Copernic et les
Mistral
2- Les étapes de la satellisation
atlantiste de l'Europe
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 13 novembre 2015
Ce 13 novembre, je
n'ai que quelques lignes à ajouter au
résumé que je rediffuse ci-dessous mon
analyse du 29 octobre de l'avenir
civilisateur commun de l'Europe de
l'Atlantique à l'Oural que prophétisait
le Général de Gaulle.
Rappel
Le 23 octobre,
M. Vladimir Poutine s'est enfin décidé à
introduire, avec le courage et la
loyauté requises, les termes de
vassal et de vassalité dans
le vocabulaire des relations
diplomatiques courantes entre les Etats
auto proclamés démocratiques. Cette
initiative visait évidemment l'ordre
signifié avec rudesse par Washington aux
plus vieilles et aux plus respectables
nations de la civilisation européenne -
d'édicter précipitamment des sanctions
industrielles et commerciales à l'égard
de la Russie, et cela sans qu'il fût
permis aux descendants de Copernic de
contester des dispositions aussi
unilatérales que contraires à leurs
intérêts économiques et diplomatiques
les plus évidents.
(...)
Le 13 novembre,
j'esquisserai l'avenir cérébral, donc
réflexif, d'une Europe qui s'étendrait,
comme disait le Général de Gaulle, de
l'Atlantique à l'Oural.
La rencontre du
Président de la République populaire de
Chine, M. Xi Jinping, avec le Président
taïwanais, M. Ma Ying-jeou, a
définitivement délégitimé l'expansion de
l'empire américain sous le sceptre et le
drapeau conjugués d'un mythe mondial de
la Liberté politique fondé sur
l'apologie de la domination classique
des mers. Les deux dirigeants ont fondé
l'avenir civilisateur du genre humain
sur un nationalisme, donc sur un
patriotisme qui tracera un chemin
nouveau de la civilisation mondiale vers
l'universalité de ses valeurs
fondatrices.
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1 - Entre une
satellisation fatale et un salut
problématique
2 - L'alliance du rire avec la
mort
3 - La déliquescence de la
souveraineté de la France
4 - Les étapes de la descente à
l'abîme de l'Europe
|
1 - Entre une
satellisation fatale et un salut
problématique
Il nous faut
apprendre à peser la pieuvre qui
s'appelle la vassalité d'une nation;
et, pour cela, situer ses tentacules
dans le contexte géopolitique de
l'asservissement continu de l'Europe
depuis 1945. Engageons-nous donc sur le
chemin qui nous donnera une idée claire
de la stratégie de la Russie face à
l'Europe asservie. Car Moscou se trouve
placée par les circonstances, mais pour
longtemps, au cœur de l'histoire réelle
de la planète d'aujourd'hui et de
demain.
D'où elle se trouve
placée, la Russie voit clair comme le
jour l'impossibilité, tant mentale que
physique dans laquelle se débat l'Europe
des vassaux de l'OTAN de jamais se
donner l'unité politique et la volonté
collective qui seules conduiraient le
Vieux Continent à se bâtir un destin
politique digne de ce nom. Quand bien
même le génie d'un rassembleur de haut
lignage tenterait de tracer le chemin de
la grandeur retrouvée des descendants de
Copernic, jamais Berlin, Paris, Rome et
Madrid ne se rallieraient à son panache
blanc, et cela tout simplement parce
qu'on ne peut "unifier" des nations
dissemblables par leur étendue, leur
langue, leur culture et leur religion.
Il est donc
aveuglant d'évidence aux yeux de la
nation héritière des tsars que les
troupes américaines s'implanteront pour
longtemps encore sur tout le territoire
de l'Europe et qu'on n'assistera jamais
à un puissant élan patriotique qui
soulèverait un conglomérat de
démocraties amollies, hétéroclites et
tombées en léthargie. Comment
chasserait-on les armes à la main un
occupant miraculé par le mythe de la
Liberté, comment dissoudrait-on l'OTAN
et son corollaire, le traité de
Lisbonne, comment mettrait-on un terme à
la volonté de Washington de parachever
sa suprématie par un accord de "libre
échange" avec l'Europe, afin de sceller
la victoire du lion sur un troupeau de
moutons?
