Opinion
Examen de conscience d'un candidat idéal
à la Maison Blanche
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 19 février 2016
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1 - L'épuisement du
mythe démocratique
2 - Un évangélisme hollywoodien
3 - Bref résumé de nos erreurs
4 - Quelques pas en direction
d'un monde nouveau
5 - Une plongée dans l'abîme
6 - L'infirmité native de la
civilisation américaine
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1 - L'épuisement
du mythe démocratique
Disposer d'une
philosophie de l'histoire, d'une
philosophie de la politique et d'une
philosophie de l'avenir de la
civilisation mondiale, fait, de nos
jours, partie intégrante de la trempe et
de la stature des vrais hommes d'Etat.
Quelle est la
vision du monde qui inspire à Vladimir
Poutine la conviction de ce que la
véritable vie politique du XXIe siècle
ressortira à une vision culturelle de
l'avenir? Car tel est, de toute
évidence, le regard qui lui a fait
placer une pesée de la culture russe et
de son destin au fondement des jeux
olympiques d'hiver de 2013 à Sotchi.
Visiblement, il s'agit du premier homme
d'Etat qui sache clairement que les
mythologies religieuses illustrent les
options psychiques qui gouvernent tout
le genre humain et qu'à ce titre, elles
se situent au fondement d'une
politologie universelle et d'une
véritable géopolitique.
Ce rationaliste ne
perd pas son temps à réfuter les rêves
fabuleux et les récits fantastiques
entre lesquels l'encéphale en chemin des
peuples et des nations se partage depuis
des millénaires. Il s'agit donc
d'introduire parmi les prérogatives et
les apanages des grands hommes d'Etat
une connaissance anthropologique et
historique du sacré.
Que devons-nous
penser de l'élévation subite du
Président russe au rang d'acteur
principal de l'histoire de la planète ?
Il faut remonter loin pour trouver le
chef d'un grand Etat qui ait provoqué
l'admiration et l'amour de sa nation.
Mais la nouveauté que présente l'exemple
de Vladimir Poutine me semble ailleurs,
dans le fait qu'une partie de la classe
politique du monde entier salue sa
promotion foudroyante comme un évènement
en quelque sorte heureusement attendu et
qui couvait sous la cendre depuis
longtemps. Cette ascension semble
répondre à une espérance universelle.
Comment se fait-il que, pour la première
fois dans l'histoire, une portion
considérable de l'humanité applaudisse
un vrai chef d'Etat comme si notre
astéroïde se donnait le mot pour
témoigner de ce que notre terre manquait
cruellement de guide et de timonier.
2 - Un évangélisme
hollywoodien
Comment analyser
cette situation? J'y vois un signe
évident de ce que l'histoire et la
politique ont changé de rythme: le globe
terrestre se trouve désormais exploré
jusque dans ses derniers recoins. Sur
une mappemonde rapetissée, l'âge du
temps fini a commencé. J'appelle temps
fini celui où chaque nation défriche ses
arpents et gère sa population dans une
enceinte clairement délimitée. Cela
signifie également que, depuis 1945, le
peuple américain se trouve condamné à se
livrer à une rétrospective
récapitulative, souvent douloureuse et
cruelle.
L'étroite phalange
de l'Amérique pensante se demande ce
qu'elle a entrepris à la suite de
l'effondrement du IIIe Reich.
L'implosion d'une utopie mythifiée par
son messianisme a démontré l'absurdité
de son angélisme hollywoodien. Nous
avons groupé, se dit-elle, nos futurs
vassaux dans une alliance entre des
nations censées de demeurées
souveraines, mais sous notre férule et
dans un conte d'Alice au pays des
merveilles. C'est par un abus de
langage, que nous avons baptisé cette
coalition Alliance atlantique. En
réalité, nous avons "intégré",
donc domestiqué toute l'Europe à l'école
de notre seul pouvoir militaire que nous
appelons l'OTAN et que nous dirigeons
d'une main de fer. Ce faisant, et
surtout depuis la chute du mur de
Berlin, il y vingt-six ans, nous n'avons
cessé de renforcer le sceptre d'acier de
nos idéalités que nous proclamons
rédemptrices et salvatrices. Nous
imposons au monde une vision filmique de
l'histoire. Or, nous savons, depuis
Périclès, que l'angélisme et le
séraphisme sont les mamelles des empires
de type démocratique.
