Palestine
J’ai peur pour les enfants de Gaza
Majeb Abusalama
13 juillet 2014 - Des enfants
palestiniens se dirigent vers une école
de l'UNRWA pour fuir
les bombardements
israéliens et chercher refuge après
avoir évacué leurs maisons
près dans la
ville de Gaza - Photo : Nations Unies/Shareef
Sarhan
Dimanche 24 novembre 2019
Majed Abusalama –
Vivre à Gaza
est un véritable cauchemar pour les
enfants. Ils manquent de nourriture,
l’eau toxique les rend malades, et ils
sont terrorisés par les bombes qui
tombent sans arrêt.
Ces derniers jours,
alors qu’Israël intensifiait son
opération militaire à Gaza, je n’ai pas
cessé de penser à Ela’a, ma nièce d’un
an qui vit avec d’autres membres de ma
famille dans un camp de réfugiés là-bas.
Bien qu’elle soit
toute petite, elle a déjà appris à se
cacher derrière une chaise ou sous une
table chaque fois qu’elle entend les
explosions d’un raid aérien israélien.
Comme les autres
enfants de Gaza, elle commence sa vie à
un moment et à un endroit où Israël
commet régulièrement des
crimes de guerre en toute impunité.
A la fin de cette
attaque militaire contre Gaza, le
gouvernement israélien a déclaré
triomphalement qu’il avait mené des
« frappes chirurgicales » à Gaza et
avait tué des « terroristes ». Les
dirigeants israéliens ont invoqué, une
fois de plus, le « droit de se
défendre » de l’État sioniste, et le
monde entier a opiné.
Mais examinons de
plus près les actions d’Israël.
L’assassinat du
commandant du Djihad islamique Bahaa Abu
al-Ata et de son épouse, Asmaa, a été
suivi du bombardement de plusieurs
autres zones de la bande de Gaza. En
d’autres termes, l’ « assassinat »
d’Abou al-Ata et d’Asmaa, comme nous
l’appelons en Palestine, n’était que le
début. Vendredi matin, les « frappes
chirurgicales » israéliennes ont tué au
total 34 Palestiniens : près de la
moitié sont des civils dont huit enfants
et trois femmes.
Il n’y a
certainement rien de « chirurgical »
dans les attentats à la bombe qui tuent
non seulement les militants accusés –
sans juge, sans jury et sans procès –
mais aussi leurs femmes, leurs enfants
et divers témoins. Un chirurgien ne tue
pas en masse, un criminel de guerre le
fait.
Malgré tout, la
soi-disant « communauté internationale »
a une fois de plus refusé de condamner
ce qui était en réalité une série
d’exécutions extrajudiciaires et le
largage aveugle de bombes meurtrières
dans des zones civiles à forte densité
de population.
Avi Berkowitz, un
jeune assistant du président américain
Donald Trump, qui est aussi le dernier
dirigeant de l’ « Équipe pour la paix et
la stabilité du Moyen-Orient » a
twitté : « Les États-Unis
soutiennent pleinement notre partenaire
et allié Israël dans sa lutte contre le
terrorisme et contre le groupe
terroriste Djihad islamique
palestinien. »
L’Union européenne,
quant à elle, a
concentré son indignation sur les
roquettes tirées depuis la bande de Gaza
sur Israël en réponse à l’assassinat
d’Abou al-Ata, et est restée silencieuse
sur le meurtre de civils palestiniens.
« Ce matin, Israël
a mené une opération à l’intérieur de
Gaza visant un haut dirigeant du Djihad
islamique palestinien. En réponse, des
roquettes ont été tirées depuis Gaza sur
le sud et le centre d’Israël », a
déclaré un communiqué du service
diplomatique de l’UE. « Les tirs de
roquettes sur les populations civiles
sont totalement inacceptables et doivent
cesser immédiatement. »
J’aimerais pouvoir
dire que j’ai trouvé ces réactions
choquantes. Mais nous, les habitants de
Gaza, sommes habitués au silence
international sur les attaques brutales
d’Israël contre nous. Depuis 20 ans,
même les déclarations les plus
empathiques en provenance de l’Europe
se sont bornées à mentionner son
inquiétude face aux soi-disant
« escalades » et ont fait l’impasse sur
les punitions collectives, la répression
et la violence exercée pour museler les
Palestiniens.
