Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Le Déclin de l'Occident
(Oswald Spengler)
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 13 octobre 2017
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1 - L'Occident éjecté de
l'Histoire
2 - Qu'est-ce qu'une langue ?
3 - La postérité d'Oswald
Spengler
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1 - L'Occident
éjecté de l'Histoire
Que signifie le
verbe exister appliqué à la
géopolitique? Une Europe politique
peut-elle exister?
Pour tenter de
comprendre la question, remontons au
latin, notre langue-mère, dans laquelle
le verbe exister renvoie à ex-sistere,
sortir de l'immobilité debout, assise ou
couchée et se mettre en mouvement dans
une direction déterminée.
En ce sens,
l'humanité, à l'instar des gastéropodes,
se trouve pourvue d'une sorte de
coquille existentielle chargée de
protéger une espèce en déplacement. En
1818, Louis XVIII revenu au pouvoir en
1814, avait fait bénéficier le peuple
français d'une Charte qui lui
garantissait les apanages et les
privilèges que la nation en mouvement
avait déjà conquis à l'écoute de sa
propre volonté en 1789. Tout le XIXe
siècle a été scandé par le combat du
peuple français pour la reconquête et la
défense des droits d'une espèce
auto-propulsive à laquelle son statut
interdisait de jamais s'arrêter et de
tomber dans la stagnation des troupeaux
que leur position "courbée vers la
terre", dit Salluste, condamne à "obéir
à leur ventre".
Cette disposition
universelle de notre espèce, Bergson l'a
exprimée par les concepts de société
ouverte et de société fermée,
Sartre par la distinction entre l'en
soi et le pour soi, le
christianisme par la distinction entre
le sacré et le profane, Pascal, par la
distinction entre les "grandeurs
d'établissement" et les "grandeurs
spirituelles", les religions dans
leur ensemble par la ligne de
démarcation qu'elles tracent entre la
matière et l'esprit. Il en résulte, en
bonne et saine logique anthropologique,
qu'une nation sort de l'arène de
l'histoire quand elle cesse d'avancer -
donc d'exister - conformément à
sa nature.
Dans ce contexte,
l'Espagne sortirait de l'histoire si
elle perdait la Catalogne. Or la
péninsule ibérique est composée de deux
espèces de conquistadors, les Ibères
proprement dits et les Portugais. Les
premiers ont conquis l'Amérique, les
seconds ont longé pendant des années,
avec une patience tenace, tout le
continent africain jusqu'au jour où, à
force d'avoir le vent en poupe, ils ont
dépassé la pointe sud de l'Afrique et
ont réussi à garder le cap de leur
bonne espérance. Or, la Catalogne
s'est révélée la gigantesque plateforme
de l'immobilité d'une civilisation
ibérique en mouvement, mais qui avait
besoin d'un magasinier. Depuis lors,
comme disait Valéry, "le temps du
monde fini a commencé".
Comment demeurer en
chemin, comment persévérer à se rendre
quelque part, comment seulement tracer
une route dans une immensité connue s'il
n'y a plus d'étendue à conquérir, à
moins de se chercher une voie hors du
système solaire?
2 - Qu'est-ce
qu'une langue ?
Observons les
rapports que les langues entretiennent
avec la vocation auto-propulsive de
l'espèce.
Il existe un
dictionnaire du français classique. Mais
le français du XVIIe siècle ne se réduit
pas à un lexique cadenassé par un
dictionnaire, lequel ferait d'un
catalogue une forteresse. Il implique
une pré-sélection des mots et des
tournures chargés de donner leur élan,
leur tonalité et leur âme une
civilisation. Les mots ne sont pas
inertes: quand le Général de Gaulle
impose sa cadence et son pas à la
politique de la France, il s'exprime
dans une langue énergique et fermement
rythmée, dont le flux naturel ne saurait
se trouver entrecoupé des ânonnements et
des bégaiements du français des
dirigeants d'aujourd'hui. Leur langage
traduit une infirmité de la volonté et
une instabilité intellectuelle propres à
toutes les décadences. A ce titre,
François Hollande s'est révélé le
premier Président de la Vè République
que Régis Debray a pu qualifier
d'illettré.
