Monde
Brève histoire de l'OTAN de 1991 à nos
jours (2)
Manlio Dinucci
Dimanche 15 octobre 2017
L’INTERVENTION OTAN DANS LA CRISE
DES BALKANS
Le « nouveau concept stratégique »
de l’Otan se trouve mis en pratique dans
les Balkans, où la crise de la
Fédération Yougoslave, due aux
oppositions entre les groupes de pouvoir
et aux poussées centrifuges des
républiques, a atteint le point de
rupture.
En novembre 1990, le Congrès des Etats-Unis approuve le financement
direct de toutes les nouvelles
formations « démocratiques » de la
Yougoslavie, encourageant ainsi les
tendances sécessionnistes. En décembre,
le parlement de la République croate,
contrôlé par le parti de Franjo Tudjman,
établit une nouvelle constitution en
base de laquelle la Croatie est « patrie
des Croates » (et non plus des Croates
et des Serbes, peuples constituants de
la république) et est souveraine sur son
territoire. Six mois plus tard, en juin
1991, outre la Croatie, c’est la
Slovénie qui proclame sa propre
indépendance. Immédiatement après,
éclatent des affrontements entre l’armée
fédérale et les indépendantistes. En
octobre, en Croatie, le gouvernement
Tudjman expulse plus de 25 mille Serbes
de la Slavonie, tandis que ses milices
occupent Vukovar. L’armée fédérale
répond, en bombardant et occupant la
ville. La guerre civile commence à
s’étendre, mais pourrait encore être
arrêtée.
La voie qui vient d’être prise est au contraire diamétralement opposée :
l’Allemagne, engagée à étendre son
influence économique et politique dans
la région des Balkans, en décembre 1991
reconnaît unilatéralement Croatie et
Slovénie comme états indépendants.
Conséquence : le jour suivant les Serbes
de Croatie proclament à leur tour
l’autodétermination, en constituant la
République serbe de la Krajina. En
janvier 1992 l’Europe des douze
reconnaît aussi, outre la Croatie, la
Slovénie. Dès lors s’enflamme aussi la
Bosnie-Herzégovine qui, à petite
échelle, représente la gamme complète
des noeuds ethniques et religieux de la
Fédération Yougoslave.
Les casques bleus de l’Onu, envoyés en Bosnie comme force
d’interposition entre les factions en
lutte, vont être volontairement laissés
en nombre insuffisant, sans moyens
adaptés et sans directives précises,
finissant par devenir otages au milieu
des combats. Tout concourt à démontrer
la « faillite de l’Onu » et la nécessité
que ce soit l’Otan qui prenne en main la
situation. En juillet 1992 l’Otan lance
la première opération de « réponse à la
crise », pour imposer l’embargo à la
Yougoslavie.
En février 1994, des avions Otan abattent des avions serbo-bosniaques qui
violent l’espace aérien interdit sur la
Bosnie. C’est la première action de
guerre depuis la fondation de
l’Alliance. Avec elle l’Otan viole
l’article 5 de sa propre charte
constitutive, puisque l’action guerrière
n’est pas motivée par l’attaque d’un
membre de l’Alliance et est effectuée en
dehors de son aire géographique.
LA GUERRE CONTRE LA YOUGOSLAVIE
L’incendie ayant été éteint en
Bosnie (où le feu couve sous la cendre
de la division en états ethniques), les
pompiers de l’Otan courent jeter de
l’essence sur le foyer du Kosovo, où
depuis des années est en cours une
revendication d’indépendance par la
majorité albanaise. A travers des canaux
souterrains en grande partie gérés par
la Cia, un fleuve d’armes et de
financements, entre fin 1998 et début
1999, va alimenter l’Uck (Armée de
libération du Kosovo), bras armé du
mouvement séparatiste kosovar-albanais.
Des agents de la Cia déclareront ensuite
être entrés au Kosovo en 1998 et 1999,
en habits d’observateurs de l’Osce
chargés de vérifier le
« cessez-le-feu », fournissant à l’Uck
des manuels étasuniens d’entraînement
militaire et des téléphones
satellitaires, afin que les commandants
de la guérilla puissent être en contact
avec l’Otan et Washington. L’Uck peut
ainsi déclencher une offensive contre
les troupes fédérales et les civils
serbes, avec des centaines d’attentats
et d’enlèvements.