Tel est l'enjeu de
nos relations futures avec la Russie,
l'Inde et la Chine. Car notre expansion
messianisée, donc parareligieuse ne
pouvait que déclencher la scansion
vieille de six mille ans entre la chute
et l'ascension des empires militaires.
Depuis les Scythes, les royaumes du
glaive se succèdent. Chacun d'eux fait
émerger des armes plus performantes que
celles de la génération précédente. Leur
suprématie dure rarement plus de deux
générations.
3 - Bref résumé de
nos erreurs
Or, l'Amérique et
ses trois cent cinquante millions de
citoyens de langues, de culture et de
religions différentes et impossibles à
unifier ne fera pas longtemps le poids
devant l'émergence des empires de
l'Asie. Enfanterons-nous, aux côtés de
Vladimir Poutine, un type d'homme d'Etat
dont le génie prospectif leur permettra
de comprendre que nous sommes à la
veille de soubresauts calqués sur le
vieux modèle des empires classiques qui
se chassaient l'un l'autre, ou bien
l'heure est-elle venue de changer de
modèle de civilisation?
Nous avons
vassalisé l'Europe au point de l'avoir
contrainte à promulguer des sanctions
économiques contre la Russie au
détriment de ses propres industriels et
de ses propres commerçants, et cela
alors qu'elle avait légitimement
rapatrié la Crimée dans son giron. Mais
le peuple américain cessera bientôt de
croire en la viabilité, donc à la
perpétuité de la vassalisation de
l'Europe et du Japon. La montée en
puissance de l'Asie sera irrésistible
si, aux côtés du grand précurseur dont
le Président russe commence de tracer le
profil sous nos yeux, nous cessons de
faire progresser aveuglément notre
empire catéchisé par des images pour un
livre d'enfants. Nous devrons redonner à
l'Europe et au Japon asservis la
souveraineté qui seule aidera
l'expansion de la révolte mondiale
contre nous que nous aurons stupidement
déclenchée par notre volonté d'hégémonie
à partir de 1945, puis réactivé à la
suite de la chute du mur de Berlin en
1989.
Mais il nous faut
des hommes d'Etat d'une trempe
entièrement nouvelle pour nous placer
dans la véritable histoire du semi-évadé
actuel de la zoologie et pour comprendre
que notre type de domination du monde
est obsolète. En effet, depuis trois
millénaires, la maîtrise de l'histoire
reposait sur la domination des mers. Et
voici qu'en moins d'un an l'Egypte a
accompli le titanesque exploit d'élargir
le canal de Suez et d'ouvrir à la Chine
l'accès de sa flotte de guerre à la
Méditerranée.
Mais il y a plus:
la Russie et la Chine viennent d'achever
la mise au point de la localisation
précise de nos porte-avions géants et
d'en faire les cibles de leurs missiles
invulnérables, tirés à la vitesse de six
mille kilomètres à l'heure à partir de
la terre ferme et à partir de navires de
surface et même de sous-marins. Nous
assistons au tournant stratégique le
plus prodigieux de tous les temps, à
savoir, le basculement des forces au
profit des armes terrestres et au
détriment de la guerre maritime. Il y a
deux mois seulement l'électronique russe
a ridiculisé en mer Noire notre
porte-avion géant l'USS Donald Cook et
cela par la seule intervention de deux
avions bourrés d'électronique qui
virevoltaient au-dessus de sa
quincaillerie rendue inopérante.
Certes, l'Europe
demeure occupée sur tout son territoire
par cinq cents bases militaires armées
de nos bombes atomiques vieillissantes,
mais que nous perfectionnons à toute
allure et au mépris de nos engagements
internationaux. Certes encore, la
Méditerranée n'est pas près de redevenir
le mare nostrum qu'elle était du
temps des Romains; certes encore, il y a
moins de deux ans, la France vassalisée
permettait à tout l'équipage du plus
puissant porte-avion américain USS
Herbert Walker Bush, de festoyer trois
jours durant à Marseille. Mais il aura
suffi aux flottes de guerre chinoise et
russe d'informer gentiment les quartiers
généraux américains de Naples et de
Syracuse que leurs intentions n'étaient
pas belliqueuses pour changer la
Méditerranée en un champ de manœuvres
navales russo-chinoises.
