Qu'est-ce que
philosopher ?
Le combat de la raison
IX - Esquisse d'une histoire de
l'ignorance
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 6 mars 2015
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1 - Y aura-t-il des
chefs d'Etat spéléologues ?
2 - Comment forger des Etats
pensants
3 - L'ignorance des Etats
modernes
4 - Le spirituel et le tragique
5 - Les rendez-vous de la pensée
moderne
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1 - Y
aura-t-il des chefs d'Etat spéléologues
?
Comment un
chef d'Etat qui se serait quelque peu
informé du degré d'avancement des
sciences humaines d'avant-garde de notre
temps et des progrès de la
spectrographie anthropologique du
cerveau religieux de notre espèce
profitera-t-il de ses premiers pas de
méta-zoologue des miracles? Son premier
devoir de praticien et d'observateur
distancié de l'encéphale des Etats et de
leur apprentissage des relations de
l'homme avec le sacré sera de placer le
scalpel de la réflexion éclairée avant
la charrue aveugle de l'action publique.
A quoi bon, se dira-t-il, interdirai-je
à un sexe condamné par le ciel à
demeurer illettré de s'attifer des
vêtements imposés de là-haut à leur
pudeur: rien n'aura bougé dans la
lecture formaliste et effrayée qu'on
leur aura inculquée d'un livre d'images
du septième siècle de notre ère?
Revenons
donc à l'analyse para-zoologique des
démocraties mythiques d'aujourd'hui.
Elles illustrent la politique et
l'histoire de la bête rendue
semi-réflexive. Son bréviaire est celui
du messianisme que propage la bannière
américaine. Nous avons vu que les autels
du symbolique que le simianthrope
d'outre-Atlantique se construit se
nourrissent des assassinats sacrés qui
servent d'assise au culte de la Liberté.
Mais que
dirait-on d'un Périclès qui aurait
rejeté, certes, avec audace les
pratiques infantiles de la piété de ses
concitoyens, mais qui n'aurait réfuté en
rien la sottise de leur croyance en
l'existence objective des acteurs
rémunérés du cosmos qui se promenaient
encore sous tous les os frontaux? Il
faut sommer les Athéniens du IIIe
millénaire de mériter le titre de
maîtres d'école de l'Europe, il faut
leur demander de se saisir de l'occasion
qui leur est soudainement apportée de
lancer un défi triomphal au vieil
Ouranos et à tous ses successeurs. Mais
il se trouve que, depuis la nuit des
temps les peuples et les nations ne se
sont révélés gouvernables que par un
usage habile de leurs rêves d'enfants
fascinés par le merveilleux.
2 - Comment forger
des Etats pensants
Une République
devenue rationnelle se couvrirait donc
de ridicule si elle n'avait pas conquis,
au préalable, la stature d'un géant de
l'instruction publique. Un Etat redevenu
relativement rationnel, donc investi
d'une mission d'éducateur sommital saura
qu'il vaut mieux réfuter la croyance en
l'existence réelle des dieux campés dans
toutes les boîtes osseuses que de ne
tourner en dérision que les colifichets
ridicules qu'ils vous font arborer. Mais
si la vocation socratique des Etats
devenus pensants doit se révéler
compatible avec la survie politique du
simianthrope semi-réflexif et si cette
survie enseigne, hélas, que seule la
peur inspire le respect pour leurs
dirigeants aux évadés de la nuit
animale, il en résultera que l'autorité
publique ne reposera jamais sur la bonté
d'un Etat désarmé. Et la pensée ne
s'enseigne pas à l'école des armes.
L'heure a donc
sonné, pour l'Europe craintive et pour
les peuples condamnés à la candeur
démocratique d'un côté et à la maturité
civique, de l'autre, de s'armer d'une
politique de la raison suffisamment
adulte pour guider l'intelligence de la
civilisation mondiale entre les récifs
de la peur. Mais comment une
méta-zoologie universelle
assumera-t-elle la survie cérébrale d'un
continent apeuré si l'avenir de la
pensée rationnelle et mondiale dépend
des progrès de la connaissance
expérimentale des arcanes
anthropologiques des cosmologies
mythiques?
