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Décodage anthropologique de l'histoire contemporaine

De Sotchi à Kiev, la postérité anthropologique de Machiavel et la politologie moderne

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Vendredi 4 avril 2014

1 - Une histoire des Yahous
2 - L'homme est-il un animal semi cérébralisé
3 - A la découverte de l'animalité rationalisée
4 - Les aventures de l'historicité humaine
5 - Les déconfitures de la postérité de Machiavel
6 - Le message de Sotchi
7 - La Russie et l'avenir de l'Europe de la pensée
8 - Le pape François et la Russie

1 - Une histoire des Yahous

On se souvient des mois les plus dramatiques de 2014: les politologues, les anthropologues et les méthodologistes les plus célèbres d'une science historique nouvelle alors en gestation dans le monde entier avaient commencé de s'avouer la nécessité d'armer leurs disciplines demeurées flottantes d'un regard de l'extérieur sur l'animalité sui generis du genre humain, tellement les disciplines locales des spécialistes les plus illustres de l'époque perdaient et le code de navigation de leur rationalité interne. Mais comment conquérir un savoir englobant et surplombant si aucune cervelle ne venait unifier le savoir des sciences humaines en général et de leurs comportements épistémologiques multicolores?

Rappelons, en tout premier lieu, les circonstances tragiques de l'époque. L'accès au pouvoir des Trajan, des Hadrien, des Marc-Aurèle réveillait davantage l'espérance politique de la masse des citoyens de l'empire que le spectacle de l'extinction des derniers feux de la civilisation française dont les flambeaux mourants avaient passé des mains inutiles de M. Jean-Marc Ayrault à celles, plus vaines encore, de M. Manuel Valls. Et pourtant, tout le monde savait que la chute de Rome dans l'abime ne pouvait plus se trouver conjurée, parce que l'heure avait sonné où le cours fatal de l'histoire n'était plus exorcisable. Il en était désormais de même pour Paris.

Jusqu'en octobre 2013, les sanctions économiques édictées à l'échelle internationale contre un Etat souverain de soixante quinze millions d'habitants, l'Iran, avaient démontré à quel point la planète était livrée à l'autorité exclusive des Etats-Unis et d'Israël. Cette politique avait coûté l'assèchement d'un marché de plusieurs centaines de milliers de véhicules à la seule industrie automobile des Gaulois. Et maintenant, Pékin venait rafler la mise : la vente de Citroen et de Renault à la Chine pour un montant de 14% seulement de la valeur en bourse de l'entreprise permettait d'avance à l'empire du Milieu d'accroître sa future appropriation totale du capital de ces deux marques et cela au fur et à mesure des besoins de plus en plus pressants en trésorerie d'une Ve République aux abois. De toutes façons, il était impossible de jamais diviser par deux ou par trois le montant des salaires mensuels de la classe ouvrière française, de sorte que le coût grandissant de la main-d'œuvre du Vieux Monde ne pouvait que creuser sans cesse davantage, rendre plus saignante la plaie thanatogène du chômage et conduire à l'abîme un continent incurable.

Une entreprise tentaculaire comme Airbus avait huit ans de commandes en provenance du monde entier à satisfaire; et pourtant elle faisait maigrir ses effectifs et délocalisait partiellement sa masse salariale aux Etats-Unis parce que son dirigeant, un Allemand méthodique et lucide savait que l'avenir commercial du Titan, donc son existence ramifiée, dépendait exclusivement de ses succès d'exportateur et que le chiffre des ventes résultait de la diminution des bénéfices des actionnaires et de la réduction drastique de la masse ouvrière.

La logique syllogistique d'Aristote enseigne, hélas, qu'une civilisation dans laquelle les machines à deux bras et à deux jambes surmontées d'une tête coûtent plus cher que les machines de fer et privées de cervelle, repose sur la contradiction suicidaire d'accumuler des biens destinés à des goussets vides.

De plus, la source principale du chaos économoque mondial résultait du coup d'Etat monétaire perpétré par Richard Nixon et de la FED qui, en, 1971, avaient imposé un "flottement" permanent aux monnaies du monde entier. Du coup, les besoins de l'Etat créateur de dollars mettaient la valeur des monnaies nationales à la merci de leur maître d'outre-Atlantique. L'euro, qui valait 0,80$ en 1999, oscille entre 1,30 et 1,50$ en 2014. Comme les Etats-Unis ont imposé, en outre, que le commerce de leurs vassaux ou de leurs subordonnés - c'est-à-dire du monde entier - fût libellé exclusivement en dollars, les exportations en euros se trouvent pénalisées de 60 à 80% face au papier-monnaie de leur maître. L'empire des Machiavel de la démocratie mondiale repose sur sa puissance militaire et c'est à ce titre que la nouvelle Rome impose au reste de la planète une escroquerie monétaire himalayenne.