4 - Quelques pas
en direction d'un monde nouveau
Et maintenant,
imaginons un instant seulement ce que
dirait de nos jours au peuple américain
un candidat à la Maison Blanche
pleinement informé de la situation
réelle des Etats-Unis sur la scène
internationale et désireux de sauver ce
qui peut l'être d'un empire égaré par un
mythe démocratique messianisé. Un tel
candidat à la présidence des Etats-Unis
commencerait par dire franchement à la
nation qu'il inaugurera une entente
internationale d'un type nouveau.
"Je ferai
comprendre aux citoyens des Etats-Unis
que les idéalités doctrinales qu'on
brandit en public ne sont jamais que le
revêtement langagier d'un empire drapé
dans son pseudo évangélisme. De toute
façon, notre pays a déjà perdu la
bataille de l'éthique à l'échelle de la
terre. La civilisation actuelle est sur
le point de se libérer de la fascination
que nous exercions.
Prenez l'exemple
d'un pieux musulman. A ses yeux, un
immense empire des épouvantes
souterraines équilibre un paradis de
voluptueux fainéants. Ce système des
châtiments et des récompenses règne sur
tous les esprits et domine tous les
cœurs depuis plus de vingt siècles parmi
les chrétiens et depuis quinze siècles
il domine l'encéphale des lecteurs du
Coran. Mais la terreur
nucléaire, vieille de soixante-dix ans
seulement a déjà épuisé sa fascination
sur la faiblesse d'esprit et l'ignorance
de l'humanité.
Il y plus d'un
demi-siècle que nos stratèges
d'avant-garde savent que l'arme
suicidaire est irréelle - puisque
inutilisable - entre huit détenteurs
d'une auto-pulvérisation de l'humanité
dans la haute atmosphère. Dans ces
conditions, le peuple américain devra
donc abandonner le rêve militaire qui
nourrit son matamorisme de l'apocalypse
pour tenter de fonder un monde ouvert
aux progrès pacificateurs de la
technologie.
Si j'étais élu
Président des Etats-Unis ce seraient ces
fondements-là de la civilisation de
demain que nous mettrions en place. Déjà
la technologie chinoise a entrepris le
percement à travers le Nicaragua d'un
canal interocéanique rival de celui de
Panama, déjà Cuba s'apprête à devenir un
centre de surveillance de nos manœuvres
hostiles à la paix du monde et la Chine
projette de construire un gigantesque
pont reliant la Crimée à la presqu'île
de Kerch en Russie."
5 - Elargissons le
champ de l'introspection prospective
L'intuition
fondamentale des nouveaux esprits
rationalistes et réalistes d'une Russie
en état de fermentation philosophique et
scientifique, est la suivante: M.
Vladimir Poutine sait d'instinct que les
options originelles de la mystique
chrétienne renvoient aux deux pôles
principaux de de la conscience
universelle. D'un côté, nous avons une
Eglise de Rome vigoureusement
hiérarchisée, donc ecclésiocratique par
nature et par définition, de l'autre,
une christologie intensément
individualisée, parce que fondée sur le
mythe de la descente directe de
"l'esprit divin" sur tel ou tel individu
appelé à recevoir à titre personnel le
baptême élévatoire de sa future
ascension.
En Occident, le
baptême est un ticket d'entrée dans le
royaume de l'absolu. En Orient, il
s'agit d'une grâce métamorphosante et
transfiguratrice. Pour le catholicisme
romain, la naissance de l'enfant Dieu
représente la principale commémoration
liturgique alors que l'orthodoxie tout
entière est centrée sur la résurrection
de Jésus - la Pâque. Tous les hommes
sont nés, expliquent-ils, alors que seul
le Christ est ressuscité.
Quelle est la
vision qui inspire à Vladimir Poutine la
conviction de ce que la véritable
politique de demain ressortira à une
dimension ascensionnelle de l'évolution?
Car tel est, de toute évidence, le
regard sur la civilisation occidentale
qui lui a fait placer la culture russe
au fondement des jeux olympiques d'hiver
de Sotchi? J'ai déjà rappelé ci-dessus
qu'il s'agit du premier homme d'Etat qui
sache clairement que les mythologies
religieuses illustrent les options
anthropologiques originelles du genre
humain et qu'à ce titre, elles se
situent au fondement d'une véritable
anthropologie de la géopolitique. Ce
rationaliste ne perd pas son temps à
réfuter pas les rêves religieux entre
lesquels les peuples et les nations se
partagent depuis des millénaires - il
introduit une connaissance rationnelle
du sacré dans la science historique et
dans les apanages politiques des grands
hommes d'Etat.
