Les défis de
l'Europe
L'éléphant dans le salon
ou
La domestication de l'Europe
et la décomposition de la France
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 3 juin 2016
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1 - Un éléphant dans le salon
2 - L'éléphant barrit dans le
salon
3 - L'éléphant s'installe dans
le salon
4 - L'éléphant essaie de se
rendre invisible
5 - L'éléphant piétine la
vaisselle
6 - " En prison pour médiocrité
", Henry de Montherlant
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1 - Un éléphant
dans le salon
Un Etat ne peut
renoncer au mythe qui le constitue. La
démocratie obéit à un destin
messianique, celle d'un évangélisme dont
la vocation planétaire lui dicte son
destin et qui la conduit inévitablement
aux catastrophes inscrites dans son
enflure originelle.
Tous les chefs
d'Etat de l'Europe auraient dû
comprendre dès 1945 que les Etats-Unis
d'Amérique tenteraient d'adorner leur
victoire et de se donner la vocation
apostolique, salvifique et rédemptrice.
C'est cela que le Général de Gaulle a
compris au cours même de la deuxième
guerre mondiale et dont son discours de
Pnom Penh en 1966 n'était que
l'expression d'une évidence depuis
longtemps connue et assimilée.
Un bref rappel des
évènements de 1945 éclaire la situation
géopolitique actuelle.
Lorsque, à la fin
de 1941, fut rédigé le texte de l'AMGOT
(Allied Military Government in
Occupied Territories) dans la
perspective de l'entrée en guerre
prochaine des Etats-Unis, des millions
de "dollars d'occupation" furent
imprimés. On créa parallèlement une
Ecole d'Administration coloniale
sise à Charlottesville en Virginie, dont
la finalité était de former
l'encadrement des "indigènes
européens libérés".
Huit jours après le
débarquement, les premières frictions
apparurent au grand jour entre les
forces américaines et les premiers
éléments de la France Libre nommés par
le Général de Gaulle. Cette tension vira
à l'affrontement ouvert à la fin du mois
de juin, lorsque le Major Général
Collins, prétendit se hisser au rang
de Gouverneur de Cherbourg et
refusa de reconnaître la nomination du
sous-préfet par de Gaulle. Une
manifestation monstre de la population
cherbourgeoise amena Collins à rentrer
d'urgence à Washington afin de consulter
Roosevelt qui eut l'intelligence de
comprendre l'impossibilité de réduire la
France une servitude coloniale - et dans
le même temps, le projet de M.
Morgenthau, ministre de Roosevelt,
de ramener l'Allemagne à un pays
exclusivement agricole, se heurtait au
même obstacle outre-Rhin.
On comprend mieux,
à l'examen de ces évènements, pourquoi
l'empire américain a poursuivi depuis
lors les mêmes objectifs, mais à l'aide
d'une stratégie plus usuelle des
relations d'un Etat en expansion avec
ses subordonnés. Telle est la toile de
fond d'une vassalité de la France placée
sous le sceptre et le joug d'un "sauveur"
du monde qui a envahi tout son espace
psychique et géographique - l' éléphant
s'est installé dans le salon.
Le vote de
l'Assemble nationale du 28 avril 2016,
qui était censé presser le gouvernement
de lever les "sanctions"
économiques anti-russes a pris une
tournure démonstrative du degré actuel
de soumission de la France. On sait
qu'un vote sans quorum d'une
poignée de députés suffit à engager
l'autorité du Parlement tout entier.
C'est ainsi qu'une masse d'élus du
peuple souverain de quelque cinq cents
députés sur près de six cents a pu
déserter l'enceinte du Parlement, ce qui
lui a permis de cacher sa démission sous
le masque politique de l'absence.
Mais il est bien
évident que seule une quasi unanimité
des représentants du peuple souverain
aurait exercé une pression réelle sur
l'Etat atlantiste que la France est
devenue. La mise en scène de ce faux
semblant d'une volonté nationale a
permis au chef de l'Etat de persévérer
dans son allégeance aux volontés de
Washington. La minorité de quelque
quatre vingt dix-huit députés n'a voté
pour une levée des "sanctions"
qu'avec une majorité de dix voix. Le
Président de la République en a profité
pour écarter d'un revers de la main une
volonté minable et étriquée de
l'autorité législative de desserrer
l'étau de l'empire américain.
