Théopolitique
Le pape François et la géopolitique (2)
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 14 mars 2014
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1 - Le
récit historique est aux abois
2 - Le pape François et l'avenir
du sacré
3 - Les Titans de " Dieu "
4 - L'avenir de la raison
politique et l'Europe
5 - Le dépérissement du rêve
politique
6 - Une religion en quête de son
levier spirituel
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1 - Le récit
historique est aux abois
La semaine
dernière, je soulignais que ce n'était
pas seulement la science historique qui
se trouvait réduite à la portion
congrue, que ce n'était pas seulement le
champ de vision de Clio qui se trouvait
rabougri, que ce n'était pas seulement
le trou du souffleur qui se trouvait à
ras du trottoir - la caméra est tombée
en panne, le metteur en scène s'est
enfui, l'auteur de la pièce a quitté les
planches.
Mon propos était de
soulever la question de la nature et des
limites de l'humanisme semi rationaliste
hérité du monde antique et de la
Renaissance ;car si notre civilisation
devait demeurer incapable de décrypter
le langage des grands mystiques, comment
accèderions-nous à une connaissance
anthropologique des secrets du génie
poétique ou du génie musical, mais
également du génie mathématique,
tellement la raison et l'intelligence de
feu dont se nourrissent les créateurs
dans tous les ordres se fondent sur une
dimension élévatoire et un élan
ascensionnel inscrits au plus secret des
consciences sommitales.
Les Anciens
honoraient des dieux que nous avons
réfutés, mais du moins savaient-ils que
le génie ressortit à un souffle
intérieur, qu'ils appelaient un
divinus afflatus. Les sciences, les
lettres et les arts des païens étaient
plus proches que les nôtres du sacré
vivant et respirant de tous les grands
artistes. Le monde moderne aurait-il
jeté l'enfant avec l'eau du bain?
Certes, les dieux morts offraient le
ridicule de camper sur une montagne,
certes, ils mâchaient notre viande de
boucherie. Mais nous n'avons pas à nous
vanter des progrès de notre cervelle,
puisque nous n'avons pas encore conquis
de regard sur la bête dont l'encéphale
sécrète des personnages imaginaires,
puis les colloque dans le cosmos et va
leur apporter à manger.
Pourquoi, deux
millénaires ne nous ont-ils pas suffi à
conquérir une science du carnivore semi
cérébralisé qui fait respirer l'odeur de
la chair crue de ses bestiaux aux
narines de ses idoles? Pourquoi la bête
que nous sommes demeurés
transporte-t-elle son système olfactif
et le fumet de ses rôtis dans le cosmos?
Nos théologies passeraient-elles du cru
au cuit, à l'image de notre cuisine? De
toute évidence nous sommes un animal
sui generis, comme on dit.
Certes, nous ne
cessons de nous demander si nous allons
quitter la zoologie. Mais savez-vous que
le trépas de Zeus n'a pas cessé de faire
consommer de la chair fraîche à nos
dieux, savez-vous que nous offrons
encore des animaux de boucherie à Jahvé
et à Allah et le corps saignant d'un
pauvre homme le dimanche sur tous les
autels du dieu des chrétiens?
Deviendra-t-il un jour possible de
délivrer notre "vie spirituelle" des
carnages cultuels qui ensanglantent nos
offertoires dans le monde entier, nous
sera-t-il un jour permis de sauver le
sacré qui, chez les Anciens déjà,
séparait le trésor des mystiques de la
sauvagerie culinaire de leurs congénères
attablés aux côtés de leurs
sacrificateurs?
2 - Le pape
François et l'avenir du sacré
Telle me semble la
révolution anthropologique dans laquelle
le pape François se trouve embarqué par
la force des choses et à son corps
défendant; car son combat contre la
pauvreté spirituelle de notre temps
attire l'attention des chrétiens de
bonne volonté sur le fonctionnement de
la boîte osseuse des saints. Mais
attention, ces vigies-là se révèlent les
méfiants du cosmos, prenez garde, ces
sentinelles-là se veulent les rieurs en
gloire et les spectateurs de la folie du
monde - on ne meurt pas dans
l'allégresse sans habiter une étoile. Ce
qui importe à la fois à une
anthropologie ambitieuse de décrypter
les mythes sacrés et à un pape dont la
première encyclique, en juin 2013, cite
Frédéric Nietszche, ce n'est en rien de
s'attarder sur l'échec prévisible de
l'ambition attribuée au Saint Siège de
faire changer de politique et d'histoire
à une bête irrémédiablement dédoublée
entre des mondes iréniques, mais
imaginaires, et une terre ensauvagée:
c'est de découvrir la méthode de pensée
qui permettrait à la politologie de
demain d'ouvrir l'œil sur un champ
visuel élargi - celui qui nous porterait
à la hauteur d'une première
spectrographie trans-zoologique de la
vie onirique qui caractérise la
condition simiohumaine depuis notre
évasion partielle de la zoologie.
