LUC MICHEL’S
GEOPOLITICAL DAILY
Schizophrénie pakistanaise (II) :
Le trouble jeu d'Islamabad.
Le cas exemplaire de l'assassinat de
Benazir Bhutto
Luc Michel
Mercredi 3 janvier 2018
LUC MICHEL (ЛЮК
МИШЕЛЬ) & EODE/
Luc MICHEL pour
EODE/
Quotidien
géopolitique – Geopolitical Daily/
2018 01 03/ « Le syndrome de la
partition de 1947 et les multiples
guerres qui ont opposé l’Inde au
Pakistan continuent de définir le
paradigme stratégique pakistanais, qui
s’est encore renforcé avec le soutien
apporté aux moudjahidines afghans dans
les années 1980 et l’insurrection au
Cachemire indien dans les années 1990.
La stratégie d’instrumentalisation des
mouvements islamistes armés au service
de la politique régionale a toutefois un
prix. Après le 11 Septembre, le général
Musharraf modifie la ligne officielle,
tant vis-à-vis des talibans que des
jihadistes opérant au Cachemire. Même si
sa pratique est pour le moins ambiguë,
c’en est trop pour une partie des
radicaux, qui se retournent contre le
pouvoir d’État, qui doit alors faire
face à des insurrections en pays
pachtoune, et à la montée du terrorisme
urbain, aggravé par les conflits entre
sunnites et chiites, les tensions
ethniques et les difficultés
économiques. Mais l’armée, État dans
l’État, maintient le paradigme : l’Inde
est présentée comme plus menaçante que
les troubles internes, d’autant que les
aléas de la politique ‘AfPak’ du
président Obama ouvrent au Pakistan de
nouveaux horizons en Afghanistan »
- Revue HERODOTE
(Géopolitique du Pakistan, 2010).
* Voir aussi LUC
MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILY/
SCHYZOPHRENIE
PAKISTANAISE (I):
QUAND L’ALLIANCE
AVEC LES USA SE DOUBLE DU PARRAINAGE DE
L’ISLAMISME RADICAL WAHHABITE
sur
https://www.facebook.com/Pcn.luc.Michel/posts/1178028828998200
On commémorait ce
27 décembre l'assassinat de l'ex-Premier
ministre pakistanais Benazir Bhutto. Dix
ans après le drame, les théories
derrière le meurtre de Benazir Bhutto
sont encore d'actualité et expliquent
mieux que de longues analyses ce qu’est
le « trouble jeu » pakistanais. Plongée
au cœur d’un panier de crabes où
s’agitent factions pro-occidentales,
officiers wahhabites de l’Armée ou des
services secrets (ISI – Inter Services
Intelligence), islamistes radicaux,
talibans …
I-
LES THESES SUR LES
COMMANDITAIRES DE L'ASSASSINAT DE
BENAZIR BHUTTO
Les commanditaires
de l'assassinat de l'ex-Premier ministre
pakistanais Benazir Bhutto (1) restent
impunis, dix ans après mort de la
première femme à gouverner un pays
musulman, nourrissant de nombreuses
théories sur leur identité. Alors que
des milliers de personnes se sont
recueillies mercredi dernier autour de
son tombeau, dix ans jour pour jour
après son décès, seuls deux policiers
ont été condamnés dans cette affaire,
reconnus coupables, en août dernier, de
« mauvaise gestion de la scène du crime
».
Selon la version la
plus communément acceptée, Benazir
Bhutto a été tuée le 27 décembre 2007 de
plusieurs balles dans le cou.
L'assaillant a ensuite déclenché sa
charge explosive près de son convoi,
fauchant 24 personnes.
L'ETAT OU LES
ISLAMISTES ?
Mme Bhutto,
fervente critique des extrémistes
islamistes, était menacée par Al-Qaïda,
les talibans (qu’elle avait contribué à
faire monter en puissance) et d'autres
groupes djihadistes locaux, et
potentiellement par des éléments au sein
des institutions pakistanaises
(officiers wahhabites de l’Armée et de
l’ISI).
