Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Halte à l'américanisation du monde !
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 14 avril 2017
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1 - L'espèce humaine
est-elle ingouvernable ?
2 - La démocratie et le pouvoir
durable
3 - Talleyrand le civilisateur
4 - De la culture politique à la
civilisation
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1 - L'espèce humaine
est-elle ingouvernable ?
Il avait suffi de
quelques lignes à Cicéron pour démontrer
l'impossibilité de jamais rendre le
genre humain gouvernable. La royauté,
écrivait-il, conduit au despotisme,
l'oligarchie aux factions, la démocratie
à la chienlit (turba et confusio).
Mais Cicéron ne portait encore aucun
regard d'anthropologue sur l'histoire et
la politique des Romains. A ce titre, il
n'était pas en mesure de comprendre le
sens de la guerre entre les riches et
les pauvres, c'est-à-dire la guerre
entre les patriciens du Sénat et la
plèbe.
Quelle était la
signification à moyenne et à longue
échéance de la désignation tardive d'un
"tribun de la plèbe"? Si Cicéron
avait disposé d'un regard de l'extérieur
sur l'histoire du genre humain, il
aurait compris que les tribuns du peuple
deviendraient des chefs de guerre. Il en
fut ainsi de Jules César d'un côté, et
de Pompée de l'autre. Le premier prit la
tête des masses plébéiennes, le second
de la foule des notables du moment. Ces
deux chefs d'Etat major se sont livrés à
une rivalité féroce afin de se porter à
la tête de l'empire romain.
Depuis lors, la
postérité de cette évidence est devenue
flagrante, à savoir que tout pouvoir
démocratique qui croit sceller une
alliance avec la durée quitte l'arène de
la démocratie et se change fatalement en
un pouvoir personnel. C'est pourquoi
l'année même de la mort de Franklin
Delano Roosevelt, le Congrès américain,
c'est-à-dire les membres du Sénat et
ceux de la Chambre des représentants
réunis, ont décidé de réduire à deux les
mandats présidentiels et d'imposer au
candidat à sa propre succession le
dangereux devoir de repartir à zéro,
c'est-à-dire d'entrer une seconde fois
dans l'arène du corps électoral afin de
conquérir à nouveaux frais le rang d'un
Président pour quatre ans de la nation.
Mais que faire
quand seul un pouvoir durable permet à
une nation de franchir un cap difficile?
2 - La démocratie
et le pouvoir durable
La postérité de
Cicéron est une clé de l'histoire
contemporaine: sans Vladimir Poutine,
qui se trouve au pouvoir depuis dix-huit
ans, il serait impossible à la Russie de
jeter l'ancre suffisamment au grand
large pour poser à l'histoire mondiale
la question centrale de savoir si, après
avoir détruit les Peaux-Rouges et la
civilisation des Incas, qui se
caractérisait par de gigantesques
holocaustes au Dieu Soleil, le Nouveau
Monde rebroussera chemin? Pourra-t-on
éviter que l'Amérique vassalise à jamais
le Vieux Monde?
Il est évident que
tout l'avenir de notre astéroïde dépend
de cette seule question et que, sans un
homme capable d'arracher le destin du
monde au cabotage à ras des côtes, nous
nous retrouverons à l'âge de l'édit de
Caracalla qui, en l'an 212, faisait du
patchwork d'une démocratie universelle
l'arbitre des dernières heures de
l'empire romain.
Tel est l'abîme
grand ouvert par l'incompatibilité entre
le Charybde de la médiocrité durable et
le Scylla de la durée suicidaire à long
terme. Nul ne devra se laisser tromper
par l'accord tout apparent et
superficiel qui est intervenu
momentanément les 6 et 7 avril 2017
entre les Etats-Unis et la Chine. Car il
sera à nouveau démontré, s'il en était
besoin, qu'aucun Etat souverain n'est en
mesure de changer le cours de son
histoire et de paraître quitter l'arène
que son destin lui impose: les
Etats-Unis d'Amérique continueront
d'exploiter leur victoire planétaire de
1945 et de tenter de conduire jusqu'à
son terme naturel la subordination de la
France, de l'Allemagne et de
l'Angleterre à l'écoute de leur aventure
d'empire militaire mondial.
