L'art de la guerre
Ttip, l'« Otan économique »
Manlio Dinucci

Mardi 3 mai 2016
Des
citoyens, offices locaux, parlements,
gouvernements, Etats entiers sont privés
d’autorité sur leurs choix économiques,
mis dans les mains d’organismes
contrôlés par des multinationales et
groupes financiers qui violent les
droits des travailleurs, la tutelle de
l’environnement et la sécurité
alimentaire, en démolissant les services
publics et les biens communs : pour ces
raisons, exprimées par la Campagne Stop
Ttip, promotrice de la manifestation du
7 mai à Rome, il faut rejeter le
« Partenariat transatlantique sur le
commerce et les investissements » (Ttip),
négocié en secret entre les Etats-Unis
et l’Union européenne.
A ces raisons s’en ajoutent d’autres, dont on ne dit quasiment rien
: celles de caractère géopolitique et
géostratégique, qui révèlent un projet
beaucoup plus ample et menaçant.
L’ambassadeur des USA auprès de l’Ue,
Anthony Gardner, insiste : « il y a
d’essentielles raisons géostratégiques
pour conclure l’accord ».
Ce que sont ces raisons est indiqué par
le US National Intelligence Council :
celui-ci prévoit qu’« à la suite du
déclin de l’Occident et de l’ascension
de l’Asie, d’ici 2030 les Etats en voie
de développement auront dépassé les
Etats développés ». Pour cela, Hillary
Clinton définit le partenariat USA/Ue
comme « un objectif stratégique majeur
de notre alliance transatlantique », en
projetant une « Otan économique » qui
intègre l’Otan politique et militaire.
Le projet de Washington est clair :
porter l’Otan à un niveau supérieur, en
créant un bloc politique, économique et
militaire USA-Ue, toujours sous
commandement étasunien, qui -avec
Israël, des monarchies du Golfe et
autres- s’oppose à l’aire eurasiatique
en ascension, fondée sur la coopération
entre Russie et Chine, ainsi qu’aux
Brics, à l’Iran et à tout autre pays qui
se soustraie à la domination de
l’Occident.
Le premier pas pour réaliser ce projet a été de créer une fracture
entre Union européenne et Russie. En
juillet 2013 s’ouvrent à Washington les
négociations pour le Ttip, qui ont du
mal à avancer à cause d’intérêts
contrastants entre les USA et les plus
grandes puissances européennes,
auxquelles la Russie offre des accords
commerciaux avantageux. Six mois plus
tard, en janvier-février 2014, le putsch
de Place Maïdan sous régie USA/Otan
amorce la réaction en chaîne (attaques
contre les Russes d’Ukraine, détachement
de la Crimée et son adhésion à la
Russie, sanctions et contre-sanctions),
recréant en Europe un climat de guerre
froide.
En même temps, les pays de l’Ue se trouvent soumis à la pression de flux
migratoires provoqués par les guerres
USA/Otan (Libye, Syrie), auxquelles ils
ont participé, et par des attaques
terroristes signés par l’Etat islamique
(créature de ces mêmes guerres).
Dans cette Europe divisée par des « murs
de contention » des flux migratoires,
dans laquelle on répand la psychose par
l’état de siège, les USA lancent la plus
grande opération militaire depuis la fin
de la guerre froide, en déployant au
bord de la Russie des
chasseurs-bombardiers et navires de
guerre à capacité nucléaire.
L’Otan sous commandement étasunien, dont font partie 22 des 28 pays de l’Ue,
intensifie les exercices militaires
(plus de 300 en 2015) sur le front
oriental surtout. Tout cela favorise le
projet de Washington de créer un bloc
politique, économique et militaire USA-Ue.
Projet qui recueille le consensus
inconditionnel de l’Italie, outre celui
des pays de l’Est plus liés aux USA qu’à
l’Ue.
Les plus grandes puissances, notamment
France et Allemagne, sont encore en
train de négocier. Mais en attendant
elles s’intègrent de plus en plus dans
l’Otan. Le Parlement français a adopté
le 7 avril un Protocole qui autorise
l’installation sur son territoire de
commandements et base Otan, installation
que la France avait refusée en 1966.
L’Allemagne -rapporte Der Spiegel-
est disposée à envoyer des troupes en
Lituanie pour renforcer le déploiement
Otan dans les pays baltes adossés à la
Russie.
L’Allemagne -toujours selon Der
Spiegel- se prépare à installer une
base aérienne en Turquie, où opèrent
déjà des Tornado allemands
officiellement en fonction anti-Ei,
renforçant le déploiement Otan dans
cette zone de première importance
stratégique.
L’intégration croissante de la France et
de l’Allemagne dans l’Otan, sous
commandement étasunien, indique que sur
les divergences d’intérêts (en
particulier sur les coûteuses sanctions
économiques contre la Russie) sont en
train de prévaloir les « raisons
géostratégiques » du Ttip.
Edition de mardi 3mai 2016 de il
manifesto
http://ilmanifesto.info/ttip-la-nato-economica/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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