2 - L'éléphant
barrit dans le salon
Mais il y a plus:
les quelques orateurs qui se sont fait
entendre ont tous affiché une fausse
autonomie selon laquelle ces "sanctions"
auraient été décidées par la France et
par l'Europe. Or, tout le monde sait
fort bien qu'elles ont été imposées
à la France et à l'Europe par la volonté
expresse de Washington, ce qui révèle
l'alliance de la servitude et de
l'hypocrisie: le serf se cache à
lui-même sa dépendance à l'égard de son
maître et affiche comme siennes les
décisions qui lui sont imposées. Il
étale une "liberté" qu'il a entièrement
aliénée.
Des orateurs
engagés dans le combat pour la levée des
sanctions se sont si bien répandus en
déplorations qu'ils ont été tout étonnés
de recevoir en pleine figure le
boomerang que le gouvernement avait
imprudemment lancé. Or, M. Kerry s'est
vanté devant les étudiants de Harvard
d'avoir imposé le diktat
de l'Amérique à la France et à l'Europe
tout entière. On a pu mesurer à cette
occasion la faiblesse l'esprit et
l'impéritie de toute la classe
dirigeante du Vieux Monde: on a entendu
Mme. Mogherini, alors ministre des
affaires étrangères d'Italie,
reconnaître qu'elle s'était imaginée
entretenir des relations d'égal à égal
avec M. Kerry.
Mais une question
plus profonde se pose au terme de cette
joute dans un salon de thé: un chef
d'Etat européen peut-il poser les jalons
d'un retour des troupes d'occupation
américaines en France et valider le
traité de Lisbonne qui a imposé à toute
l'Europe et à titre constitutionnel la
présence perpétuelle des bases
américaines sur le Vieux Continent?
Certes, un Président de la République
qui croit sincèrement que le sauvetage
d'un seul chômeur sur trois cents ferait
de ce rescapé la preuve vivante que le
vent de l'histoire aurait changé de
direction et que le salut serait proche;
un Président de la République qui n'a
aucune idée des causes réelles du
chômage témoigne d'une impéritie
confondante. Il serait infantile
d'imaginer que cet homme-là aurait une
connaissance profonde des ressorts réels
de la géopolitique. Peut-on se voir
déclaré responsable et coupable de son
ignorance?
3 - L'éléphant
s'installe dans le salon
Qu'en est-il de la
responsabilité politique des chefs
d'Etat de l'Europe sous domination
éléphantesque? Quelques jours seulement
après avoir osé démontrer que la
décision de l'empire américain de
dresser un "bouclier" aux
frontières de la Russie n'était pas un
simple "aménagement technique",
comme le prétendait la Maison Blanche,
mais une décision politique essentielle,
celle de placer encore davantage
l'Europe et la France sous la tutelle du
Pentagone, M. Hollande n'a pas levé le
petit doigt à la réunion du G7 à Tokyo
les 26 et 27 mai pour s'opposer à
l'installation de ce "bouclier"
en Roumanie et en Pologne.
Bien plus, le
ballet des fantômes d'Etats européens a
docilement accepté non seulement de
maintenir, mais de renforcer les
sanctions économiques contre la Russie
au-delà du 31 juillet 2016. La trahison
moderne appartient aux déserteurs de
Clio. On l'a bien vu avec le discours
que M. Hollande a prononcé le 29 mai
2016 à Douaumont. On y a entendu le chef
de l'Etat substituer des envolées dans
le vide à l'examen de la situation sur
le terrain et des vagabondages
stratosphériques aux enseignements de la
géographie. C'est quitter l'histoire de
se vaporiser dans les concepts creux et
les abstractions dont l'universalité
même est le gage de leur désincarnation
éternelle.
