Qu'est-ce que
philosopher ?
L'avenir de la philosophie européenne 2
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 5 juin 2015
A Catherine Lieutenant, ces
quelques pas en direction du "fondement
abyssal"
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1 - Les malheurs du
verbe comprendre
2 - " Dieu, sa vie, ses œuvres "
, par Jean d'Ormesson de
l'Académie française
3 - L'ascensionnel
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1 - Les malheurs
du verbe comprendre
Si l'Europe
crépusculaire devait servir de rampe de
lancement à la mise en orbite d'une
histoire abyssale, donc anthropologique,
de la philosophie occidentale, il
faudrait observer que la notion courante
d'explication , donc de
compréhensibilité applicable à l'inerte
n'est qu'une sorte de fourrage mental,
puisque l'homme du "sens commun"
est un animal si peu cérébralisé qu'il
présuppose spontanément que la
rentabilité qui couronnera sa capacité
de prévoir les piétinements du cosmos se
révèlera du même coup un discours de
l'intelligibilité de l'univers, donc un
savoir censé faire briller des
évidences. La cavité cérébrale propre à
l'humanité se nourrit donc de l'avoine
des redites aveugles de la matière
arrêtée ou en mouvement.
Et pourtant, quel
prodige que la succession régulière des
phénomènes dans l'espace, quel mystère
que la course du cosmos dans le temps!
Le langage pseudo explicatif que la bête
s'est forgé afin d'apprêter la matière à
son usage a donc bel et bien donné leur
essor cérébral aux premiers fuyards des
forêts. Mais elle demeure vaine, la
folle ambition de ces malheureux de
décrypter l'habitacle dans lequel ils se
trouvent immergés.
Car si la
prétention de plonger dans les arcanes
d'un univers en voyage se révèle
d'origine et de nature psychogénétiques,
il faudra oser remarquer que l'ignorance
cérébralisée que Platon a mise en
lumière il y a vingt-cinq siècles nous
renvoie au constat selon lequel non
seulement la vocation première de la
philosophie est de découvrir les
ingrédients d'une ignorance savantesque,
mais de comprendre comment l'ignorance
intellectualisée à l'école d'une parole
réputée visionnaire et surplombante
emprunte seulement et nécessairement la
dégaine du savoir censé le plus
rationalisé possible et le plus
irréfutablement logicisé - et cela à
l'école des preuves soi-disant tangibles
que cet animal parvient à se procurer,
donc proclamées saisissables en tant que
"matérielles". Mais si les preuves sont
les étais physiques du verbe comprendre
dans le cerveau métamorphosant de la
bête grammaticalisée, les plateaux de la
balance à construire pèseront le poids
d'une matière censée devenue probatoire
et qualifiée de persuasive dans
l'inconscient de l'expérimentateur. Il
faudra donc peser le psychisme qui
pilote le code pseudo-explicatif des
ex-sylvestres, ainsi que l'échiquier sur
lequel ils placeront d'avance et
d'instinct leurs preuves moléculaires.
On se demande bien
comment des preuves seraient rendues
palpables, pesables et consistantes sous
les doigts de ce bimane, donc
saisissables avec des griffes et des
pattes, alors qu'elles sont
nécessairement des objets proprement
mentaux, donc sécrétées à ce titre par
l'illustre magicien de l'abstrait qui
s'appelle le "principe de causalité" et
qu'elles renvoient nécessairement à des
signifiants, donc à des signaux de type
simiohumain. Le "lien de causalité" sera
seulement un emblème de son expéditeur;
et cet emblème ne nous présentera
nullement ses démonstrations sur
l'établi de la "nature naturante" des
scolastiques, mais exclusivement sur le
plat de lentilles d'une sophistique de
la "causativité des causes" dont le
Moyen-âge avait répertorié les six
principales - l'originelle, la finale,
la suffisante, la formelle,
l'efficiente, la matérielle.
Par conséquent, il
faut redire que la parole du singe
explicatif est née de l'alliance
gourmande de son ventre creux avec sa
parole de vorace; et tout l'appareillage
du probatoire carnassier dont usent les
fuyards des forêts, ils l'ont construit
d'avance sur les comportements
constants, donc prophétisables, donc
profitables de la matière en déplacement
dans le vide. Mais si leur espèce de
philosophie affamée renvoie à une
psychobiologie de la connaissance
causale dont Montaigne observait déjà
qu'elle est de nature expérimentale chez
tous les animaux, l'expérimentateur
chargé de piloter leurs démocraties dans
leur tête s'appelle Messire Gaster,
comme disait Rabelais.
Il faut donc
distinguer clairement, d'un côté,
l'expérience payante de ce qui arrive
régulièrement dans le cosmos - la pierre
chauffe au soleil, dit Kant - et, de
l'autre, les signifiants loquaces et
profitables qui s'agglutinent au mutisme
originel censé charrier les bagages et
tout le paquetage d'un langage réputé
habiter la matière. Ce double bât
renvoie le singe nu à des signifiants
nourriciers, donc à une signalétique
simiohumaine, donc à des symboles que la
bête tient pour "explicatifs". Mais si
un drapeau sert de logement à la patrie,
quel est le domicile fixe du mythe de la
causalité parlante?