2 - L'homme est-il un animal semi cérébralisé

Face à cette tragédie sans issue par nature et par définition, comment expliquer au corps électoral français primo, que le gouvernement Ayrault avait jugé saugrenue l'idée de regarder un instant le monde droit dans les yeux, secundo, que le verdict prononcé par le suffrage universel avec vingt-deux mois de retard n'était pas moins ignorant que celui de la divinité précédente, qu'on avait éduquée là-haut pendant tant de siècles, tertio, que l'Etat avait écarquillé les yeux à l'écoute de la sentence et que toute la classe dirigeante avait demandé avec le plus grand entrain, le privilège de continuer de diriger la barque, les oreilles bouchées et un bandeau sur les yeux, quarto, que cette cécité collective des ambitions permettait aux philosophes des désastres de rappeler à toutes les sciences dites humaines de l'époque que, selon Socrate, l'ignorance est la source de tous les maux - adage auquel François Mitterrand fait timidement écho en rappelant seulement que "l'ignorance n'a pas tous les droits"?

Car enfin, l'élite politique de la nation se révélait soudainement unanime dans son indignation et sa stupéfaction face à l'étendue du désastre: personne ne doutait que le suffrage sacré du peuple avait prononcé un oracle souverain et inattaquable, puisque hautement inspiré par le ciel irréfutable de la démocratie. On était seulement ahuri, abasourdi et éberlué de ce que de tout temps, le avait partagé une condamnation légitimée à titre préjudiciel par la souveraineté des idéalités régnantes et que la classe dirigeante ait attendu le culte du couperet pour saluer unanimement une guillotine infaillible.

Mais si la solution était à portée d'un tranchoir, pourquoi n'avoir pas usé plus tôt de cette coutellerie? La bête sait-elle ce qu'elle prétend savoir ? L'orchestre qui avait continué de jouer jusqu'à l'engloutissement du Titanic savait, lui, que le paquebot coulait, inexorablement tandis que la classe dirigeante française ne partageait en rien cet héroïsme, car elle savait et ignorait, selon une mixture et un salmigondis dont les semi-évadés de la zoologie ignorent la recette. Comment peser la semi connaissance du monde et d'elle-même dont s'alimente la cervelle de cette étrange espèce, sur quelle balance apprendre à peser l'animal qui se sait informé, mais qui ne se l'avoue jamais vraiment, à moins que des coups de massue sur la tête la mettent provisoirement au parfum.

3 - A la découverte de l'animalité rationalisée

Que l'orage grondant eût éclaté, que la pierre qui roulait sur la pente fût tombée dans la plaine, que le fleuve grossissant fût sorti de son lit, que toute la classe dirigeante se fût ruée dans les cuisines afin de confectionner à la hâte les mêmes plats - et à l'aide des mêmes recettes - tout cela démontrait que l'espèce humaine écoute ses clarinettes, ses trompetteries et ses clochetteries. Mais si la valse des cérémonies rappelait que le chimpanzé hypercérébralisé sauvegarde jusqu'à la mort ses rituels et ses liturgies politiques et si les maîtres d'hôtel et les majordomes ne cessent de défiler, et si les rosettes et les cocardes clopinent tout leur content. C'est que l'ignorance invétérée et pourtant désirée du genre humain se veut à la fois aveugle et inguérissable, donc propre à la bête suicidaire et soumise aux électrochocs de la fatalité.

Du coup, les sciences humaines de l'époque ont commencé de se dire qu'il fallait commencer d'apprendre à regarder le Yahou de l'extérieur; car il se trouve ce bimane se révèle doté d'une infime "lueur de raison", selon les dires et les écrits d'un certain Jonathan Swift. L'homme serait-il demeuré le chimpanzé des forêts qui dansait sous la pluie à l'annonce d'un ouragan?

