Opinion
La sainte croisade d'Obama
Manlio Dinucci
Photo:
D.R.
Vendredi 12 septembre 2014
« Que Dieu bénisse nos soldats, que Dieu
bénisse les Etats-Unis d’Amérique » :
par ces mots (que nous invitons le pape
François à commenter) se conclut la
solennelle « Déclaration sur l’Isis »,
par laquelle le président Barak Obama,
en habit de « Commandant en chef »[1],
s’est adressé mercredi 10 septembre non
seulement à ses concitoyens mais au
monde entier. L’Amérique, explique le
Président, est « bénie » parce qu‘elle
assume les devoirs les plus lourds, à
commencer par la « responsabilité
d’exercer le leadership ». Dans « un
monde incertain » comme notre monde
actuel, « le leadership américain est
l’unique constante ». C’est en effet
l’Amérique qui a « la capacité et la
volonté de mobiliser le monde contre les
terroristes », c’est l’Amérique qui a
« battu le rappel du monde contre
l’agression russe », c’est l’Amérique
qui peut « contenir et anéantir
l’épidémie d’Ebola ». Par ces
accents, qui rappellent ceux d’un
prédicateur médiéval à l’époque de la Peste Noire (« l’agression
russe » mise sur le même plan que
l’épidémie d’Ebola), le Président lance
la nouvelle croisade contre l’ « Etat
islamique de l’Irak et de la Syrie », en prévenant qu’
« il faudra du temps pour éradiquer un
cancer comme celui de l’Isis ». Malgré
tout ce qu’a fait jusqu’ici l’Amérique
pour combattre le terrorisme,
souligne-t-il, « nous avons encore face
à nous une menace terroriste ». Ceci
parce que « nous ne pouvons pas effacer
du monde toute trace du mal ».
Avec cet avertissement, qui
rappelle les croisades du républicain
Reagan contre l’ « empire du mal »
(l’Urss) et du républicain Bush contre
l’ « ennemi obscur qui se cache dans les
recoins sombres de la Terre » (al Qaeda), le
démocrate Obama énonce « la stratégie
des Etats-Unis pour vaincre l’Isis »,
articulée en quatre points. 1) « une
campagne systématique d’attaques
aériennes contre l’Isis », en Syrie
comme en Irak. 2) « Appui accru aux
forces qui combattent l’Isis sur le
terrain » : avec la différence par
rapport à l’Irak et à l’Afghanistan que
les Etats-Unis n’enverront pas
officiellement des forces de terre, mais
des conseillers et des instructeurs (475
autres arriveront en Irak), en finançant
et en armant, avec une loi ad hoc
du Congrès, des forces irakiennes et
kurdes et, en Syrie, celles qui
combattent contre « le régime d’Assad
qui terrorise son peuple », et contre
« les extrémistes comme l’Isis ». 3)
« Tirer nos capacités considérables de
contre-terrorisme pour prévenir les
attaques de l’Isis » : ceci adviendra en
travaillant en contact étroit avec les
partenaires (y compris Israël qui s’est
déjà déclaré disponible à partager les
informations de ses propres services de
renseignements). 4) « Fournir une
assistance humanitaire aux civils
innocents chassés de chez eux par
l’Isis». Les Etats-Unis ont déjà
constitué « une ample coalition de
partenaires », qui fournissent des
« milliards de dollars d’aide
humanitaire, armes et soutien aux forces
de sécurité irakiennes et à l’opposition
syrienne ». Dans les prochains jours le
secrétaire d’Etat John Kerry se rendra
en visite au Moyen-Orient et en Europe
pour « recruter d’autres partenaires
dans la bataille ».
Ce que lance l’administration
Obama n’est pas une stratégie que le
président est obligé d’autoriser après
avoir sous-évalué la menace de l’Isis
(selon une vulgate répandue), mais une
stratégie construite pendant des années.
Comme il a déjà été amplement documenté,
les premiers noyaux du futur Isis se
forment quand, pour renverser Kadhafi en
Libye en 2011, l’Otan sous commandement
Usa finance et arme des groupes
islamiques qualifiés de terroristes peu
de temps auparavant. Après avoir
contribué à renverser Kadhafi, ils
passent en Syrie pour renverser Assad.
C’est là, en 2013, que naît l’Isis qui
reçoit des armes, des financements et
des voies de transit d’Arabie saoudite,
Qatar, Koweït, Turquie et Jordanie, dans
le cadre d’un plan coordonné par
la Cia. En
mai 2013, un mois après avoir fondé
l’Isis, Ibrahim al-Badri –le « calife »
aujourd’hui connu sous le nom de
bataille de Abu Bakr al-Baghdadi-
rencontre en Syrie le sénateur étasunien
John McCain, chargé par Obama de mener
des opérations secrètes pour le compte
du gouvernement (voir photo dans la
rubrique du 10 septembre[2]).
L’Isis lance ensuite l’offensive en
Irak, au moment où le gouvernement al-Maliki
est en train de prendre ses distances de
Washington, et de se rapprocher de
la Chine
et de
la Russie.
L’objectif réel de la stratégie
lancée par Obama est la démolition de la Syrie et la réoccupation de
l’Irak. En outre, en engageant les
alliés européens (dont l’Italie) sur le
nouveau front moyen-oriental et en même
temps sur celui oriental contre la Russie, les Etats-Unis
renforcent leur influence sur l’Union
européenne, qu’ils ne veulent unie que
si elle reste sous leadership étasunien.
Article édité vendredi 12 septembre 2014
par
il manifesto sous le titre :
Sabbie mobili per Obama
(Sables mouvants pour Obama).
http://ilmanifesto.info/sabbie-mobili-per-obama/
A la demande de l’auteur, le titre
original est maintenu pour la version
française.
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Quelques éléments de vocabulaire (NdT) :
On aura remarqué depuis quelques
semaines, les variations de nom, d’un
pays à l’autre voire d’un média à un
autre dans le même pays, pour désigner
les terroristes que nous allons
(maintenant) combattre : EIIL pour
certains, ISIS ou EI (Emirat islamique),
pour d’autres.
ISIS : Etat Islamique de l’Irak et de
la Syrie,
en arabe
الدولة
الإسلامية
في
العراق
والشام,
al-Dawla al-Islāmiyya fī al-Irāq wa al-Shām,
acronyme Daech en arabe ;
Islamic State of Iraq and Syria,
en anglais.
Parfois traduit par Etat islamique de
l’Irak et de la Grande Syrie ; officiellement seulement Etat
Islamique (EI), souvent abrégé par
l’acronyme Etat Islamique de l’Irak et
du Levant (EIIL).
ISIS, au début traduit dans la version
« du Levant », aujourd’hui « de la Syrie « , est la version
choisie par Obama pour pouvoir bombarder
en Syrie non seulement l’ISIS mais
surtout les forces gouvernementales.
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