Politique
Macron s'effondre, et emporte les
médias avec lui
Mačko Dràgàn
Samedi 17 novembre 2018
Il règne une atmosphère de fin de règne
en Macronie. Pourquoi cependant ne donne
pas-t-elle pas lieu, dans les médias
grand public, à un «Macron Bashing»
semblable à celui subi par Hollande lors
de son mandat ? Peut-être parce qu'il
est la dernière chance, le dernier tour
de piste, d'un système à bout de
souffle, et qui refuse de mourir...
C’est désormais
officiel : Macron est dans les choux. Il
serait laborieux de dresser l’inventaire
exhaustif des symptôme de
l’effondrement, car, de l’affaire
Benalla jusqu’à la polémique sur Pétain
en passant par la démission de Hulot et
Collomb, la fronde contre la hausse du
diesel et j’en passe, sur fond de
résultats économiques décevants, voire
catastrophiques, il est évident que plus
rien ne va en Macronie. Notre monarque
se retrouve à poil en tonneau à
bretelle, seul au milieu des ruines.
Ceci est évident,
mais pas pour tout le monde. Car il est
un petit milieu qui continue à défendre
le président envers et contre tout,
quand même ses plus proches soutiens
prennent leur distance et, en off,
démontent l’ex roi-soleil, devenu
crépusculaire : et ce milieu, c’est
celui des médias (ou, pour le dire plus
précisément, et pour ne pas jeter le
bébé avec l’eau du bain, celui des
éditorialistes).
Il a suffit que la
Méluche (quoiqu'on pense du personnage)
se fasse tout rouge et hausse le ton le
temps d’une vidéo devenue virale pour
que le tempo d’une semaine de matraquage
intensif soit lancé, sans que ne soient
posés (y compris du côté de Mediapart,
ce qui fut pour moi une déception) les
questionnements cruciaux que pourtant
cette affaire imposait. L’un des rares à
avoir soulevé les lièvres les plus
intéressants, à ce sujet, fut Daniel
Schneidermann, dans ses chroniques
matinales, que je me permets de citer
avant de passer à autre chose : « De
toute l'histoire des perquisitions dans
des scandales de recettes ou de dépenses
de campagnes électorales, c'est la
première fois, assurent les Insoumis (et
il me semble bien qu'ils ont raison)
qu'un domicile personnel est
perquisitionné. Pourquoi ? Que cherchait
le parquet, hiérarchiquement soumis au
gouvernement, qui dirige l'enquête ? […]
A l'article de Mediapart, il ne manque
qu'une chose : la description du piège
dans lequel ils se sont eux-mêmes
retrouvés. Et, éventuellement, sa
dénonciation » ; « La double
casquette de Sophia Chikirou,
responsable de la campagne et
prestataire, rendait cette campagne,
d'emblée, légitimement soupçonnable
(même s'il semble, d'après notre enquête
auprès de professionnels, que cette
campagne n'a nullement été surfacturée).
Mais le très professionnel procureur de
Paris, avec son bandeau d'aveugle sur
les yeux, est, dans le système français
de nomination, tout aussi légitimement
soupçonnable ».
Mais inutile de
revenir plus encore sur cette affaire.
Que la presse et les télévisions grand
public n’aiment pas tout ce qui
ressemble de près ou de loin à de la
gauche n’est plus une surprise. Ce qui
stupéfie l’observateur même le mieux
disposé, c’est la passion sans bornes
qui continue, en pleine tourmente,
d’unir nos éditorialistes à un président
qui s’abîme pourtant dans un gouffre
d’impopularité, massivement (il suffit
de vivre dans le monde réel pour s’en
rendre compte) rejeté par la société
civile, et dont l’absence totale de
compétence en terme de gestion de l’État
est désormais plus que criante.
En son temps,
Pépère (Hollande) était rapidement
devenu la risée de la quasi-intégralité
des médias nationaux, qui le
descendaient à coup de "unes" ravageuses
avec un degré de mauvaise foi qui
frôlait parfois les plus hautes cimes du
ridicule –ce qui, à la longue, avait
fini par me le rendre (presque)
sympathique, malgré le caractère
profondément détestable de sa politique.
Pas Macron. Les
médias mainstream, semble-t-il, le
défendront jusqu’à leur dernier souffle,
avec les dents s’il le faut. L’affaire
Benalla ? Une dérive individuelle. La
démission de Hulot ? Le pétage de plomb
d’un homme sensible. Les improbables
péripéties qui ont entouré le départ de
Collomb ? C’est le vieux malappris qui
est coupable de haute trahison, pas le
président. La bêtise crasse de bon
nombre de députés LREM ? R.A.S. Le
pathétique remaniement ministériel, sans
cesse ajourné en raison de manque
d’effectif pour intégrer un gouvernement
dont plus personne ne veut ? Un nouveau
souffle, s’exclament-t-ils tous ébahis.