4 - Les aventures de l'historicité humaine

Mais comment se faisait-il qu'une mutation du regard des historiens sur leur matériau se fût déclenchée précisément au lendemain des évènements de 2014 en Crimée, alors que le tissu des travaux et des jours des nations européennes demeurait tout événementiel sur la scène internationale et ne semblait nullement avoir changé soudainement de nature? Qu'y avait-il de nouveau dans la notion même d'historicité pour qu'une refonte radicale de la pesée du temps des nations s'imposât au sein de l'espèce simiohumaine? Il était bien naturel, n'est-ce pas, que la guerre des empires présentât le spectacle classique du vieillissement des armures demeurées entre les mains fatiguées des générations précédentes, il était bien naturel, assurément, que le mot Liberté se fût évaporé sur les brûle-parfums du vainqueur de 1945, il était bien naturel, évidemment, que les encensoirs du messianisme démocratique se fussent prélassés sur les coussins des narrateurs de l'épopée de 1789, il était bien naturel, n'est-il pas vrai, que la Russie reconquît son territoire du XVIIIe siècle et s'assurât l'accès de la Mer Noire, il était bien naturel, enfin, qu'une Europe engloutie et progressivement dissoute dans l'atlantisme approuvât d'un seul élan et sans avoir été seulement consultée le remplacement de son portier, M. Rasmussen, un Danois, par M. Soltenberg, ancien premier ministre de Norvège, tellement, dans les naufrages politiques, un homme de paille chasse l'autre.

Mais, derrière le décor qu'un néologisme vieux de deux décennies permettait de qualifier d'événementiel, le regard que Clio portait sur notre espèce avait entièrement changé d'envergure et de structure, parce qu'un siècle et demi après la parution de L'Evolution des espèces de Darwin, le rideau des heures se levait sur un tout autre spectacle et s'ouvrait sur un paysage connu, mais jamais exploré, celui d'un animal plus projeté sur le théâtre de ses songes que jamais. Comment l'historien moderne était-il devenu un radiographe et un anthropologue de la vie de ses congénères dans le fantastique religieux, comment avait-il conquis le rang d'examinateur et d'interprète d'une espèce dont l'animalité spécifique commençait de se dessiner en traits précis au spectacle de ses lectisternia?

La lectica était la chaise à porteurs capitonnée des Anciens. Aussi, le verbe sternere nous rappelle-t-il l'origine somptueuse des mots prosternation, prosternement, sternum. Apprendre à lire notre histoire sur la rétine des poulets du sacrifice, qu'on appelait des hostiae, n'est-ce pas consternant? Certes, depuis Homère notre littérature s'efforce d'ouvrir l'œil de Clio sur la bête dont les rêves sacrés conquièrent des empires capables de terrasser la mort. Le siècle de Corneille avait tenté de peindre nos amours avec, pour toile de fond, l'histoire sanglante de nos Etats et de nos rois. Puis le XVIIIe siècle a mis le temps de notre histoire à l'écoute du rire et de la farce; puis Balzac a peint l'humanité de son temps en anthropologue et en biologiste de nos sociétés; puis Schiller a fait de l'histoire du monde le cœur battant de notre espèce; puis Malraux a raconté la Condition humaine sur le fond orchestral de la guerre d'Espagne et d'une évangélisation marxiste dont la sotériologie submergeait la planète de son temps - mais, cette fois-ci, ce n'est plus l'histoire apostolique des évènements qui éclaire le narrateur en retour, mais la bête des autels, des sacrifices et des lectisternes d'autrefois qui voit défiler des évènements eschatologisés sur la rétine d'un nouveau rédempteur, la Liberté.

Le basculement subit de la science historique des génuflexions dans l'examen anthropologique des prosternations de l'humanité devant cette idole, a subitement donné au philosophe, primo, une distanciation nouvelle, secundo une proximité inédite: un recul transcendantal d'abord, parce que l'anecdotique se noie maintenant dans l'ampleur de la vision du narrateur stellaire, une proximité ensuite, parce que le récit historique classique s'incruste désormais dans le discours englobant des observateurs sommitaux de la bête. On ne comprend plus les évènements à l'écoute des évènements eux-mêmes, on les pèse sur la balance des regardants de Sirius. C'est cette distanciation soudaine de la raison des historiens attachés à fabriquer le cerveau de la bête qui donne derechef à une théologie soudainement redevenue prospective - donc à nouveau greffée sur une anthropologie abyssale et sacrilège - une scientificité qui met le pape François en position de psychanalyste de la vie mystique et en explorateur virtuel des méthodes d'une science mondiale iconoclaste. L'animal immergé de naissance dans le temporel inspire désormais une politologie rationnelle à vocation planétaire. La vision blasphématoire des mystiques féconde en secret une psychologie expérimentale étendue à l'histoire et à la politique de la bête des origines à nos jours.