Cependant,
méfions-nous également des pièges que
nous tend le terme de décadence,
lequel nous renvoie à cadere ou
decadere, tomber. L'immaturité
politique de la Catalogne, par exemple,
est si grande qu'elle refuse la
protection indispensable de Madrid pour
se ruer les yeux fermés sous la tutelle
rapace de Washington. Comment se fait-il
qu'il aura suffi à la Tunisie
visionnaire d'Habib Bourguiba de deux
générations pour se rendre à nouveau
massivement à la Mecque et pour y
lapider un Lucifer censé s'y trouver en
chair et en os? Comment se fait-il que
la riche Algérie en soit venue, en un
demi-siècle seulement, à acheter son
pain à Paris? C'est que, sitôt ces
nations devenues indépendantes, la
sottise et l'ignorance scellent à
nouveau le pacte avec un mécanisme bien
connu, celui de la corruption avec
l'incompétence. La presse algérienne
d'aujourd'hui retentit de lamentations
de ce que M. Bouteflika n'ait pas su
diversifier l'industrie et le commerce
algériens.
Considérons
maintenant les apories qui étranglent
l'Europe politique. Comment une
bigarrure européenne de vingt-huit
nations privées d'un passé commun, donc
sans racines, et une polychromie
désordonnée de vingt et une langues et
de plusieurs religions radicalement
incompatibles les unes avec les autres,
changeraient-elles de rythme et de
cadence et avanceraient-elles d'un seul
et même pas? Ce peloton de pseudo
nations n'a ni centre, ni frontières. Il
ne peut que tomber dans le néant dont il
est habité, puisqu'il n'a jamais
réellement existé.
Une civilisation
militairement occupée par cinq cents
forteresses étrangères et qui n'a donc
pas d'armée, n'a pas de souveraineté.
Or, depuis soixante ans aucun
journaliste n'a publié le plus innocent
reportage sur la vie au jour le jour des
troupes américaines incrustées sur le
sol du Vieux Monde. Dans son
interminable discours à la Sorbonne du
26 septembre 2017, parmi les
réalisations urgentes auxquelles
l'actuelle Union européenne doit se
livrer afin de conquérir une "souveraineté
active", la seule condition que le
Président Macron a sciemment omise - et
avec le plus grand soin - d'évoquer, est
celle de l'expulsion des troupes
d'occupation de l'empire américain
camouflées sous l'habillage de l'OTAN.
Il existe une fable
de l'antiquité grecque, inspirée
d'Hérodote et racontée par Platon au
début du deuxième livre de La
République - celle de l'Anneau
de Gygès. Le mythe décrit l'histoire
d'un personnage de ce nom qui avait
trouvé par hasard, lors d'un violent
orage, une bague qui lui permettait de
se rendre invisible. Gygès avait
découvert qu'en tournant vers
l'intérieur de sa paume le chaton de
cette bague, il disparaissait aux
regards, ce qui lui avait permis de
séduire la reine de l'endroit, puis
d'assassiner impunément le roi.
Aujourd'hui, le
territoire de l'Europe est occupé par
des régiments sur lesquels, non
seulement personne n'ouvre les yeux,
mais qui exigent maintenant que l'espace
Schengen se change en champ de manœuvre
de leur stratégie. Le continent est
quadrillé du nord au sud et de l'est à
l'ouest par cinq cents bases de
l'étranger, mais M. Emmanuel Macron n'a
pas cité leur démantèlement comme
condition évidemment première d'un
recouvrement par l'Europe de sa
souveraineté. Puisque ni lui, ni aucun
autre dirigeant européen ne voient ces
troupes venues d'ailleurs, nous devons
en conclure que les soldats de l'OTAN
portent tous au doigt la fameuse bague
qui les rend invisibles.
