LUC
MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILY
La loi dite ʽCésarʼ (III) : un
dégât collatéral,
les relations Syrie-Liban et l'économie
libanaise
Luc Michel
Mercredi 17 juin 2020
LUC MICHEL (ЛЮК
МИШЕЛЬ) & EODE/
Luc MICHEL pour EODE/
Quotidien
géopolitique – Geopolitical Daily/
2020 06 16/ « La loi César se
retournera contre ses instigateurs »
- Pars Today (Iran,
ce 13 juin).
Un certain nombre
de professeurs d’économie de
l’Université de Damas souligne que « le
principal objectif des États-Unis de
mettre en vigueur la loi César est de
nuire aux intérêts du peuple syrien. En
fait, la loi César est la quatrième
étape d’une guerre tous azimuts contre
le peuple syrien après l’occupation
militaire, le terrorisme et la guerre
médiatique ». Les professeurs de
l’université de Damas disent que « la
baisse de la valeur de la monnaie
nationale syrienne ne dépend ni de
l’industrie ni de l’agriculture, mais
qu’elle a été créée artificiellement par
la crainte de l’application de la loi
César ».
L’INTERDEPENDANCE
DES ECONOMIES SYRIENNE ET LIBANAISE
Lorsque les
États-Unis, l’Union européenne et les
Nations unies ont imposé des sanctions à
la Syrie au cours de la première année
de la guerre civile (transformée en
guerre d’agression impérialiste) en
2011, celles-ci étaient destinées à
faire pression financièrement sur le
gouvernement de Bachar al-Assad. Mais le
Liban a également été pris dans la
tourmente, contraint de restreindre
l’accès de la Syrie au système financier
mondial en raison des liens bancaires
existant depuis longtemps entre les deux
pays. Lorsque la Syrie ba’athiste a
nationalisé ses banques dans les années
1960, dans la construction de son Etat
socialiste, c’est au Liban qu’ont fui
les capitaux privés. Des banques y ont
été créées par des investisseurs
syriens, comme la banque BLOM, troisième
plus grande institution bancaire du pays
qui est toujours gérée par la famille
Azhari. « Les relations entre les
Syriens et le secteur bancaire libanais
sont plutôt anciennes », déclare Jihad
Yazigi, rédacteur en chef du ‘Syria
Report’, un bulletin d’informations
économiques.
Tout au long de la
guerre civile libanaise (1975-1990) et
de la présence syrienne au Liban
(jusqu’en 2005), c’est le Liban qui a
servi de marché des changes à Damas. La
Syrie était une économie fermée et
échanger des dollars en dehors des
banques publiques y était illégal. À la
suite du retrait syrien provoqué par des
manifestations massives à Beyrouth au
printemps 2005 (la version libanaise des
« révolutions de couleur) et de la
libéralisation de l’économie syrienne,
les banques libanaises ont ouvert cinq
filiales en Syrie. « La dépendance à
l’égard du Liban a diminué à mesure que
les transferts internationaux étaient
autorisés [en Syrie], bien que le Liban
soit considéré comme plus sûr et jouisse
du secret bancaire », précise Yazigi.
Alors que la situation devenait de plus
en plus violente en Syrie et que les
sanctions commençaient à mordre, les
capitaux syriens ont commencé à quitter
le pays.
Alors que le Liban
ressentait la pression de se conformer
aux sanctions internationales ciblant la
Syrie, Riad Salameh, le gouverneur de la
Banque du Liban (BDL), la banque
centrale du pays, a déclaré publiquement
en 2012 : « Il n’y a pas de contrebande
d’argent de la Syrie vers le Liban ».
Les banques libanaises sont restées sur
la défensive, clôturant les comptes de
Syriens faisant l’objet de sanctions et
rétrogradant les individus sanctionnés
au sein des conseils d’administration
des filiales bancaires syriennes. La
pression internationale s’est encore
intensifiée lorsque Washington a
présenté la loi sur la prévention du
financement international du Hezbollah
(HIFPA) en 2014, renouvelée en 2018 sous
le nom de HIFPA II, pour tenter d’isoler
financièrement le Hezbollah. Alors que
ce dernier combattait aux côtés des
forces gouvernementales syriennes, le
secteur bancaire libanais était à
nouveau sur la défensive, désireux de
montrer qu’il n’était un intermédiaire
ni pour les liquidités syriennes ni pour
les financiers du Hezbollah. De l’autre
côté de la frontière, alors que le
conflit syrien s’intensifiait, les
finances du pays se sont contractées.