L'URSS de Staline a
été la première à effacer purement et
simplement de la toile les personnages
qui n'occupaient pas la place convenue
dans l'histoire catéchisée d'avance par
le récit officiel des évènements. C'est
ainsi que Léon Trotsky a disparu de la
narration officielle mise en place par
le mythe marxiste. Praeterita
mutare non possumus - nous ne pouvons
pas changer le passé disaient
les Romains. Impossible de "dé-pétainiser"
Verdun. A ce compte, il faudrait "dé-monarchiser"
l'histoire de la France de Clovis à
Louis-Philippe.
On ne "dé-hollandisera"
pas l'histoire de la République de 2012
à 2017. M. Hollande est bel et bien "dans
l'histoire". Son tort est seulement
d'ignorer dans quelle histoire il a
embarqué la France et lui-même De toute
façon, une histoire rationnelle, donc
réfléchie est nécessairement une
science, sauf à se trouver prise dans la
nasse d'une idéologie. Il n'y a pas
d'alternative aux retrouvailles de
l'histoire avec l'héroïsme solitaire des
grandes nations et avec le patriotisme
qui leur sert de ressort en acier
trempé, parce que le naufrage d'une
Europe réduite à un cortège d'ombres est
aussi irréfutablement démontré que le
théorème d'Euclide: une Europe
soi-disant supra-nationale ne serait
jamais qu'une outre percée dont l'empire
des Etats-Unis d'Amérique se ferait un
jeu d'enfants d'en multiplier les trous.
4 - L'éléphant
essaie de se rendre invisible
Pour comprendre
toute la difficulté que présente un
éventuel procès en haute Cour du
président François Hollande, il faut
comparer la situation du Maréchal Pétain
avec celle de la Ve République
d'aujourd'hui.
Peut-on accuser de
trahison pure et simple et une vassalité
coupables au vainqueur de Verdun alors
que la France était mise à terre et
qu'elle se trouvait occupée par les
troupes de l'Allemagne nazie? Le pays
avait un couteau sur la gorge. Dans un
sauve-qui-peut désespéré, l'attitude la
plus digne et la plus compatible avec la
fierté de la nation était d'opposer à
Hitler la gloire du héros le plus
prestigieux de la guerre précédente. Ce
sera à la lumière de la vassalité de la
France d'aujourd'hui que les historiens
de demain auront le recul nécessaire
pour juger de la politique du Maréchal
Pétain. Car le Président François
Hollande n'a pas de couteau sur la gorge
et c'est de plein gré qu'il accepte un
traité de Lisbonne incompatible avec la
souveraineté nationale. C'est de plein
gré qu'il prépare le retour de
l'occupant américain sur le sol
national.
Le Maréchal Pétain
avait tenté, au procès de Riom, de juger
les hommes politiques de la IIIe
République coupables d'avoir conduit la
France à la défaite de 1940. Il est
grotesque de traiter de "traître à la
patrie" un Maréchal décidé à
poursuivre les responsables de la
défaite de son pays. Tous les historiens
sérieux voient d'ores et déjà dans
l'accusation de trahison d'un soldat de
quatre-vingt dix ans un montage rendu
possible en raison des applaudissements
du parti communiste français de l'époque
au pacte germano-soviétique qui faisait
soudainement de l'alliance du "petit
père des peuples" avec le Führer la
clé de l'entrée dans le paradis
soviétique. On croyait au débarquement
de l'Eden marxiste sur la terre, on
croyait que la "dictature du
prolétariat" coïnciderait avec
l'avènement des félicités promises. Les
intellectuels avaient versé des torrents
de larmes à la suite du décès de
l'ancien séminariste de Tbilissi, Joseph
Staline.
Le vieux Maréchal
devait-il démissionner ou se laisser
déporter à Sigmaringen? Devait-il cesser
de témoigner de la dignité de la France
vaincue? Comment qualifier de traître à
sa patrie un héros de la première guerre
mondiale, une proie et un butin du
nazisme aux abois? Le Président
Hollande, lui, devrait-il démissionner
plutôt que de valider les conséquences
d'un traité du Lisbonne qui légitime
d'avance l'occupation militaire
perpétuelle de la France? Est-il
coupable d'une incompétence qui
l'exonèrerait de sa responsabilité de
chef d'une France désormais asservie?