3 - Talleyrand le
civilisateur
Dans ces
conditions, un devoir s'impose à ces
trois Etats, celui de penser l'avenir du
monde. Car s'il est prouvé d'avance que
la question focale sera de savoir si oui
ou non ces trois nations peuvent encore
se bâtir un avenir autonome ou si elles
sont d'ores et déjà devenues des
naufragées, perdues corps et biens. Pour
tenter de répondre à cette question, le
socle solide de la réflexion
anthropologique sur la politique et sur
l'histoire reviendra à se demander si
une épopée souveraine demeure à leur
portée. Malgré les apparences contraires
d'aujourd'hui, la France forme encore
ses élites dans de hautes écoles issues
de la Révolution de 1789. L'Allemagne,
de son côté, demeure armée de la
ténacité dans laquelle, Tacite fut le
premier à prophétiser l'avenir de
l'empire romain.
Or, tout récemment,
Angela Merkel est allée montrer patte
blanche à Washington où elle a cru
judicieux de trahir Airbus et elle a
acheté six C-130J Hercules, du
constructeur américain Lockheed-Martin.
Aucun dirigeant de l'Allemagne de demain
ne pourra avaliser ce type
d'américanisation de la nation des
Germains. C'est également l'option
choisie par la France, qui a commandé
quatre appareils de ce type.
L'avenir des trois
principales nations du Vieux Monde sera
national ou ne sera pas . Certes, en
temps de paix l'histoire de la planète
semble s'arrêter. Mais dans les
profondeurs, l'histoire à la fois réelle
et visionnaire continue en secret de
jeter l'ancre au grand large des côtes,
tellement l'avenir ne s'est jamais écrit
à l'école d'un cabotage au ras des
rivages.
Comment, face à la
montée en puissance de la Russie, de la
Chine et de l'Inde, Berlin, Londres et
Paris se bâtiront-ils encore une
histoire à l'échelle du globe terrestre
et cela sans passer de la tutelle du
Pentagone à celle des trois chefs de
file du monde de demain? Par les
retrouvailles de la réflexion
géopolitique avec la solitude à la fois
héroïque et tragique du genre humain.
Rien de tel avec
les négociations que l'Angleterre ouvre
en ce moment avec l'Europe: la question
des relations de tout ce beau monde avec
l'OTAN sera purement et simplement
effacée des tablettes de Clio.
4 - De la culture
politique à la civilisation
Qu'est-ce qu'une
civilisation si, d'un côté, le
simianthrope ressemble aux autres
animaux, qui ne se soucient de leur
progéniture que dans leur petite
enfance, puis les abandonnent à
eux-mêmes, tandis que les civilisations
les éduquent leur vie durant.
C'est ainsi que
même les tribus primitives disposent
d'une culture politique, en ce sens
qu'elles hiérarchisent des pouvoirs,
précisent l'étendue et les limites des
apanages des sorciers. C'est ainsi que
Rome a passé très tôt d'une organisation
politique fondée sur le droit coutumier
à une législation écrite, parce que la
vie politique précède la civilisation
proprement dite. Rome précisait qu'on ne
pouvait briguer le consulat avant l'âge
de quarante ans pour ne prendre que cet
exemple de la maturité précoce de la vie
politique interne des Romains.
La civilisation
romaine ne s'est elle-même baptisée une
civilisation qu'à l'heure où les Grecs
vaincus ont converti l'élite romaine, la
civilisation grecque sur l'initiation
des citoyens aux devoirs et aux pouvoirs
de la pensée logique et de la
dialectique. Quant à la civilisation
chinoise, elle repose sur les liens de
parenté. A son tour, la civilisation
occidentale ne conservera son avance sur
les autres continents que si elle
assimile sa solitude dans une culture
devenue consciente de son isolement sans
remède dans l'immensité.Mais la
vassalisation du Vieux Continent se
trouve de nos jours tellement avancée
que personne n'osera soulever la
question de la nature de nos attaches
avec le sceptre et le joug du Pentagone.
Telle est la
question que Talleyrand poserait
fermement et même rudement aux
successeurs aveugles du Général De
Gaulle, telle est la question qui se
posera inévitablement à l'Europe, parce
qu'il n'a jamais existé de politique
réelle qui ne se trouve contrainte de
préciser la nature et le statut des
nations souveraines.
Le 14 avril 2017
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