2 - " Dieu, sa
vie, ses œuvres " , par Jean d'Ormesson
de l'Académie française
Ce sera donc par
nature qu'une histoire abyssale de la
philosophie occidentale et du langage
qui l'étaie sera anthropologique; et la
pesée anthropologique du vocabulaire
explicatif qui sert de jambe de force à
cette discipline nous renverra aux
origines zoologiques de la connaissance
simiohumaine d'hier, d'aujourd'hui et de
demain. La fécondité socratique d'une
première mise en évidence de
l'historicité propre aux vocalises et au
gosier d'une "reine des sciences" née de
l'ironie d'un condamné à mort sera de
nous fournir la clé psychogénétique du
lent tarissement de la pensée tragique
dans le monde actuel. Car il devient
signifiant que, depuis la mort de Hegel
au cours de la peste qui ravagea Berlin
en 1831, l'Europe n'ait plus aperçu un
seul philosophe demeurer crédible s'il
refuse de boire le poison de la vérité.
Mais si la
théologie est la ciguë de la philosophie
et si ce venin est un pharmakon,
un remède qui vous ressuscite à vous
faire passer par le tombeau, alors,
demandons-nous ce que Socrate nous dit
du sépulcre qu'il a traversé. L'homme
serait-il un escargot soucieux de
quitter la coquille qu'il porte sur son
dos et qui se demanderait toute la
journée, avec Heidegger: "Pourquoi y
a-t-il de l'être plutôt que rien?"
Il y aura bientôt
deux siècles entiers que l'histoire
secrète de la philosophie occidentale
nous renvoie sans relâche au décryptage
difficile de la signification
anthropologique, donc encore cachée, de
la relégation définitive des cosmologies
protectrices dans le royaume des
coquillages mythiques dont usaient les
premiers âges de notre espèce. Aucun
démiurgie mythique ne saurait résister
longtemps au silence subit et définitif
de ses porte-parole ou de ses
suicidaires socratiques. Au début, on se
demande seulement pourquoi la divinité a
cessé de se donner le surplomb d'une
mythologie . Puis, les hommes de plume
de Dieu se demandent pourquoi les
escargots de Dieu n'ont plus prêté leur
encrier à leur démiurge.
Mais les
gastéropodes logés dans le ciel de leur
langage plongent maintenant leurs
tentacules dans le vide et le silence
d'un cosmos privé de sa coquille. Leur
nudité nouvelle donne à leurs antennes
leur solitude pour demeure. Alors
seulement ils découvrent que leurs dieux
étaient leurs leviers. Au confrère
astucieux qui, au cours d'un dîner
d'ecclésiastiques, s'était levé pour
adresser au Créateur une prière formulée
sur le mode sacerdotal: "Je vous
supplie, ô mon Dieu, d'inspirer l'esprit
de modération à votre serviteur", le
Père Cardonnel, soupçonné d'hérésie par
son ordre et visé par ce discours
habillé d'une sainteté maligne, s'était
tourné vers de dévot pour lui dire: "Pourquoi
ne me parles-tu pas sans détours?"
Mais à qui parler sans détours, sinon au
géant qui élèvera la bête privée de sa
coquille à se colleter avec le Dieu qui
l'attend, celui de sa propre solitude?
3 - L'ascensionnel
Le décryptage
anthropologique des chemins de traverse
dont usent les orateurs sacrés a ouvert
une brèche féconde, mais également une
clairière qui nous fait espérer que le
regard de l'ironiste athénien s'étendra
à l'immense postérité intellectuelle de
Darwin, d'Einstein et de Freud; car
trois disciplines, l'astronomie de
l'infini, la psychanalyse du néant et
l'histoire psycho-zoologique du cerveau
microscopique de notre espèce se
pressent à la porte de la geôle où
Socrate dit la Torpille s'apprête à
lancer ses démons tétanisants, tellement
ces trois décodages rejettent ensemble
nos Célestes d'autrefois dans les
origines oniriques du langage
simiohumain.
Certes, Einstein
n'avait pas encore ouvert la porte à une
anthropologie de la physique
mathématique: il disait ignorer si
l'espace et le temps encerclent les
gastéropodes dans quelque enceinte
matérielle. Mais nous savons maintenant
que si, dans le passé, nous avions forgé
un enclos physique de l'univers des
escargots, c'était parce que nous nous
trouvons immergés dans un monde d'objets
emprisonnés derrière leurs propres
barreaux, de sorte que nous nous étions
imaginé que les formes insaisissables de
la matière, que nous continuons
d'appeler l'espace et le temps, se
trouveraient commodément encerclées,
elles aussi sur le modèle de nos champs
et de nos cités.
Mais si l'univers
est infini par définition et si l'espace
se laisse seulement couper en tranches,
nous aurons beau savoir que la sonde
Rosetta, qui franchissait cent vingt
kilomètres à la minute, mettrait environ
deux cent soixante dix mille milliards
d'années-lumière à seulement affubler un
lopin du néant d'une frontière
imaginaire; et si, au-delà de ce
découpage sans fin, un vide d'une
étendue comparable à notre précédent
tronçonnage s'ouvrira sur des atomes en
feu, puis sur un creux insondable, puis
sur une incandescence des souterrains de
l'infini et ainsi de suite, comment
imaginer qu'une divinité se tortillerait
entre une succession de lumières et de
ténèbres à découper en moceaux et
qu'elle y prendrait le plus grand soin
du ciron de Pascal, que nous appelons
maintenant l'humanité?
Si l'oiseau de
Minerve profitait du crépuscule de la
civilisation européenne pour nous
raconter son vol d'un encéphale au
suivant de la bête, nous nous
interrogerions sur la pulsion
ascensionnelle qui, d'un siècle à
l'autre, nous fait rêver de nous évader
de la zoologie, alors que l'instrument
même de notre sortie du règne animal
n'est qu'un enfermement dans une
escalade manquée. La semaine prochaine,
nous verrons de plus près de quel
humanisme plus abyssal que le précédent
la civilisation européenne attend sa
renaissance politique.
le 5 juin 2015
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