5 - Les déconfitures de la postérité de Machiavel

Pour illustrer ce point décisif, rappelons que, depuis le Ve siècle avant notre ère, la politologie occidentale et la science historique se divisent entre les constructeurs de cités idéales d'un côté, tous issus de la République parfaite, mais imaginaire de Platon, et les réalistes de l'autre, dont le Thrasimaque du même Platon, avait mis en scène l'esprit pratique et le cynisme politique.

Depuis Thucydide ou Tacite, la science historique oscille entrez Ménélas et Iphigénie, Cléon et Antigone, Montesquieu et Joseph de Maistre, Machiavel et Karl Marx, Hérode et Jésus-Christ. Mais si la politologie sérieuse se trouve entre les mains des réalistes, leur devoir était de se doter d'une connaissance spéléologique de la bête onirique, parce qu'on ne saurait raconter objectivement les guerres de religion du XVIe siècle et prétendre se visser le casque de la science des utopies sur le tête si l'on n'a pas de connaissance des enjeux politiques et psychiques qui pilotent les délires théologiques de la bête.

Ce blocage neuronal des sciences humaines et la chute de leurs méthodes dans une paralysie des anthropologies de laboratoire remonte précisément à Machiavel, ce grand humaniste et ce passionné de politique expérimentale qui, le premier, a osé se donner l'histoire du monde pour champ d'observation et de vérification, mais qui ne pouvait conduire la politologie de son siècle à un décryptage psychologique et anthropologique des mythes dont la cervelle de la bête se révèle le théâtre, parce que son époque l'interdisait encore par la peur la plus efficace, celle du bûcher. Né en 1469 et mort en 1527, le prudent Florentin passe à pas feutrés sur les guerres rarissimes que Cicéron appelait des bella pro religionibus suscepta - en ces temps reculés, les dieux des vaincus passaient sans rechigner dans le camp des vainqueurs et sans se faire tirer longtemps l'oreille.

Mais les évènements d'Ukraine interdisent désormais à la politologie scientifique d'ignorer les rouages et les ressorts planétaires de l'humanité religieuse, parce que les défenseurs des autels pseudo universels de la Liberté américaine, débarqués à Kiev à coups de milliards de dollars se sont révélés une masse d'ignorants, de profiteurs et de corrompus. Du coup, le vieil humanisme européen n'est plus de taille à donner à la Russie la boussole d'une connaissance anthropologique de l'encéphale des évadés de la zoologie.

Si les évènements mondiaux n'avaient pas illustré la chute du mythe démocratico-chrétien dans un machiavélisme au petit pied et si une religion de maffieux de la Liberté n'avait alerté le cerveau endormi du culte chrétien, la science historique des nouveaux regardants de la bête n'aurait pas conquis un recul post-darwinien à l'égard de la boîte osseuse de l'animal prosterné de naissance devant sa propre image glorifiée à l'école de ses auréoles verbales?

Avec une Crimée encastrée entre l'Amérique des croisés de leurs abstractions célestifiées et une Russie éclairée par les jeux de Sotchi, la scène illustre désormais une conjonction saisissante entre l'histoire christianisée du cerveau simiohumain et le récit en images évangélisées des évènements historiques les plus sanglants; mais l'anthropologue moderne dispose-t-il d'ores et déjà d'un champ d'observation unifié, délimité et localisé des aventures cérébrales de l'animal dont nous parlons? Dans ce cas, le pape François et la Russie proposeraient-ils à la politologie mondiale et à la science historique une nouvelle plateforme épistémologique de la connaissance universelle du genre humain.

6 - Le message de Sotchi

Pour tenter d' approfondir cette question dans la postérité épistémologique et méthodologique de Machiavel, il faut commencer par rappeler qu'une éthique de la politique et de l'histoire se révèle nécessairement le moteur secret de de l'humanité. Aussi l'ex-empire des Tsars a-t-il couronné la fête des corps glorifiés par leur musculature par la fête des marathoniens de leur soleil. C'est au nom de Tolstoï, de Gogol, de Dostoïevski, de Tchékhov, de Soljenitsyne, de Chagall de Tchaïkovski, de Rimski-Korsakov, de Rachmaninov que la Russie de ses étoiles et de ses œuvres a convié la planète à renouveler l'alliance de la lumière éphémère des ossatures avec les flambeaux éternels de l'intelligence russe.