Début 2016, le Fonds monétaire
international a estimé que la Syrie
détenait 1 milliard de dollars en
devises, tandis que la Banque mondiale
estimait ce montant à 700 millions de
dollars, contre 20 milliards de dollars
en 2010, selon Jihad Yazigi. La livre
syrienne, quant à elle, était sur une
pente glissante, se dépréciant de 47
livres pour un dollar américain en 2010
à 400 livres pour un dollar en 2016.
L’INFLUENCE EN
SYRIE DES MANIFESTATIONS AU LIBAN CONTRE
LES BANQUES
Début 2019, la
livre avait atteint 535 pour un dollar,
glissant à 663 livres en octobre, alors
que le Liban contrôlait davantage ses
transferts à l’étranger et que les
fissures du système financier libanais
commençaient à se manifester. Le 17
octobre 2019, un soulèvement a en effet
éclaté au Liban, conduisant les banques
à fermer leurs portes pendant deux
semaines, avant d’imposer des contrôles
officieux de capitaux et de limiter les
retraits en dollars américains. Tout
comme le Liban avait été happé par les
sanctions contre Damas, la Syrie a été
prise au piège de la crise financière
libanaise. « La crise libanaise a fermé
une porte importante à la Syrie pour ce
qui est de l’obtention de dollars »,
indique un ancien banquier syrien qui a
requis l’anonymat. L’ampleur réelle de
la dépendance de la Syrie à l’égard du
Liban pour obtenir des billets verts,
nécessaires au commerce international,
est devenue encore plus évidente à
mesure que les banques libanaises se
sont retrouvées à court de dollars.
À la mi-novembre,
la livre syrienne a atteint 822 pour un
dollar et peu de temps après, alors que
le secteur bancaire libanais limitait
les retraits de dollars à 300 ou moins
par semaine, elle a atteint 1 000 livres
pour un dollar. « La pression financière
sur le Liban a exposé tous les pays liés
au secteur bancaire, et la Syrie était
évidemment très dépendante du secteur
financier libanais », commente sous
couvert d’anonymat un responsable
libanais de la conformité dans une
grande banque. « Tout le monde savait
que la Syrie utilisait le Liban pour
échapper aux sanctions, les États-Unis
le savaient, donc ce qui s’est passé
n’est pas une surprise. Des milliards de
dollars ont été bloqués, et l’effet
immédiat a été la dépréciation de la
livre syrienne », ajoute-t-il. En raison
de la pénurie de dollars, les affaires
en Syrie ont été « interrompues à cause
du Liban », indique l’ancien banquier
syrien.
Si les Syriens sont
désormais en mesure de retirer de
l’argent, c’est en lires libanaises,
lesquelles devront ensuite être
échangées en dollars. La lire est
officiellement attachée au dollar, avec
une parité de 1 507 lires pour un
dollar. Mais en raison de la pénurie de
dollars, elle se négocie actuellement à
plus de 2 400 lires, soit une
augmentation de 60 %. « Il y a deux
prix, l’un dans les banques, que
personne n’utilise, et celui dans nos
bureaux de change, qui est 60 % plus
élevé », déclare l’agent de change. La
dépréciation et le manque d’accès au
dollar pour les importations auront un
impact sévère sur l’économie syrienne. «
Quiconque gagne des dollars ou doit
importer des marchandises en dollars est
touché. L’économie syrienne est déjà en
très mauvais état et cela va s’aggraver.
Quel que soit le résultat [du
soulèvement] au Liban, ce sera
extrêmement négatif pour la Syrie, pour
les entreprises et pour le peuple »,
prévient Yazigi. La richesse de la Syrie
est estimée à un cinquième de ce qu’elle
était lorsque la guerre civile a éclaté.
Le Global Wealth Report, publié par la
banque suisse Crédit Suisse, a estimé la
richesse totale de la Syrie à 21
milliards de dollars à la mi-2019. Fin
2010, elle s’élevait à environ 117
milliards de dollars.
LA SYRIE ET LE
LIBAN SERONT EN OUTRE TOUCHES PAR LA LOI
CESAR
La Syrie et le
Liban seront en outre touchés par la loi
César « de protection civile syrienne »
(sic) adoptée par le Sénat américain en
décembre 2019, en référence au
pseudonyme d’un militaire syrien
déserteur. La législation, qui doit
encore être signée par le président
Donald Trump, impose des sanctions
supplémentaires à la Syrie pour crimes
de guerre. « La loi César est importante
car elle affecte des pays tiers et aura
des conséquences négatives sur les
relations du Liban avec la Syrie. Il
sera alors plus risqué de faire des
affaires avec la Syrie car,
techniquement, vous pourrez faire face à
des sanctions de la part des Américains
», explique Jihad Yazigi. « Les
entreprises libanaises qui obtiennent un
contrat de reconstruction attribué par
le gouvernement seront ainsi passibles
de sanctions. » Une bien mauvaise
nouvelle pour les entreprises de
construction libanaises qui espéraient
décrocher des contrats pour la
reconstruction de la Syrie, un coup de
pouce indispensable pour l’économie.