Alors que les affrontements entre les forces yougoslaves et celles de
l’Uck provoquent des victimes des deux
côtés, une puissante campagne
politico-médiatique prépare l’opinion
publique internationale à l’intervention
de l’Otan, présentée comme unique façon
d’arrêter la « purification ethnique »
serbe au Kosovo. La cible prioritaire
est le président de la Yougoslavie,
Slobodan Milosevic, accusé de « crimes
contre l’humanité » pour les opérations
de « purification ethnique ».
La guerre, nommée «Opération force alliée », commence le 24
mars 1999. Pendant que les avions des
Etats-Unis et d’autres pays de l’Otan
larguent les premières bombes sur la
Serbie et le Kosovo, le président
démocrate Clinton annonce : « A la fin
du XXème siècle, après deux
guerres mondiales et une guerre froide,
nous et nos alliés avons la possibilité
de laisser à nos enfants une Europe
libre, pacifique et stable ». Dans la
guerre, le rôle de l’Italie va être
déterminant : le gouvernement D’Alema
met le territoire italien, en
particulier les aéroports, à disposition
totale des forces armées des Etats-Unis
et d’autres pays, pour opérer ce que le
président du Conseil définit comme « le
droit d’ingérence humanitaire ».
Pendant 78 jours, décollant surtout des bases italiennes, 1100 avions
effectuent 38 mille sorties, larguant 23
mille bombes et missiles. 75% des avions
et 90% des bombes et missiles sont
fournis par les Etats-Unis. Etasunien
aussi le réseau de communication,
commandement, contrôle et renseignement
à travers lesquels sont conduites les
opérations : « Sur 2000 objectifs
traités en Serbie par les avions de
l’Otan -documente ensuite le Pentagone-
1999 ont été choisis par le
renseignement étasunien et un seulement
par les Européens ».
Systématiquement, les bombardements démantèlent les structures et
infrastructures de la Serbie, provoquant
des victimes surtout parmi les civils.
Les dommages qui en dérivent pour la
santé et l’environnement sont
incalculables. De la raffinerie de
Pancevo, notamment, s’échappent, à cause
des bombardements, des milliers de
tonnes de substance chimiques hautement
toxiques (dont dioxine et mercure).
D’autres dégâts sont provoqués par
l’emploi massif par l’Otan, en Serbie et
Kosovo, de projectiles à uranium
appauvri, déjà utilisés dans la guerre
du Golfe.
Participent aussi aux bombardements 54 avions italiens, qui
accomplissent 1378 sorties, attaquant
les objectifs indiqués par le
commandement étasunien. « Par le nombre
d’avions nous n’avons été seconds que
par rapport aux USA. L’Italie est un
grand pays et on ne doit pas s’étonner
de l’engagement démontré dans cette
guerre », déclare le président du
Conseil D’Alema pendant sa visite le 10
juin 1999 à la base d’Amendola, en
soulignant que, pour les pilotes qui y
ont participé, cela a été «une grande
expérience humaine et professionnelle ».
Le 10 juin 1999, les troupes de la Fédération yougoslave commencent
à se retirer du Kosovo et l’Otan met fin
aux bombardements. La résolution 1244 du
Conseil de sécurité de l’Onu indique que
la présence internationale doit avoir
une « participation substantielle de
l’Otan » et être déployée « sous
contrôle et commandement unifiés ». A
qui revient le commandement ? Le
président Clinton l’explique en
soulignant que l’accord sur le Kosovo
prévoit « le déploiement d’une force
internationale de sécurité avec l’Otan
comme noyau, ce qui signifie une chaîne
de commandement unifiée de l’Otan ».
« Aujourd’hui l’Otan affronte sa
nouvelle mission : celle de gouverner »,
commente le Washington Post.
La guerre finie, les Etats-Unis envoient au Kosovo plus de 60
agents du FBI, mais on ne trouvera pas
de traces de massacres pouvant justifier
l’accusation, faite contre les Serbes,
d’ « épuration ethnique ». Slobodan
Milosevic, condamné à 40 années de
réclusion par la Cour Pénale
Internationale pour l’ex Yougoslavie,
meurt en prison après cinq années de
détention. La même cour le disculpe, en
2016, de l’accusation de « purification
ethnique ».
Le Kosovo, où les Etats-Unis installent une grande base
militaire (Camp Bondsteel), devient une
sorte de protectorat de l’Otan. En même
temps, sous la couverture de la « Force
de paix », l’ex Uck au pouvoir terrorise
et expulse plus de 250 mille Serbes,
Roms, Juifs et Albanais
« collaborationnistes ». En 2008, avec
l’autoproclamation du Kosovo comme Etat
indépendant, est accomplie la démolition
de la Fédération Yougoslave.
Episode 1
Episode 3
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