En gardant le
silence sur les injustices que les
colons israéliens font subir aux
Palestiniens, les gouvernements
« postcoloniaux » du monde entier ont
montré qu’ils n’avaient rien appris de
l’Histoire.
J’ai grandi dans le
camp de réfugiés de Jabalia, à Gaza.
J’étais un enfant réfugié apatride,
vivant avec mes parents, mes quatre
oncles, leurs femmes et leurs enfants,
et leurs grands-parents dans cinq pièces
au total.
J’ai vécu la
première intifada. J’ai vécu la terreur
constante des descentes des soldats chez
nous pour arrêter mon père et mes oncles
à cause de leurs activités politiques.
J’ai assisté à une fusillade à la
maternelle. J’ai survécu à une fusillade
à l’école primaire. J’ai survécu au
bombardement de mon école primaire avec
des
munitions au phosphore blanc
illégales. Puis j’ai fait l’expérience
de la brutalité de la riposte d’Israël à
la seconde Intifada. En devenant
adolescent, puis adulte, j’ai subi
d’innombrables autres agressions,
invasions et
massacres.
Puis je suis devenu
journaliste, travailleur humanitaire et
défenseur des droits de l’homme.
Je l’ai fait parce
que je voulais aider mon peuple et
documenter les horribles crimes de
guerre d’Israël pour que le monde entier
puisse les voir. En janvier 2014, alors
que j’organisais des manifestations près
de la zone tampon à l’est de Gaza avec
d’autres groupes de jeunes, j’ai reçu
une balle réelle dans la jambe. Au
moment de l’attaque, nous plantions des
citronniers et des oliviers. J’ai
toujours insisté pour que la résistance
populaire à Gaza soit pacifique.
Malheureusement, Israël permet rarement
que la situation reste « pacifique »
dans la bande de Gaza, comme nous le
constatons toutes les semaines depuis le
début de la
Grande Marche du Retour en mars
2018.
J’ai eu la chance
de survivre et de pouvoir quitter Gaza
dans les mois qui ont suivi. J’étais
traumatisé, mais je n’ai pas eu le temps
d’approfondir mes émotions. L’opération
Protective Edge a été lancée et mon
peuple et ma famille ont de nouveau été
attaqués. J’ai dû couvrir la guerre,
écrire des articles et organiser des
campagnes d’information sans cesse une
seule seconde de m’inquiéter pour ma
famille. Je me suis lancé dans une
tournée de conférences à travers
l’Europe, pour décrire le sort des
habitants de Gaza du mieux que je
pouvais. Peu après, j’ai fait en
Norvège, une maîtrise (MPhil) portant
sur la paix et la transformation des
conflits. Je suis maintenant installé à
Berlin.
Désormais, je suis
en sécurité en Europe, mais des milliers
d’enfants, comme ma nièce Ela’a,
essaient de survivre dans les conditions
atroces que j’ai connues à Gaza. Je
crains qu’Ela’a n’ait une enfance aussi
horrible sinon pire que moi. Si les
choses ne changent pas rapidement, elle
va passer la majeure partie de son
enfance à essayer d’échapper aux bombes
israéliennes en se cachant derrière des
chaises et sous des tables. Et même en
temps de « paix », il lui faudra
supporter des conditions de vie
épouvantables dans un lieu qualifié
d' »inhabitable » par les Nations Unies.
L’eau à Gaza est
maintenant imbuvable. Contaminée et
rare, en raison du siège brutal d’Israël
et des bombardements d’infrastructures,
elle cause des morts et des maladies.
Les Gazaouis n’ont
droit qu’à six à huit heures d’électricité
par jour la plupart du temps, et en sont
parfois privés 24 heures d’affilé.
L’insécurité
alimentaire a atteint des sommets
dans la bande de Gaza. Les agriculteurs
ne sont pas autorisés à cultiver de la
nourriture sur les terres situées à
l’intérieur ou à proximité de la zone
dite « tampon »
le long de la clôture que les Israéliens
ont établie pour des raisons de
« sécurité ».
Environ 30 % des
terres agricoles de Gaza ne peuvent être
exploitées sans risquer la mort, ce qui
réduit considérablement les moyens de
subsistance de l’enclave, selon le PCHR.
Les
pêcheurs ne peuvent pas non plus
lancer leurs filets librement, car le
blocus maritime israélien ne leur permet
pas d’utiliser pleinement les eaux
territoriales de Gaza. La maison de ma
famille à Gaza est à 1,5 km de la mer et
nous entendons régulièrement des navires
de guerre israéliens tirer sur des
pêcheurs palestiniens.
