L'art de la guerre
Un Etat n'a jamais existé en Libye ?
Manlio Dinucci
Mardi 24 février 2015
Il n’est pas vrai que la guerre de 2011
ait désagrégé l’Etat libyen. C’est le
président émérite de
la République, Georges
Napolitano, qui nous l’a expliqué, dans
son intervention au Sénat : « Je
considère que, au sens moderne de
l’expression, un Etat n’a jamais existé
en Libye ». Il y a quelques mois
seulement, il avait qualifié
la Libye d’ « Etat
failli » (catégorie créée par le « Fond
pour la paix » étasunien). Mais à
présent il y a repensé : « Qu’on puisse
parler aujourd’hui d’Etat failli suscite
en moi quelque perplexité : l’exercice
du pouvoir autocratique et personnel du
président Kadhafi sur la base d’un
système d’équilibres avec la multitude
des tribus, n’était pas un Etat ». Sur
la rive sud de la Méditerranée il n’y
avait donc pas un Etat,
la République arabe de
Libye, née en 1969 après plus de 30
années de domination coloniale italienne
et presque 20 d’une monarchie succube de
la Grande-Bretagne
et des Etats-Unis. Un Etat qui, une fois
abolie la monarchie, avait fermé en 1970
les bases militaires étasuniennes et
britanniques, et nationalisé les
propriétés de British Petroleum. Un Etat
qui -d’après la Banque Mondiale en
2010- conservait « de hauts niveaux de
croissance économique », assurant ainsi
(malgré les disparités) le plus haut
niveau de vie en Afrique et donnant du
travail à environ deux millions
d’immigrés africains ; qui enregistrait
« de forts indicateurs de développement
humain » parmi lesquels l’accès
universel à l’instruction primaire et
secondaire et, pour 46%, à celle de
niveau universitaire. Un Etat qui
avait rendu possible par ses
investissements la naissance
d’organismes qui auraient pu réaliser
l’autonomie financière de l’Afrique :
la Banque
africaine d’investissement (en Libye), la Banque centrale africaine
(au Nigéria), le Fond Monétaire africain
(au Cameroun).
Dans une réécriture de
l’histoire, tout ceci est effacé et
la Libye
de 1969-2011 se trouve représentée comme
un non-Etat, une « multitude de tribus »
(définition d’estampille coloniale)
maintenues ensemble par le pouvoir de
Kadhafi. Pouvoir qui existait
indubitablement, fruit des phases
historiques traversées par
la Libye, mais qui
s’était relâché et décentré en ouvrant
la perspective d’une évolution
ultérieure de la société libyenne. La Libye, après que les USA et
l’Ue avaient révoqué l’embargo en 2004,
s’était reconstruit une place au niveau
international.
En avril 2009, à Washington, la
secrétaire d’état Hillary Clinton
serrait chaleureusement la main à un des
fils de Kadhafi, en déclarant vouloir
« approfondir et élargir notre
coopération ». Moins de deux ans après,
cette même Clinton lançait la campagne
internationale contre Kadhafi, en
préparant la guerre.
Maintenant par contre, dans le
cadre de la compétition pour les
prochaines présidentielles, les
squelettes sortent du placard : des
preuves documentées (publiées par le
Washington Times et examinées par la
commission d’enquête du Congrès sur
l’assassinat de l’ambassadeur des USA à
Benghazi en 2012) démontrent que c’est
Hillary Clinton qui a poussé
l’administration Obama à la guerre
contre la Libye « avec de faux
prétextes et en ignorant les conseils
des commandants militaires ». Pendant
que Clinton accusait Kadhafi de
génocide, les services de renseignements
étasuniens indiquaient à travers leurs
rapports internes
que
« Kadhafi avait donné l’ordre de ne pas
attaquer les civils mais de se
concentrer sur les rebelles armés ». On
découvre aussi un rapport, envoyé en
2011 par les autorités libyennes à des
membres du Congrès des USA, documentant
les fournitures d’armes aux djihadistes
libyens de la part du Qatar avec
l’ « autorisation de l’Otan ».
A cette époque le président Napolitano déclarait que, « ne pouvant pas
rester indifférents à la réaction
sanguinaire de Kadhafi », l’Italie
adhérait au « plan d’interventions de la
coalition sous conduite Otan ».
Edition de mardi 24 février 2015 de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/mai-esistito-uno-stato-in-libia/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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