Mais il est
également évident que la vassalisation
par étapes de l'Europe trouvera un terme
par l'effet d'un miracle politique
prévisible, et cela par la volonté d'une
seule puissance résolument libératrice,
laquelle ne saurait être autre qu'une
Russie alliée à la Chine, à l'Inde, à
l'Afrique et à l'Amérique du Sud. Il
existe des prodiges dont la pâte monte
au four de la mort.
Telle est la vision
irréfutable de l'avenir qui inspire
Vladimir Poutine et qui lui a fait
donner aux jeux de Sotchi l'axe central
d'une ambition nouvelle de la
géopolitique, celle de tracer les
chemins d'une fécondation parallèle de
la culture occidentale et de la culture
russe.
2 - L'alliance du
rire avec la mort
Ce n'est pas le
lieu d'esquisser, même dans ses grandes
lignes, l'avenir politique, intellectuel
et culturel confondus dont rêvait le
Général de Gaulle quand il prophétisait
l'extension de l'Europe de l'Atlantique
à l'Oural. Je dirai seulement que le
génie littéraire de l'Europe s'est
réveillé à l'école d'une alliance
originelle du rire avec le tragique et
du sarcasme avec le sang. Aristophane,
chez les Grecs, Plaute et Térence chez
les Romains ont illustré le pacte
inaugural du génie comique avec le génie
du tragique. Puis l'Occident chrétien,
plus guerrier et pragmatique que
l'Orient, a interprété du mythe de la
Trinité dans un sens batailleur et
conquérant: Jésus conduirait la bataille
de la foi par l'association du glaive
avec la loi - Dieu en était réduit à
fulminer et à tonitruer dans les
coulisses - sinon il se trouvait réduit
à offrir aux fidèles les friandises du
paradis d'une main et les tortures
infernales de l'autre.
C'est ainsi que
l'alliance du rire avec les charniers a
été scellée en France par un Rabelais et
un Molière, en Espagne par un Cervantès,
en Angleterre par un Jonathan Swift,
tandis que l'Orient n'a pas connu un
seul auteur comique dont l'audience
serait universelle. Aussi Antioche
a-t-elle construit tout le christianisme
sur le troisième acteur de la Trinité,
le Saint Esprit. Il a fallu, pour cela,
faire descendre la vérité du haut du
ciel et sur le modèle bénédictionnel et
pacificateur de la plongée de cette
"personne" sur les disciples réunis à la
Pentecôte. Tous les saints orientaux
sont des individus ascensionnels et des
solitaires de leur élévation intérieure,
tous les grands écrivains russes, de
Tolstoï à Dostoïevski, de Pouchkine à
Gogol, de Soljenitsyne à Pasternak sont
marqués du sceau de la grâce descendant
sur des bénéficiaires passifs.
L'alliance du génie
contemplatif de l'Orient avec celui d'un
Occident peu enclin à la méditation
permettra aux pentecôtistes de
l'histoire du monde de se donner un
regard plus acéré sur le temps de la
politique et de la guerre et conduira le
génie disputeur et batailleur de
l'Occident à s'initier aux richesses des
grands mystiques de la littérature
russe, tandis que, de son côté, l'Orient
nous aidera à lire don Quichotte et les
aventures de Gulliver d'un œil rieur -
car le rire est un théâtre de la
lucidité, du sanglant et de la mort.
Le XVIIIe siècle
français a fait gagner trois siècles à
l'esprit rationaliste assoupi de la
Russie des icônes, mais seule une maigre
élite s'était initiée au rire et au
tragique confondus du Candide
de Voltaire. Puis, le marxisme a fait
replonger le monde entier dans une
eschatologie calquée sur l'évangélisme
du premier siècle chrétien et sur
l'utopie para-religieuse d'un avènement
du royaume de Dieu sur une terre guérie
de l'instinct de propriété. Mais cette
rechute dans les béatitudes de l'utopie
n'a freiné en rien l'élan scientifique
et rationaliste de la Russie - la
période soviétique est à l'origine des
satellites et l'actuelle avance des
armes modernes de la Russie sur celles
du reste du monde entier est une
conséquence imprévue du "rationalisme
mystique" des marxistes.