Signes d’une
situation plus que trouble, le régime du
général Pervez Musharraf (2) a accusé du
meurtre le chef des talibans pakistanais
de l'époque, Baitullah Mehsud. Ce
dernier, qui avait démenti toute
implication, a été tué par un drone
américain en 2009. Mais le général
Musharraf a lui-même été inculpé en 2013
pour le meurtre de sa rivale, une
première pour un ex-chef de la puissante
armée pakistanaise. Pervez Musharraf a
fui le Pakistan en 2016, et il est en
exil depuis lors. La justice le
considère depuis août dernier comme «
fugitif » dans cette affaire.
Mercredi, pour le
dixième anniversaire de la mort de
Benazir Bhutto, son fils Bilawal a
scandé « assassin, assassin. Musharraf
assassin », devant son tombeau. La foule
a repris en cœur.
LA COMMISSION
D'ENQUETE DE L'ONU
A la demande du
‘Parti du peuple pakistanais’ (PPP), la
formation du clan Bhutto, l'ONU a
dépêché une commission d'enquête qui a
publié en 2010 un rapport de 70 pages.
L'ONU a estimé que « Musharraf n'avait
pas fourni à sa rivale politique,
pourtant menacée, la sécurité nécessaire
pour éviter une telle attaque ». Selon
l'ONU, « la police a également manqué à
ses devoirs en faisant laver à grande
eau la scène du crime moins de deux
heures après l'attentat le 27 décembre
2007 et en ne pratiquant pas d'autopsie
du corps de Mme Bhutto ».
La police a indiqué
« n'avoir collecté que 23 preuves
matérielles sur les lieux dans un cas où
l'on aurait pu s'attendre à en avoir des
milliers », souligne le rapport onusien.
L'ONU évoque autre
chose que la simple incompétence,
estimant que « l'enquête a probablement
été étouffée par les institutions
militaires du pays ». « Ces
responsables, partiellement par peur que
cela (l'attentat, NDLR) soit le fait des
agences de renseignement, n'étaient pas
sûrs de la vigueur avec laquelle ils
étaient censés prendre les mesures
normalement exigées d'eux en tant que
professionnels », souligne le rapport.
Mais l'ONU n'a
pointé du doigt aucun suspect, estimant
que « cela relevait de la responsabilité
des tribunaux pakistanais ».
THEORIES DU COMPLOT
Le veuf de Mme
Bhutto, Asif Ali Zardari, surfant sur la
popularité de son épouse, a été élu
président mais n'a jamais éclairci le
mystère de sa mort. Les spéculations ont
été alimentées par le décès de son
assistant Bilal Sheikh dans un
attentat-suicide en 2013. Ce dernier
était responsable de la sécurité de Mme
Bhutto lorsqu'un premier attentat avait
visé son convoi à son retour d'exil en
octobre 2007.
Mais pour l'ancien
président de la commission d'enquête de
l'ONU Heraldo Munoz, « il est ridicule
de penser que M. Zardari soit impliqué
dans le meurtre de son épouse ». Pour
lui, « Al-Qaïda a donné l'ordre, les
talibans pakistanais ont exécuté
l'attaque, éventuellement appuyés (...)
par des éléments de l'establishment
(militaires et/ou services secrets), le
gouvernement de Musharraf a facilité le
crime par sa négligence, les
responsables de la police locale ont
tenté de camoufler l'affaire, les gardes
du corps de Bhutto ont échoué à la
protéger et la majorité des politiciens
pakistanais préfèrent tourner la page ».
D'autres théories
mettent en cause le fidèle garde du
corps de Mme Bhutto, Khalid Shahensha,
vidéos à l'appui le montrant en train de
faire des signes bizarres peu avant
l'attentat. Shahensha a été
mystérieusement abattu à Karachi
quelques mois plus tard.