Un territoire
occupé se situe en deça de toute
possibilité de seulement évoquer sa
souveraineté. Même la Suisse n'est
souveraine que parce qu'elle s'est armée
jusqu'aux dents en temps de paix. Or,
privée de souveraineté, l'Europe occupée
se trouve privée de toute existence
politique, donc de destin. En vérité, le
nouvel horizon qui servira de finalité à
une espèce en mouvement ne pourra être
autre qu'une plongée dans l'infini d'une
vraie connaissance de soi. Seul ce
désert nouveau ouvert au mouvement
intérieur, que Socrate a placé sous nos
pas il y a deux millénaires et demi,
nourrira une résurrection
3 -La postérité
d'Oswald Spengler
Nous approchons du
centième anniversaire de la parution en
1918 à Vienne et en 1922 à Munich de
l'ouvrage d'Oswald Spengler portant le
titre prémonitoire Le Déclin de
l'Occident et qui n'a été
traduit en français que trente ans plus
tard, chez Gallimard, en 1948. Cet
ouvrage a marqué de son empreinte les
Arnold Toynbee et même les Raymond Aron.
C'est pourquoi une
grande nation ne saurait se donner deux
grammaires et deux syntaxes pour langues
officielles et qui exprimeraient son
identité à parts égales. Car les langues
génératrices d'une haute culture
philosophique, littéraire et
scientifique servent de pilotes
cérébraux aux empires. Leur logique
interne et leur message jouent le rôle
d'ordinateurs et de têtes chercheuses de
l'humanité. On ne raisonne pas en
allemand comme en français, en anglais
comme en espagnol, en russe comme en
chinois ou en portugais.
Certes, dit
Descartes, j'existe puisque je pense.
Mais puisque penser, c'est avancer, je
ne sais qui je suis si j'ignore les
signifiants qui font de moi un
itinérant. Comment saurions-nous que
nous marchons si nous ne savons pas
comment notre langue nous fait
progresser. Pour cela, il faudrait que
nos universités se rendent capables de
décoder la progression de la rédaction
des vingt-neuf étapes de la Jeune
Parque de Valéry. On a vu
récemment un candidat au prix Goncourt
présenter un roman mécaniquement
fabriqué sur une imitation automatique
du style de Céline. Mais quand Balzac
écrit à Mme Hanska qu'il a réécrit
treize fois César Birotteau,
marchand parfumeur "les pieds
dans la moutarde", c'est une bien
mystérieuse moutarde que celle dont la
vocation obéit au commandement intérieur
qui fait dire à Balzac: "J'ai arraché
des mots à la nuit et des idées au
silence".
Notre enseignement
universitaire ignore tout des secrets de
la création littéraire. Quant aux
célèbres universités américaines, dont
la réputation est si surfaite en Europe,
elles sont encore plus loin que les
nôtres de savoir le premier mot du génie
littéraire. Elles ont bien tenté
d'enseigner l'art d'écrire. Mais sitôt
qu'elles ont voulu préciser le rôle de
l'individu unique dans une création
unique, elles sont demeurées muettes.
Quant à nos élites
politiques et à notre intelligentsia,
elles n'ont les yeux fixés que sur des
emplois à sauver, alors que seul le
sauvetage des fleurons de notre
industrie aurait permis de sauver d'un
même mouvement le prestige de la nation
et les emplois. Pour la première fois,
M. Montebourg évoque la comparution
future à la barre d'un tribunal
approprié de l'ancien et de l'actuel
Président de la République pour haute
trahison, en raison des conditions
suspectes de la vente des turbines à gaz
d'Alstom à l'Amérique, puis du TGV à
l'Allemagne.
Malheureusement, le
patriotisme du peuple français n'est pas
près de se réveiller sur un échiquier
moteur, celui des industries de
l'avenir. Une classe dirigeante
bégayante et balbutiante témoigne à
chaque instant que les langues vivantes
sont le propulseur de l'histoire du
monde et qu'un groupe de nations
scindées entre une foultitude de
syntaxes et de grammaires ne dispose pas
et ne disposera jamais de la cohérence
cérébrale qui seule peut assurer une
cohésion politique.
Aujourd'hui,
l'implosion d'une civilisation se révèle
parallèle à la dispersion et à la
dissolution de son langage, à la
disparition de son souffle critique, à
la mort de sa lucidité et à la
complaisance à son auto-domestication.
Le 13 octobre 2017
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