Qu'est-ce que
philosopher ?
Le combat de la raison
XIII - L'humiliation et la honte de
l'Europe américaine
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 3 avril 2015
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1 - La psychobiologie
de l'histoire
2 - Les premiers pas d'une
métazoologie
3 - " Nous ne sommes pas fiers
de lui… "
4 - La résurrection de M.
Vladimir Poutine et la descente
aux enfers de la France
5 - Le naufrage des
civilisations américanisées
6 - Les naufrages du sens commun
sont provisoires
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1 - La
psychobiologie de l'histoire
Pourquoi apprendre
à observer notre espèce de l'extérieur ?
Parce que la distinction entre le dedans
et le dehors nous aide à cerner le
singulier et le collectif. La
psychobiologie nous aidera à situer le
particulier d'un côté et l'universel de
l'autre. Mais cette scission est
trompeuse, tellement notre cerveau est
demeuré plus collectif que jamais. Que
vaut le regard que le plus grand nombre
porte sur sa propre masse? Cet œil-là a
seulement pris le relais de la cécité
d'un ex-quadrumane à fourrure. Plus
tard, son globe oculaire a accédé à un
monothéisme schizoïde et greffé sur un
paradis de sucreries. La politique des
tribus, puis des Etats sera donc gravée
à l'effigie de cerveaux d'une espèce
biphasé sur ce modèle.
Aussi est-ce devenu
un devoir politique, pour les nations
éclairées, d'entrer en apprentissage du
dédoublement de notre boîte osseuse,
parce que personne ne saurait désormais
exercer la fonction de chef d'Etat d'une
grande nation sans porter sur l'histoire
bipolaire de l'humanité le regard
créateur des psycho biologistes d'une
conque osseuse en devenir.
Un siècle et demi
après Darwin, penser, donc peser les
secrets de la politique de la bête
cogitante, c'est placer jour après jour
le bimane rêveur et tueur dans le
laboratoire où bouillonne son évolution
cérébrale, laquelle se révèle
désespérément sporadique, donc vouée à
subir d'un côté, des rechutes répétées
et de l'autre, à bénéficier de sursauts
fallacieux. Notre connaissance
zoologique de nous-mêmes s'est
lexicalisée. Elle nous permet, d'ores et
déjà, de porter notre auto-examen à
l'âge d'une science politique
relativement prospective et quelque peu
cérébralisée; mais cette science remonte
à quelques millénaires seulement. J'en
appelle donc aux phalanges macédoniennes
de la raison de ce temps, j'en appelle
aux anthropologues d'avant-garde, qui
savent que nous sommes des animaux que
la pratique d'un langage articulé a
biphasés et voués à une bipolarité
intellectuelle dangereuse. La
géopolitique scientifique ressortit
désormais à une métazoologie
prospective. Cette discipline se demande
quels sont les prémisses et les pièges
de ce biphasage.
2 - Les premiers
pas d'une métazoologie
Par chance, l'heure
a également sonné où la vassalisation
affective et mentale d'une Europe
asservie pour longtemps à une puissance
étrangère se trouve paradoxalement
freinée un instant par une menace
immédiate et concrète, celle qui pèse
subitement sur le porte-monnaie des
industriels, le gousset des agriculteurs
et l'escarcelle des commerçants. Ces
trois caissiers ne sont pas des
spéléologues de l'abîme. Ils ignorent
tout des progrès de l'anthropologie
critique, mais ils se découvrent
soudainement les otages et les pions
d'un empire spectaculairement ambitieux
d'étendre son territoire de Paris à
Vladivostok.
Or, le César actuel
de la démocratie mondiale ne saurait
acheter son expansion censée vertueuse -
tant politique que militaire et
économique - qu'aux dépens des maigres
finances de ses vassaux. C'est pour
faire échouer la folle ambition de
l'empire du dollar qu'il nous faudra en
appeler aux citoyens dont le missel aura
oublié les préceptes de la trilogie d'Alice
au pays des merveilles, de
Paul et Virginie et de la
Nouvelle Héloïse .
3 - " Nous ne
sommes pas fiers de lui… "
Le Département
d'Etat américain tout entier et M. John
Kerry, qui dirige le Ministère des
affaires étrangères du Nouveau Monde
depuis 2012, auraient-ils réussi à
convaincre tout soudainement et en un
tournemain l'Allemagne, l'Angleterre,
l'Italie et les vingt-huit ombres
d'Etats de l'Union européenne de ce que
les relations de la Russie avec
l'Ukraine seraient devenues par miracle
- et, pour ainsi dire, au cours de la
nuit - le nouveau point d'équilibre des
forces politiques sur les cinq
continents?
Que serait-il
arrivé si la pensée rationnelle de la
France laïque s'était approfondie et si,
cent soixante ans après Darwin, la
réflexion du monde entier sur
l'évolution du cerveau demeuré
embryonnaire de l'humanité avait
débarqué dans la géopolitique?