II-
LA RADICALISATION
DE L’ARMEE PAKISTANAISE :
L’OMBRE DU REGIME
DU DICTATEUR ZIA
Derrière le
trouble-jeu pakistanais, il y a la
radicalisation de l’islam pakistanais
et, en parallèle, celle des officiers de
l’Armée et de l’ISI, gagnés au
Wahhabisme …
Nommé le 11 octobre
1976 chef de l'armée pakistanaise par le
président Zulfikar Ali Bhutto, le
général Muhammad Zia-ul-Haq renverse ce
dernier lors d'un coup d’État en 1977.
Il le fera condamner à mort et pendre !
Zia-ul-Haq est ensuite président de la
République du 16 septembre 1978 jusqu'à
sa mort en 1988 dans un accident
d'avion. Souvent considéré comme un
dictateur, la Constitution du Pakistan a
été suspendue durant près de sept des
dix années qu'il a passées au pouvoir.
Il est par ailleurs l'instigateur de
réformes visant à accroître la portée du
droit islamique dans l'ordre juridique
pakistanais. En 1988, alors qu'il était
accompagné de diplomates américains,
l'avion de Zia s'écrasa au Pakistan, peu
avant l’atterrissage dans une base
militaire de Bahawalpur, dans des
circonstances jamais élucidées. Aucune
preuve à ce jour n'a pu être apportée
pour accréditer la thèse d'un assassinat
commandité ou non par une force
étrangère. La démocratie fut rétablie
peu après sa mort avec l'élection de
Benazir Bhutto, fille de Zulfikar Alî
Bhutto.
Zia a joué un rôle
important dans le conflit
soviético-afghan, en apportant une aide
militaire et financière aux moudjaidins
afghans et en particulier aux plus
radicaux d’entre eux. Aide qui fut
lourdement appuyée par les États-Unis
(qui entamaient le « scénario du diable
», entamé avec les Frères musulmans dès
1945, un héritage de la politique du
IIIe Reich nazi) , qui avaient promis à
Zia des territoires dans le Nord-Ouest
pour compenser la perte du Bangladesh.
Le régime répressif de Zia fut ainsi
soutenu à bout de bras par les
puissances occidentales.
Il continua le
programme nucléaire pakistanais dans les
années 1970, programme qui aboutit en
1998 à un essai nucléaire réussi,
relançant le conflit avec l'Inde à
propos entre autres du Cachemire.
Contrairement à
Zulfikar Bhutto, attiré par la laïcité,
Zia eut la volonté d'instaurer un État
islamique en s'appuyant sur les mollahs
: il interdit les taux d'intérêts
bancaires, instaura l'aumône obligatoire
(zakat) dans le droit positif, les
châtiments publics, obligea les femmes à
se voiler à la télévision, promulgue en
1986 la loi sur le blasphème, etc. Zia
voulut même aller plus loin en tentant
de réinstaurer le califat, autorité
musulmane commune, qui avait été aboli
le 3 mars 1924 par le président turc
Mustapha Kemal. La majorité des oulémas
se sont cependant opposés à son projet.
NOTES :
(1) Mohtarma
Benazir Bhutto, née à Karachi le 21 juin
1953 et morte assassinée à Rawalpindi le
27 décembre 2007, est une femme d'État
pakistanaise. Elle a été dirigeante du
Parti du peuple pakistanais de 1984 à
2007 et a été deux fois Première
ministre. Elle est ainsi la première
femme élue démocratiquement à la tête
d'un pays à majorité musulmane. Elle est
aussi une figure marquante du Pakistan,
et a été l'une des principales
opposantes au pouvoir des présidents
Muhammad Zia-ul-Haq et Pervez Musharraf.
Son père, Zulfikar Alî Bhutto a fondé le
PPP et a été à la tête du Pakistan de
1971 à 1977. En 1987, elle s'est mariée
avec l'homme d'affaires Asif Ali
Zardari, qui devient président en 2008.