En Europe, la
science historique devra inaugurer une
approche anthropologique de la
géopolitique, alors qu'il manque encore
à la Russie d'user de la dimension
acerbe et ironique de la pensée
rationnelle depuis Aristophane ou
Pétrone - alliance qui ne remonte chez
nous qu'aux racines renacentistes de la
pensée scientifique retrouvée. Si
l'Europe n'approfondissait pas la
connaissance du genre humain à la
lumière même de sa décadence, la
civilisation mondiale cessera de
progresser dans la connaissance des
ultimes secrets de la bête humaine,
alors que seule la reconquête de
l'avance intellectuelle de ce continent
sur les autres parties du monde lui
redonnera le souffle et l'élan d'une
civilisation de l'intelligence.
3 - La
déliquescence de la souveraineté de la
France
Tel est le vrai
contexte dans lequel il convient de
situer la piteuse déliquescence de la
souveraineté de la France dont témoigne
une diplomatie du renoncement de livrer
les Mistral à Moscou. Sans le recours à
l'instinct de conservation des nations
qu'exprime désormais un patriotisme
nouveau, jamais notre civilisation ne
reconquerra l'assise d'une autonomie
identitaire sur laquelle construire le
destin de la pensée critique et de la
raison décapante. Et si l'on ne situait
pas d'ores et déjà le naufrage de la
souveraineté de la France dans une
optique anthropologique, l'Europe tarira
la source vive d'un destin.
Aussi un
gouvernement français qui n'aura pas de
vision de l'avenir culturel et
scientifique de la Russie ne
disposera-t-il en rien du champ
d'interprétation qu'appelle l'affaire
des Mistral, qui ne s'éclaire que dans
la perspective planétaire de la
vassalisation rampante du Vieux Monde.
Par bonheur, déjà
la Russie des humanistes pointe du doigt
la barbarie des Danois qui ont fait
décapiter une girafe et dépecer un lion
devant des enfants en bas âge afin de
les initier tout petits à la cruauté;
déjà une France politiquement et
moralement abaissée a oublié que
caricaturer des victimes au nom d'une
pseudo "liberté d'expression" est
une ignominie impardonnable. Où sont les
Daumier, les Granville ou les Gustave
Doré d'aujourd'hui? Ces immenses
artistes savaient que la satire est un
art difficile qui ne peut s'exercer qu'à
l'égard des puissants. Le talent
véritable exclut la vulgarité ou la
bassesse. C'est pourquoi l'humanisme des
héritiers de Tolstoï et de Dostoïevski
prend la tête de la civilisation
nouvelle de l'alliance des têtes avec
les cœurs.
4 - Les étapes de
la descente à l'abîme de l'Europe
Comment l'Europe en
est-elle venue pas à pas au degré
extrême de satellisation de sa politique
étrangère, puis de vassalisation
affichée dont elle présente désormais le
spectacle au monde entier - et que le
Président Poutine a pu dénoncer
officiellement en termes les plus crus
sans que cela fasse ciller un seul
dirigeant européen et sans que la presse
de ces pays en pipe mot? Pour le
comprendre, il faut rappeler brièvement
les sentiers et les chemins de la
descente à l'abîme du continent de la
révolution copernicienne qui a enfanté
la l'astronomie moderne.
En 1945, le retrait
des troupes américaines du champ de
bataille européen semblait inscrit dans
les lois communes de l'histoire
classique. Seul le plan Marshall était
porteur d'un assujettissement économique
d'un type nouveau et d'un asservissement
militaire durable - et ni l'une, ni
l'autre de ces menaces ne paraissaient
inévitables. Mais en 1949, l'expansion
militaire du messianisme économique des
marxistes, encore bardé des bastions
dogmatiques d'une orthodoxie
parareligieuse, avait rendu
vraisemblable la folie d'une invasion
pure et simple de l'armée soviétique,
dont les tanks auraient occupé un
continent européen subjugué par la
mystique montante et l'évangélisme
envahisseur d'une classe ouvrière
aveuglément convertie, croyait-on, à la
nouvelle religion du salut par la
révolution. C'est la guerre froide qui a
permis à l'empire américain d'installer
dans toute l'Europe des bases militaires
dotées de l'arme nucléaire et dont la
puissance dissuasive devait mettre un
terme aux ambitions conquérantes d'un
nouveau Tamerlan ou d'un nouveau Gingis
Khan.
