dont l'animalité spécifique
s'imposait déjà aux peseurs de nos
poulets. Car, pour nous risquer à
expliquer les comportements monotones de
la matière et le vol favorable ou
funeste des oiseaux, nous avons commis
le blasphème de nous demander ce qu'il
en est de l'animalité propre aux
semi-évadés de la zoologie quand ils
consultent l'estomac de leurs gallinacés
ou le vol de leurs oiseaux afin de
tenter de connaître leur avenir et de
piloter le destin de leurs cités.
Car enfin, une bête
capable de construire de gigantesques
aqueducs et de fabriquer des machines de
siège terrifiantes, mais qui, dans le
même temps, consulte les entrailles de
ses bœufs pour s'orienter dans le
cosmos, une bête de ce genre souffre
d'une maladie proprement cérébrale et
inguérissable.
3 - Ni anges, ni
bêtes
De toute évidence,
nous sommes demeurés des animaux sourds
et muets. Nos antennes, devenues
langagières, ressortissaient seulement à
une bestialité loquacisée - celle qui
nous appartient en propre dans le cosmos
et qui se révèle une folie soumise à des
modalités de plus en plus énigmatiques.
Aujourd'hui, nous nous connaissons à la
fois pour des vivants devenus
transcendants au règne animal et
néanmoins livrés à des séquelles tenaces
de notre hérédité zoologique. Mais ce
statut regrettable est précisément celui
qu'il nous faut apprendre à décrypter.
Un poète a dit que nous étions un " ni
ange ni bête " et que cet entre-deux
serait l'énigme qu'il nous fallait
tenter de résoudre.
"Voici : d'entre
les feuilles une Figure vint.
Une figure vint à la lumière,
Dans la lumière,
Et il regardait de toutes parts,
Et celui-ci
n'était " Ni Ange ni Bête ".
(Paul Valéry,
Paraboles pour accompagner douze
aquarelles de Lou Albert-Lasard)
Nos premières
analyses métazoologiques de nos
incantations langagières exprimaient les
facilités d'une anthropologie demeurée
en cale sèche et dépourvue de tout
regard sur les méthodes dont usent les
animaux parlants pour tenter de se
comprendre dans leur animalité propre.
Pour cela, nous nous armons du râteau
d'une conceptualisation effrénée du
monde. Il nous faut donc apprendre à
analyser dans sa généalogie, puis dans
ses métamorphoses et enfin dans ses
conquêtes leurrées les prisonniers de la
mémoire historique falsifiée qu'ils sont
demeurés.
Quand notre
anthropologie flottante sera devenue
rationnelle au sens transanimal que ce
terme aura pris, elle se branchera
nécessairement sur la vocation
ascensionnelle, mais encore cachée à nos
regards, dont bénéficiera une espèce née
scissipare, donc bipolarisée de
naissance et rendue schizoïde par la
dichotomie que son vocabulaire lui aura
longtemps imposée. Pascal fait dire à sa
divinité : "Plus il s'abaisse, plus
je l'élève. "
4 - L'ascensionnel
à l'épreuve de la bête parlante
Un éclairage
transzoologique de notre animalité de
simianthropes prospectifs se révèlera la
condition sine qua non de l'
élévation progressive de notre
anthropologie future à la pesée
méthodique de notre cerveau . Il y a
deux millénaires seulement, nous étions
une bête vouée à consulter la démarche
ou l'appétit des poulets. Puis notre
ascension dans la métazoologie nous
conduira nécessairement à l'étude de la
miniature d'encéphale que nous
attribuions à nos trois dieux uniques.
On sait que ces géants offrent à des
insectes force sucreries et gâteries à
consommer dans un royaume censé
éterniser leurs ossatures, mais qu'en
cas de récalcitrance aux bienfaits de
leur sottise, ils seront rôtis sans
relâche dans un camp de concentration
souterrain où ils attendront une
résurrection improbable de leurs
squelettes.
L'élévation et
l'abaissement alternés de la bestiole
que nous observons sont donc inscrits
dans l'adage: "Dis-moi quel est ton Dieu
et je te dirai qui tu es". L'élan de nos
mystiques et de toute notre vie
spirituelle d'autrefois se résumait à
l'apostrophe des théoriciens audacieux
de notre évolution, qui nous disaient:
"N'avez-vous pas honte d' avoir couru à
perdre haleine et des millénaires durant
de vos poulaillers vaticinants à
l'halluciné sanguinaire qui vous
torturera dans l'éternité et, pis que
cela, au nom de sa "sainte justice"?
Mais si la
métazoologie scientifique de demain
échouait à abaisser les détoisonnés des
forêts jusqu'à leur faire observer de
haut et de loin l'essoufflement de
l'animalcule qu'ils sont demeurés,
comment notre évolution demeurerait-elle
crédible dans le champ de nos sciences
humaines actuelles, qu'on voit encore
privées de toute méthodologie? Car aussi
longtemps que notre civilisation ne
saura où faire passer la frontière entre
le simianthrope de demain et l'animal
actuel, nous ne saurions paraître armés
de sciences qualifiables "d'humaines".
Demain, la connaissance scientifique de
notre espèce sera un baptême continuel
dans la lumière de nos abaissements
élévatoires.
A la semaine
prochaine .
Le 23 janvier 2015
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