Elle exerce son
premier mandat de Première ministre à la
tête du Pakistan à partir de 1988, à la
suite des élections législatives,
remportées par son parti et où elle a
mené campagne en son nom. Elle est
destituée de ses fonctions par le
président Ghulam Ishaq Khan en 1990, et
elle perd les élections législatives de
la même année. Elle retrouve son poste
de Première ministre en 1993 à la suite
de nouvelles élections législatives. Son
second mandat se termine en 1996 par un
ordre de destitution du président Farooq
Leghari, sur la base d'accusations de
corruption. Afin d'échapper à la
justice, elle s'exile à Dubaï puis à
Londres en 1998. Ayant obtenu du
président Pervez Musharraf une amnistie
et un accord de partage du pouvoir après
les élections législatives prévues pour
janvier 2008, elle rentre au pays le 18
octobre 2007. Chef de l'opposition, elle
est alors pressentie pour redevenir
Première ministre, et s'associe avec
Nawaz Sharif. Le 27 décembre suivant,
deux semaines avant les élections, elle
est en campagne pour le Parti du peuple
pakistanais, lorsqu'elle meurt, victime
d'un attentat-suicide à l'issue d'un
meeting à Rawalpindi. Sa mort provoque
d'importants troubles, trois jours de
deuil national et le report des
élections, qui sont finalement
remportées par son parti.
(2) Pervez
Musharraf est un général et homme d'État
pakistanais, président de la République
de 2001 à 2008. À la suite d'un coup
d'État non-violent, il a été à la tête
du Pakistan du 12 octobre 1999 au 18
août 2008, mais officiellement président
de la République seulement du 20 juin
2001 au 18 août 2008.
Après être entré
dans l'armée pakistanaise en 1964,
Pervez Musharraf ne cesse de progresser
dans la hiérarchie, jusqu'à être nommé
chef de l'armée par le Premier ministre
Nawaz Sharif en octobre 1998. Le 12
octobre 1999, il est l'instigateur du
coup d’État militaire contre le
gouvernement démocratique de Nawaz
Sharif peu après le conflit du Kargil,
dans un contexte tendu entre le pouvoir
civil et le pouvoir militaire et alors
que Nawaz Sharif avait tenté de nommer
un autre chef de l'armée. Pervez
Musharraf devient ainsi le dirigeant du
Pakistan alors que la loi martiale est
instaurée et la Constitution suspendue.
En 2001, alors que la Constitution est
rétablie, il devient officiellement
président de la République. Il est
confirmé dans sa position par la Cour
suprême puis après la courte victoire
aux élections législatives de 2002 du
parti le soutenant, la Ligue musulmane
du Pakistan (Q), il est élu président
par le collège électoral en 2004. Son
mandat coïncide avec un rapprochement
entre son pays et les États-Unis, alors
que Pervez Musharraf promet de lutter
contre le terrorisme après les attentats
du 11 septembre 2001. D'un autre côté,
il permet une libéralisation des médias
et améliore relativement le droit des
femmes. Il est réélu par le collège
électoral en octobre 2007 alors que dans
le même temps son pouvoir est de plus en
plus contesté, notamment par le
mouvement des avocats. Après la défaite
du parti politique le soutenant aux
élections législatives de 2008, il
démissionne alors que la coalition au
Parlement entendait entamer une
procédure de destitution contre lui.
Il s'est exilé
début 2009 à Dubaï puis Londres, et a
lancé le 1er octobre 2010 à Londres un
nouveau parti politique, la Ligue
musulmane de tout le Pakistan. Évoquant
plusieurs fois son retour pour
participer aux futures élections, il
rentre finalement le 24 mars 2013 malgré
les menaces de mort de talibans et les
risques d'arrestation par la justice en
raison de sa négligence supposée de la
sécurité de Benazir Bhutto lorsqu'il
était au pouvoir. Inculpé, il devra fir
le Pakistan en 2016.
(Avec AFP – EODE
Think-Tank)
LUC MICHEL (ЛЮК
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