Pouvons-nous
commencer d' étendre notre regard
semi-animal jusqu'à nous faire
apercevoir dans le lointain les contours
encore flous d'un territoire entièrement
nouveau de l'histoire réelle du monde,
celui dont l'éthique déjà relativement
transanimale, dicterait sa loi à une
interprétation métabiologique de la
chronologie des évènements? Sur le
terrain psychogénétique le déroulement
de la pièce ne semblera pas avoir changé
de registre; mais les vrais regardants
auront troqué la problématique d'un
cuisinier des dieux contre celle de
Socrate et de François d'Assise, ces
métazbiologistes qui se sont élevés à la
béatitude, parce que leur propre globe
oculaire était devenu leur soleil.
3 - Les Titans de
" Dieu "
Laissons aux
prophètes la tâche d'installer aux yeux
des foules ébahies un législateur
herculéen à la tête du cosmos et un
rédacteur en chef des codes pénaux,
puisque ces pédagogues d'un Olympe pour
enfants indisciplinés réduiront leurs
Titans au rang d'élèves à éduquer et les
rendront un peu moins carcéraux. Socrate
sait, depuis vingt-quatre siècles, que
le genre simiohumain appartient à une
espèce adorante de naissance, mais
profondément endormie et qu'il faut lui
fournir des civilisateurs, Socrate
l'éveilleur sait que les généraux et les
chefs d'Etat terrestres ne sont que des
déclencheurs d'une sublimation
collective rudimentaire ou d'une
cristallisation vénératrice automatisée
de cet animal - vingt-deux siècles plus
tard, Stendhal redécouvrait ce phénomène
mécanique et soixante quinze ans après
lui, Freud le retrouvait à son tour.
Mais le mystique,
lui, est un civilisateur de haut rang de
la divinité obtuse et barbare à l'usage
des nains de son temps. A ce titre, il
sait que le démiurge primitif n'est ni
le père de famille hypertrophié du grand
Viennois, ni le lâche du cosmos qui se
défaussait sur un subordonné diabolique
de la tâche musculaire d'alimenter à la
pelle le feu de la torture sous ses
marmites infernales. Le mystique sait
que "Zeus" se brûle à la flamme de sa
solitude et de sa voyance.
Et maintenant qu'en
serait-il d'une géopolitique vaticane
dont la distanciation méthodologique
porterait sur les claudicants de la
raison animale du monde, qu'en serait-il
d'un Saint Siège qui porterait le regard
d'Isaïe sur la bête idolâtre, mais aussi
le regard des Sophocle, des Swift, des
Shakespeare, des Cervantès, des Kafka,
parce que les vrais anthropologues du
globe oculaire de "Dieu" ne sont autres
que les allumeurs sidéraux dont la
littérature mondiale a fait ses soleils?
- Mon Panthéon 2 , 18 janvier 2014
-
Mon Panthéon 1 , 11 janvier 2014
Il faut se rendre à
l'évidence: si la férocité du
génocidaire à courte vue du Déluge se
trouvait invalidée, si ce monstre du
cosmos se trouvait disqualifié par sa
propre catéchèse et officiellement
excommunié par son successeur,
l'humanisme mondial serait fort
embarrassé par l'obligation nouvelle
devant laquelle nous nous trouverions
soudainement de prêter une oreille
incrédule à la bête sottement divinisée
qui mettait ses négateurs à l'école des
tortures infernales, faute de les
réfuter par aucun argument intelligent
et réduite à invoquer pour seul
syllogisme la ceinture de cuir dont elle
avait ceint ses reins.
Le pape François
s'est placé sur le chemin d'un
apprentissage du globe oculaire
perfectionné de l'humanité de demain -
mais le regard d'une métazoologie
pensante portera sur les secrets
psychobiologiques communs à la barbarie
humaine actuelle et à la barbarie du
"Dieu" d'hier. Clio fera-t-elle de ce
pape de transition entre deux ères la
poutre maîtresse d'une révolution de la
science historique. Certes, cette
mutation est en marche depuis longtemps
dans les souterrains. Mais le regard des
saints de la pensée portera sur la
férocité d'un démiurge des carnivores
qui, hier encore, campait à l'aise et
avec toute sa denture dans les têtes.