La Grèce antique n'a pas appelé les Platon, les Sophocle, les Eschyle à couronner de la tiare d'Homère les corps de ses athlètes; et ce fut à l'écoute de l'âme de la civilisation mondiale que les écrivains, les compositeurs et les poètes de l'âme de l'humanité sont allés triompher dans le stade à Sotchi. C'est cette Russie-là que la France de la raison appelle à secourir l'Europe des barbares mécanisés.

Car le Vieux Continent, lui aussi, a longtemps enfanté des fils mémorables de la lumière du monde. Puisse la nation de Catherine II et de Pierre le Grand écouter les appels du génie agonisant de l'Europe - car ce soleil mourant nous annonce, en retour, que l'heure est propice à un nouvel élan spirituel et politique de l'ex-empire des tsars sur la scène internationale.

Je disais plus haut que la crise ukrainienne changera l'interprétation de l'histoire du monde, parce qu'il sera impossible aux Etats-Unis d'entraîner longtemps ses vassaux dans une défense des idéaux frelatés de la démocratie de Kiev, parce qu'il sera impossible à une classe ukrainienne aussi corrompue que la précédente de prendre la tête de la civilisation de la Liberté, de l'Egalité et de la Justice: il n'y a pas de lord Byron caché dans les coulisses de la démocratie planétaire pour chanter les retrouvailles d'une Hellade de pacotille avec des contrefaçons du mythe de 1789.

7 - La Russie et l'avenir de l'Europe de la pensée

Le champ d'exercice le plus décisif des exploits de la raison du monde qu'il appartient à la France et à la Russie de féconder côte à côte est celui d'une connaissance abyssale de l'âme cachée de nos deux pays. Savez-vous que la nation laïque, la nation "incroyante", la nation de Descartes et des droits universels de l'intelligence rationnelle est également celle des Bernanos, des Péguy, des Claudel ? Comment expliquez-vous cette convergence? Se pourrait-il que le souffle ascensionnel de la France fût précisément celui d'une mystique orientale dont l'orthodoxie russe se veut l'héritière?

Dans ce cas, la "théologie de l'esprit" dont l'Europe et la France se nourriraient depuis longtemps, mais secrètement, se mettrait à l'écoute de saint Jérôme, de saint Grégoire de Nysse, de saint Grégoire de Naziance, de saint Jean Chrysostome. D'un côté, comment recevrions-nous le message civilisateur des jeux olympiques d'hiver de Sotchi si nous méconnaissions la nature de la fête de l'esprit et des corps dont la Russie a offert le spectacle à un Occident médusé, de l'autre, la Russie des profondeurs rappelle à une Europe oublieuse de ses sources orientales que l'Occident de la Renaissance se fonde tout entier sur la redécouverte des lumières du Moyen Orient et que nous devons aux hellénistes du XVIe siècle la traduction en latin des mystiques orientaux que l'empire romain moribond avait à peine commencé d'entreprendre.

Depuis lors, nous avons reperdu la mémoire des ascensions de l'intelligence critique dont les mystiques orientaux présentent le théâtre aux alpinistes de la vie intérieure de l'humanité. Depuis vingt-cinq siècles, la philosophie mondiale se demande comment distinguer clairement la raison, que les Grecs appelaient également le savoir, de la simple opinion publique, qui est désordonnée, irraisonnée et flottante. Mais, chez Kant déjà, la notion utilitaire de raison a fait naufrage dans le superficiel, tellement l'analyse de la généalogie psychobiologique des principes qui régissent la logique d'Aristote et la "raison pure" ont porté la quête du "rationnel" occidental à la critique des sécrétions tridimensionnelles de la bête cogitante - celle que les Anciens avaient baptisée l'animal rationale.

Du coup, nos premiers anthropologues transcendantaux commencent de se demander, in petto et dans la postérité de Nietszche, si la vraie "vie spirituelle", comme on disait, ne serait pas liée à une ascèse purificatrice de la notion de raison. Cette symbiose entre les corps et les voix était à l'œuvre à Sotchi- mais les organisateurs des jeux ne savaient pas à quel carrefour de cette coalescence mystérieuse le dieu Kronos leur avait donné rendez-vous - à savoir, le carrefour où l'âme de la Russie débarquait dans le stade olympique. Quels sont les ultimes secrets psychiques d'un évadé de la zoologie que ses chromosomes voudraient rendre ascensionnel dans l'arène du monde?