Croyons-nous vraiment que la mascarade
d'un salut politique messianisé dans
l'arène du mythe démocratique,
croyons-nous vraiment que les rubans et
les dentelles de la Liberté,
croyons-nous sérieusement que toute
cette fantasmagorie verbifique
s'accomplira sur la terre ou bien
qu'elle sera nécessairement vouée à
l'échec de ses fioritures si, par
malheur, soixante dix-ans d'occupation
militaire de l'Europe par les Etats-Unis
n'auront pas suffi à enfanter une
centaine de millions d'Européens aux
yeux grand ouverts sur l'épicentre
artificiel de la planète que l'Ukraine
serait instantanément devenue?
Certes, la
servitude cérébrale qui frappe
soudainement les vaincus s'inscrit plus
rapidement que nous ne le croyions sous
leur os frontal, certes, la soumission
des candidats aux verdicts du ciel de
leur vainqueur semble devenir atavique
en deux ou trois générations seulement.
Mais rien de plus éphémère que le
superficiel. Voyez la facilité, donc la
fragilité avec laquelle le mythe
américain des esclavagistes de la
Liberté a enfanté le prodige
international de paraître métamorphoser
M. Vladimir Poutine en pestiféré aux
yeux d'une Europe livrée aux
contrefaçons les plus grossières des
idéaux de 1789, voyez avec quelle
aisance des dessinateurs à la cervelle
d'oiseau et aux pattes éléphantesques
sont entrés dans cette farandole
internationale sans y entendre goutte et
au seul profit des Etats-Unis!
Mais rien de moins
durable que les jeux d'enfants. Notre
Président de la République s'est révélé
plus craintif que tous ses
prédécesseurs; et nous ne sommes pas
fiers de lui. Il n'a pas osé livrer le
Mistral à ses acheteurs, bien qu'ils
eussent payé leur commande d'avance et
rubis sur l'ongle. Mais voyez avec
quelle célérité l'humiliation de la
Russie s'est retournée contre nous,
voyez avec quelle rapidité l'abaissement
des peuples est de courte durée! La
Russie a grandi à l'école de nos
déconfitures et le monde entier a
commencé de tourner ses regards en
direction du Kremlin. Quel spectacle
qu'un chef d'Etat digne des
responsabilités attachées à sa fonction!
4 - La
résurrection de M. Vladimir Poutine et
la descente aux enfers de la France
Même le Wall
Street Journal écrit que M.
Vladimir Poutine est le vrai gagnant des
élections locales françaises des 22 et
29 mars parce que les deux partis de
droite devenus majoritaires dans le
pays, l'UMP et le Front nationale,
jugent honteux qu'une Europe soi-disant
ambitieuse de jouer à nouveau un rôle
dans l'arène du monde se soit laissé
entraîner en vassale à déclarer une
guerre économique à la Russie, ce que,
dans ses pires cauchemars, le Général de
Gaulle n'avait jamais imaginé.
Et pourtant, il
faut relever que le microbe de l'Elysée
a osé se rendre à Moscou le 6 septembre
2014 pour y serrer solennellement et aux
yeux du monde entier, le "nouveau
Lucifer" dans ses bras; et ce nain a
pris le risque de demander - en
coulisses - à toute l'Europe de lever
les sanctions saugrenues et stupides qui
conduisent notre civilisation dans un
asile d'aliénés. (L'Europe,
un asile d'aliénés La modernité de
l'Eloge de la folie d'Erasme , 5
décembre 2014)
Quant à
l'Angleterre, elle se souvient de ce que
les grands Etats ne sont réalistes que
parce qu'ils sont audacieux, mais que la
faculté de regarder la réalité n'est pas
à la portée de tout le monde. Londres
continue, néanmoins, et à l'instar des
Etats-Unis eux-mêmes - d'exporter ses
produits en Russie. Ce que voit clair
comme le jour l'Angleterre des
Churchill, c'est que la Russie et la
Chine sont déjà les orchestrateurs de la
chute prochaine de l'empire américain -
même le Canada, l'Australie et la Corée
du Sud ont adhéré à la banque monde pour
l'investissement mise en place par Pékin
et dont la Maison Blanche a dû
solliciter les bonnes grâces aux
conditions de l'Empire du Milieu.
Et pourtant,
soixante dix-ans après la paix de 1945,
une Allemagne occupée par deux cents
bases militaires américaines et une
Italie quadrillée par cent trente sept
de ces forteresses depuis 1943 ne
disposent plus d'une liberté politique
suffisamment appuyée par le glaive pour
qu'une France à nouveau placée dans
l'étau de l'OTAN puisse, à elle seule,
mettre à nouveau l'Occident en route
vers sa souveraineté. Pour que la
livraison des Mistral à la Russie fasse
l'effet d'un coup de tonnerre à
l'échelle du globe terrestre, il
faudrait que le réalisme politique des
hommes d'Etat de génie bouleversât la
problématique et l'échiquier des
médiocres C'est cela que la Chine a
compris au quotidien: elle sait que la
construction du canal trans-océanique du
Nicaragua vaut une dizaine de
porte-avions américains et qu'une rivale
du FMI qui ne serait pas un instrument
docile entre les mains d'un maître
répond à l'attente du monde
démocratique: la Suisse y a adhéré
vingt-quatre heures seulement après
l'Angleterre, la France, l'Allemagne,
l'Italie, l'Espagne. Mais, à force
d'hésiter et d'attendre la neige au mois
d'août, la France a perdu un gigantesque
marché - celui de la vente des avions
Rafale à l'Inde. La petite France ne
voit même pas où courent les dés,
tellement l'éphémère s'est déjà enclos
dans l' étroite enceinte d'un
dépérissement de la nation.