DE DAMAS A BEYROUTH :
TOUT LE LEVANT FRAPPE
À Beyrouth, le
gouvernement ne peut
adopter la loi César, s’y plier et
fermer ses portes à la Syrie. Les seuls
postes-frontière terrestres du Liban
traversent en Syrie, Israël étant
considéré comme un ennemi. Tout plan
économique national visant à revitaliser
l’important secteur agricole local en
exportant des produits vers la Syrie,
l’Irak ou d’autres pays du Golfe
échouerait si la loi César entrait en
vigueur. Toute industrie régénérée ou
tout échange commercial avec les pays du
Moyen-Orient doit franchir la « porte
syrienne ». Le gouvernement libanais
actuel risque également de tomber s’il
applique les sanctions américaines.
Washington ne fournit aucun appui
financier à l’économie libanaise en
crise et n’a nullement l’intention
d’offrir l’aide immédiate nécessaire
pour la relever. Les USA, comme c’est
devenu la norme, cherchent à imposer des
sanctions et des conditions aux pays
qu’ils ciblent, mais offrent peu en
retour aux autres pays que cela affecte.
Dans le cas du Liban, son déficit
budgétaire frôle les 100 milliards de
dollars après des décennies de
corruption et de mauvaise gestion.
Le gouvernement du
premier ministre Hassan Diab est, en
théorie, un gouvernement technocratique
et apolitique. Il ne voit pas les
USA comme un ennemi, mais il ne suivra
pas nécessairement les diktats
américains, puisqu’il est proche de l’«
Alliance du 8 mars » dont les membres
qui ont le plus de poids ne sont pas
amis des USA. Par conséquent, la seule
solution pour ce gouvernement ou tout
autre qui suivra consiste à se tourner
vers l’est, c’est-à-dire vers la Chine,
la Russie et l’Iran. Les USA vont
probablement perdre le Liban, puisque
ses alliés de l’« Alliance du 14 mars »
sont devenus sans voix et impuissants.
Il ne fait aucun doute que le parti
chrétien au sein du
groupe politique du « 8 mars » sera pris
à parti et affecté par les sanctions des
USA. Ce groupe possède des relations
internationales à entretenir et à
surveiller ainsi que des comptes
bancaires à l’étranger. Quoi qu’il en
soit, la loi César ne peut s’appliquer
au Liban, peu importe les conséquences
de la violation de ses dispositions.
« Les problèmes de
la Syrie et du Liban sont bien
différents, ce qui suggère que leur
règlement passera évidemment par
différentes voies. En Syrie, dans le
processus de prendre une décision on
essaie de trouver un terrain d’entente
politique. Et même si ce problème est
très complexe il n’y aura pas lieu de
craindre qu’un des partis politiques
neutralise ce processus, tandis qu’au
Liban c’est l’inverse », estiment les
experts économiques. « Le problème au
Liban est plus profond. Dans ce pays, il
existe des conflits, dont le but est de
renverser le gouvernement », ont-t-ils
précisé.
L’OMBRE DES USA SUR
LES RELATIONS DU LIBAN AVEC LE FMI
« Le Liban se met à
la table des négociations avec le Fonds
monétaire international (FMI), mais il
se voit confronté à des conditions
américaines comme le désarmement de la
Résistance et la démarcation des
frontières avec Israël », ont indiqué
ces experts économiques.
Les experts
financiers soulignent que la Syrie
s’oriente vers la mécanisation de
l’agriculture et tente d’exporter ses
produits à l’aide de ses alliés, brisant
ainsi l’embargo et surmontant les
pressions économiques. « Les impacts
négatifs des aides financières que
promet le FMI sont plus nombreux que
leurs effets positifs ceux positifs et
ces aides ne feraient qu’aggraver les
problèmes du Liban », ont-t-il averti. «
Le Liban et la Syrie n’ont que deux
choix ; céder aux pressions américaines
ou former une Résistance économique face
à la loi César tout comme ce qu’ils ont
déjà fait face aux occupants », ont-ils
conclu. Les économistes soulignent la
nécessité de créer un système économique
d’autosuffisance au Liban, en prenant
pour modèle l’économie iranienne.
(Sources : Pars Today – Middle East Eye
- Syria Report – Global Wealth Report -
EODE Tink Tank)
Photo :
Le grand souk de Damas fin 2019.
LUC MICHEL (ЛЮК
МИШЕЛЬ) & EODE
* Avec le Géopoliticien de l’Axe
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