Les ruines dominent
le paysage de Gaza. Le siège israélien
empêche les matériaux de construction
d’entrer dans l’enclave, ce qui fait que
les bâtiments endommagés et détruits ne
sont pas reconstruits après les
agressions israéliennes.
Le blocus empêche
non seulement les marchandises d’entrer
dans la bande, mais aussi les gens de
sortir de cette prison à ciel ouvert.
Les hôpitaux manquent de médicaments et
d’équipement mais les patients doivent
attendre les autorisations des autorités
israéliennes pour aller se faire soigner
ailleurs ; beaucoup sont morts en
attendant.
Les étudiants qui
veulent étudier à l’étranger ou explorer
le monde ne peuvent pas non plus le
faire. J’ai eu beaucoup de chance. En
2013/2014, le poste frontière de Rafah
n’était ouvert que trois jours tous les
quatre mois et même à cette époque, il
n’était pas facile d’obtenir les
documents nécessaires pour pouvoir
partir. Après plus d’un an d’efforts, de
lutte et d’attente, j’ai réussi à
sortir. Beaucoup d’autres n’ont pas eu
la même chance.
Alors, qu’est-ce
que l’avenir réserve à ma nièce – et aux
autres enfants de Gaza ? Boire de l’eau
empoisonnée, manger de la nourriture non
comestible, fuir les bombes, et prier
pour obtenir un jour de ses bourreaux le
morceau de papier qui lui permettra de
quitter la prison dans laquelle elle est
née ? Devenir une statistique de plus
dans un rapport de l’ONU expliquant pour
la énième fois au monde en quoi consiste
une
catastrophe humanitaire à Gaza et à
quel point le siège et les massacres
réguliers d’Israël, qui durent depuis
une décennie, sont criminels ?
Et pourtant, la
communauté internationale continue
d’agir comme si la population de Gaza
était responsable de ses propres
souffrances. Comme si les 365 kilomètres
carrés de terre sur lesquels les
habitants de Gaza essaient de survivre
étaient un vrai pays, avec une armée,
une marine, un dôme en fer, des avions
de guerre, des abris, les dernières
technologies militaires financées par
les États-Unis et les pays européens.
Comme si les deux millions de personnes
entassées dans cette bande se battaient
à armes égales avec les Israéliens, et
n’étaient pas de pauvres réfugiés
occupés, violés et dépossédés depuis des
décennies.
Abou al-Ata était
un « terroriste » parce qu’il a pris les
armes contre l’oppresseur de son peuple,
il a donc été « chirurgicalement »
éliminé (sa famille étant des « dommages
collatéraux ») sans autre forme de
procès. Tout cela est OK, selon la
communauté internationale.
Les Palestiniens
sans armes « menacent » la sécurité
israélienne en
manifestant le long de la clôture
israélienne, et donc 213 ont été tués,
dont 46 enfants, deux femmes, neuf
personnes handicapées, quatre
ambulanciers et deux journalistes,
tandis que 14 115 autres ont été
blessés, et ça aussi c’est tout à fait
OK.
Deux millions de
Palestiniens vivant à Gaza représentent
une menace démographique majeure pour
Israël, de sorte qu’ils sont maintenus
dans des conditions infra-humaines et
bombardés occasionnellement – et
c’est OK aussi.
Pour cette
soi-disant communauté internationale,
tous les crimes commis contre les
Palestiniens semblent parfaitement
excusables.
C’est dans ce
monde, sous les yeux attentifs de cette
« communauté internationale », que
grandira ma petite nièce Ela’a, une
petite palestinienne de Gaza. Un jour,
nous remercierons les êtres humains qui
ont compris notre lutte et l’ont
soutenue, et nous demanderons des
comptes à ceux qui ont choisi d’être
complices, par leur silence, des crimes
de guerre d’Israël.
* Majed
Abusalama est un journaliste,
universitaire, et défenseur des droits
de l’homme. Il a grandi dans le camp de
réfugiés de Jabalia à Gaza et il vit
aujourd’hui à Berlin. Ses articles et
commentaires politiques ont été publiés
dans Middle East Eye, Mondoweiss,
Deutsche Welle, Babelmed, entre autres
médias.
15 novembre 2019
–
Al Jazeera – Traduction :
Chronique de Palestine – Dominique
Muselet
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