En 1882, une
laïcité encore étroitement associée aux
candeurs de la Révolution de 1789
croyait connaître la clé de toutes les
naïveté religieuses de la terre; en
2014, en revanche, ce sont les Etats
devenus de plus en plus pseudo
rationnels qui se trouvent au pied du
mur et qui paient le prix le plus lourd
à leur ignorance des ressorts
psychobiologiques de la bête agenouillée
devant sa propre image magnifiée, alors
que ces prosternations effarées devant
un maître glorifié du cosmos sont
canalisables depuis des millénaires et,
le plus souvent, pour le plus grand
profit du bien commun. Aussi les Etats
devenus les cancres d'aujourd'hui
ont-ils, plus que jamais, la charge de
prendre sur leurs épaules une
philosophie abyssale des songes publics
et de leurs tréfonds dans la
psychobiologie encore mal explorés des
fuyards du règne animal. Il y faut des
dirigeants plus pensants que les cieux
pour enfants de leur temps, il y faut
une maïeutique des rêves utiles ou
nuisibles de l'humanité! Car le temps
s'achève où l'ignorance et la sottise se
révélaient utiles à l'humanité.
3 - L'ignorance
des Etats modernes
Exemple: le
christianisme des premières candeurs
reposait sur l'abolition de la propriété
privée. L'infantilité originelle des
agrandissements oniriques de cette
religion de la délivrance a mis
plusieurs siècles à seulement convaincre
les Césars des rêves anciens de jeter
aux orties les Célestes rudimentaires du
passé; et maintenant, ce sont les Etats
laïcs qui n'osent prendre la relève de
la réfutation radicale des premiers
Olympes du simianthrope. Certes, la
guerre des cerveaux avait été couronnée
de quelques succès locaux et provisoires
face à un Ouranos à bout de souffle et
qui ne faisait plus le poids sous
l'assaut tenace des premières sciences
exactes. Mais maintenant, comment une
divinité scindée entre les gâteries
posthumes qu'elle distribue à des
ossatures ravies de la longévité qu'on
leur accorde et les tortures enragées,
mais inutiles auxquelles elle s'exerce
encore sous la terre pèserait-elle plus
lourd dans la tête des adorateurs qu'un
Ouranos fatigué de déglutir les
nourrissons que la fécondité inlassable
de Gaia ne cessait de lui servir?
Encore une fois, si
les Etats modernes sont devenus aussi
résolument acéphales qu'au Moyen-Age,
c'est qu'une laïcité qui se prendrait au
sérieux et qui formerait la jeunesse à
une lucidité digne de notre époque
rencontrerait des obstacles politiques
titanesques : on ne remplacera pas
aisément et du jour au lendemain un
cosmos habité depuis des millénaires par
un seul Céleste ou par une équipe de
campeurs hissés sur des Olympes par un
cosmos désespérément désert et privé de
délivreur. Certes, Luther et Calvin
auraient jugé stupide d'interdire à
titre préjudiciel aux réformés la
croyance de l'époque aux prodiges
matériels réputés se produire sans
relâche sur l'autel de la messe. Mais
quels arguments les Réformateurs
présentaient-ils aux foules si le Zeus
des chrétiens demeurait intouchable et
inébranlable aux yeux de tout le monde
et si une spiritualité de la solitude,
inaugurée par l'Eveillé attendra des
siècles encore?