6 - L'infirmité
native de la civilisation américaine
Les nouveaux
cartésiens anthropologues et
politologues du christianisme en
gestation en Russie savent, tant
d'instinct que par le raisonnement, que
la "civilisation américaine"
dépendra toujours de l'assise d'une
culture inscrite tout entière dans la
postérité moralisante, catéchisante et
affairiste du calvinisme. La
civilisation occidentale ne
s'approfondira jusqu'au vertige que par
l'étude des fondements psychiques du
mythe de la Trinité. ( Voir:
1815 - 2015 : Demain un Waterloo
européen , 18 décembre 2015
Car la théologie et
la doctrine chargées d'enfanter un Dieu
triphasé se scindent en deux divinités
toutes deux amputées de ce que l'une
voudrait apporter à l'autre. L'une
repose sur l'élection christifiante
qu'exprime la bénédiction inspirante de
la Pentecôte et l'autre sur un Père et
un Fils ultra activistes et censés
s'affairer à la politique du monde avec
un zèle de stakanovistes.
La fécondation de
la religion romaine par un Père et un
Fils voués à leur vocation de
mécaniciens zélés de l'histoire et de la
politique, d'un côté et de l'autre, un
christianisme relativement passif et
ultra bénédictionnel par un chapeautage
direct de l'absolu, englobe les deux
pôles d'une anthropologie universelle et
abyssale que l'Occident est appelé à
approfondir.
La "civilisation
américaine" n'accèdera jamais aux
arcanes des évadés partiels de la
zoologie ni dans le providentialisme
affairiste et intéressé du calvinisme,
ni dans une religion romaine dont tous
les humanistes du XVIe siècle, à
commencer par Erasme avaient démontré la
rechute dans les superstitions et le
fétichisme du paganisme.
Une civilisation
post-calviniste et tard-venue ne dispose
d'aucun référent inscrit dans son propre
passé. Toute la "culture
américaine" se réduit à une marchandise
d'importation d'un passé étranger par
nature et par définition à ce sol et à
ce peuple composite. Comment une
civilisation privée d'intériorité propre
et gravée dans sa propre mémoire
servirait-elle de berceau, de pédagogue
et de guide à l'avenir de la
civilisation mondiale? On ne féconde
qu'une civilisation née et épanouie dans
son propre sein et dont on connaît les
racines. En revanche, un avenir immense
demeure réservé aux ultimes combats,
profanateurs au besoin, de la raison et
d'une pensée critique sur les pistes des
secrets de l'animalité spécifiquement
humaine.
Une civilisation
réduite à une greffe tardive sur un
mythe religieux pris en cours de route
et usé par seize siècles de rites et de
scolastique est une plateforme
fécondable de l'avenir et de la destinée
du genre humain qu'à la condition
d'approfondir la dimension
résurrectionnelle et ascensionnelle
d'une civilisation arrachée à la mort.
Entre le physicisme eucharistique des
Exercices spirituels
de saint Ignace et les fécondes rêveries
théologiques des grands écrivains
russes, tous branchés sur la mystique de
l'école d'Antioche, il est temps de
saisir les deux bouts de la chaîne. Une
unification de la condition humaine est
en vue à l'école d'une synthèse entre
les deux pôles d'Adam.
Qu'est-ce à dire?
Si, au cours des millénaires, la nature
n'avait façonné un organisme capable de
chevaucher un rayon de lumière et si je
devenais centenaire à la faveur de ce
califourchon, je mourrais à l'âge de dix
mille ans; mais si la lumière
multipliait par mille son train de
sénateur, je n'y gagnerais rien, car un
temps quasiment gelé et qui suinterait
goutte à goutte avec une lenteur
désespérante, je continuerais de
calculer sa coulée avec le secours d'une
méthode ridiculement piétinante,
tautologique et strictement utilitaire à
l'aide du calcul d'une distance
parcourue par une matière en un temps
déterminé, alors que le temps aurait
quasiment cessé de couler, donc
d'exister.
Ni Moscou, ni Rome
n'ont tenté à La Havane de scruter
l'avenir de l'humanisme mondial, ni le
patiarche Kiril, ni le pape François
n'ont seulement songé à l'évidence que
l'humanité a pris rendez-vous avec le
verbe être. Mais dans les profondeurs,
cette question a fait ses premiers pas.
Le 19 février 2016
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