5 - L'éléphant
piétine la vaisselle
Puisque M. Hollande
ignore les causes, mystérieuses à ses
yeux, qui contraignent cinq millions de
Français à l'oisiveté et qui leur
interdisent de faire bénéficier la
nation de leur force de travail, puisque
M. Hollande s'imagine qu'un seul chômeur
sur trois cents a bénéficié d'un
sauvetage provisoire et que cet
évènement suffirait à gonfler les voiles
de son destin politique, peut-être
connaît-il les raisons qui motivent le
délire de l'empire américain à
construire six monstres marins
supplémentaires dont la carapace d'acier
servira d'aérodrome flottant à une nuée
d'avions de chasse. Peut-être
ignore-t-il les raisons qui provoquent
l'hilarité des stratèges chinois, qui
savent que cette ferraille flottante est
une cible idéale pour des missiles d'une
portée de mille cinq cents kilomètres et
tirés de leurs rivages à la vitesse de
cent kilomètres à la minute.
Peut-être M.
Hollande est-il informé que le prix de
l'or se fixe désormais à Shanghaï , que
le yuan chinois sera dorénavant garanti
par de l'or physique, que la Russie a
aussitôt emboité le pas à Pékin et
décidé que ses exportations de gaz et de
pétrole lui seront payés dans toutes les
monnaies nationales du globe, à
l'exception du dollar et que le
petro-yuan est en train de remplacer le
petro-dollar? Peut-être M. Hollande
sait-il que toute l'Afrique du Nord a
basculé du côté de la Russie et que
soixante généraux de l'Allemagne de
l'Est ont dénoncé une russophobie
artificielle qui n'exprime que le refus
de l'ascension d'un concurrent.
M. Hollande
aurait-il oublié que le citoyen lambda
avait refusé une Constitution européenne
qui prévoyait l'incrustation
perpétuelle des bases militaires
américaines sur tout le Vieux Continent
ainsi qu'en France ainsi et que la
classe européenne vassalisée a substitué
en catimini à la volonté du suffrage
universel un traité de Lisbonne
inconstitutionnel par nature et par
définition? Peut-être M. Hollande
serait-il informé de tout cela en raison
de sa connaissance des relations de
l'enflure avec l'inconscient de la
vassalité, que Jung décrit en ces
termes: "Une conscience souffrant
d'inflation est toujours égocentrique et
n'est consciente que de sa propre
présence." C.G. Jung,
Psychologie et alchimie.
6 - " En prison
pour médiocrité ", Henry de Montherlant
Mais si M. Hollande
est un homme d'Etat informé de tout cela
et s'il connaît sur le bout des doigts
les derniers secrets de la géopolitique,
alors la question centrale de sa
culpabilité se pose devant le tribunal
de la science historique de demain. Car
l'histoire contemporaine a souffert au
XVIIe siècle de la pauvreté
intellectuelle de la théologie
chrétienne, puis au XVIIIe siècle, de la
pauvreté intellectuelle d'une science
historique pressée seulement de délivrer
l'Europe de la superstition, mais encore
incapable de se forger une raison
exploratrice des ultimes secrets de
l'animalité proprement humaine. Puis, le
XIXe siècle a connu avec Michelet et
Hyppolite Taine ses premiers
anthropologues de la bête déchirée entre
ses songes et ses labours. Enfin le XXè
est tombé dans les mièvreries et les
bergeries de l'ultime postérité des
rêveries de Rousseau.
Mais M. Hollande ne
sera jugé qu'après sa mort politique,
parce que le calendrier électoral obéit
à un rythme trop rapide pour que notre
temps le fasse passer devant une Haute
Cour de justice. Quels seront les
attendus du tribunal des historiens de
demain qui auront à répondre à la
question de la responsabilité, donc de
la culpabilité des chefs d'Etat de notre
temps?
M. Hollande
sera-t-il le Pedro de la Reine
morte d'Henri de Montherlant, le
fils que le roi Ferrante jette "en
prison pour médiocrité"? .
Le 3 juin 2016
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