4 - Le spirituel
et le tragique
C'est qu'en ce
temps-là, l'ignorance religieuse des
catholiques ne présentait rien de
tragique, bien au contraire, puisque
leur Dieu, privé des prodiges de l'autel
par le scalpel de Calvin était plus
berceur que le précédent et pouponnait
plus gentiment tout le monde. Et voici
que l'ignorance de notre temps se révèle
de nature si peu rassurante qu'elle fait
frémir les candidats les plus vaillants
à la connaissance rationnelle du cosmos.
La tutelle d'une catéchèse réformée et
privée seulement de prodiges suffocants
demeurait un jardin d'enfants: on
pouvait y grandir sans perdre son jouet
principal - un Dieu assagi et privé de
ses miracles les plus intrépides, mais
également de tortures suffisamment
épouvantables pour imposer le plus grand
respect à tout le monde. Et maintenant,
un univers matériel que la lumière met
quinze milliards d'années à parcourir ne
sert que de sautoir minuscule en
direction d'une éternité mariée à
l'immensité! Quant au bond suivant dans
le vide de l'éternité, il met bien
davantage de distance entre notre
science de la matière et le récit
tranquillisant de la Genèse que les
Grecs du temps d'Homère ne s'étaient
éloignés de l'assaut des Centaures.
Le vide actuel d'un
cosmos non mesurable rend les religions
à la fois plus existentielles que du
temps d'Homère et plus aporétiques que
jamais, tellement aucune théologie ne
saurait leur prêter leurs échafaudages
microscopiques. Mais, dans le même
temps, les évadés partiels de la
zoologie ont à relever un défi digne de
l'évolution de leur embryon de cervelle:
il leur faut changer radicalement de
nature et se convertir à un exploit plus
extraordinaire que de passer par le trou
d'une aiguille qu'évoque l'Ecriture: il
leur faut apprendre à rivaliser à visage
découvert avec leur divinité
grossièrement masquée par leur propre
petitesse, il leur faut prendre
résolument la place de "Zeus" lui-même,
il leur faut observer sans trembler le
solitaire du néant qui a pris leur place
d'ermites du silence et du vide. Aussi
nos Etats, devenus tout tremblants,
rivalisent-ils maintenant d'ignorance
sur la scène internationale avec les
camouflages ecclésiastiques de la
vérité. Et surtout les secrets
politiques et psycho-ecclésiaux fatigués
dont les sacerdoces pelotonnés dans
leurs catéchèses ont besoin se révèlent
des énigmes prometteuses dans un univers
devenu idéalement silencieux et muet.
5 - Les
rendez-vous de la pensée moderne
Pourquoi une école
publique timorée a-t-elle perdu
l'ambition et le courage d'instruire les
démocraties veuves des théologies, mais
non du spirituel, de la marche de la
pensée et de la raison sinon parce que
la laïcité se révèle épouvantée à son
tour? Pourquoi l'éducation nationale
a-t-elle enfanté des prêtres désarmés et
des bedeaux effarés au sein des
républiques petitement hiérarchisées et
fièrement fondées sur des abstractions
pseudo salvifiques? Que de concepts
pseudo rédempteurs et de catéchèses
pseudo délivrantes! N'est-ce pas avec le
tragique de l'infini que la pensée
moderne a pris rendez-vous?
Un nouvel héroïsme
et une nouvelle grandeur nous
attendraient-ils au terme de ce
chemin-là ? Serait-ce une bénédiction,
pour les civilisations moribondes de
rendre à la pensée le tragique et la
noblesse de défier des croyances si
elles ont perdu leur toge rassurante et
si leur ruine est le premier pas d'une
ascèse nouvellequ'on jugeait
rassurantes?
Le débarquement de
l'angoisse dans l'univers de la
connaissance rationnelle et du tragique
dans la politique, quel privilège. Le
sang et la mort sont les vrais
interlocuteurs de l'homme à la ciguë.
C'est ce que nous
verrons dans les six réflexions qui nous
attendent et qui mettront un terme à ces
commentaires de la stérilité des
réactions de l'Etat à l'attentat du 7
janvier.
Le 6 mars 2015
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