Décidément les crocs de l'homme et ceux
de "Dieu" se civilisent réciproquement
et de siècle en siècle, décidément ces
sosies griffus se regardent l'un l'autre
dans le miroir de leur transcendance en
gestation, décidément ce parallélisme ne
s'observera jamais à travers un vasistas
béant au raz de la chaussée.
4 - L'avenir de la raison politique et
l'Europe
Qu'on marque cette
date d'une pierre blanche: en 2013, le
regard de saint François d'Assise a
terrassé le regard superficiel que la
Démocratie mondiale portait sur la
Démocratie mondiale, en 2013, le regard
flatteur que la Liberté portait sur une
Liberté vaniteuse, en 2013 le regard
cajoleur que la Révolution de 1789
portait sur la Révolution cajoleuse de
1789, en 2013, un globe oculaire
résolument placé à l'extérieur du
théâtre des idéalités spéculaires a
observé du dehors les séraphins
cérébraux dont les parfums enivraient la
planète. Pour la première fois, le genre
simiohumain a plongé son regard dans le
miroir de ses saintetés verbifiques.
C'est cela,
l'évènement abyssal et imprévu, mais qui
a ébranlé dans ses fondements une
démocratie bâtie depuis deux siècles sur
des contrefaçons grammaticales de la vie
ascensionnelle de l'humanité, c'est cela
qui a mis à nu les sources semi
zoologiques de l'auto-sanctification
verbifiques d'un animal vocalisé.
Quelles sont les chances de la France et
de l'Europe de fonder une critique des
mots abstraits, donc une anthropologie
capable de scruter les masques idéaux de
la bête auréolée par sa parole?
L'ambition de retrouver et de féconder
le regard que les saints portaient sur
les mâchoires des évadés de la zoologie
est-elle à la portée de la connaissance
expérimentale d'une espèce dont les
outils mentaux sont sur le point de se
rendre parazoologiques? Nullement: la
conquête d'un matériau nouveau de la
connaissance rationnelle dépend de
l'invention de l'appareil mécanique qui
seul permettra de le découvrir. Il a
fallu fabriquer la chambre de Wilson
pour visualiser des atomes. On attend la
chambre de Wilson dans laquelle
l'encéphale des mystiques rendra
visibles les syllogismes et les
trajectoires que la bête s'était
fabriqués au cours des siècles
précédents.
Pour l'instant,
sachons seulement que le pape François
est un fils averti d'Ignace de Loyola et
du Poverello d'Assise, parce qu'on ne
pilote pas une théologie en haute mer et
dans les tempêtes du temporel sans avoir
appris quelques rudiments de la
politique des animaux parlants. Pourquoi
ont-ils enfanté un ordre religieux
composé de légionnaires du ciel ? Pas de
doute, si nous voulons construire la
chambre de Wilson qui nous permettra de
relever le tracé des particules
élémentaires du temporel simiohumain et
d'observer les rôles respectifs du
glaive et des croix dans les trois
principaux mythes polythéistes, il nous
faudra mettre en parallèle les
déconfitures de la foi des guerriers et
celles des saints tout au long d'une
histoire conjointe de la démocratie
messianisée et de l'Eglise dite révélée.
5 - Le dépérissement du rêve politique
On sait que, sous
la présidence spéculaire de M. Nicolas
Sarkozy, l'espérance parareligieuse du
corps électoral de la France "si belle
en son miroir" avait fait basculer la
masse des électrons du salut vers la
gauche de l'échiquier du mythe
démocratique. La rédemption par
l'intercession du verbe démocratique va
sans doute passer à droite des
médiations finalistes que la
sotériologie démocratique met en scène.
Mais quand quatre-vingt dix pour cent
des prosélytes du mythe de la Liberté
ont perdu leurs attaches affectives et
cérébrales avec une eschatologie
citoyenne vouée à osciller entre deux
rédemptions du temporel, quand, en
arrière-fond du naufrage de la
transcendance de type républicain, le
peuple de 1789 découvre la fatalité de
la chute des démocraties dans la
médiocrité des âmes et des têtes, quelle
sotte vanité, se dit-on, que de brandir
d'une génération à l'autre, le fanion
d'une Liberté désaffectée et privée de
tout contenu sur la scène
internationale!