Puis l'exploit
passager d'un nouveau Vercingétorix - ce
héros qui parvint à libérer la Gaule de
l'assaut universel que préparait
l'empire "démocratique" américain - n'a
réussi qu'à renforcer l'expansion des
bases militaires nucléarisées sur le
territoire de tout le reste du Vieux
Monde. Des accords bilatéraux ont été
conclus entre Washington et les futurs
vassaux de l'OTAN dont le premier
paragraphe soulignait pour la forme, la
souveraineté toute verbale des pays
quadrillés par l'occupant. Si vous
observez la loupe à l'œil le dispositif
d'implantation et de sécurisation de ces
forteresses étrangères sur tout le
territoire du Continent de la raison,
vous remarquerez qu'en réalité, les
territoires militarisés au profit de
l'empire américain se trouvent
subrepticement, mais effectivement
élevés au rang de l'ex-territorialité
dont bénéficient les ambassades, donc
livrés à la dépossession pure et simple
du territoire national concerné : il y a
transfert de biens à un propriétaire
étranger définitivement substitué au
propriétaire originel.
C'est ici que le
mythe d'une Liberté démocratique
de type apostolique et eschatologique a
permis à l'Amérique d'opérer une percée
parareligieuse mémorable et sans exemple
dans les annales des nations: la Russie
le sait et le comprend mieux que
personne, puisqu'elle fut non seulement
le complice, mais le véritable maître
d'œuvre de cette catastrophe
diplomatique. Car ni la culture
politique, ni l'inconscient religieux de
l'orthodoxie ne pouvaient transformer le
Pacte de Varsovie en un conglomérat de
vassaux à la fois proclamés libres et
souverains, et qui placeraient les
armées nationales des "pays frères"
sous le commandement d'un général russe
acclamé comme un apôtre libérateur. Dans
le même temps, la culture
para-chrétienne de l'Occident a permis à
l'état-major américain de prendre le
commandement solitaire des armées des
pays vassalisés. La croix et la bannière
d'une souveraineté non seulement censée
conservée mais pleinement accomplies se
trouvaient placées sous l'aile de la
grâce démocratique par un prodige
théologique au sein de la géopolitique.
Vladimir Poutine a
récemment déploré l'erreur capitale que
fut le traité de Varsovie: la Russie
continue à en payer les conséquences,
dit-il, et au prix le plus lourd. Mais
il a oublié de démontrer que la
messianisation démocratique du monde par
le biais de l'OTAN joue de nos jours
encore le rôle de levier mythologique
principal de l'empire américain: quand
M. Barack Obama décide de rester en
Afghanistan, M. Steinmeier, ministre des
affaires étrangères d'Allemagne souligne
aussitôt qu'une décision aussi
judicieuse engage, en réalité tous les
pays de l'OTAN, de la Turquie au Canada,
de la France à la Grèce, de l'Allemagne
à l'Angleterre. Comment sortir de
l'épopée universelle, donc titanesque et
grandiose, du chef des apôtres de la
Liberté du genre humain sur cette
planète.
Mais jamais le
Pacte de Varsovie n'aurait pu aller
jusqu'à légitimer la répression en
Tchécoslovaquie ou l'éventuelle invasion
de la Pologne de Jaruzelski - pour cela,
il faut paraître assurer le salut
éternel de ces nations avec la
participation des armées nationales de
la Tchécoslovaquie, de la Pologne ou de
la Roumanie. Le mythe démocratique a
pris le relais du mythe marxiste.
On voit également
combien la vassalisation de l'Europe se
trouve enracinée dans les fondements
mêmes du mythe de la Liberté
démocratique, donc universelle, et
combien l'impuissance politique et
militaire du Vieux Monde s'étend aux
soubassements culturels et religieux de
la vassalisation de toute la
civilisation moderne.
Le 12 novembre 2015
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