Opinion
Sénégal : le lobby des « serignes »
Malao Kanté
Malao
Kanté
Lundi 10 février 2014
A bien des égards les marabouts jouent
un rôle prépondérant dans la société
sénégalaise. Il se trouve que depuis
quelques temps, le statut de « serigne »
est presque banalisé par tout le monde.
Cela est dû au fait que n’importe qui
s’autorise à se proclamer guide
religieux. Il suffit de naître dans une
famille maraboutique ou d’en être proche
pour avoir des disciples (talibés). Le
peuple ne s’intéresse plus à savoir qui
sait quoi ou qui fait quoi. Il se
focalise sur des noms de familles pour
dire que celui-là est authentique et que
tel autre ne l’est pas. Or, ceci
s’inscrit à l’encontre de la tradition
islamique. Souvenons-nous quand abou
bakr (un des « Rachidun ») demandait aux
gens de le suivre tant qu’il respecte
les préceptes divins et de le délaisser
le jour où il s’en écarte. Au Sénégal,
être marabout correspond au fait
d’appartenir à une famille
« maraboutique ». Aucune loi religieuse
n’admet une telle hypothèse. Au
contraire, la tradition nous donne même
des leçons à ce niveau. Le prophète
Mohamed disait à sa fille Fatima qu’il
ne pouvait rien faire pour elle si cette
dernière ne respectait pas les
enseignements. La preuve en est que Abou
talib, abou Lahab, Abou Jahl tous des
oncles du prophète sont en enfer comme
cela a été rapporté. Dans les écritures
bibliques comme dans la tradition
coranique, on rapporte aussi que la
femme de Loth, celle de Noé et son fils,
le fils d’Adam, le père d’Abraham
résident dans la géhenne. Alors au nom
de quoi, un fils de marabout s’autorise
t-il à se proclamer marabout ?
S’il existe une démocratie dans l’islam,
c’est que tout le monde né au même pied
d’égalité devant Dieu. Le meilleur,
c’est le plus pieux ni plus ni moins.
Nul ne peut justifier, à travers des
versets, qu’être apparenté à un saint
suffit pour se sauver soi-même ou sauver
(un autre). Mais la raison d’un tel
délire est à trouver dans l’histoire
profonde du pays. Comme la plupart des
africains, les sénégalais aussi ont
évolué dans une société hiérarchisée où
les rois étaient considérés comme des
seigneurs. D’ailleurs, il suffit de se
rendre dans les milieux animistes pour
se rendre compte de ce phénomène. A la
suite de la destitution des rois par les
colonisateurs, les marabouts ont
remplacé sur le plan symbolique ces
derniers. Le peuple avait besoin de
parrain, de guide, de repère. Dans la
tradition royale, le fils remplaçait son
père ainsi de suite… Et quand la classe
des marabouts s’imposa (de manière
pacifique, il faut le rappeler aussi),
le peuple y a vu une certaine
incarnation de la classe féodale. Ainsi,
les marabouts ne sont pas seulement des
guides religieux, ils rappellent aussi
l’ordre social déjà établi. Cette
nostalgie basée sur le « sang pur»
(j’allais dire sur la race) explique de
fond en comble la réalité. Avant, on
faisait allégeance au Roi, aujourd’hui,
on fait allégeance au « Serigne ». Sur
le fond, le rituel est resté le même.
Chacun fait tout pour prouver que son « serigne »
est du « bon sang ». Ils oublient que
Moise était un descendant d’esclave et
que c’est pour cela que Pharaon ne l’a
pas écouté comme le martèle le coran S.
23 V.46-47 (Joseph était captif, David
un forgeron, Luqman un esclave noir) et
que Mohamed est fils de Agar la servante
de Sarah.
L’histoire de Fouta Toro suffit à elle
seule à justifier ce constat.
Souvenons-nous encore une fois quand les
« Almami » (les imams) ont pris le
pouvoir au Fouta vers 1776, ils ont
imposé un nouvel ordre social basé sur
la piété. Dans le testament d’Abdel
Kader Kane et de Thierno Souleymane
Baal, il est clairement inscrit que le
pouvoir ne s’hérite pas
et
que celui qui dirige doit être le plus
savant. Ils ont allé plus loin en créant
le concept de « torodo » qui, dans son
sens vulgaire, veut dire mendiant (mais
dans le sens figuré signifie celui qui
maîtrise le coran). Ces vaillants
protestants à savoir Baal et Kane
voulaient complètement éradiquer
l’ancien ordre social basé sur
l’ignorance
animiste et l’arrogance
pathologique des dynasties « Déniyankobés »
(ou Soninkés, Mandingues qui dirigèrent
le Fouta avant ces derniers).
Malheureusement, après leur mort, il y’a
eu une récupération vicieuse du concept.
Aujourd’hui, « Torodo » ne signifie plus
celui qui maîtrise le coran mais celui
qui descend de telle ou telle famille,
une histoire inventée de toute pièce. De
la même manière, la plupart des familles
religieuses sénégalaises cherchent leurs
origines chez les arabes comme si être
d’origine noire est une honte en soi.
Tout le monde se dit « cherif ». Le
professeur Aboubakri Moussa Lam a fait
un travail excellent dans ce domaine.
Malheureusement, nous ne pouvons pas
revenir de manière scientifique sur
cette question ici.
Ce qui est clair, c’est que les noirs
donnent toutes les raisons aux autres de
les mépriser. En Occident, le racisme
est scandaleux ; mais en Afrique, les
noirs eux-mêmes ne se respectent pas.
L’ethnocentrisme et les génocides sont
des bassesses qui n’existent encore
qu’en Afrique noire. Il est clair que
tout cela est causé par l’esprit
tribal : le concept de « Nation » pose
encore problème dans la mentalité
africaine. Bref, toutes les grandes
civilisations ont cherché à trouver leur
gloire dans leur propre histoire, mais
en Afrique noire, on cherche l’origine
d’un homme digne ailleurs. C’est
pourquoi, récemment, l’ambassadeur
d’Iran au Sénégal, pour plaire à la
communauté mouride, disait que le père
fondateur avait des racines en Arabie,
sous entendant par là qu’une origine
exclusivement nègre ne valorise pas un
homme comme Cheich Ahmadou Bamba.
Malao Kante
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