De même qu'au XIXe
siècle la Suisse minusculisée depuis la
bataille de Marignan renonçait à fonder
une nation ascensionnelle, armée d'un
esprit sommital et propulsée par une
volonté politique unifiée, parce qu'elle
se trouvait réduite à quelques régiments
protestants français divisés entre des
Vaudois, des Genevois, des Neuchatelois,
des Valaisans, d'un côté et des
protestants allemands scindés entre des
Bâlois et des Bernois de l'autre, de
même, dis-je, on ne forgera jamais
qu'une Europe en modèle réduit sur
l'enclume des Finlandais et des
Siciliens, des Suédois et des Grecs, des
Danois et des Italiens. Déjà les maigres
phalanges d'Ukrainiens
catholiques-uniates de l'Ouest se
disent: "Nous n'avons ni la même langue,
ni la même religion que nos voisins de
Crimée. Nous n'avons que faire de ces
gens-là."
Pour ajouter au
ridicule des rêveries helvétiques de
l'Europe moribonde, il faut souligner
que les cantons microscopiques de la
Suisse des origines - ceux de l'Helvétie
des régicides du Moyen-âge - se sentent
à la fois les seuls pères légitimes de
la nation et les Pygmées désacralisés de
la patrie de bric et de broc qui leur a
éclaté entre les mains. Si cette nation
sauvée du nanisme par un archer devenu
légendaire sous la plume d'un poète
allemand n'était pas désormais dirigée
par un conseil d'administration aussi
polychrome et pluriconfessionnel
qu'anonyme et si, depuis 1814, le filtre
de la neutralité absentifiante des fils
de Guillaume Tell n'avait pas mis les
descendants de ce héros à l'abri des
poisons de l'histoire vivante, la Suisse
se déchirerait entre Zurich et Berne
comme l'Europe de demain se déchirera
entre Paris et Berlin - on sait que le
monde hellénique s'est fatalement
déchiré entre Sparte et Athènes sous le
regard amusé de la Perse, tellement il
n'existera jamais d'empire politique
sainement bicéphale, résolument
tricéphale ou pieusement quadricéphale.
6 - Une religion à la reconquête de son
levier spirituel
De plus, dans le
cas où le Vieux Continent tenterait de
se fabriquer une calèche à deux cochers
et à quatre brides dont Paris et Berlin
tiendraient les doubles rênes, aussitôt
Londres et Washington se feraient un jeu
d'enfant de débaucher le nord protestant
de l'Europe, ainsi que la Hollande,
comme Georges Pompidou l'a expérimenté
aux dépens de la France à l'heure du
débarquement du loup anglais dans la
bergerie. Le trépas de l'Europe est
devenu aussi inévitable sur la scène
internationale que celui de l'empire
résigné de la Louve, que son titanisme
désespérément disparate a vainement
divisé entre deux langues, deux
théologies et deux encéphales.
C'est pourquoi
l'Angleterre découvre qu'elle s'était
affolée pour rien de 1950 à 1970. Le
Traité de Rome ne ressusciterait pas
Jules César, Charles Quint, Napoléon ou
Hitler. En 2014, il est temps, pour
Albion, de reprendre le large. On l'a
bien compris avec la découverte des
milliards de dollars dépensés en secret
et depuis des années par Washington pour
faire exploser l'Ukraine au nez de la
Russie: pas un seul organe de presse,
pas une seule télévision du Vieux Monde
n'en ont fait état, et tous les Etats
vassalisés du continent de Copernic ont
assisté motus et bouche cousue au
déroulement de la pièce, parce que le
seule remuement des lèvres qui aurait
interrompu le déroulement cocasse de la
représentation aurait fait demander aux
entractes à l'enfant du conte
d'Andersen: "Qui sont ces cinq cents
légions de l'étranger que je vois
stationnées sur votre territoire?" Non
seulement les civilisations naufragées
n'ont plus de regard sur leur destin
militaire, mais elles ne sont même plus
spectatrices des garnisons de leur
vainqueur incrustées depuis des
décennies sur leurs arpents.
La semaine
prochaine, nous verrons comment un pape
inspiré par le génie politique des
grands mystiques de la liberté a
commencé d'observer le sac de cendres
sous lequel la bête politique de type
européen se cache la tête. Car enfin, se
dit le pape François, les historiens de
la foi dite apostolique seront-ils
condamnés à relever que, tout au long de
l'agonie du christianisme romain, les
derniers grands pontifes de cette
religion n'auront pas levé le petit
doigt au spectacle de la chute, un
siècle durant, de la civilisation
occidentale dans la servitude politique.
L'homme est un
animal en voyage entre le temporel et le
mythe. La sotériologie chrétienne et la
sotériologie républicaine rendront-elles
leurs trajectoires parallèles
observables? Parviendrons-nous à filmer
le destin eschatologique de notre
planète dans la chambre de Wilson de la
foi?
C'est ce que nous
verrons la semaine prochaine.
le 14 mars 2014
Reçu de l'auteur pour publication
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