5 - Le naufrage
des civilisations américanisées
Qu'avons-nous à
faire des dentelles et des broderies des
démocraties verbales d'aujourd'hui? La
preuve de leur défaite est dans la
disqualification morale, politique et
philosophique du mythe de la Liberté
américaine. La fonction des citoyens
instruits est devenue intellectuelle au
premier chef, ce qui nous condamne à
nous colleter avec les fondements
parathéologiques, donc parazoologiques
de la paralysie mentale qui menace
l'Occident.
Exemple: toute la
classe dirigeante de l' Europe sait fort
bien que les Etats-Unis sont venus
dépenser sur place six milliards de
dollars à seule fin de déclencher à Kiev
un mouvement de foule artificiel; de
même, tout le monde sait que Mme
Victoria Nuland - Assistant Secretary
for European and Eurasian Affairs -
a stipendié des tireurs d'élite afin
qu'ils ameutent la foule sur la place
Maidan - il s'agissait de présenter un
nombre suffisant de cadavres pour que
des mouvements de foule locaux se
métamorphosent en révolution. Depuis la
Fronde, nos historiens connaissent sur
le bout des doigts la technique du
déclenchement des émeutes.
Mais croyez-vous
que la France des chancelleries de cour
aurait donné dans un panneau
diplomatique d'une construction aussi
grossière? Les historiens-et les
anthropologues de demain porteront sur
nous un regard de l'extérieur. Ils
expliqueront aux générations futures et
dans le détail les arcanes d'un siècle
entier de servitude de l'Europe; et les
hommes de la mémoire nous diront
pourquoi Mme Merkel a tout subitement
sacrifié un quart de siècle de bonnes
relations de l'Allemagne avec la Russie
- elles étaient au beau fixe depuis la
chute du mur de Berlin en 1989. Ce sera
dans l'ébahissement, l'éberluement et
l'ahurissement que nos descendants
découvriront les moyens rabougris, mais
momentanément efficaces dont disposait
le Département d'Etat américain pour
amener à résipiscence les Etats
interloqués et titubants de l'Europe des
vassaux.
6 - Les naufrages
du sens commun sont provisoires
La vassalisation
des peuples modernes retrouve les
chemins du Moyen-âge. En ces temps
reculés, l'ignorance conjuguée des
foules et des élites sacerdotales
faisait toute la puissance des magiciens
de l'autel et d'une nuée d'intellectuels
voletants au-dessus des cierges et des
ciboires. La raison est un bien fragile,
parce que "tout ce qui est précieux
est fragile" disaient les Romains.
Mais la rapidité avec laquelle la
raison, un instant suffoquée, ressuscite
à l'école même de ses effondrements
successifs résulte de ce que le naufrage
des civilisations stupéfaites entraîne
toujours une courte débâcle des
évidences les plus connues et les plus
irréfutablement démontrées, de sorte
qu'elles renaissent de leur hébétude de
seulement s'ancrer de nouveau dans le
sens commun. Ne vous y trompez pas, si
l'évidence capitule, c'est seulement
pour se réveiller en sursaut.
Nous avons
momentanément renoncé à former des
citoyens en mesure de démonter les
sortilèges verbaux d'une démocratie
d'illettrés. Mais puisque le capitalisme
moderne se révèle plus barbare et plus
sot que celui du siècle de Karl Marx,
puisque nous savons que le machinisme
moderne fait danser l'anse d'un système
économique suicidaire, puisque nous
savons que le rêve évangélique du genre
humain est décédé en 1989, il est
redevenu clair comme le jour que si nous
ne perçons pas les secrets
anthropologiques du naufrage des
civilisations, notre espèce se divisera
à nouveaux frais entre ses auréoles
verbales et ses prédateurs aux dents
longues.
Nous nous trouvons
immergés dans un monde d'idéalités
totémisées. Tentons de remettre le
cerveau d'autrefois de la France en état
de marche, tentons de retrouver la
cervelle logicienne d'une nation en
position de force. Ce sera à ce prix que
nous parviendrons à reconstituer les
phalanges de la pensée politique du
siècle des Lumière, ce sera à ce prix
que nous arracherons à l'abîme une
Europe à la cervelle en déroute. Ne nous
y trompons pas: si tout serf est l'otage
de sa propre sottise, la sottise des
serfs est la plus contagieuse des
pathologies politiques. Mais le temps
presse: ou bien nous parviendrons à
percer les secrets cérébraux de l'animal
eschatologisé, ou bien il sera trop tard
pour recourir aux sacrilèges sauveurs.
La semaine
prochaine je reviendrai sur l'art de
combattre la double ignorance des
peuples et des élites de la démocratie
mondiale.
Le 3 avril 2015
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