L'art de la guerre
La dépense militaire revient à la guerre
froide
Manlio Dinucci
Mardi 15 avril 2014
Tandis que la stratégie USA/OTAN, avec
la crise ukrainienne, provoque un
affrontement Ouest-Est qui ramène
l’Europe à une situation, par certains
aspects, analogue à celle de la guerre
froide, les données publiées hier par le
Sipri confirment que la dépense
militaire mondiale (calculée net
d’inflation pour la comparaison dans le
temps) est revenue aux niveaux de la
guerre froide : après avoir chuté entre
1991 et 1998, elle est remontée à un
niveau supérieur à celui de la dernière
période de l’affrontement Ouest-Est. Les
données, concernant 2013, montrent qu’on
dépense dans le monde, dans un objectif
militaire, 3,3 millions de dollars par
minute, 198 millions de dollars par
heure, quasiment 4,8 milliards de
dollars par jour. Ce qui équivaut à 1747
milliards de dollars en une année.
La dépense militaire mondiale est
en réalité encore plus élevée que celle
calculée par le Sipri quand il fait la
somme des budgets de la défense des
différents pays : il s’y ajoute en fait
diverses dépenses de caractère
militaire, incluses dans d’autres
chapitres des budgets d’Etats. Aux
Etats-Unis, la dépense pour les armes
nucléaires (23 milliards de dollars
annuels) est inscrite non pas au
Département de la défense,
mais à celui du Département de
l’Energie ; celle des militaires à la
retraite (environ 170 milliards
annuels), à celui du Département des
retraités ; les dépenses pour les aides
militaires et économiques à des alliés
stratégiquement importants (environ 50
milliards annuels) sont inscrites aux
budgets du Département d’Etat et de
quelques autres. Dans le budget fédéral
97 milliards annuels sont alloués pour
un « fonds unifié de
la Défense, du
Département d’Etat et de l’Usaid »
destiné aux opérations ultramarines (Overseas
contingency operations). 40 autres
milliards annuels sont dépensés pour la
« sécurité de la patrie ». Et il y
a enfin la dépense secrète des services
secrets, dont l’unique chiffre
« non-classifié » (1,6 milliards
annuels) n’est que la pointe de
l’iceberg. En ajoutant ceux-ci et les
autres postes de dépense au budget
officiel du Pentagone (640 milliards en
2013), la dépense militaire étasunienne
grimpe à quasiment 1000 milliards de
dollars annuels. Ce qui signifie
qu’environ un dollar sur quatre, dans le
budget fédéral, est dépensé dans un
objectif militaire.
Si l’on ne s’en tenait même qu’au
chiffre de 640 milliards de dollars
fourni par le Sipri, les Etats-Unis
restent nettement en tête dans le
classement des 15 pays ayant la plus
grosse dépense militaire du monde.
Suivent à distance, comme en 2012, la Chine et la Russie avec une dépense
estimée respectivement à 188 et 88
milliards de dollars en 2013. L’ordre
change par contre notablement dans la
partie restante du classement. L’Arabie
Saoudite passe, par rapport à 2012, du
septième au quatrième rang. Suivent la France, la Grande-Bretagne,
l’Allemagne (qui avance du neuvième au
septième rang), le Japon, l’Inde, la Corée du Sud, l’Italie (avec
une dépense estimée à 32,7 milliards de
dollars en 2013), le Brésil,
l’Australie,
la Turquie, les Emirats
Arabes Unis. Ces 15 pays totalisent 80%
de la dépense militaire mondiale.
Les données du Sipri mettent en
évidence de fortes augmentations dans
les budgets militaires de divers autres
pays, surtout ceux où les Etats-Unis
exercent leur influence. En Europe
orientale, le budget militaire de
l’Ukraine a grossi de 16% par rapport à
2012. En Afrique, le Ghana a augmenté en
une année son budget de 129%, l’Angola
de 36%, le Congo (Rép. dém.) de 34%. Au
Moyen-Orient, les budgets militaires en
Irak et au Bahreïn ont augmenté
d’environ 27%. En Asie, celui de
l’Afghanistan a grossi de 77% par
rapport à 2012, celui des Philippines de
17%. En Amérique du Sud, les budgets
militaires du Paraguay et du Honduras
ont augmenté en une année respectivement
de 33% et 22%.
La dépense militaire alimente une
nouvelle course aux armements qui,
conduite par les plus grandes puissances
occidentales, a un effet de traction à
l’échelle mondiale. Il ne s’agit pas que
des F-35, sur lesquels se concentre
aujourd’hui l’attention des médias, mais
de plusieurs autres systèmes d’arme tout
aussi coûteux mais peu connus. Il y a
six mois a été lancé aux Etats-Unis le
super porte-avions Gerald Ford
(premier d’une série), le navire de
guerre le plus coûteux jamais
construit : 14 milliards de dollars.
Grâce à de nouvelles catapultes, ses 75
avions (dont le coût doit être ajouté à
celui du navire) pourront effectuer 25%
d’attaques de plus que ceux actuellement
embarqués sur les actuels porte-avions
Nimitz. Et le 4 juillet prochain sera
lancé en Angleterre le super
porte-avions HMS Queen Elizabeth
de 65 000t. ( le triple de l’actuelle
classe Invincible), auquel fera suite
une unité jumelle, pour une dépense de
12 milliards de dollars, plus celle des
avions embarqués : les F-35, qui
pourront être amenés du hangar sur le
pont d’envol en 60 secondes. Ces
porte-avions, annonce
la Royal Navy,
pourront ainsi « depuis la mer projeter
la puissance aérienne à tout moment et
dans tous les endroits du monde où ce
sera nécessaire ».
L’empire frappe encore.
Edition de mardi 15 avril 2014 de
il manifesto
https://www.google.fr/url?q=http://ilmanifesto.it/spesa-militare-numeri-da-guerra-fredda
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Apostille de la traductrice :
Le lecteur curieux rapportera les
chiffres de la dépense 2013 de chacun
des 15 premiers pays du classement
établi par le Sipri (même sans les
corrections indiquées par l’auteur) à
leur nombre d’habitants ; pour comparer
par exemple la dépense militaire par
tête entre la Chine (1, 347 milliards d’habitants environ) et
l’Arabie Saoudite (presque 30 millions),
ou le Bahreïn (1,231 millions officiels,
après les massacres des manifestations
de leur « printemps » 2011).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_population
La logique voudrait qu’on compare
ensuite la dépense militaire par
habitant aux dépenses annoncées pour
l’éducation, la santé, bref tous les
postes entrant dans ce qu’on appelle
l’indice de développement humain. Y
compris celui des « dictatures » comme
Cuba et la Syrie, malgré les embargos qui y sévissent, par
les soins du premier de la classe,
depuis respectivement une cinquantaine
et plus d’une dizaine d’années.
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