Décidément, les ressorts de l'élévation humaine ne se cachent pas dans les rouages des dogmes impérieux que professe une théologie de juristes. Hier encore, le Saint Siège se voulait tout imprégné d'un esprit doctrinal et césarien. Mais quoi de plus étranger à la philosophie des Grecs dont l'Orient chrétien demeure pourtant tout imprégné! Par delà l'esprit de discipline des armées, le souffle qui inspire l'embryon de raison de notre espèce n'a jamais été militaire. L'orthodoxie de l'Eglise russe a hérité du génie irénique de Socrate, et elle en a fait don à la civilisation mondiale - Gogol, Dostoïevski, Tolstoï respirent à la même hauteur que Péguy, Bernanos, Claudel. C'est pourquoi Paris a servi, sans s'en douter le moins du monde, de caisse de résonance universelle à la postérité d'une "théologie de l'esprit " inspirée par des saints étrangers à la hiérarchie des guerriers.

Comment Cervantès, Swift, Shakespeare, Rabelais, Molière auraient-ils trouvé leur souffle littéraire dans la fruste théologie du père de famille des Romains ? C'est aux côtés de Gogol, de Tolstoï, de Dostoïevski, que la France demande à la Russie de l'aider à changer le regard du monde sur l'histoire de l'esprit et de l'âme de l'humanité; et c'est pourquoi, le 26 mars 2014, le pape François, qui a débarqué sur la scène de la politique internationale par l'exploit d'aider la Russie à tuer dans l'œuf la guerre de Syrie, a dit au croisé d'outre-mer d'une Liberté démocratique armée jusqu'aux dents que la guerre est toujours une défaite du genre humain tout entier et que la vie spirituelle passe par la compassion franciscaine.

8 - Le pape François et la Russie

Qu'est-ce que la compassion en tant qu'échiquier d'une politologie mondiale ? On sait qu'à partir de la Réforme de Luther et de Calvin, la France républicaine se cache à elle-même et - jusque dans l'enceinte de ses écoles publiques - la criante évidence que la raison européenne du XVIe siècle a tourné résolument le dos à Thomas d'Aquin, le juriste de Dieu et le philosophe aristotélicien. Cela ne peut s'expliquer que si, de génération en génération, la culture et la pensée de l'Occident ont pris en secret la direction opposée à celle d'un empire de conquérants. Tentons d'expliquer cela à la lumière d'une anthropologie ambitieuse de sonder les profondeurs psychobiologiques des fuyards du règne animal.

Le pape François est un théologien italien et sud-américain initié aux secrets de l'ascension intérieure des mystiques orientaux. Le seul fait qu'il se soit nourri des fruits de la spiritualité orthodoxe crève les yeux de tous les connaisseurs de l'histoire des théologies monothéistes. Mais il se trouve que François d'Assise avait retrouvé d'instinct l'évangélisme irénique de l'Eglise d'Orient. Qu'est-ce d'autre d'accorder tous ses droits à l'esprit saint, qu'est-ce d'autre de faire prendre au "souffle de Dieu" le pas sur une hiérarchie ecclésiale militarisée par le couple guerrier du Père et du Fils, qu'est-ce d'autre que d'accorder le premier rang à l'alliance des poètes et des saints, qu'est-ce d'autre que d'attirer l'attention des chancelleries du monde entier sur la souffrance des peuples jetés jour après jour dans la géhenne d'une histoire ensauvagée, qu'est-ce d'autre que tout cela, sinon délégitimer le culte pour des idéalités à la fois abstraites, idolâtres et enragées, qu'est-ce d'autre que de frapper d'ostracisme les promesses du salut que véhiculent les mots d'une théologie vaniteuse, qu'est-ce d'autre que d'en appeler aux saints nourris du mythe symbolique de la descente de l'esprit saint sur les disciples à la Pentecôte?

La théologie orthodoxe est la fille aînée du mythe de la caverne, dont la signalétique occupe une place centrale dans la littérature mondiale. Selon Platon, l'humanité est demeurée plongée dans les ténèbres de l'ignorance, de l'aveuglement et de la peur, l'humanité se montre tout entière ficelée par les jambes et par le cou à un petit banc, l'humanité ne voit que des ombres défiler sur un petit mur - mais un soleil brille par delà les ténèbres du monde. Si les prisonniers de l'antre tentaient de monter vers le soleil et de recevoir la lumière dans tout son éclat, ils se frapperaient de cécité, parce qu'il faut un long apprentissage pour regarder la vérité en face. C'est cela, le message de la spiritualité grecque, c'est cela, le feu de la France "chrétienne", et c'est de ce feu-là que le génie commun à notre nation et à la Russie se veulent les sentinelles et les flambeaux.

C'est ce que nous examinerons de plus près la semaine prochaine.

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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