Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Un bœuf sur la
langue : le Traité de Lisbonne
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 9 juin 2017
Il existe un
tragique de la médiocrité, il existe un
tragique de l'ignorance, il existe un
tragique de la sottise.
Comment faire
sauter ce triple verrou?
Je ne vois pas
d'autre explosif que celui la pensée
logique. Que dit cette bombe atomique?
Qu'une religion repose sur un récit
mythologique chargé de rendre l'humanité
auto-propulsive et trans-animale et
qu'il n'y aura pas de retrouvailles de
l'Occident avec la souveraineté des
Etats sans une guerre ouverte avec les
Etats-Unis. Mais le terme "guerre
ouverte" nous renvoie à des armes
cérébrales.
Si nous refusons de
situer le Traité de Lisbonne au
cœur du tragique moderne, si nous
feignons d'ignorer que nous devons
renvoyer l'Amérique dans ses foyers, en
un mot, si nous refusons le combat
intellectuel, nous ne comprendrons rien
en profondeur à la faillite des
prétentions de la "République en
marche" qu'a illustrée la terrible
cécité des entretiens de Versailles
entre Vladimir Poutine et une France qui
s'est mise cérébralement hors jeu. Il
est clair qu'Emmanuel Macron est
résigné, en sous-main, à demeurer
l'otage du monde anglo-saxon et qu'il se
satisfait du joug et du glaive du
Pentagone.
Ainsi, M. Bernard
Guetta en a tiré, dans son édito du 31
mai, des conclusions énergiques: à ses
yeux, l'Allemagne était devenue
française et l'Elysée, placé sous le
regard courroucé de l'OTAN, se verrait
contraint de se déclarer pour le moins
aussi patriote que Berlin. Mais rien
n'est moins sûr: on ne se retrouve pas
aisément les mains libres quand votre
passé vous renvoie à votre statut de
Young Leader et de banquier du
groupe Rothschild. Il ne suffit pas de
s'être résigné à voir la terre tourner
autour du soleil et non l'inverse,
encore faut-il se rendre capable de
quitter l'astronomie de Ptolémée.
Tels sont les faits
dans toute leur évidence et toute leur
crudité: nous nous auto-proclamons à la
fois souverains et ficelés de la tête
aux pieds au traité de Lisbonne. C'est
dire que nous sommes abâtardis,
ensorcelés et vassalisés d'avance et que
nous serons ligotés à perpétuité par l'
interdiction qui nous est imposée par
nos propres "représentants du peuple"
de chasser l'occupant manu militari.
Il est clair comme
le jour qu'une situation de ce genre
nous contraindra à mener une guerre
permanente, puisque le traité de
Lisbonne nous conduit à une
auto-vassalisation contraire à la
définition même de toute démocratie et
de toute souveraineté. Les mois à venir
nous obligeront à constater que nous
sommes au pied du mur. On ne peut jouer
à la fois la carte de la vassalité et
celle de la souveraineté. Dans mon
analyse du 26 mai, je me demandais si
une Marion Maréchal, par exemple, qui a
vingt-sept ans, appartient déjà à la
génération aux yeux ouverts sur le
courage propre à l'intelligence et à
elle seule qu'évoquait le Théétète
de Platon ou si notre attente du réveil
durera une génération de plus en raison
du formidable conditionnement médiatique
que nous subissons. On comprendra enfin,
aux côtés d'un Général de Gaulle, que la
victoire de 1945 était exclusivement
anglo-saxonne et à laquelle la France
n'avait pas été appelée à participer. Le
gaullisme de demain trouvera alors toute
sa portée "thermo-nucléaire".
Dans ces
conditions, comment serions-nous
concernés par une République soi-disant
"en marche", alors qu'elle refuse
catégoriquement de mettre la France en
marche vers sa souveraineté? Le Général
de Gaulle disait: "Tout est simple et
clair: voulez-vous élire vous-mêmes
votre Président?" Mais il n'a pas
imaginé un instant que le peuple
français choisirait un Président de la
République qui s'interdirait de poser
aux Français la question de la
souveraineté de la nation.
C'est ici qu'on
mesure les conséquences à long terme du
triple verrou de l'ignorance, de la
médiocrité et de la sottise. Les
décadences se révèlent inéluctables à
l'heure où la faculté s'est perdue de
jeter l'ancre au grand large, car la
cécité d'une raison occidentale
dégénérée a oublié l'aveuglement, le
grégarisme et la faiblesse d'esprit des
foules décrites par Gustave Le Bon
(1841-1931).
Prenons l'exemple
de Salman Rushdie dans Les versets
sataniques. Le scribe censé
coucher par écrit le texte que l'ange
Gabriel est réputé dicter mot à mot à
Mahomet, achève lui-même une phrase
laissée en suspens par le prophète et ce
dernier, dans un court moment de
distraction, l'entérine comme dictée par
le ciel. Souvenons-nous de l'épouvante
du scribe: il s'enfuit à toutes jambes,
terrorisé par sa découverte que les
paroles de l'ange Gabriel ne sont autres
que celles de Mahomet.
Ce degré extrême
d'ensevelissement de la raison humaine a
disparu en Occident. Même le Kierkegaard
du Crainte et Tremblement,
même le Kierkegaard du Fascinendum
et du Tremendum est loin de la
cécité du sorcier qu'évoque Levy-Bruhl,
lequel se croit à la fois assis sur le
rivage et installé dans la baleine. De
même, l'homme moderne ne sait pas encore
quelle part de lui-même se trouve assise
sur le sable et quelle part habite
l'équation e=mc².
La raison moderne
se voit contrainte d'explorer une cécité
intellectuelle antérieure à la
découverte déjà distanciée de l'animal
auto-propulsif et en quête d'une raison
trans-animale. Quand, en 1788, l'Abbé
Bathélemy, dans le Voyage du jeune
Anacharsis en Grèce, décrit le
tremendun de la Pythie de
Delphes, soumise à la torture
d'accoucher des prophéties
artificielles, il ignore quel sortilège
accable la malheureuse. Sans le savoir
clairement, il a retrouvé la source de
l'enfouissement de l'homme dans la bête
torturée par le sacré qu'évoquent les
Versets sataniques de Salman
Rushdie.
Tel est le paysage
terrifiant sur lequel s'ouvre le
délitement et la déconfiture d'une
Europe clouée au piquet du traité de
Lisbonne et condamnée à légitimer son
auto-vassalisation au nom de la
Démocratie, donc de la Liberté, de
l'Egalité, de la Fraternité et de la
Justice.
Le 9 juin 2017
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