La polémique sur Pétain ? Une fatigue
passagère –qui n’a jamais vanté Vichy un
soir de coup de mou ? Les sorties
ineptes du président sur les chômeurs,
et les français en général ? Le recul
sur les lois environnementales ? Les
prévisions économiques à la baisse ? Les
mesures antisociales ? Les échecs
diplomatiques ? Circulez, il n’y a rien
à voir et tout va bien.
Ceci est proprement
hallucinant.
Voir à ce point ce
qu’il est impossible de désigner
autrement que comme les représentants du
système médiatique faire corps autour du
leader qu’ils se sont choisi, au
détriment de toute déontologie, sans
même prendre la peine de mettre un
vernis de neutralité sur le fanatisme
idéologique néolibéral qui les anime a
au moins un intérêt : mettre à nu les
rouages éculés de la pensée dominante.
Avec Hollande, les
tenants de la pensée hégémonique
pouvaient encore espérer plus à droite,
plus libéral. Ils se sont comportés avec
lui comme avec un domestique maladroit
dont on attend la fin du contrat intérim
pour le congédier. Avec Macron, la chose
est différente : d’une certaine façon,
alors que tout craque, que tout
s’effondre, que le système est à nu, il
est la dernière chance. Il va donc
falloir le défendre jusqu’au bout,
contre tout, même –et surtout- contre
l’évidence. Parce qu’il n’est pas sûr
qu’il sera possible, très bientôt, de
remettre une pièce dans la machine.
Frédéric Lordon l’avait bien vu, à
l’époque, lors de la campagne du jeune
prodige attalien :
« Les riches
veulent rester riches et les puissants
puissants. C’est le seul projet de cette
classe, et c’est la seule raison d’être
de son Macron. En ce sens, il est le
spasme d’un système qui repousse son
trépas, sa dernière solution, l’unique
moyen de déguiser une continuité devenue
intolérable au reste de la société sous
les apparences de la discontinuité la
plus factice, enrobée de modernité
compétitive à l’usage des éditorialistes
demeurés. De là ce paradoxe, qui n’en
est un que pour cette dernière
catégorie : Macron, auto-proclamé « anti-système »
est le point de ralliement où se
précipitent, indifférenciés, tous les
rebuts du système, tous les disqualifiés
qui se voyaient sur le point d’être
lessivés et n’en reviennent pas d’une
telle faveur de la providence : la
possibilité d’un tour supplémentaire de
manège ».
Et ce tour sera
peut-être le dernier.
Il y a de cela
quelques jours, j’ai entendu Léa Salamé
manquer de s’étouffer d’indignation
chaque fois que son invité de ce
jour-là, le jeune et par ailleurs plutôt
sympathique Quatennens, utilisait
l’expression « les médias ». « Encore
les médias ! Encore à critiquer les
médias ! », s’exclamait-elle, comme si
cela n’existait pas, comme si « les
médias » n’était que le délire d’une
bande d’illuminés dans laquelle les
gauchistes crapotent aux côtés des
soraliens et des complotistes.
« Les médias »
existent. Nous ne parlons évidemment pas
de la horde de pigistes précaires qui
constituent le gros des rédactions, et
qui, invisibles, n’ont pas voix au
chapitre. Nous ne parlons pas non plus
des quelques enclaves (notamment chez
les humoristes de France Inter et dans
la presse indépendante) où règne encore
une totale liberté de ton. Mais les
faiseurs d’opinion, ceux qui ont porté
Macron au pouvoir après avoir lâché
Juppé, sont une douloureuse réalité de
notre société qui se voudrait pluraliste
et démocratique. Il serait temps, en ces
heures ce dévoilement et de dévoiement,
de ne plus nier cet état de fait.
Et il serait temps,
surtout, de leur part, de songer à un
mea culpa.
Parce que le jour
où le discrédit de médias trop
visiblement aux ordres sera total et
définitif, il ne faudra pas s’étonner si
les citoyens s’en vont biberonner des
sources plus fangeuses encore que celles
de BFMTV.
J’en appelle donc à
nos éditorialistes : sortez du manège,
lâchez Macron ! Sinon, tel le joueur de
flûte de Hamelin, il vous entraînera
avec lui, droit dans le mur. Et
personne, je le crains, ne sera gagnant
dans ce désastre.
Quelque chose se
prépare. Avec ou sans vous.
Salut & fraternité,
M.D.
P.S. : je ne
résiste pas à la tentation, tardive, de
mentionner cet article affligeant pondu
par les "décodeurs" du Monde ; ou quand
la propagande prend les traits du fact-checking
:
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/10/17/non-la-perquisition-subie-par-jean-luc-melenchon-et-la-france-insoumise-n-est-pas-politique_5370832_4355770.html
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